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20 avril 2024 6 20 /04 /avril /2024 03:35

« Dès le XVIIIe siècle, il est devenu l’écrivain classique de référence, admiré entre autres par Voltaire, et il reste toujours au premier plan dans les études littéraires, comme en attestent les listes d’œuvres complètes du lycée qui viennent de paraître où sa tragédie Phèdre est à l’honneur. » (Jean-Christophe Pellat, le 29 mai 2019).


 


Le dramaturge et poète français Jean Racine est mort à l'âge de 59 ans (né le 22 décembre 1639) il y a 325 ans, le 21 avril 1699 à Paris. Auteur monumental de la littérature française, répertorié dans les manuels scolaires depuis des siècles, il est le symbole de la littérature classique, celle qui s'exprime en alexandrins de manière rigoureuse et synthétique, où la vertu politique est soumise aux aléas de la passion personnelle et où les unités de temps, de lieu et d'action sont strictement respectées. Il partage avec Molière (1622-1673) et Pierre Corneille (1606-1684) la principale représentation littéraire du XVIe siècle, ils font tous les trois partie des auteurs de théâtre encore les plus joués en France. Racine est connu pour ses tragédies (comme Corneille) autant que Molière pour ses comédies. Racine est néanmoins l'auteur d'une unique comédie "Les Plaideurs" (1668). Il fut notamment l'ami de Molière et de Boileau (1636-1711).

Les tragédies de Racine sont très connues parce que tous les Français ont eu l'occasion de les étudier de près au cours de leur scolarité, en particulier : "Andromaque" (1667), "Britannicus" (1669), "Bérénice" (1670), "Bajazet" (1672), "Mithridate" (1673), "Iphigénie" (1674) et sans doute son chef-d'œuvre "Phèdre (et Hippolyte)" (1677), dans un mélange de théâtre antique et de jansénisme qu'il a connu à Port-Royal où il a été élevé (par sa tante devenue abbesse, car il était orphelin de mère en 1641 et de père en 1643 ; Racine a d'ailleurs été un exemple exceptionnel d'ascension sociale dans la société très rigide de l'Ancien Régime).

Pour Jean-Christophe Pellat, professeur de linguistique à l'Université de Strasbourg (dans le Grevisse) :
« La conception pessimiste de l’homme qui y règne, être misérable sans Dieu, façonne la vision tragique au cœur des pièces de Racine (L. Goldmann. "Le Dieu caché"). (…) [Racine] a créé des figures tragiques remarquables, comme Andromaque ou Phèdre. Son style classique est "une alliance sans exemple d’analyse et d’harmonie" (P. Valéry). Au-delà des procédés de style éprouvés (l’allitération de "Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?"), sa poésie du rythme exprime l’émotion et l’élan du cœur, comme ces paroles de Bérénice à Titus : "Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?" ("Bérénice"). Ses évocations sensibles créent une atmosphère fantastique : "Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle, Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle". ("Andromaque"). Car, pour Racine, "la principale règle est de plaire et de toucher" (préface de "Bérénice"). ».

Dès le succès de sa deuxième tragédie "Alexandre le Grand" (1665), Racine fut le protégé de roi Louis XIV (1638-1715) qui avait quasiment le même âge que l'écrivain. Il fut trésorier de France, secrétaire du roi et gentilhomme ordinaire de sa chambre. Racine fut élu membre de l'Académie française le 5 décembre 1672 au fauteuil de François de La Mothe Le Vayer (le fauteuil 13 qui sera aussi celui d'Octave Feuillet, Pierre Loti, Paul Claudel, Maurice Schumann, Pierre Messmer et Simone Veil) et a été reçu le 12 janvier 1673. Il n'avait alors que 33 ans.

Lors de cette journée, ils étaient trois académiciens à être reçus, et pour la première fois, ces réceptions étaient publiques. Racine a prononcé très timidement son discours de réception après celui de l'abbé Valentin Esprit Fléchier (1632-1710), futur évêque de Nîmes et considéré comme l'un des grands orateurs du XVII
e siècle. Le discours de Fléchier a eu un grand succès, si bien que celui de Racine fut accueilli beaucoup moins chaleureusement, au point qu'il n'a pas voulu le faire imprimer (et qu'il est donc aujourd'hui inconnu). Jean d'Alembert (1717-1783), qui fut académicien à partir de 1754, a rapporté ainsi cette réception, cité par Tyrtée Tastet en 1840 : « [Esprit Fléchier] y parla le premier, et obtint de si grands applaudissements que l'auteur d'Andromaque et de Britannicus désespéra d'avoir le même succès. Le grand poète fut tellement intimidé et déconcerté en présence de ce public qui tant de fois l'avait couronné au théâtre, qu'il ne fit que balbutier en prononçant son discours ; on l'entendit à peine, et on le jugea néanmoins comme si on l'avait entendu. ». Esprit Fléchier a une statue à son effigie place Saint-Sulpice à Paris. L'abbé Jean Gallois (1632-1707) fut le troisième académicien reçu le même jour.

Le discours de réception à l'Académie n'est pas le seul écrit perdu de Racine. Nommé historiographe du roi, il fut désigné en 1677 pour rédiger l'histoire de Louis XIV avec Boileau. Leurs manuscrits furent confiés à leur ami Jean-Baptiste-Henri de Valincour (1653-1730), futur successeur de Racine au fauteuil 13, et, malheureusement, ont péri en 1726 dans l'incendie de sa bibliothèque (contenant près de huit mille volumes).


En revanche, le discours de Racine de réponse à la réception à l'Académie le 2 janvier 1685 de Thomas Corneille (1625-1709), succédant à son frère Pierre Corneille, et de l'avocat Jean-Louis Bergeret (1641-1694), succédant à Louis Géraud de Cordemoy (1626-1684), a été publié, et c'est une chance puisqu'il a été considéré comme un très bon discours, que son auteur a dû répéter devant le roi le 5 mars 1685 et devant Madame la Dauphine le 20 mars 1685.

En particulier dans son éloge de son ami Corneille : « [L'Académe] a regardé la mort de Monsieur de Corneille, comme un des plus rudes coups qui la pût frapper ; car bien que depuis un an, une longue maladie nous eût privés de sa présence, et que nous eussions perdu en quelque sorte l’espérance de le revoir jamais dans nos assemblées, toutefois il vivait, et l’Académie dont il était le doyen, avait au moins la consolation de voir dans la liste, où sont les noms de tous ceux qui la composent, de voir, dis-je, immédiatement au-dessous du nom sacré de son auguste protecteur, le fameux nom de Corneille. Et qui d’entre-nous ne s’applaudissait pas en lui-même, et ne ressentait pas un secret plaisir d’avoir pour confrère un homme de ce mérite ? (…) La scène retentit encore des acclamations qu’excitèrent à leur naissance, le Cid, Horace, Cinna, Pompée, tous ces chef-d’œuvres représentés depuis sur tant de théâtres, traduits en tant de langues, et qui vivront à jamais dans la bouche des hommes. À dire le vrai, où trouvera-t-on un poète qui ait possédé à la fois tant de grands talents, tant d’excellentes parties ? L’art, la force, le jugement, l’esprit ! Quelle noblesse, quelle économie dans les sujets ! Quelle véhémence dans les passions ! quelle gravité dans les sentiments ! Quelle dignité, et en même temps, quelle prodigieuse variété dans les caractères ! Combien de Rois, de Princes, de Héros de toutes nations nous a-t-il représentés, toujours tels qu’ils doivent être, toujours uniformes avec eux-mêmes, et jamais ne se ressemblant les uns aux autres ! Parmi tout cela, une magnificence d’expression proportionnée aux maîtres du monde qu’il fait souvent parler ; capable néanmoins de s’abaisser quand il veut, et de descendre jusqu’aux plus simples naïvetés du comique, où il est encore inimitable ; enfin, ce qui lui est surtout particulier une certaine force, une certaine élévation qui surprend, qui enlève, et qui rend jusqu’à ses défauts, si on lui en peut reprocher quelques-uns, plus estimables que les vertus des autres. Personnage véritablement né pour la gloire de son pays, comparable, je ne dis pas à tout ce que l’ancienne Rome a eu d’excellents tragiques, puisqu’elle confesse elle-même qu’en ce genre elle n’a pas été fort heureuse, mais aux Eschyles, aux Sophocles, aux Euripides dont la fameuse Athènes ne s’honore pas moins que des Thémistocles, des Périclès, des Alcibiades, qui vivaient en même temps qu’eux. (…) Lorsque dans les âges suivants l’on parlera avec étonnement des victoires prodigieuses, et de toutes les grandes choses qui rendront notre siècle l’admiration de tous les siècles à venir, Corneille, n’en doutons point, Corneille tiendra sa place parmi toutes ces merveilles. La France se souviendra avec plaisir que sous le règne du plus grand de ses Rois a fleuri le plus célèbre de ses poètes. On croira même ajouter quelque chose à la gloire de notre auguste monarque, lorsqu’on dira qu’il a estimé, qu’il a honoré de ses bienfaits cet excellent génie ; que même deux jours avant sa mort, et lorsqu’il ne lui restait plus qu’un rayon de connaissance, il lui envoya encore des marques de sa libéralité, et qu’enfin les dernières paroles de Corneille ont été des remerciements pour Louis-le-Grand. ».

C'est au 24 rue Visconti dans le sixième arrondissement de Paris (dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés) que Racine est mort le 21 avril 1699 d'une tumeur au foie. Selon ses dernières volontés, il a été enterré à Port-Royal (il s'était brouillé puis réconcilié avec les jansénistes de Port-Royal ; selon l'expression du site jeanracine.org : « [il] resta le courtisan respectueux écartelé entre la faveur du roi et la fidélité à Port-Royal » ; il n'a pas eu le temps de finir son "Abrégé de l'histoire de Port-Royal" rédigé secrètement), puis ses restes ont été délogés et transférés en 1711 à l'église Saint-Étienne-du-Mont de Paris après la destruction de Port-Royal par Louis XIV.
 


C'est le successeur de Racine à l'Académie qui fut chargé de faire son éloge (comme c'est de coutume) le 27 juin 1699 lors de sa réception. Jean-Baptiste-Henri de Valincour déclara notamment : « M. Racine conduit par son seul génie, et sans s’amuser à suivre ni même à imiter un homme que tout le monde regardait comme inimitable, ne songea qu’à se faire des routes nouvelles. Et tandis que Corneille peignant ses caractères d’après l’idée de cette grandeur romaine, qu’il a le premier mise en œuvre avec tant de succès, formait ses figures plus grandes que le naturel, mais nobles, hardies, admirables dans toutes leurs proportions ; tandis que les spectateurs entraînés hors d’eux-mêmes, semblaient n’avoir plus d’âmes que pour admirer la richesse de ses expressions, la noblesse de ses sentiments, et la manière impérieuse dont il maniait la raison humaine. M. Racine entra, pour ainsi dire, dans leur cœur et s’en rendit le maître ; il y excita ce trouble agréable qui nous fait prendre un véritable intérêt à tous les événements d’une fable que l’on représente devant nous ; il les remplit de cette terreur et de cette pitié qui, selon Aristote, sont les véritables passions que doit produire la tragédie ; il leur arracha ces larmes qui font le plaisir de ceux qui les répandent ; et peignant la nature moins superbe peut-être et moins magnifique, mais aussi plus vraie et plus sensible, il leur apprit à plaindre leurs propres passions et leurs propres faiblesses, dans celles des personnages qu’il fit paraître à leurs yeux. Alors le public équitable, sans cesser d’admirer la grandeur majestueuse du fameux Corneille, commença d’admirer aussi les grâces sublimes et touchantes de l’illustre Racine. Alors le théâtre français se vit au comble de sa gloire, et n’eut plus de sujet de porter envie au fameux théâtre d’Athènes florissante : c’est ainsi que Sophocle et Euripide, tous deux incomparables et tous deux très différents dans leur genre d’écrire, firent en leur temps l’honneur et l’admiration de la savante Grèce. Quelle foule de spectateurs, quelles acclamations ne suivirent pas les représentations d’Andromaque, de Mithridate, de Britannicus, d’Iphigénie et de Phèdre ! Avec quel transport ne les revoit-on pas tous les jours, et combien ont-elles produit d’imitateurs, même fort estimables, mais qui toujours fort inférieures à leur original, en font encore mieux concevoir le mérite ! Mais, lorsque renonçant aux muses profanes, il consacra ses vers à des objets plus dignes de lui, guidé par des conseils et par les ordres que la sagesse même avouerait pour les siens, quels miracles ne produisit-il pas encore ! Quelle sublimité dans ses cantiques, quelle magnificence dans Esther et dans Athalie, pièces égales, ou même supérieures à tout ce qu’il a fait de plus achevé, et dignes par-tout, autant que des paroles humaines le peuvent être, de la majesté du Dieu dont il parle, et dont il était si pénétré ! En effet, tous ceux qui l’ont connu savent qu’il avait une piété très-solide et très-sincère, et c’était comme l’âme et le fondement de toutes les vertus civiles et morales que l’on remarquait en lui : ami fidèle et officieux, et le meilleur père de famille qui ait jamais été, mais sur-tout exact et rigide observateur des moindres devoirs du christianisme, justifiant en sa personne ce qu’a dit un excellent esprit de notre siècle : que si la religion chrétienne paraît admirable dans les hommes du commun par les grandes choses qu’elle leur donne le courage d’entreprendre, elle ne le paraît pas moins dans les plus grands personnages par les petites choses dont elle les empêche de rougir. ».

Mais probablement que l'éloge le plus touchant provient d'un autre grand écrivain, André Gide (1869-1951), par ailleurs Prix Nobel de Littérature en 1947, qui s'émerveillait de Racine : « J'ai aimé les vers de Racine par-dessus toutes productions littéraires. J'admire Shakespeare énormément ; mais j'éprouve devant Racine une émotion que ne me donne jamais Shakespeare : celle de la perfection. ». La statue de Jean Racine trône aujourd'hui au flanc du Louvre.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 avril 2024)
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Pour aller plus loin :
Racine.
Pierre Loti.
Philippe de Villiers.
Frédéric Mitterrand.
Philippe De Gaulle.
Jean-Pierre Chevènement.
Élisabeth Badinter.
Robert Badinter.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Christine Angot.
Edgar Morin.

Jean-François Revel.
Maurice Bellet.
Claude Villers.
André Franquin.
Morris.

Françoise Hardy.
Lénine.
Christine Boutin.
André Figueras.
Patrick Buisson.

Maurice Barrès.
Bernard-Henri Lévy.

Jacques Attali.
Italo Calvino.
Hubert Reeves.

Jean-Pierre Elkabbach.
Jacques Julliard.

Robert Sabatier.
Hélène Carrère d'Encausse.

Molière.
Frédéric Dard.
Alfred Sauvy.
George Steiner.
Françoise Sagan.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.
 






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14 avril 2024 7 14 /04 /avril /2024 03:18

« Impression, j'en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l'impression là-dedans... Et quelle liberté, quelle aisance dans la facture ! Le papier peint à l'état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là ! » (Louis Leroy, "Le Charivari" du 25 avril 1874).


 


Il y a 150 ans, le 15 avril 1874, au 35 boulevard des Capucines, dans le neuvième arrondissement de Paris, aux Ateliers du photographe Nadar qui recherchait des revenus supplémentaires, a commencé la première exposition des peintres impressionnistes, principalement soutenue par le marchand d'art Paul Durand-Ruel.

C'étaient d'abord des peintres qui se sont vus interdits d'exposition au Salon de peinture et de sculpture, déjà dans les années 1860. Leurs peintures n'étaient pas considérées comme convenables. La Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs, graveurs, etc. s'est constituée le 27 décembre 1873 pour les représenter et organiser cette première exposition du 15 avril 1874 au 15 mai 1874. Auparavant celle-ci, il y a déjà eu autour d'Édouard Manet un Salon des refusés en avril 1863 avec les encouragements de l'empereur Napoléon III et au grand dam des académiciens.

Trente peintres ont exposé à cette occasion, en particulier Paul Cézanne, Auguste Renoir, Claude Monet, Berthe Morisot, Edgar Degas, Alfred Sisley, Henri Rouart et Camille Pissaro. Ils étaient en quelque sorte les révoltés de l'Académie, des rebelles... ce qui, aujourd'hui, fait un peu sourire puisqu'ils sont maintenant les classiques qu'on trouve principalement au Musée d'Orsay. Cent soixante-cinq tableaux étaient exposés chez Nadar, dont certains sont aujourd'hui considérés comme des chefs-d'œuvre. Étrangement, Édouard Manet n'a pas exposé à cette première exposition alors qu'il était supposé être l'un des meneurs de ce nouveau courant, peut-être pour des raisons d'ego. De ces trente peintres exposants, tous n'étaient pas des impressionnistes et certains venaient de l'art académique et sont tombés dans l'oubli.

 


L'appellation "impressionnisme" ne venait d'ailleurs pas d'eux-mêmes mais de l'un de leurs plus féroces détracteurs, le journaliste et critique d'art (également peintre et graveur) Louis Leroy qui, profitant du titre du (désormais) célèbre tableau de Claude Monet (qu'on peut admirer au Musée Marmottan dans le seizième arrondissement de Paris dans sa collection permanente), "Impression, Soleil Levant" de 1872, a donné le nom à ce courant de peinture, l'impressionnisme, qui était au départ une moquerie, d'autant plus que ces peintres, épris de liberté d'exercer leur art, ne voulaient surtout pas devenir une nouvelle école artistique et s'enfermer dans un nouvel style académique.
 


C'est d'ailleurs assez amusant de voir qu'à quelques années près, on s'est retrouvé aussi à la fin de la physique "classique" et au début de la physique quantique, révolutionnaire, devenue elle aussi une science académique par son acceptation généralisée.

Ces peintres exposés, appelés impressionnistes, ont d'abord été appréciés de l'étranger, en particulier des États-Unis où de riches mécènes et collectionneurs n'hésitaient pas à s'affranchir des codes académiques du moment (ce qui se confirma tout au long du XXe siècle).

Du reste, lors de cette première exposition, il n'y a pas eu que des critiques négatifs. Ainsi, le journaliste Ernest d'Hervilly l'a saluée dans
"Le Rappel" du 17 avril 1874 : « On ne saurait trop encourager cette entreprise hardie, depuis longtemps conseillée par tous les critiques et tous les amateurs. ». Le critique Jules-Antoine Castagnary était même enthousiaste dans "Le Siècle" : « C’est vif, c’est preste, c’est léger ! ».
 


D'autres salons allaient suivre les années suivantes, avec parfois des différends entre peintres (entre Degas et Monet notamment), et tout cela reste de l'histoire initiale puisque les impressionnistes ont envahi les galeries d'art et les salles des ventes de tous les pays.

Parmi les impressionnistes, en dehors de ceux déjà cités plus haut, citons en particulier Gustave Caillebotte, plus considéré comme un mécène, en particulier pour avoir financé les expositions à partir de 1877, que comme un peintre qui, pourtant, grâce à sa connaissance de la photographie, a su proposer des compositions très modernes dignes d'une vision cinématographique de la réalité, il y a eu aussi Frédéric Bazille, Mary Cassatt, etc.

Le Musée d'Orsay (Esplanade Valéry Giscard d'Estaing, au septième arrondissement de Paris) a organisé une exposition ouverte du 26 mars au 11 août 2024 à l'occasion de ce cent cinquantième anniversaire qui fait revivre au visiteur cette première exposition par une immersion de l'époque en réalité virtuelle : « Pour permettre cette expérience en réalité virtuelle, le Musée d’Orsay annonce avoir mené de nombreux travaux de recherche afin d’obtenir la reconstitution la plus fidèle possible. Pour cela, il s’est appuyé sur de nombreux documents : cadastres, plans architecturaux, photographies, archives de l’atelier, catalogue de l’exposition, correspondances des artistes, article des journalistes et critiques d’art. » décrit le site Paris Zigzag.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 avril 2024)
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Pour aller plus loin :
La victoire des impressionnistes.
David Hockney.
Pablo Picasso.
Lucien Freud.
Le Petit Prince.
Le trèsor de Toutankhamon.
Sarah Bernhardt.
Pierre Soulages.
La fresque d’Avignon.
Sempé.
Dmitri Vrubel.
Margaret Keane.
Maurits Cornelis Escher.
Christian Boltanski.
Frédéric Bazille.
Chu Teh-Chun.
Rembrandt dans la modernité du Christ.
Jean-Michel Folon.
Alphonse Mucha.
Le peintre Raphaël.
Léonard de Vinci.
Zao Wou-Ki.
Auguste Renoir.
Reiser.
 



 

https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240415-impressionnistes.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-victoire-des-impressionnistes-253906

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/12/article-sr-20240415-impressionnistes.html





 

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28 mars 2024 4 28 /03 /mars /2024 04:51

« Par ma formation, je suis d’abord compositeur. Je suis devenu chef d’orchestre par hasard, mais cela fonctionne bien, car j’ai une bonne communication avec les musiciens. Au pupitre, je m’évertue à créer les œuvres de mon temps. Sur ce terrain, je suis le meilleur ! J’ai eu le privilège de fréquenter Messiaen, Stockhausen et Boulez, parmi beaucoup d’autres compositeurs du siècle dernier. J’ai également rencontré [Elliott] Carter [1908-2012], dont j’ai créé un concerto alors qu’il avait 103 ans ! Mon vécu de chef d’orchestre d’avant-garde a nourri mon expérience de compositeur, et vice versa. » '(Péter Eötvös, le 15 octobre 2019 pour "Crescendo Magazine").



 


Le lendemain de la disparition du grand pianiste Maurizio Pollini, un autre très grand musicien, d'origine hongroise, jeune octogénaire, a également tiré sa révérence. Péter Eötvös, qui est mort le dimanche 24 mars 2024, était un compositeur et un chef d'orchestre, il venait d'avoir 80 ans il y a trois mois, le 2 janvier 1944.

Né dans un village de Transylvanie qui est maintenant roumain, Péter Eötvös a fui l’avancée des Soviétiques jusqu’en Allemagne. Après la guerre, il est retourné en Hongrie où, fils d’une pianiste qui l’emmenait dans de nombreux concerts à Budapest, il s’est inspiré de Bartok, Kodaly et Ligeti, les deux derniers qu’il a rencontrés et qui l’ont formé. Comme Kurtag et Ligeti, il quitta Budapest pour l’Allemagne et s’est installé à Cologne en 1970 où il rencontra Stockhausen qui le recruta. En 1978, alors que Péter Eötvös est déjà renommé, Pierre Boulez l’appela pour qu’il fût auprès de lui à Paris. Dans ses compositions, Péter Eötvös a en particulier rendu hommage à des metteurs en scène comme Jacques Tati, Peter Brook et Patrice Chéreau. Parmi ses œuvres, il a composé six opéras.

Je reviendrai probablement sur ce grand musicien. Je voudrais d'abord seulement évoquer le concert auquel j'ai eu la chance d'assister il y a un peu moins d'une dizaine d'années. Il s'agissait clairement d'une Carte blanche donnée à Péter Eötvös, organisée par la direction de la musique de Radio France qui voulait célébrer (avec un peu de retard) à la fois le soixante-dixième anniversaire du compositeur et chef d'orchestre, et l'inauguration du Grand Auditorium de la Maison de la Radio, troisième nouvelle salle de concert à Paris (dans le cadre de la rénovation gargantuesque de la Maison de la Radio) avec la Philharmonie de la Villette et la Seine Musicale, à Boulogne-Billancourt, sur une île anciennement usine de la régie Renault. À cette double occasion, France Musique a organisé deux concerts exceptionnels le 21 et 22 novembre 2014, dont l'enregistrement a donné lieu à un disque.


Je suis allé au second concert, celui du samedi 22 novembre 2014, où Péter Eötvös a dirigé trois de ses concertos avec des solistes extraordinaires ainsi qu’une œuvre de Pierre Boulez dont il a dirigé, de 1979 à 1991 (il avait alors 35 ans) l’Ensemble Intercontemporain qui est un orchestre très réputé créé par Pierre Boulez en 1976 et qui fut également dirigé (juste avant Péter Eötvös) par Michel Tabachnik de 1978 à 1979, le chef d’orchestre (et aussi compositeur) qui a été impliqué dans le massacre de l’Ordre du temple solaire (il a été relaxé car il a été considéré comme sans influence dans la secte).

Si le concert du 21 novembre 2014 était produit par l’Ensemble Intercontemporain, celui du 22 l’était par l’Orchestre Philharmonique de Radio France, l'un des deux grands orchestres de l'audiovisuel public.

Comme écrit précédemment, les lieux étaient nouveaux puisqu’il s’agissait de l’un des tout premiers concerts qui se sont déroulés dans cette nouvelle salle. En général, le Philharmonique jouait à la Salle Pleyel. Ce serait à partir de cette date "at home".

Malgré le tarif unique de quinze euros, la salle était loin d’être remplie, parce que c’était de la musique moins conventionnelle que celle habituellement écoutée par le grand public. Néanmoins, le rez-de-chaussée et les balcons du premier étage étaient quasiment pleins, ce qui était déjà pas mal.

Il y a même eu la queue dans le hall, à l’entrée de la salle, vers dix-neuf heures. Il faut dire que c’était placement libre et que la société des hôtesses qui accueillaient le public n’était pas encore très habituée aux lieux. Qu’importe, j’avais largement le temps de m’installer après une dizaine de minutes d'attente et j’ai pris le risque de me retrouver tout devant, dans la deuxième rangée. L’estrade était à un mètre de mes yeux.

À vingt heures pile (à l’heure !), le directeur de la musique de Radio France (je crois qu'il s'agissait de Jean-Pierre Rousseau, mais je n'en suis pas certain) a fait un court speech pour présenter ses meilleurs vœux à Péter Eötvös. Le concert serait rediffusé sur France Musique ultérieurement.

Les musiciens portaient plutôt des habits décontractés, tout en noir ; les hommes, avec une chemise noire, ne portaient pas de cravate ni nœud papillon, mais col ouvert. Ce qui est très rare dans les concerts de ce style.

Péter Eötvös semblait particulièrement humble et bienveillant, esquissant souvent de grands sourires pendant qu’il jouait, au point que beaucoup de musiciens souriaient aussi, franchement, c’était très joyeux. Avec toute sa prévenance, je l’imaginais mal engueuler les musiciens lors des répétitions (mais je peux me tromper, les apparences peuvent être trompeuses). Malgré sa renommée, il ne semblait pas se prendre pour une star capricieuse. Ainsi, lors du troisième concerto, il s’est aperçu que sa partition n’était pas la bonne, il n’a rien dit, a juste quitté la scène pour aller chercher la bonne, et à la fin de ce concerto, comme c’était l’entracte, il est retourné sur la scène alors que les techniciens s’affairaient pour y placer lui-même les bonnes partitions pour la prochaine partie. D'autres que lui auraient pu pousser, à sa place, des cris enragés contre un malheureux assistant.

S’il était joyeux et souriant, Péter Eötvös montrait aussi qu’il était assez fatigué physiquement, ne marchant pas trop vite, bougeant assez lentement, alors que j’ai connu des chefs d’orchestre bien plus âgés que lui avec une énergie physique incroyable et débordante (entre autres, Pierre Boulez).

Et je me suis régalé pendant cette soirée. Pourtant, je l'appréhendais un peu ; je ne connaissais pas Péter Eötvös, ni sa musique, et c’était justement parce que je ne le connaissais pas que j’avais la curiosité d’aller l’entendre (et puis, comme il proposait du Boulez, je n’avais pas eu trop d’hésitation !).

La première partie avant l’entracte était la plus longue, avec trois concerto de Péter Eötvös. Puis, une œuvre de Boulez pour la fin.


1. Le premier concerto (vingt-quatre minutes).

"Péter Eötvös : Speaking Drums, concerto pour percussions (2012-2013)"

Ce n’est peut-être pas celui que j’ai le plus aimé, mais c’était le plus percutant, euh, le plus fascinant. Et j’étais vraiment heureux d’avoir été tout devant car entre le pupitre du chef et le public, il y avait de la grosse artillerie, un ensemble d’une dizaine ou quinzaine d’instruments de percussion assez originaux joués par le même soliste, l’autrichien Martin Grubinger (31 ans à l'époque), lui habillé d’un tee-shirt noir.

Né à Salzbourg, Martin Grubinger est un petit génie de la percussion puisqu’il a commencé à 4 ans, a participé à ses premiers concerts à 5 ans et soliste à 10 ans. Il a créé aussi une œuvre de Tan Dun spécialement composée pour lui, "Tears of Nature", en 2012. Il y avait quelque temps, j’avais écouté Tan Dun diriger un orchestre.

Tout de ce premier concerto de la soirée reposait donc sur ce percussionniste performant (et impressionnant), à tel point que je me suis demandé à quoi servait le chef tant le rythme de la percussion dirigeait l’ensemble. Il s’agissait de poèmes hongrois.

Très rapidement le soliste s’est mis à crier, à parler devant le public avec un grand sourire peut-être niais, les yeux très fixes, répétant certains mots qu’il martelait. Et un rythme incroyable à la baguette. Sur plein d’instruments parfois très surprenants. Juste devant moi, je m’étais dit, en attendant le début du concert, que j’avais deux abat-jour. C’étaient deux instruments qui faisaient un bruit assez grave lorsque le soliste, après avoir mouillé ses mains, a serré une corde au niveau du cylindre et est descendu lentement (cela me faisait penser à de la sonorisation pour film).

L’un des derniers instruments était assez extraordinaire : deux techniciens sont venus entourer le soliste, l’un présentant une petite poêle et une casserole, l’autre un casque de travaux (clin d’œil au grand auditorium et à la Maison de la Radio encore en travaux ?) et il y avait un autre instrument (que j’ai oublié). Le batteur a joué dessus avec ses baguettes. Je venais pour la première fois d’écouter de la musique de casseroles, et ce n’était pas pour me déplaire !

L’énergie incroyable de Martin Grubinger a vraiment frappé le public, et c’était lui qui avait créé ce concerto de ces quatre poèmes pour percussion solo et orchestre. D’ailleurs, dans le programme, il était expliqué qu’il avait créé ce concerto en 2014-2015, donc, peut-être même qu’il venait de créer ce concerto devant mes yeux ! J’imagine en fait mal "Speaking Drums" joué par un autre percussionniste tant son agilité, sa dextérité, son expression (c’était presque de la danse), sa concentration étaient exceptionnelles. Renseignement pris, le concerto a été créé le 27 septembre 2013 à Monte Carlo.
 


Inspiré par Bartok, à l’affût des sonorités inédites, le concerto reprend donc quatre poèmes, trois de Sandor Weores, et un texte retranscrit phonétiquement de Jayadeva. « Le concerto étudie les degrés discursifs à partir d’une répétition obsessive et quasi-enfantine. (…) Progressivement, la phase se complique. Phonèmes, syllabes et termes déconnectés se fondent, provoquent toutes sortes d’assonances et de consonances jusqu’à l’ultime polyrythmie ».

Hélas, il n’y avait pas beaucoup d’enfants dans la salle, mais je suis persuadé qu’ils auraient été fascinés et auraient vu la musique contemporaine d’un autre œil… enfin, auraient entendu la musique contemporaine d’une autre oreille.

J’avoue que j’ai été aussi un peu enfant, et comme la scène se déroulait tout près de moi, j’ai été assez distrait par le jeu du percussionniste pour prendre la pleine mesure de l’œuvre musicale en elle-même. J’espère donc avoir la possibilité, un jour, de pouvoir la réécouter les yeux fermés, pour bien m’imprégner des poèmes sans me faire polluer par les mouvements du percussionniste.

Après chaque concerto, une armée de techniciens envahissaient la scène pour changer l’emplacement des instruments et des sièges, des micros etc. Pour cette soirée, d’ailleurs, vraiment chapeau à ces techniciens de l’ombre (enfin, là, ils étaient dans la lumière puisque le public était présent), qui devaient avoir de quoi stresser à chaque mouvement.

Pour l’anecdote, le deuxième concerto avait un violoncelliste pour soliste. Les techniciens ont donc installé près de l’estrade du chef une autre estrade, de couleur noire, pour le violoncelliste. Je m’étais dit en la voyant que cela me faisait penser à un cercueil, dont la forme était un peu similaire. Sur le côté le plus large, une chaise a été installée pour le soliste. Heureusement que certaines personnes du public avaient l’œil, car elles ont tout de suite averti le chef des techniciens de faire attention : l’un des pieds de la chaise était posé dans le vide, ce qui aurait pu être très grave, et soudain, je me disais que l’image du cercueil qui venait de circuler dans ma tête n’était pas anodine. À la fin de l’installation, par humour, le chef des techniciens s’est tourné vers le public en lui demandant si c’était bien installé.

Comme je voyais bien la porte qui s’ouvrait et fermait, parfois les têtes qui dépassaient de la porte, celle de l’entrée du chef d’orchestre, j’ai pu comprendre que deux techniciens vérifiaient systématiquement avant chaque œuvre jouée que tout était correct, qu’aucun musicien de l’orchestre n’avait de problème avant de donner le signal pour l’entrée du chef et du soliste.


2. Deuxième concerto (trente et une minutes)

"Péter Eötvös : Concerto grosso pour violoncelle et orchestre (2010-2011)"

C’était le moment que j’ai le plus apprécié de la soirée. Ce concerto était magnifique et merveilleusement bien joué par le violoncelliste Jean-Guihen Queyras qui a reçu pas mal d’ovations lui aussi.

Dans ce concerto, j’ai ressenti quelques similitudes avec des quartets de Shostakovich, le violoncelle menant la troupe jusqu’à un sentiment de véritable joie. Jean-Guihen Queyras était également très souriant pendant qu’il jouait.

À 47 ans, Jean-Guihen Queyras en paraissait quinze de moins. Pendant une dizaine d’années, de 1990 à 2001, il a collaboré au sein de l’Ensemble Intercontemporain comme soliste sous la direction de Pierre Boulez, qui a été pour lui son mentor, et il a été nommé aux Victoires de la musique en 2008. Il a créé beaucoup de concertos dont certains de Bruno Mantovani. Son violoncelle date de 1696. Il a enregistré beaucoup de disques, Bach, Britten, Boulez, Haydn, Dvorak, Kurtag, Kodaly, Schubert et aussi Berg avec le pianiste Alexandre Tharaud.

La particularité de ce concerto créé le 16 juin 2011 à Berlin est la mise en abyme de plusieurs niveaux d’échanges : entre le soliste et les huit violoncelles, entre les violoncelles et le reste de l’orchestre. « Danse contre cadence, orchestre et soliste se rejoignent dans de joyeux échos de fête. ». Avec trois mouvements : énergique, méditatif, et frais et étincelant.

Quand Eötvös a écouté pour la première fois son concerto pendant des répétitions en 2011, il trouvait que le soliste n’était pas assez entendu. Il lui a demandé de jouer plus fort, mais ce n’était pas suffisant. Il a demandé à l’orchestre (le Philharmonique de Berlin) de jouer moins fort, mais ce n’était pas suffisant. Cela a commencé à aller quand il a carrément supprimé les cuivres. Loin d’être affectés, les musiciens rendus au silence ont trouvé cela intéressant. Eötvös raconta : « J’étais désespéré. Qu’allaient dire les musiciens de cette maladresse de compositeur ? J’avais honte. Pendant la pause, j’ai pourtant découvert qu’ils avaient perçu ces changements très différemment de ce que je craignais. Ils m’ont dit tout net que c’était fort intéressant d’apprendre comment un compositeur écoutait et pensait sa musique, et comment, en tant que chef d’orchestre, il parvenait à réaliser de telles corrections dans les plus brefs délais. Rassuré, j’ai instantanément envoyé les corrections à mon éditeur. ».






3. Troisième concerto (vingt-sept minutes)

"Péter Eötvös : DoRéMi, concerto pour violon et orchestre n°2 (2012)"

Étrangement, ce fut un morceau qui m’a un peu ennuyé, mise à part l’échange entre la soliste et un alto. Pourtant, j’avais déjà écouté la soliste, la violoniste japonaise Midori Goto, dans un concert avec Boulez. Elle ne souriait pas du tout, dans sa longue robe, peut-être parce qu’elle était très concentrée.

Née à Osaka, elle avait alors 43 ans mais en paraissait dix de plus (je sais que ce n’est pas très galant de dire cela), et elle a joué dans son premier concert à l’âge de 11 ans (elle avait 6 ans à sa première prestation publique), et a enregistré son premier disque à l’âge de 14 ans. Son violon date de 1734. Elle a enregistré beaucoup de disques : Bach, Vivaldi, Paganini, Dvorak, Poulenc, Sibelius, Franck, Mozart, Tchaïkovski, Mendelssohn, Bartok, Shostakovich, etc.

Cette œuvre fut dédiée à Kurtag, comme un retour en enfance, un voyage rétrospectif. Puis l’enfant grandit avec des notes plus subtiles : « Cela crée une immense tension et des conflits vont apparaître, comme dans la vie réelle, où les situations dramatiques peuvent évoluer. ». Ce concerto DoRémi de Eötvös a été créé par Midori Goto le 18 janvier 2013 à Los Angeles et a aussi été enregistré (toujours avec Midori Goto) pour Sony.







4. Œuvre de Pierre Boulez (vingt et une minutes)

"Pierre Boulez : Notations 1, 7, 4, 3 et 2"

Après un entracte de vingt-cinq minutes où l’on pouvait s’acheter une coupe de champagne pour dix euros, ou une barre de Mars pour trois euros (il n’y avait pas grand-chose sur l’étalage !), la scène était de nouveau méconnaissable : cent dix musiciens du Philharmonique étaient déjà installés, les chaises étaient placées tout contre le bord de l’estrade, j’avais carrément le nez à deux doigts d’un alto ! (enfin d’une alto, charmante par ailleurs !). La scène était particulièrement petite pour un tel ensemble sur scène.

Chaque "Notation" de Boulez était assez différente. Péter Eötvös reprenait respiration ou inspiration, avec des mimiques assez différentes avant le début de chaque mouvement. Et chacun de ces mouvements réussissait à se terminer dans un grand silence que le public ne perturba heureusement pas (même si les applaudissements pendant les silences ne me choquent généralement pas, car souvent, ça ne choque que par snobisme).

C’était la première fois que Péter Eötvös dirigeait en public les Notations de Boulez qu’il avait déjà jouées seulement au piano. Un hommage pour celui qui, à partir d’un petit élément, a réussi à « bâtir une cathédrale presque baroque ».

Je me disais que Boulez était décidément classique, ce n’était pas, pour mes oreilles, du moderne. Tout à fait harmonieux et écoutable. Plus qu’écoutable, bien sûr. Le mot "écoutable" me paraît même un tantinet blasphématoire ! Boulez me paraît vraiment un compositeur extraordinaire, réussissant à faire du nouveau malgré tant de créations géniales dans le passé, un peu à l’instar d’un Picasso (plus que d’un Soulages), à la fois classique et moderniste.


J’ai quitté la Maison de la Radio à vingt-deux heures cinquante. Je n’ai vraiment pas regretté la soirée qui m’a fait découvrir Eötvös et aussi, deux solistes vraiment exceptionnels. Et j’allais prendre rendez-vous pour février 2015 pour le Festival Présences consacré à la musique américaine où la musique de Philip Glass serait mise à l’honneur. J'allais assister en effet à un magnifique concert avec la projection de "La Belle et la Bête", le film de Jean Cocteau (sorti le 25 septembre 1946 avec Josette Day, Jean Marais et Michel Auclair), couplé avec la musique de Glass interprétée en direct dans la salle (par l'Ensemble Intercontemporain, si je me souviens bien).

Quant à Eötvös, hélas, je n'aurai plus l'occasion de l'écouter dans un concert. Trop malade, il était absent en janvier dernier à l'occasion de son 80e anniversaire (en particulier, fêté par l'Ensemble Intercontemporain qui avait organisé des concerts à cette occasion, mais aussi par Radio France où il avait prévu follement de diriger l'orchestre). Je reviendrai probablement plus longuement sur lui, qualifié par le compositeur allemand Helmut Lachemann (né en novembre 1935) de « l'un des rares esprits absolument indépendants (…), l'un des rares parce qu'indépendant aussi de lui-même. Car malgré toute la rigueur et la discipline perceptibles derrière son imagination sonore unique de même que derrière son humanité souveraine, lui et son art vivent d'une étonnement toujours prêts à l'aventure. ».


Ah, au fait, j'ai la réponse à mon incertitude : c'était bien Jean-Pierre Rousseau qui dirigeait la musique à Radio France en 2014, il l'a confirmé dans un de ses derniers billets de son blog le 24 mars 2024 pour rendre hommage à Péter Eötvös : « La dernière fois que j'ai eu l'occasion de faire œuvre utile pour lui, c'était il y a neuf ans, dans mes fonctions d'alors de directeur de la musique de Radio France. ». Il décrivait alors Eötvös de cette manière : « Le personnage était très attachant, exigeant mais jamais poseur, et il a sans doute fait beaucoup plus pour la "musique contemporaine" que nombre de ses collègues, parce qu'il avait le don de la pédagogie, y compris dans son écriture. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 mars 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Péter Eötvös.
Maurizio Pollini.
Piotr Ilitch Tchaïkovsky.
György Ligeti.
Vangelis.
Nicholas Angelich.
Joséphine Baker.
Léo Delibes.
Ludwig van Beethoven.
Jean-Claude Casadesus.
Ennio Morricone.
Michel Legrand.
Francis Poulenc.
Francis Lai.
Georges Bizet.
George Gershwin.
Maurice Chevalier.
Leonard Bernstein.
Jean-Michel Jarre.
Pierre Henry.
Barbara Hannigan.
Claude Debussy.
Binet compositeur.
Pierre Boulez.
Karlheinz Stockhausen.
Mstislav Rostropovitch.

 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240324-eotvos.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-modernite-de-peter-eotvos-le-253817




 

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27 mars 2024 3 27 /03 /mars /2024 04:51

« La mort de Maurizio Pollini laisse un grand vide dans le monde de la musique. Virtuose inégalé du piano, Pollini a marqué par sa précision technique, son sens de l'expression et sa profondeur artistique, particulièrement dans l’œuvre de Chopin. » (Aurélie Moreau, France Musique le 25 mars 2024).



 


Ce week-end, deux très grands musiciens sont morts, Maurizio Pollini et Péter Eötvös. Maurizio Pollini est mort ce samedi 23 mars 2024 à Milan des suites d'un problème cardiovasculaire, à l'âge de 82 ans (il est né le 15 janvier 1942 à Milan également). Sa mort a été annoncée par la Scala de Milan qui a rendu hommage à « l'un des grands musiciens de notre temps » et à « une référence fondamentale de la vie artistique du Théâtre depuis plus de cinquante ans ».

Le pianiste italien a gagné sa notoriété très rapidement et déjà à l'âge de 30 ans, il était considéré comme l'un des plus grands pianistes contemporains du monde : première leçon à 6 ans ; premier concert à 10 ans ; à 15 ans, il a émerveillé son auditoire et la presse pour son interprétation "époustouflante" des Études de Chopin ; un trophée à 16 ans au Concours international Chopin à Genève, mais seulement le deuxième prix, derrière Martha Argerich ; première reconnaissance à 18 ans en remportant le premier prix du Concours international Chopin à Varsovie. Son génie musical était alors reconnu par Arthur Rubinstein (1887-1982) : « Il joue mieux qu'aucun d'entre nous. », le "nous" étant les membres du jury dont il faisait partie avec Nadia Boulanger et Heinrich Neuhaus. Ce fut le début d'une longue amitié avec Arthur Rubinstein. Pollini était à la fois l'interprète des grands classiques et le promoteur de la création artistique, pour son envie de découverte et de modernité.

S'il a été quelquefois chef d'orchestre, Pollini était avant tout un pianiste qui a tenu de très nombreux concerts (une quarantaine de récitals par saison) et enregistré beaucoup de disques, notamment d'œuvres de Beethoven, de Chopin, de Bach et de Mozart. Sur scène, il pouvait jouer avec des amis comme Pierre Boulez, Péter Eötvös (qui lui a survécu de quelques heures), Herbert von Karajan, Karl Böhm, Claudio Abbado, aussi Mstislav Rostropovitch, Dietrich Fischer-Dieskau, etc. Son répertoire s'est élargi aussi à Boulez, Stockhausen, Schönberg, Berg, Nono, etc. L'un de ses derniers concerts a été tenu en 2022 à l'Académie Sainte-Cécile, à Rome, après cinq années de quasi-interruption.

J'ai eu la chance d'avoir eu l'occasion de l'écouter le 15 juin 2006 au Théâtre du Châtelet, à Paris, pour un unique récital. Au programme, du Chopin pour la première mi-temps et du Liszt pour la seconde mi-temps. Avec quatre bis à la fin, trois Chopin et un Liszt.


Nocturne op. 48 n°1 en ut mineur de Chopin.
Nocturne op. 48 n°2 en fa dièse mineur de Chopin.
Nocturne op. 55 n°1 en fa mineur de Chopin.
Nocturne op. 55 n°2 en mi bémol majeur de Chopin.

Lugubre Gondole de Liszt.
Nuages gris de Liszt.








C'est difficile ici de retranscrire l'envoûtement que j'avais ressenti. C’est plus facile de décrire l’émotion des tableaux, la volupté d’un geste de danse. Moins d'une interprétation musicale.

L’homme avait une belle prestance avec sa queue de pie. À cette époque, il avait seulement 64 ans, mais je lui en donnais bien dix de plus (impression qu'a eue aussi Jean-Pierre Rousseau bien plus tard, en 2019, voir plus loin). Pourquoi donc cette différence ? Surtout qu'il était connu avec sa tête de jeune homme dans les années 1960. On le disait pudique et réservé. Les récitals devaient être assez contraignants et épuisants, avec tant de concentration.

Une voisine de fauteuil expliquait à ses proches (c'est toujours bien de laisser traîner une oreille dans ce cas) que Pollini avait eu une période "glaciale", où il mettait trop de distance avec l’œuvre qu’il interprétait, mais qu'ensuite, cela allait mieux. Car le génie de Pollini était double : la technique et le cœur, mais ce cœur s'exprimait plus difficilement.

Wikipédia affirmait à l'époque (en 2006) : « Si Pollini est un exemple frappant de maîtrise absolue du clavier, il lui est parfois reproché une certaine distance émotionnelle; mais ses admirateurs répondent que cela est plutôt le signe d'une rigueur musicale qui refuse de se compromettre avec la sensiblerie, surtout quand il s'agit d'interpréter des œuvres comme celles du répertoire romantique. ».

Le critique musical Jacques Lonchampt, pour "Le Monde", ajustait le portrait de Pollini : « Il a conquis dans le silence la maîtrise de l'empire pianistique : il sait qu'il ne suffit pas d'avoir de la technique et une sonorité, et il a élaboré entre les notes des mélodies, les blocs sonores, les rythmes, les mouvements du discours et les états d'âme, une architecture sans faille dans laquelle, par les plus justes pesées, tout l'univers entre en vibration. ».


Quant au compositeur André Boucourechliev, pour "Harmonie", il le décrivait ainsi : « Son jeu solaire fait pâlir les étoiles... Musicien absolu, sans limites spirituelles ni culturelles, ni techniques, Pollini est capable de rendre lumineuse la vérité de toute musique digne de ce nom, des classiques à Boulez. Pollini au piano est l'harmonie incarnée, sans secrets, sans gestes spectaculaires, sans étrangeté, il sera probablement sans légende aussi, car il n'a que sa musique à offrir. Il n'attisera ni comblera la soif de mythe du public (…). Réincarner une œuvre, faire vivre une plénitude absolue ce qu'à rêvé le compositeur, est sa passion, communicable. ».

Ancien directeur de la musique à Radio France, Jean-Pierre Rousseau a évoqué, dans son blog très intéressant et instructif, sa déception lorsqu'il a assisté à son seul récital de Maurizio Pollini le 21 novembre 2019 à la Philharmonie de Paris, pour les trois dernières sonates de Beethoven. Assurant tout de même qu'il avait chez lui l'intégrale des enregistrements de Pollini, il avouait cependant seulement son respect et son admiration, mais pas son adoration pour le pianiste : « J’ai plusieurs fois entendu, dans ma vie de mélomane (et d’organisateur) des musiciens âgés, voire très âgés (…). Ce qu’ils avaient perdu en technique, ils le restituaient en inspiration, en rayonnement, atteignant à l’essentiel. Je n’ai malheureusement entendu hier qu’un homme à son crépuscule. ».
 


Mais, treize ans auparavant, quel était mon ressenti au Châtelet ?
Envoûtant, je revenais toujours sur ce mot.

Envoûtant ce Chopin si lié, si maîtrisé, qui vous amenait aussi loin que le compositeur pourrait l’imaginer, dans cette onctuosité propre à faire chavirer les cœurs. Une ligne continue, droite, à peine sinueuse.

Plus dynamique, plus contrasté, plus vitupérant harmonieusement, ce Liszt qui nécessitait au pianiste toute l’énergie, tout le recueillement aussi. Une ligne brisée, avec des pointes en dents de scie, mais parfois aux bords sinueux.

Certains connaissent les langues couramment. Pollini, lui, parlait piano couramment, parlait clavier couramment. L’immense piano à queue, ouvert sur un public attentif qui n’hésita pas à l’acclamer à la fin de chaque partie... ce piano, cet instrument, là, seul posé sur l’immense scène... dépouillé de tout artifice... on aurait dit, les couleurs en moins, un toréador s’attaquant au taureau...

Les notes s’égrainaient au fil des mesures. Des notes venues de l’espace, venues en dehors du temps, des notes qui vous faisaient fermer les yeux, qui vous ballottaient le cœur... bref, des vibrations aux longueurs d’onde pourtant bien définies mais qui ici, faisaient parler les tripes et pas l’hémisphère gauche.

Maurizio Pollini ne jouera plus, ni sur scène ni ailleurs. Mais il reste ses disques et d'autres enregistrements. France Musique a diffusé une émission spéciale en son hommage ce lundi 25 mars 2024, l'occasion d'écouter ou de réécouter quelques-unes de ses interprétations (que l'on peut réécouter ici).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 mars 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Péter Eötvös.
Maurizio Pollini.
Piotr Ilitch Tchaïkovsky.
György Ligeti.
Vangelis.
Nicholas Angelich.
Joséphine Baker.
Léo Delibes.
Ludwig van Beethoven.
Jean-Claude Casadesus.
Ennio Morricone.
Michel Legrand.
Francis Poulenc.
Francis Lai.
Georges Bizet.
George Gershwin.
Maurice Chevalier.
Leonard Bernstein.
Jean-Michel Jarre.
Pierre Henry.
Barbara Hannigan.
Claude Debussy.
Binet compositeur.
Pierre Boulez.
Karlheinz Stockhausen.
Mstislav Rostropovitch.
 







https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240323-pollini.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/maurizio-pollini-un-miracle-de-253816




 

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22 mars 2024 5 22 /03 /mars /2024 04:33

« La mort de Frédéric Mitterrand me bouleverse. Une amitié de plus de 60 ans nous liait d’une affection inaltérable. Il a tout au long de sa vie servi les arts avec passion, érudition et amour. Notre fidélité commune pour François Mitterrand nous unissait profondément. Par dessus tout, j’appréciais son intelligence vive, son humour décapant, sa tendresse infinie, sa bonté rare. Frédéric était tout à la fois l’élégance et la passion. » (Jack Lang, le 21 mars 2024 sur Twitter).


 


Des hommages comme celui de Jack Lang, il va y en avoir de nombreux pour honorer la mémoire de Frédéric Mitterrand qui s'est éteint ce jeudi 21 mars 2024 à Paris à l'âge de 76 ans (né le 21 août 1947 à Paris), d'un cancer agressif détecté en janvier 2023. Il l'avait annoncé, il y a un an, le 14 avril 2023 sur CNews.

Il y a un an, en effet, il savait que ce serait son dernier combat, l'ultime combat : « Tout le monde sait que c'est un combat qui est très rude. Mais il n'y a pas d'autres solutions : c'est marcher ou crever! ». Deux jours avant sa mort, Frédéric Mitterrand était au téléphone avec Jack Lang et lui a confié : « Je crois que c'est la fin, Jack.. ». C'est ce qu'a raconté l'ancien Ministre de la Culture de François Mitterrand au journal "Le Parisien" le 21 mars 2024 : « Avec ma femme Monique, nous aimions passionnément Frédéric. Il m’a appelé il y a deux jours. Sa reconnaissance m’a bouleversé, parce qu’il tenait à me remercier pour ma fidélité à François. Il voulait me saluer (…). J’ai une admiration pour son intelligence brillante, son érudition incroyable, sa curiosité insatiable. Il a servi les arts avec tendresse. Il a été à la fois l’homme du cinéma, de l’histoire, de l’amour, de la beauté. Il était d’une gentillesse extrême, toujours porté vers la compréhension des autres, généreux à un point inimaginable. (…) Je ne connaissais pas tout de sa vie personnelle, mais le peu que j’en savais, je l’ai vu sauver des gens, s’occuper de tant et tant de personnes et, toujours, chercher chez l’autre la plénitude, la part la plus belle. Il aimait les gens. Il avait une forme d’indulgence. C’était une belle âme. Il avait ce sens de la fantaisie et de la gravité en même temps. ».

Frédéric Mitterrand était un touche-à-tout multiple, une multiexistence, mais le présenter d'abord comme le neveu de François Mitterrand serait une erreur, serait beaucoup trop réducteur. Certes, il était bien le fils de Robert Mitterrand, frère aîné de François et son directeur de cabinet lorsque Tonton était jeune ministre (Robert s'était aussi présenté aux législatives de mars 1967 en Corrèze contre un nouveau-venu de la politique, un certain Jacques Chirac).

Certes, Frédéric n'aurait jamais renié son oncle qu'il adorait et qui lui a sans doute transmis la passion de la politique et de l'histoire, cette belle érudition quasi-nostalgique qu'il utilisait pour ses si singuliers documentaires historiques. Mais il n'était pas que cela, il était très très loin de n'être que cela, d'autant plus que politiquement, il était plus à droite qu'à gauche, même si sa tendresse le portait naturellement vers son oncle (fasciné par De Gaulle, il a soutenu Jacques Chirac en 1995).

D'ailleurs, les relations avec François Mitterrand n'étaient jamais simples. Le neveu a affirmé en novembre 2020 : « Je pense qu'il me reconnaissait certaines qualités, et qu'il me reprochait de ne pas les utiliser assez. Quand je faisais des émissions de variétés, que j'adorais faire, ça l'agaçait beaucoup. ».


On serait plutôt tenté de mettre d'abord en avant l'homme de télévision, celui qui a réalisé plusieurs documentaires télévisés très intéressants sur les monarchies perdues de l'Europe des années 1900, sur ces "aigles foudroyés", comme il les appelait à grand coup de premier mouvement de la "Symphonie inachevée" de Schubert, ce générique me glaçait l'esprit !





On pourrait aussi parler du passionné de cinéma, qui a beaucoup fait pour promouvoir cet art. Diplômé de l'IEP de Paris, puis admissible à l'oral de l'ENA, il n'est jamais venu s'y présenter. Il aurait pu devenir un haut fonctionnaire ordinaire, il a préféré la culture et les arts. À 12 ans, il était déjà présent dans un film aux côtés de Michèle Morgan et Bourvil ! Après un peu d'enseignement, il a racheté et dirigé la salle de cinéma l'Olympic à Paris en1971. Petit à petit, il a construit tout un réseau de salles Art et Essai pour promouvoir le cinéma indépendant et les réalisateurs (internationaux) peu connus en France.

À partir du début des années 1980 (et jusqu'au milieu des années 2000), Frédéric Mitterrand est devenu un animateur de télévision très connu, sur TF1 puis sur Antenne 2, pour ses émissions sur le cinéma ("Étoile Palace", "Étoiles et Toiles", "Du côté de chez Fred", etc.) avec sa voix et son ton si reconnaissables au point que le Président de la République Emmanuel Macron a commencé son hommage à cette voix : « "Bonsoir !". C’est par ces mots invariables que, quarante ans durant, Frédéric Mitterrand fit irruption sur les écrans de télévision des Français. ». Ses émissions télévisées lui ont valu deux Sept d'Or (en 1989, meilleur animateur de débat, et en 1990, meilleure émission de divertissement). Il a également hanté les stations de radio, particulièrement Europe 1 et France Culture.

Très connu et reconnu dans le monde de la culture, de la télévision et du cinéma, Frédéric Mitterrand a occupé de très nombreuses responsabilités institutionnelles dont la plus importante a été probablement d'être le directeur de la Villa Médicis à Rome, du 1er septembre 2007 au 23 juin 2009, un poste prestigieux très convoité (décret du 5 juillet 2007) qu'il a quitté pour son bâton de maréchal.

En effet, le Président Nicolas Sarkozy l'a nommé Ministre de la Culture et de la Communication jusqu'à la fin de son quinquennat (du 23 juin 2009 au 16 mai 2012 dans les gouvernements de François Fillon). Pour Frédéric Mitterrand, c'était la consécration de ses années passées à transmettre sa passion pour la culture. Pour Nicolas Sarkozy, c'était une belle prise politique contre ses adversaires de gauche, puisque le nom de Mitterrand était synonyme de fondateur de la gauche pour la plupart des leaders socialistes. Du reste, il a failli ne pas durer très longtemps, car il a eu la maladresse d'annoncer publiquement sa nomination avant l'annonce officielle faite par le Secrétaire Général de l'Élysée.

Dès la première séance des questions au gouvernement (c'est la séance de bizutage pour les nouveaux-venus en politique passés par le gouvernement), Frédéric Mitterrand a été excellent dans ses réponses, des réparties presque théâtrales, très à l'aise dans cette nouveau scène ou ce nouveau plateau. Il connaissait excellemment bien la vie politique et parlementaire et a su s'adapter à ses coutumes (certains ministres non-politiques n'ont jamais pu s'y faire). Je pense qu'il est, avec Éric Dupond-Moretti, les deux belles surprises de personnalités connues en dehors du monde politique qui ont su habiter leur rôle de ministre avec une grande habileté politique.


 


S'il a raté deux fois ses tentatives pour entrer à l'Académie française (en 2016 et en 2018), il a réussi néanmoins son concours d'entrée à l'Institut de France, pas par la plus grande porte mais par l'Académie des beaux-arts où il a été élu le 24 avril 2019 au fauteuil de Jeanne Moreau, dans la section du cinéma. Il a été installé le 5 février 2020, peu avant la crise du covid-19.

Mais, au-delà de la réalisation de nombreux documentaires, j'oubliais une corde non négligeable à son arc géant : il est aussi l'auteur de plus d'une vingtaine d'ouvrages, dont une sorte d'autobiographie, "La Mauvaise Vie" (chez Robert Laffont) qui n'avait pas fait grand bruit à sa sortie le 4 mars 2005 mais qui lui est revenu en pleine figure lors d'une insupportable polémique le 5 octobre 2009.

En effet, comment éviter d'évoquer cette polémique qui est arrivée alors que, Ministre de la Culture, il venait d'apporter un soutien sans faille au grand réalisateur Roman Polanski en difficulté judiciaire en Suisse et aux États-Unis ? Ce qui passait sans accroc dans les années 1970 ou 1980, c'est-à-dire harcèlement voire agression sexuels, n'allait plus de soi (heureusement) à la fin des années 2000, même avant la parole ouverte grâce à MeToo. La populiste d'extrême droite Marine Le Pen, qui n'était pas encore la présidente du parti de papa, s'est crue alors maligne d'accuser Frédéric Mitterrand le 5 octobre 2009, sur le plateau de l'émission "Mots croisés" sur France 2, d'avoir fait du tourisme sexuel en Thaïlande, payant « des petits garçons thaïlandais ».

Pour étayer ses accusations, elle a cité ce fameux livre "La Mauvaise Vie" : « J’ai pris le pli de payer pour des garçons (…). Évidemment, j’ai lu ce qu’on a pu écrire sur le commerce des garçons d’ici. (…) Je sais ce qu’il y a de vrai. La misère ambiante, le maquereautage généralisé, les montagnes de dollars que ça rapporte quand les gosses n’en retirent que des miettes, la drogue qui fait des ravages, les maladies, les détails sordides de tout ce trafic. Mais cela ne m’empêche pas d’y retourner. Tous ces rituels de foire aux éphèbes, de marché aux esclaves m’excitent énormément (…). [On] pourrait juger qu'un tel spectacle, abominable d'un point de vue moral, est aussi d'une vulgarité repoussante. Mais il me plaît au-delà du raisonnable (…). La profusion de garçons très attrayants et immédiatement disponibles me met dans un état de désir que je n’ai plus besoin de refréner ou d’occulter. L’argent et le sexe, je suis au cœur de mon système, celui qui fonctionne enfin car je sais qu’on ne me refusera pas. ».


Le ministre a dû par conséquent se défendre en s'invitant au journal télévisé de 20 heures sur TF1 le dimanche 8 octobre 2009. Il a précisé que les "garçons" étaient majeurs (que c'était une manière de parler), en condamnant fermement le tourisme sexuel et la pédophilie. Si on doit croire Frédéric Mitterrand au bénéfice du doute (seule la justice peut condamner, et la justice française peut se saisir elle-même d'une affaire de tourisme sexuel en Thaïlande), on peut s'étonner quand même de la mansuétude de l'éditeur pour laisser publier un texte aussi ambigu (mais en fait, on ne s'en étonne plus depuis qu'on sait ce qu'a publié Gabriel Matzneff). Frédéric Mitterrand avait déjà précisé dès 2005 lors du service après-vente de son livre (dans une émission animée par Marc-Olivier Fogiel et dans une autre animée par Franz-Olivier Giesbert) qu'il s'agissait bien de jeunes hommes et pas d'enfants, et la description de l'un d'eux correspondait d'ailleurs à un jeune homme de 20 ans. En tout cas, communicateur convaincant, il a su rassurer ce dimanche soir-là tant le monde politique que les Français sur la réalité des faits, puisqu'il est resté ministre encore plus de deux ans et demi. D'autres auraient chuté pour moins que ça !

TV5-Monde a titré « Itinéraire d'un faux dandy à la "mauvaise vie" » pour évoquer le souvenir de Frédéric Mitterrand. Et l'une de ses successeurs, qui était aussi une de ses collègues du gouvernement (à la Santé), Roselyne Bachelot, aujourd'hui triste, l'avait rencontré il y a encore quelques semaines : « Je perds un ami tendre (…). C’était quelqu’un avec lequel je partageais beaucoup de choses. Frédéric était un être d’exception, un touche-à-tout génial. Il est rare de rencontrer des gens comme lui, aussi à l’aise comme cinéaste comme écrivain, conteur, homme de radio et de télévision. (…) On pourrait presque parler de lui comme d’un Florentin, une personne extraordinairement cultivée, sans aucune bassesse et en même temps extrêmement accessible. Il n’avait pas une vision élitiste. Chaque Français à sa voix dans la tête et dans le cœur et il a pu s’adresser dans son approche de la culture au plus grand nombre. (…) On se voyait régulièrement : j’allais chez lui dans cet appartement absolument incroyable proche de l’Assemblée nationale où il y avait un fourre-tout de livres, de photos et d’œuvres d’art, mais tout était bien rangé, chaque chose à sa place. (…) Lorsque je suis devenue Ministre de la Culture [de juillet 2020 à mai 2022], il m’a donné des conseils et écrit une lettre de cinq pages en décrivant les chausse-trappes auxquelles j’aurais à faire et à éviter ! Auparavant, quand nous étions dans le même gouvernement, nous menions ensemble des opérations "La culture à l’hôpital" et nous allions auprès de malades avec des musiciens, comme cette fois au CHU d’Angers où nous avions écouté un artiste au chevet de l’un d’eux jouer le concert pour clarinette de Mozart. Je garde plein de petits cailloux scintillants dans mes souvenirs avec Frédéric. » ("Le Parisien", le 21 mars 2024).

Dans un communiqué, l'Élysée a aussi rappelé : « Au soir de sa vie, il se lamentait de ne toujours pas pouvoir départager ses deux maîtres à penser, le général de Gaulle et François Mitterrand, bataille intellectuelle et sentimentale qui divisait sa famille. Et c’est avec cette double fidélité qu’il s’engagea en politique. (…) [Ministre, il] œuvra à bâtir la Philharmonie de Paris ou le Mucem de Marseille. Musiques actuelles, livres numériques, cafés cultures, spectacle vivant, fête de la gastronomie française : autant de chantiers par lesquels il défendit une "culture pour chacun", culture intime et quotidienne, accessible aux Français au plus près de leur vie. » (Le Mucem est le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée qui a été inauguré le 7 juin 2013). Qu'il repose désormais en paix, parmi tous ses têtes couronnées.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 mars 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La riposte du 8 octobre 2009.
Frédéric Mitterrand.
Rachida Dati.
Rima Abdul Malak.
Roselyne Bachelot.
Franck Riester.
Audrey Azoulay.
Fleur Pellerin.
Aurélie Filippetti.
Jean-Jacques Aillagon.
Philippe Douste-Blazy.
Jacques Toubon.
Jack Lang.
François Léotard.
Michel d'Ornano.
Françoise Giroud.
Alain Peyrefitte.
Maurice Druon.
Jacques Duhamel.
Edmond Michelet.
André Malraux.





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240321-frederic-mitterrand.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/frederic-mitterrand-un-aigle-253767





 

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3 mars 2024 7 03 /03 /mars /2024 04:55

« Je me dis que si le pays qui semble à la tête des démocraties occidentales, c'est cela, nous sommes en grand danger. On ne peut pas on ne pas se poser la question de ce que nous ferions si ça arrivait chez nous. » (Élisabeth Badinter, le 25 juin 2022, sur la décision de la Cour Suprême des États-Unis en défaveur de l'IVG).




 


Petite coïncidence purement fortuite de l'agenda ce lundi 4 mars 2024 : alors que la philosophe féministe bien connue Élisabeth Badinter atteint son 80e anniversaire mardi (le lendemain), le Président de la République Emmanuel Macron a convoqué lundi le Parlement en Congrès à Versailles pour achever la procédure de révision de la Constitution dans le but d'y inscrire l'IVG.

Pour Élisabeth Badinter, récemment veuve (son époux était un constitutionnaliste hors pair), l'inscription de l'IVG dans la Constitution devenait, depuis deux ans, une demande justifiée des féministes qui craignaient une remise en cause de la loi sur l'avortement. Le 24 juin 2022, en effet, une décision de la Cour Suprême des États-Unis permettait à certains États américains d'interdire l'avortement, ce qui a bouleversé le sens de l'histoire.

Ce rebondissement juridique serait très peu probable en France, d'autant qu'il y a un certain consensus politique sur le sujet (ceux des partis les plus enclins à s'opposer à l'avortement se retiennent de s'opposer par électoralisme et forte envie de gouverner), mais il inquiète sur la possibilité future d'une remise en cause et surtout, il encourage les plus progressistes en France à faire de leur pays un modèle pour la planète, avec cette évidente arrogance française qui nous caractérise depuis le Siècle des Lumières et surtout la Révolution française. Ce sera un signal fort à l'ensemble du monde, et cette particularité d'être le premier pays à l'avoir inscrit dans la Constitution. C'est ce que le législateur appelle la "diplomatie féministe".

Dans le rapport du député Guillaume Gouffier Valente le 17 janvier 2024, il est effectivement spécifié : « En l'absence de réelle protection constitutionnelle, européenne ou internationale, il revient au constituant de prendre ses responsabilités pour reconnaître cette liberté fondamentale, indissociable de l’état de droit au XXIe siècle et dont la conformité à la Constitution repose sur l’appréciation que porte le Conseil Constitutionnel sur l’équilibre entre la liberté de la femme et la sauvegarde de la dignité humaine. En reconnaissant et en inscrivant la liberté garantie à la femme de recourir à une interruption volontaire de grossesse parmi les droits et libertés fondamentales déjà reconnues dans sa Constitution, ce projet de loi constitutionnelle protégerait la France contre toute tentative de porter atteinte à cette liberté. Conformément à sa diplomatie féministe, elle enverrait également un message de soutien à celles et ceux qui luttent pour la protection des droits des femmes en Europe et à travers le monde. La France serait le premier pays au monde à inscrire cette liberté dans sa Constitution. La rédaction retenue, qui modifie l’article 34 de la Constitution définissant le domaine de la loi, préserve l’équilibre entre les différents principes constitutionnels dont le Conseil Constitutionnel continuera de garantir le respect, ainsi que la compétence du législateur pour encadrer cette liberté. Elle n’impose en outre aucune évolution du droit existant. ».

C'était un engagement d'Emmanuel Macron à l'élection présidentielle de 2022 et confirmé lors de la Journée de la femme le 8 mars 2023. Le Président de la République pourra ainsi dire l'année suivante, le 8 mars 2024, que son objectif-là est atteint, ce qui sera très probable. Il pourra aussi dire qu'il aura réussi une révision de la Constitution, et malgré les nombreuses révisions depuis une trentaine d'années, aucune n'avait pu aboutir depuis le 23 juillet 2008. Ce sera d'ailleurs un exploit institutionnel (et démocratique) alors qu'il ne bénéficie même pas d'une majorité absolue à l'Assemblée Nationale.

 


Porté par le Ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, ce projet de révision a été déposé au bureau de la Présidente de l'Assemblée Nationale le 12 décembre 2023. La commission des lois de l'Assemblée Nationale l'a examiné le 21 décembre 2023 et du 16 au 17 janvier 2024 avant sa discussion en séance publique les 24 et 30 janvier 2024.

L'Assemblée Nationale a adopté le texte par 493 voix pour, 30 voix contre, sur 546 votants (scrutin public n°3289). Précisons que dans le groupe RN, 46 ont voté pour (dont Marine Le Pen, Sébastien Chenu, Bruno Bilde, Edwige Diaz, José Gonzalez, Laurent Jacobelli, Julien Odoul, Thomas Ménagé et Jean-Philippe Tanguy), 12 ont voté contre (dont Grégoire de Fournas) et 14 se sont abstenus (sur 88 députés RN). De même, parmi le 62 députés LR, 40 ont voté pour (dont Éric Ciotti, Philippe Juvin, Aurélien Pradié et Michel Herbillon) et 15 ont voté contre (dont Philippe Gosselin, Thibault Bazin, Xavier Breton, Annie Genevard, Fabien Di Filippo, Patrick Hetzel et Marc Le Fur).

Pour donner un exemple du climat politique lors de l'examen à la commission des lois, voici une réplique agacée du député Erwan Balanant (MoDem), favorable au projet, au député Xavier Breton (LR) qui pinaillait sur les définitions des mots (femme, volontaire, etc.) : « Arrêtez de vous faire des nœuds au cerveau, la formulation actuelle, validée par le Conseil d'État [le 7 décembre 2023], est très claire. Ces débats sont plutôt révélateurs d'un certain nombre de réticences face au droit à l'IVG. ».

 


Le texte adopté est en effet très simple et ne fait qu'un article : « Après le dix-septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : "La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse". ». Il était important de ne pas préciser "droit" (il n'y a donc pas plus de droits constitutionnels qu'auparavant) mais de préciser dans les compétences du législateur qu'il doit définir les conditions d'application de l'IVG. Concrètement, il n'y a donc rien qui change, et une majorité qui s'opposerait à l'IVG pourrait toujours voter des conditions telles que l'IVG ne serait plus possible en pratique (par exemple, définir un délai de seulement deux semaines, etc.). On pourrait juste imaginer qu'en examinant la conformité d'une telle loi après saisine, le Conseil Constitutionnel pourrait l'invalider pour contournement de l'esprit de ce nouvel alinéa de la Constitution (en tant que mesure disproportionnée, deux semaines étant à l'évidence trop court pour faire appliquer la loi).

Ce texte a été ensuite déposé au bureau du Président du Sénat le 31 janvier 2024, et a été adopté dans les mêmes termes par les sénateurs après son examen en séance publique le 28 février 2024, par 267 voix pour, 50 voix contre, sur 339 votants (scrutin n°136). Parmi les 132 sénateurs LR, 72 ont voté pour et 41 contre. Parmi les 56 sénateurs centristes, 41 ont voté pour et 7 contre. Parmi les 50 sénateurs qui ont voté contre, il y a : Étienne Blanc, Bruno Retailleau, Arnaud Bazin, Loïc Hervé, Jean-Baptiste Lemoyne, Valérie Boyer, Muriel Jourda, Hervé Marseille, Alain Milon et Stéphane Ravier. Parmi les 22 sénateurs qui se sont abstenus, il y a : François-Noël Buffet, Alain Houpert, Laure Darcos, Vincent Delahaye, Jean-Raymond Hugonet, Nathalie Goulet, Catherine Morin-Desailly, Hervé Maurey, Michel Savin et Philippe Folliot.

L'adoption du même texte par les deux assemblées a donc conduit le Président de la République à convoquer, par décret du 29 février 2024, le Parlement en Congrès le lundi 4 mars 2024 à Versailles.

 


Revenons à Élisabeth Badinter, agrégée de philosophie, historienne, professeure à Polytechnique et chercheuse en sciences sociales sur la femme et sur le Siècle des Lumières (ainsi que femme d'affaires). Elle est connue pour être l'une des intellectuelles les plus influentes du pays, proposant ses analyses sur la société, en particulier sur les sujets les plus sensibles, se revendiquant héritière de Simone de Beauvoir sans forcément revendiquer toutes les idées de celle-ci, militante féministe mais aussi prônant la laïcité avec parfois assez de courage et de détermination, et ses avis peuvent déplaire évidemment à certaines personnes, en particulier aux féministes elles-mêmes quand elle s'est déclarée opposée aux lois sur la parité.

Elle est favorable à une laïcité tout court, sans adjectif qualificatif comme positive ou inclusive, s'opposant au port du voile et rejetant le concept de féminisme islamique (droit aux femmes d'être voilées). Élisabeth Badinter a été à la pointe du débat sur le port du voile dès l'affaire du foulard de Creil (le 18 septembre 1989). Elle a en effet défendu l'idée qu'il fallait interdire le port du voile à l'école, au contraire du Ministre de l'Éducation nationale de l'époque (Lionel Jospin) et a publié en ce sens dans "Le Nouvel Observateur" du 2 novembre 1989 une tribune, cosignée aussi de Régis Debray, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler, où elle fustigeait le communautarisme de fait du gouvernement : « En autorisant de facto le foulard islamique, symbole de la soumission féminine, vous donnez un blanc-seing aux pères et aux frères, c’est-à-dire au patriarcat le plus dur de la planète. ». Bien plus tard, le 9 septembre 2009, auditionnée par les parlementaires qui préparaient un texte de loi contre la burqa, elle considérait avec horreur ces « femmes fantômes d’Afghanistan » comme des « femmes en laisse » promenées par leur homme, et elle a rappelé : « Si nous avions dit alors fermement à trois jeunes filles manipulées par des intégristes "nous n’accepterons jamais ça", tout se serait arrêté. (…) Mais, parce que nous avons été tétanisés à l’idée que nous risquions d’être intolérants, nous avons alors toléré l’intolérable ! ».


Par ailleurs, fille du fondateur de Publicis (Marcel Bleustein-Blanchet), elle fait partie des familles les plus riches de France (ce qui, a priori, est indépendant de ses travaux intellectuels, mais lui a valu certaines critiques notamment sur la représentation dégradante de la femme dans certaines publicités et sur ses liens avec les clients de Publicis, en particulier l'Arabie Saoudite). Selon "Forbes", sa fortune était évaluée en 2023 à 1,4 milliard d'euros.

Très présente dans les médias depuis plus d'une quarantaine d'années, elle est l'auteure d'une vingtaine d'ouvrages dont certains de référence comme "L'Amour en plus" sorti en 1980 (chez Flammarion), "L'Un est l'autre" sorti en 1986 (chez Odile Jacob), "XY, de l'identité masculine" sorti en 1992 (chez Hachette), "Les Passions intellectuelles" sorti en trois tomes, en 1999, 2002 et 2007 (chez Flammarion) et "Fausse route" sorti en 2003 (chez Hachette).

Si elle est favorable au mariage pour tous, à la PMA pour les couples lesbiens, etc., Élisabeth Badinter s'est cependant opposée au mouvement transgenre et a cosigné une tribune publiée dans "Le Point" le 16 avril 2023 où elle dénonçait les dérives du planning familial (repaire de militants trans) et prônait l'interdiction des formations sur l'éducation à la sexualité par ces militants auprès des enfants et adolescents.
 


Parlant de son mari Robert Badinter en 2016, elle disait : « Un homme qui est si heureux quand il arrive quelque chose d'heureux à sa femme, pour moi, c'est un féministe ! ». Si elle était heureuse pour sa famille, elle s'inquiétait en revanche de l'évolution de la société en 2008 : « J'ai la sensation que nous sommes, nous aussi les Françaises, proches du basculement, et cela me fait peur. Je crois également qu'on a abandonné le combat parce qu'on pensait que l'indépendance et la liberté des femmes étaient acquises. Pourtant c'est un discours que nous devons tenir à nos filles ! C'est comme l'avortement : on croit que c'est gagné, ça semble tellement évident pour des générations comme la mienne, ou même pour celle de ma fille, qui a 42 ans. Mais il faut dire aux jeunes à quel point il est essentiel qu'elles soient indépendantes économiquement. Je sais bien que la crise économique rend l'accès des jeunes femmes au travail très difficile, surtout si on n'a pas de piston, et que beaucoup ont un travail qui ne correspond pas à leurs compétences. Autant de facteurs qui les poussent à penser qu'en tant que mère au foyer, leur travail sera utile et qu'elles feront de leur enfant un chef-d'œuvre, un enfant parfait. C'est ce qui me fait dire que nous sommes sur le point de créer un nouveau modèle. À l'heure actuelle, notre histoire nous permet de résister, mais pour combien de temps ? (…) Une fille de 12 ans qui regarde la télévision le 8 mars serait horrifiée : on ne nous donne que les statistiques des femmes violées, battues, tuées. Il faut un contre discours : les femmes ne sont pas que ça ! Aujourd'hui on apprend aux nouvelles générations non pas à conquérir le monde mais à s'en protéger. C'est un mouvement de repli qui va à l'encontre du discours de l'indépendance, qu'on ne tient plus. Il faut faire de nos filles des femmes indépendantes et conquérantes. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 mars 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
Élisabeth Badinter.
Robert Badinter transformé en icône de la République.
Hommage national à Robert Badinter le 14 février 2024 à Paris (texte intégral et vidéo).

Robert Badinter, un intellectuel errant en politique.
Le procureur Badinter accuse le criminel Poutine !
L'anti-politique.
7 pistes de réflexion sur la peine de mort.
Une conscience nationale.
L’affaire Patrick Henry.
Robert Badinter et la burqa.
L’abolition de la peine de mort.
La peine de mort.
François Mitterrand.
François Mitterrand et l’Algérie.
Roland Dumas.













https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240305-elisabeth-badinter.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/elisabeth-badinter-les-femmes-l-253418




 

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7 février 2024 3 07 /02 /février /2024 04:26

« Je ne suis pas une intellectuelle, je suis une artiste. (…) J'ai pas de convictions ! » (Christine Angot, le 16 septembre 2017 sur France 2).




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L'écrivaine Christine Angot fête son 65e anniversaire ce mercredi 7 février 2024. Je n'aime pas trop le mot "écrivaine" mais il est plus neutre que celui de "romancière", titre qu'elle revendique mais que certains critiques lui refusent. Son œuvre est composée de nombreux livres (plus d'une vingtaine de romans et récits) ainsi que de pièces de théâtre et divers ouvrages. Elle a l'habitude de proposer aussi des versions auditives (lues) de ses livres, et des lectures sur une scène de théâtre.

Parmi ses inspirations : Duras, Proust, Beckett... et évidemment Céline : « Je ne suis pas autant intimidée par Duras ou Proust que par Céline. Voilà quelqu'un qui parle sa langue. » (1994).

Certains évoquent ses livres comme de l'autofiction, une sorte de récit vaguement autobiographique. Christine Angot rejette ce genre de considération et estime qu'il existe un mur complètement étanche entre la vie personnelle d'un auteur et les histoires qu'il pourrait raconter dans ses livres. La littérature est un art, et en tant que tel, l'auteur peut tout se permettre, comme tuer son enfant, crier des injures antisémites, etc. (je recommande de regarder un extrait de son passage dans "Le Cercle de Minuit" animé par Laure Adler diffusé le 20 septembre 1995 sur France 2).

Au-delà du contenu, on remarquera, dans cette vidéo, que Christine Angot est également très à l'aise dans le débat et sur les plateaux de télévision, très à l'aise dans la provocation et la polémique et la liste est très longue de ses émissions qui ont marqué l'histoire du paysage audiovisuel français où elle a provoqué quelques (mini) scandales médiatiques.


Quoi qu'elle en dise de ses écrits, elle a été plusieurs fois condamnée pour avoir raconté très précisément la vie de personnes réelles qui se sont reconnues et qui ont déposé plainte. Il semble indéniable que les scénarios de ses livres ont une part de réalité, même si celle-ci est romancée.

Christine Angot s'est découverte écrivaine très tôt et a rapidement tout abandonné pour se consacrer à l'écriture. Elle a mis longtemps à trouver des éditeurs, et a commencer à se faire éditer en 1990 par Gallimard. Néanmoins, quelques années plus tard, son éditeur lui a refusé son quatrième roman : « Le rapport de lecture dit que je suis dangereuse pour mon entourage, ils faisaient déjà la confusion entre ma vie et mes livres. ». Elle a donc dû rechercher un autre éditeur, d'abord Fayard, puis Stock, Le Seuil, retour à Flammarion.

Du reste, Christine Angot est assez transparente avec sa carrière éditoriale, n'hésitant pas à parler de son écriture, de sa recherche d'éditeur, etc. (et parfois en attaquant sévèrement quelques lecteurs ou critiques). Elle évoque l'absence de succès de ses trois premiers livres qui ont été vendus à moins de 500 exemplaires !

À partir de 1995, avec la sortie de son quatrième livre ("Interview" chez Fayard), Christine Angot est devenue une redoutable habituée des plateaux de télévision, au point d'être recrutée bien plus tard par Laurent Ruquier dans son émission "On n'est pas couché" pour créer du buzz, et effectivement, elle en a créé. Personnellement, j'ai peu de commentaires à faire sur ses sorties médiatiques, que j'approuve rarement mais qui est sa marque de fabrique (et qui aussi, je pense, contribue à faire vendre ses livres).

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"L'Inceste", sorti chez Stock en 1999, est sans aucun doute le point de démarrage de sa notoriété grand-public. Elle y raconte son homosexualité et aussi l'inceste dont elle a été victime. Sur ses relations (ou non relations) avec son père, elle y est revenue dans un roman intimiste passionnant, "Un Amour impossible" en 2015 (chez Flammarion) et "Le Voyage dans l'Est" en 2021 (chez Flammarion aussi), ce dernier livre lui a valu le Prix Médicis. Un petit coup d'accélérateur avec sa participation à l'émission de Bernard Pivot "Bouillon de culture" diffusée le 3 septembre 1999 sur France 2, où elle a nourri la polémique, a contribué à faire de son livre un best-seller : 50 000 exemplaires ont été vendus en quelques semaines.

Malgré une descente en flèche de plusieurs critiques, le livre a trouvé aussi des laudateurs, comme Josyane Savigneau qui a écrit, dans "Le Monde" en septembre 1999 : « Christine Angot va gagner. Parce qu'elle ne risque pas de plaire. Elle va trop vite, trop fort, trop loin, elle bouscule les formes, les cadres, les codes, elle en demande trop au lecteur. Elle vient d'avoir quarante ans, elle écrit depuis quinze ans et, en huit livres, elle a enjambé la niaiserie fin de siècle. Elle n'est pas humaniste, elle a fait exploser le réalisme, la pseudo-littérature consensuelle, provocante ou faussement étrange, pour poser la seule question, la plus dérangeante : quel est le rapport d'un écrivain à la réalité ? ».


Phénomène littéraire, donc... et plus que cela, reconnaissance lorsqu'elle a été élue membre de l'Académie Goncourt le 28 février 2023. Consécration. Mais sans vanité. Dans sa chronique diffusée le 31 août 2023 sur France Inter, elle disait goulûment :
« Dans les couloirs de chez Gallimard, quand un académicien français en croise un autre, ils s’appellent "maître".

– Bonjour maître, comment allez-vous ?
– Bien, et vous, maître ?
Ils le font sans rire, vraiment. Ils ne jouent pas. ».

Et pour donner un échantillon de sa capacité à créer la polémique à chaque phrase, elle poursuivait dans la même chronique : « On fait attention à ce qu’on dit. Mais la représentation, les images, continuent de témoigner des dépôts de crasse qui restent dans la tête. Et qui sont difficiles à retirer. Ils aiment ça. Un viol sur scène, avec le consentement de la victime, quoi de mieux. Que le public jouisse de ce qu’il dénonce… D’une main, il dénonce. De l’autre, il se masturbe. Les représentations trahissent le fait que la loi du plus fort continue de bien exciter la société. ».

C'est clair qu'elle ne laisse pas indifférent : soit on l'aime (beaucoup), soit on la déteste (beaucoup). Son parler crû dérange évidemment mais il est tellement lucide qu'il en devient un modernisme. Christine Angot n'a pas attendu MeToo pour dénoncer les abus sur les femmes. Et probablement que son histoire personnelle a été un très grand moteur de son écriture.

Adaptation de son œuvre éponyme (sortie en 2015), le film de Catherine Corsini "Un Amour impossible" (sorti le 7 novembre 2018) est excellent dans sa fraîcheur et dans sa narration. La narratrice (Chantal) retrace ses quarante premières années de vie. Ambiance années 1960-1970. L'histoire fait de nombreux flash-back. Paradoxalement, c'est sa mère (Rachel) qui est au centre de l'intrigue, jouée admirablement par Virginie Efira qu'on voit passer de jeune mère à vieille grand-mère (très crédible), ce qui lui a valu une nomination pour le César de la meilleure actrice. Le film lui-même a eu, au total, quatre nominations dont meilleure adaptation, meilleur espoir féminin pour Jehnny Beth dans le rôle de Chantal adulte (les deux comédiennes citées, la mère et la fille, n'ont que sept ans et demi d'écart dans le civil).

Beaucoup de non-dit, d'implicite, de nuances, de finesse pour raconter une histoire particulièrement sordide : un père souvent absent (qui a refait sa vie dans une autre famille) qui abuse sexuellement sa fille adolescente qui est fascinée par ce père si lointain et si prestigieux, si cultivé :
« Physiquement, mon père ne correspondait pas aux goûts de l'époque. (…) Mais il avait un charme, une assurance, un sourire, qui faisait que les autres hommes n'existaient plus pour elle. Ceux qui les voyaient marcher main dans la main voyaient une très belle jeune femme accompagnée d'un homme sans intérêt. » (2015).


Un ami de celle-ci avertit la mère, mais la mère, bloquée par la sidération, n'a jamais osé aborder ce sujet avec sa fille. Et la fille, une fois adulte et elle-même mère, le lui a longtemps reproché : « J'avais cessé de l'appeler maman. Ça s'était fait comme ça, tout seul, sans intention, sans décision. Peu à peu. Ça n'avait pas été prémédité. Au début, la fréquence du mot avait baissé. Comme s'il n'était plus nécessaire. Ensuite, il avait pris une tonalité gênante. Il était devenu bizarre, décalé. Puis il avait disparu. Totalement. Il m'était devenu impossible de le prononcer. ». La mère victime de culpabilité à cause d'un père infâme. Tout cela sur fond de chronique sociale dans la bourgeoisie provinciale de Châteauroux, de différence de classes sociales, de cynisme du prédateur et de naïveté de la victime.

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Je termine sur un extrait du même livre à propos de l'amour :
« Les gens veulent l'amour conjugal, Rachel, parce qu'il leur apporte un bien être, une certaine paix. C'est un amour prévisible puisqu'ils l'attendent, qu'ils l'attendent pour des raisons précises. Un peu ennuyeux, comme tout ce qui est prévisible. La passion amoureuse, elle, est liée au surgissement. Elle brouille l'ordre, elle surprend. Il y a une troisième catégorie. Moins connue que j'appellerai... la rencontre inévitable. Elle atteint une extrême intensité et aurait pu ne pas avoir lieu. Dans la plupart des vies elle n'a pas lieu. On ne la recherche pas, elle ne surgit pas non plus. Elle apparaît. Quand elle est là on est frappé de son évidence. Elle a pour particularité de se vivre avec des êtres dont on n'imaginait pas l'existence, ou qu'on pensait ne jamais connaître. La rencontre inévitable est imprévisible, incongrue, elle ne s'intègre pas à une vie raisonnable. Mais, elle est d'une nature tellement autre, qu'elle ne perturbe pas l'ordre social puisqu'elle y échappe. » (2015).


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (03 février 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Christine Angot au Cercle de minuit (animé par Laure Adler) le 20 septembre 1995 sur France 2.
Christine Angot.
Edgar Morin.

Jean-François Revel.
Maurice Bellet.
Claude Villers.
André Franquin.
Morris.

Françoise Hardy.
Lénine.
Christine Boutin.
André Figueras.
Patrick Buisson.

Maurice Barrès.
Bernard-Henri Lévy.

Jacques Attali.
Italo Calvino.
Hubert Reeves.

Jean-Pierre Elkabbach.
Jacques Julliard.

Robert Sabatier.
Hélène Carrère d'Encausse.

Molière.
Frédéric Dard.
Alfred Sauvy.
George Steiner.
Françoise Sagan.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240207-christine-angot.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/christine-angot-derriere-la-252351

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2024/02/06/40198725.html





 

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19 janvier 2024 5 19 /01 /janvier /2024 04:25

« L'hyperterrorisme emprunte à notre civilisation moderne ses moyens technologiques pour tenter de l'abattre et de la remplacer par une civilisation archaïque mondiale qui serait, elle, pour le coup, génératrice de pauvreté et qui serait la négation même de toutes nos valeurs. » ("L'Obsession anti-américaine", éd. Plon, 2002).



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Le grand penseur français Jean-François Revel est né il y a 100 ans, le 19 janvier 1924 à Marseille. Il est mort le 30 avril 2006 au Kremlin-Bicêtre, à l'âge de 82 ans. L'écrivaine et chroniqueuse Claude Sarraute, son épouse depuis 1967, l'a rejoint au cimetière Montparnasse après sa mort le 30 juin dernier. Famille d'écrivains puisque son fils Matthieu Ricard, docteur en génétique (né de la peintre Yahne Le Thoumelin), a aussi publié de nombreux livres de philosophie (et la sœur de ce dernier, Ève Ricard, est une poétesse).

Comment qualifier Jean-François Revel ? Le plus simple aurait été de dire "intellectuel" mais généralement, cela sous-entendrait "intellectuel de gauche", or, de la gauche, il ne pouvait pas vraiment s'y référer, lui qui a combattu les idées socialistes avec la force d'un puissant anticommunisme pour défendre les idées de liberté, un combat qu'il engageait aussi contre l'extrême droite et la droite nationaliste, pas plus libérales que la gauche.

Je pourrais dire : philosophe (après tout, il est un normalien et un agrégé de philosophie, qui a enseigné cette matière au début de sa vie active), mais aussi économiste, sociologue, politologue, historien, et plus sûrement journaliste et éditorialiste, il écrivait des chroniques de 1966 à 1981 dans "L'Express" dont il est devenu le directeur de 1978 à 1981, puis dans "Le Point" de 1982 à 2006. Encore plus sûrement écrivain, conseiller littéraire chez des éditeurs (René Julliard, Jean-Jacques Pauvert, Robert Laffont, etc.) de 1957 à 1978, et avant tout, essayiste de 1957 jusqu'à la fin de sa vie (au moins trente-trois ouvrages dont le dernier, sorti en 2002, un petit manuel pour fustiger l'anti-américanisme de ses compatriotes contemporains, chez Plon).

Enfin, ça compte aussi pour s'immortaliser, Jean-François Revel était aussi un académicien, élu le 19 juin 1997 au fauteuil numéro 24 de l'Académie français, un fauteuil prestigieux puisque c'était celui de Colbert, La Fontaine, Marivaux, Volney, Victor de Broglie, Sully Prudhomme, Henri Poincaré, Alfred Capus, Louis Pasteur Vallery-Radot, Étienne Wolff... et après lui, Max Gallo. Il fut reçu sous la Coupole le 11 juin 1998 par Marc Fumaroli. Lors de son installation, l'Académie étudiait étrangement ce mot, "mesuré", dont la deuxième définition est : « Qui a, qui montre de la modération, de la circonspection, de la sagesse. C'est un homme mesuré en tout. Ton mesuré. Des termes peu mesurés. ». Les idées libérales, le pragmatisme défendus par Jean-François Revel pourraient ainsi se caractériser par ce petit adjectif du dictionnaire.

Lors de cette réception académique, Marc Fumaroli l'a chaleureusement accueilli à coup de devises latines : « À Claude Imbert, vous pourriez dire, cher Jean-François, paraphrasant Virgile : Amicus haec otia fecit. Depuis que "Le Point" vous permet d'exercer le journalisme sans rompre tous les jours en visière les démons de la communication, que vous avez si courageusement dénoncés dans "La Connaissance inutile", votre devise n'est-elle pas le mot de Sénèque : Otium sine litteris mors est, et vivi hominis sepultura ? Ces longues années au "Point" ont fait de vous un magistrat de la presse et des lettres et un sénateur à vie de la politique française. Faute de siège au Sénat de la République, récompense des hommes de parti, votre indépendance s'est tournée vers nous. Notre Compagnie, qui est faite d'une conjonction de singularités, l'a reconnue volontiers pour sienne et vous reçoit aujourd'hui, avec tous ceux que vous avez été tour à tour et à la fois, depuis votre enfance à "La Pinède", à la table de son propre banquet d'Immortels. (…) Votre humanisme laïc, que je situerais volontiers dans la tradition d'Alain, avec plus de chaleur généreuse dans votre cas, ne s'oppose pas à la science. Au contraire, il a besoin d'elle, elle a besoin de lui, il la complète dans l'ordre des mœurs. Il vise comme elle à rendre ici-bas plus commode, plus raisonnable, moins douloureux et moins bref. ».

(Pour info, la première phrase latine parodiant Virgile signifie : "C'est un ami qui vous a fait ces loisirs", la phrase de Virgile était : "Deus nobis haec otia fecit", qui signifie : "C'est un Dieu qui nous a procuré ces loisirs" ; et la seconde de Sénèque : "Le repos sans l'étude est une espèce de mort qui met un homme tout vivant au tombeau").


Les médias n'honorent pas vraiment Jean-François Revel à l'occasion de son centenaire, ce qui est une injustice intellectuelle (on appréciera toutefois l'hommage de France Musique qui rediffuse, ce vendredi 19 janvier 2024, l'émission "Règle de trois" du 2 février 1997 dont l'invité était Jean-François Revel, interrogé par Jacques Chancel).

Pourtant, les idées de Jean-François Revel sont sans doute aujourd'hui au pouvoir, même si Emmanuel Macron semble peu s'en référer. Raymond Aron, Jean-François Revel, Jacques Marseille, et quelques autres, ils étaient peu nombreux en France, dans les 1970 et 1980, celles du triomphe idéologique des idées socialistes, à prôner les idées de liberté économique, d'équilibre budgétaire, de prospérité et de progrès scientifique. Le monopole intellectuel était réservé aux penseurs gauchistes, la main sur cœur, généreux au point d'accepter de redistribuer l'argent des autres, mais pas capables de proposer le moyen d'accroître la richesse économique, or, la redistribution des richesses ne peut s'entendre que si on crée auparavant de la richesse.

Le dernier livre de Revel sur l'anti-américanisme évoque ces habitudes de penser, être contre les États-Unis alors que c'est à ce pays que nous devons nos libertés. L'anti-américanisme est à la mode depuis des décennies en France, tant en économie, que dans le domaine de la culture, et, on le voit bien aujourd'hui, dans celui de la géopolitique, sans comprendre que nos intérêts vitaux sont liés à ceux des États-Unis. Et ceux qui utilisent De Gaulle pour justifier leur anti-américanisme devraient un peu mieux relire et réécouter De Gaulle qui, aux moments cruciaux, n'a jamais failli dans la loyauté de l'alliance avec les Américains, en particulier lors de la crise de Cuba.

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Cet ancien résistant qu'était Jean-François Revel, qui s'est engagé dans la guerre peu après son entrée à Normale Sup., était très lucide de sa notoriété et dans ses mémoires (sorties en 1997), il aimait dire : « J’ai croisé beaucoup de gens remarquables qui ne sont jamais devenus célèbres et beaucoup de gens célèbres qui n’étaient pas remarquables du tout. ». Conscient que l'antigauchisme n'était pas un but, il a très vite compris que la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'URSS ne signifiaient pas la fin de l'histoire et qu'un nouveau courant politique et idéologique allait prendre la relève de la menace sur les démocraties libérales : « À l’Est comme à l’Ouest, le risque pour les réformes, ce n’est pas le retour de Marx, c’est le populisme nationaliste, anarchique et démagogique. » (1993).

Ainsi, recueillie dans "L'Abécédaire de Jean-François Revel" publié le 3 novembre 2016 aux éditions Allary (préfacé par Mario Vargas Llosa), cette réflexion, à la rubrique Convergence : « Le grand phénomène dans l’antilibéralisme, c’est la convergence entre l’extrême droite et l’extrême gauche. Le Front national est antilibéral; il est contre la mondialisation. Ce député, qui est, je crois, dans le groupe Pasqua, l’est également. Quand il dit tous les journalistes sont vendus au pouvoir politique et le pouvoir politique est vendu au grand capital, c’est du Bourdieu. ». Revel répondait aux "diatribes" de Paul-Marie Coûteaux (député européen proche de Charles Pasqua) contre les élites supposées vendues au libre-échangisme le 5 mars 2000 sur la chaîne Paris Première.

Sens de la formule, ce recueil le démontre en citant cette remarque corrosive de Jean-François Revel : « C’est un peu triste : nous avions un spécialiste des États-Unis qui s’appelait Tocqueville ; aujourd’hui, c’est José Bové ! ».

Du reste, ce recueil réalisé par trois auteurs connaissant excellemment bien l'œuvre de Jean-François Revel (Henri Astier, Jacques Faule et Pierre Boncenne) est présenté par l'éditeur ainsi : « Jean-François Revel, mort en 2006, est l’un des intellectuels les plus incisifs de la seconde partie du XXe siècle. La religion, le fanatisme, l’argent, l’esprit critique, le socialisme, la Constitution, la gastronomie… Sur chaque sujet, la pensée de Revel frappe par son indépendance d’esprit, sa lucidité, son humour. L’objet de cet abécédaire est de faire redécouvrir Revel. Peu d’intellectuels qui ont été aussi clairvoyants, restent si actuels. Il est urgent de relire l’auteur de "La Connaissance inutile" et du "Voleur dans la maison vide". ».


Chargé de rendre hommage à Jean-François Revel le 4 mai 2006 pour l'Académie française, Pierre Nora a proposé de décrire trois caractéristiques de l'éditorialiste : son érudition, son anticonformisme et sa passion de la raison.

Érudition : « C’est d’abord son esprit proprement encyclopédique, servi par une mémoire d’éléphant, une résistance physique herculéenne, une nature boulimique et un féroce appétit de tout. Si la politique et la philosophie politique ont fini par constituer l’axe de sa production, comment ne pas rappeler le connaisseur de bonne chère et de bons vins qui nous a gratifié d’ "Un festin en paroles" ? Et l’auteur d’une anthologie de la poésie française, si fortement marquée par ses goûts personnels qu’on n’y trouve ni Aragon, ni Claudel, ni Péguy ? Et le chroniqueur d’art de "L’Œil et la Connaissance", à mon sens un de ses meilleurs livres ? Et l’historien des idées qui a eu l’audace de se lancer dans "Histoire de la philosophie occidentale", qui se donnait ouvertement l’ambition de mettre toute la tradition de la philosophie à la portée du grand public. Jean-François Revel avait, des grands humanistes, le don de rendre accessibles les connaissances les plus spécialisées dans le langage classique de la culture générale. C’est son encyclopédisme appliqué qui a fait de lui un journaliste, et permis à cet écrivain journaliste de passer de la chronique des idées de notre temps à l’éditorial politique avec la même aisance. ».

Anticonformisme : « Le second trait qu’on retiendra de lui, c’est l’allergie à toutes les formes de conformisme et d’inerties mentales. Revel a été toute sa vie un infatigable "bousculeur" des vérités admises. Pamphlétaire ? Oui, le plus grand de son époque ; mais parce que la capacité d’indignation qu’il avait conservée de sa jeunesse se nourrissait de malice, de bonne humeur et de cette petite touche d’outrance et de mauvaise foi qui fait les bons pamphlétaires. Oui, parce qu’il était trop intelligent pour ne pas savoir que ce qui fait la force du pamphlet n’est pas le paradoxe, l’artificiel, mais le courage du bon sens, la satire de ceux qui n’ont d’yeux que pour ne pas voir. ».


Passion de la raison : « Revel possédait enfin cette passion de la raison qui le rapprochait de Raymond Aron. Là est la dynamique de tous ses livres, ce qui, par nos temps d’absurdité et de déraison, avait de quoi alimenter un rebondissement permanent. Cette passion, il l’a poussée jusqu’à l’esprit de système. Le redoutable rouleau compresseur de la dialectique revélienne n’a peut-être trouvé sa limite que dans la confrontation avec son fils, Mathieu, qui avait fait, après une thèse de biologie moléculaire sous la direction de François Jacob, le choix du bouddhisme, du Népal et du service auprès du dalaï-lama. C’est ce qui rend si touchant "Le Moine et le Philosophe", où l’on sent, chez cet athée radical à l’occidentale, la nostalgie secrète d’une autre forme de sagesse. ».

Chargé aussi de prononcer son éloge lors de sa réception comme successeur de Jean-François Revel à l'Académie, le 31 janvier 2008, Max Gallo résumait l'homme au mot liberté : « J’ai rejeté avec lui et expérimentalement, en étudiant telle ou telle période de notre passé, ces "lois de l’Histoire" qui ne sont que le masque du renoncement à la liberté créatrice de l’homme. "L’Histoire est un théorème indémontrable", écrit Revel dans "Le Voleur dans la maison vide". "Elle est l’enfant de notre seule pensée et de notre besoin d’interrogation, d’explication, de synthèse. Comment pourrions-nous éprouver ce besoin si l’Histoire, qu’elle soit collective ou individuelle, ne pouvait pas à tout instant devenir autre qu’elle n’est ? L’Histoire ne fixe aucun rendez-vous, elle ne pose que des lapins. Seul l’homme peut se fixer des rendez-vous à lui-même, et seul il a le pouvoir de s’y rendre". Revel place donc l’homme au centre du jeu, c’est-à-dire face à ses responsabilités individuelles. C’est pour les fuir qu’on prétend que des mécanismes incontrôlables, économiques, sociaux ou politiques, ont le pouvoir de déterminer notre destin. Nous sommes libres. Nous sommes comptables de notre vie. Notre volonté est le ressort du monde. Instruit par Jean-François Revel, la seule loi de l’Histoire que je reconnaisse aujourd’hui est celle de la surprise, qui renvoie à notre indestructible liberté. (…) Jean-François Revel le polyglotte était un cosmopolite. Il avait vécu en Algérie, au Mexique, en Italie, aux États-Unis, et parcouru la plupart des continents. Il avait donné des dizaines de conférences, publié des centaines d’articles. Ses livres avaient été des succès mondiaux. Et, chaque jour, il nourrissait sa réflexion en dévorant les quotidiens de plusieurs pays. Mais cet homme ouvert au monde demeurait enraciné dans sa civilisation, on pourrait presque dire son terroir. ».


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Un penseur décapant et universaliste qui s'exprime bien, cultivé et pédagogue, et capable de quitter les sentiers battus pour bousculer la mode et l'ère du complotisme, c'était Jean-François Revel, qui manque beaucoup trop au débat français en ce moment. Il n'aurait certainement pas soutenu Emmanuel Macron dont il aurait certainement critiqué les failles de communication, l'autoritarisme de la gouvernance, ainsi que les hésitations nombreuses, mais il aurait toutefois su fustiger encore plus durement ceux qui, aujourd'hui, semble vouloir constituer son opposition politique alors qu'ils ne proposent que du vide.


Pour le décapant, je propose ici quelques réflexions revéliennes.

Et la première, il l'a exprimée le 3 décembre 1998 devant ses amis académiciens à l'occasion d'un des rares discours qu'il a prononcés sous la Coupole, son discours sur la Vertu : « Notre siècle, bien entendu, mérite un jugement sévère et vaut bien un examen de conscience, fertile qu’il fut en génocides, crimes et injustices. Mais, précisément, ne devons-nous pas nous inquiéter de constater que ces monstruosités furent perpétrées au nom de la morale sous l’impulsion des grands sentiments ou des grandes utopies politiques ? Au nom d’une ferveur patriotique, d’une race ou d’un système prétendus moralement supérieurs ? Et avec la conviction de servir une éthique propice à la félicité ultime de l’espèce humaine ? L’aveuglement idéologique qui permit de prendre le Mal absolu pour le Bien absolu, ce contresens fatal qui dérégla notre époque ne nous incite-t-il pas à tenter de rétablir dans sa vérité et de restaurer dans sa légitimité cet idéal de la vertu, qui, du siècle de Périclès à celui de la Révolution française, fut au centre de la méditation morale comme de la construction politique ? (…) L’idée sotte, contradictoire et dévastatrice que l’on puisse atteindre le bien en faisant le mal, ou du moins que l’on ait licence d’emprunter des voies immorales pour guider les peuples vers le bonheur, cette aberration néfaste et naïve a amplement fourni la preuve de sa fausseté. Non contente d’être vaincue au regard de la dignité humaine, elle a perdu aussi sur le terrain même où elle était censée gagner: l’efficacité. Fallait-il tant de crimes pour n’engendrer que des famines ? Fallait-il tant de ruse pour figurer au tableau d’affichage de la basse canaillerie financière ? Fallait-il tant de mensonges pour recevoir, dans la dernière scène de la tragédie, qui finit toujours par se jouer, la paire de gifles de la vérité ? Les grands hommes, qui ont véritablement servi les intérêts de leur patrie et de l’humanité, en notre siècle, je le répète, sont ceux qui ont agi d’abord par devoir. Et si l’honnêteté était la véritable habileté ? Et si nous devions enfin savoir une fois pour toutes préférer Montesquieu à Machiavel ? ».

Dans "La Grande Parade" (2000, éd. Plon), Revel rejetait le libéralisme vu comme une idéologie : « Le libéralisme n’a jamais été une idéologie, j’entends n’est pas une théorie se fondant sur des concepts antérieurs à toute expérience, ni un dogme invariable et indépendant du cours des choses ou des résultats de l’action. Ce n’est qu’un ensemble d’observations, portant sur des faits qui se sont déjà produits. ». Au contraire du communisme : « Aucune des justifications avancées depuis 1917 en faveur du communisme réel n’a résisté à l’expérience ; aucun des objectifs qu’il se targuait d’atteindre n’a été atteint : ni la liberté, ni la prospérité, ni l’égalité, ni la paix. Si bien qu’il a disparu, sous le poids de ses propres vices plus que sous les coups de ses adversaires. Et pourtant, il n’a peut-être jamais été aussi farouchement protégé par autant de censeurs aussi dénués de scrupules que depuis son naufrage. (…) L’argument selon lequel le communisme serait démocratique parce qu’il a contribué à la lutte antifasciste n’est pas plus recevable que celui qui consisterait à dire que le nazisme fut démocratique parce qu’il a participé à la lutte contre le stalinisme. (…) Être assassiné par Pol Pot est-il moins grave que d’être assassiné par Hitler ? Il n’y a pas lieu d’établir de distinction entre les victimes des totalitarismes "noir" ou "rouge". Le totalitarisme nazi n’a pas fait mystère de ses intentions : il entendait éliminer la démocratie, régner par la force et développer tout un système de persécutions raciales. On nous dit que les communistes avaient un idéal. Je suis presque enclin à trouver cela encore pire. Parce que cela signifie qu’on a délibérément trompé des millions d’hommes. Parce qu’on ajoute ainsi aux crimes le mensonge le plus abject. » (le dernier extrait de ce livre provient d'une chronique publiée le 14 novembre 1997 dans "Le Figaro" avec ce titre : "La comparaison interdite").

Dans "Le Regain démocratique" (1992, éd. Fayard), il défendait ardemment l'individualisme, bête noire de la classe politique : « D’où le seul sentiment, chez [les responsables de l’État], qui fasse l’unanimité de tous les partis et dans tous les pays : la haine farouche qu’ils nourrissent pour ce qu’ils nomment avec horreur : "l’individualisme". Ce mot désigne pour eux le cauchemar suprême, le soupçon qu’il subsiste quelque part un fragment de l’esprit humain qui échapperait à la sphère politique, au collectif, au communautaire, au domaine public : le leur. ».


Il n'aimait d'ailleurs pas vraiment la classe politique : « En général, malheureusement, les qualités requises pour conquérir le pouvoir et pour le garder n’ont presque aucun rapport avec celles qui sont nécessaires pour l’exercer avec compétence et impartialité. » ("Ni Marx ni Jésus").

Pas la peine d'être philosophe sans définir le philosophe, c'était l'objet d'un de ses premiers ouvrages, "Pourquoi des philosophes" (1957, éd. Julliard) qui reçut le Prix Félix-Fénéon (parmi d'autres lauréats de ce prix, on peut citer : Albert Memmi, Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, Philippe Sollers, Patrick Modiano, Angelo Rinaldi, Jean Echenoz, Hervé Guibert, etc.) : « Philosopher n’est pas régner sur les connaissances du reste du genre humain comme un lointain propriétaire terrien sur des domaines qu’il administre nonchalamment et ne visite jamais. (…) Sartre est le seul auteur philosophique du XXe siècle dont on puisse dire qu’il ne doit sa réputation qu’à son talent, et qui d’ailleurs ait une réputation. Le seul dont on soit sûr qu’il aurait fait de la philosophie, ou l’équivalent de sa philosophie, même si l’Université n’avait pas existé. (…) Les philosophes n’ont pas pour habitude de sous-estimer leur talent. À en croire chacun d’entre eux, l’humanité ne commence vraiment à penser qu’avec lui. (…) Le problème consiste donc à se demander pourquoi une idée qui, en langage normal, est une banalité ou une stupidité, se transforme, par la vertu de son insertion dans la psychologie, en une importante découverte qui exige le concours de plusieurs savants assistés de leurs élèves. ».

Jean-Paul Sartre vient d'être mentionné. Jean-François Revel s'est focalisé sur ce mystère le 21 avril 1990 sur Europe 1 où il donnait régulièrement une chronique entre 1989 et 1992 puis sur RTL entre 1995 et 1998 : « Pourquoi l’écrivain français le plus représentatif des années 1950 et 1960 a-t-il haï la liberté, lui le philosophe de la liberté ? Pourquoi ce penseur si intelligent approuva-t-il la nuit intellectuelle du communisme ? Pourquoi le fondateur de la fameuse revue "Les Temps modernes" ne comprit-il rien à son temps ? Pourquoi ce raisonneur si subtil a-t-il été l’un des plus grandes dupes de notre siècle ? Au lieu d’escamoter ces réalités, mieux vaudrait tenter de les expliquer. Le problème n’est pas celui des aberrations d’un homme. C’est celui de toute une culture. Pour le résoudre, inspirons-nous de ce que Sartre a enseigné, surtout pas de ce qu’il a fait, de sa philosophie de la responsabilité, surtout pas de ses actes irresponsables, de sa morale de l’authenticité, surtout pas de son idéologie de la falsification. ».

Dans "Fin du siècle des ombres" (1999, éd. Fayard), l'agrégé académicien pressentait les ravages de l'écriture inclusive en écrivant : « Byzance tomba aux mains des Turcs tout en discutant du sexe des anges. Le français achèvera de se décomposer dans l’illettrisme pendant que nous discuterons du sexe des mots. La querelle actuelle découle de ce fait très simple qu’il n’existe pas en français de genre neutre comme en possèdent le grec, le latin et l’allemand. D’où ce résultat que, chez nous, quantité de noms, de fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n’a rien à voir avec le sexe de la personne qu’ils concernent, laquelle peut être un homme. Homme, d’ailleurs, s’emploie tantôt en valeur neutre, quand il signifie l’espèce humaine, tantôt en valeur masculine quand il désigne le mâle. Confondre les deux relève d’une incompétence qui condamne à l’embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de sexe masculin peut fort bien être une recrue, une vedette, une canaille, une fripouille ou une andouille. De sexe féminin, il lui arrive d’être un mannequin, un tyran ou un génie. Le respect de la personne humaine est-il réservé aux femmes, et celui des droits de l’homme aux hommes ?? Absurde ! Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels. Certains mots sont précédés d’articles féminins ou masculins sans que ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre. On dit : "Madame de Sévigné est un grand écrivain" et "Rémy de Goumont est une plume brillante". On dit le garde des Sceaux, même quand c’est une femme, et la sentinelle, qui est presque toujours un homme. Tous ces termes sont, je le répète, sémantiquement neutres. Accoler à un substantif un article d’un genre opposé au sien ne le fait pas changer de sexe. Ce n’est qu’une banale faute d’accord. (…) Une langue bouge de par le mariage de la logique et du tâtonnement, qu’accompagne en sourdine une mélodie originale. Le tout est fruit de la lenteur des siècles, non de l’opportunisme des politiques. L’État n’a aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la grammaire. Il tombe en outre dans l’abus de pouvoir quand il utilise l’école publique pour imposer ses oukases langagiers à toute une jeunesse. (…) Si notre gouvernement veut servir le français, il ferait mieux de veiller d’abord à ce qu’on l’enseigne en classe, ensuite à ce que l’audiovisuel public, placé sous sa coupe, n’accumule pas à longueur de soirées les faux sens, solécismes, impropriétés, barbarismes et cuirs qui, pénétrant dans le crâne des gosses, achèvent de rendre impossible la tâche des enseignants. La société française a progressé vers l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette honte croient s’amnistier (ils en ont l’habitude) en torturant la grammaire. Ils ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique: faire avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes. » (ce livre étant un recueil de chroniques, celle-ci a été en fait publiée en 1998).

Anticommuniste de raison, Jean-François Revel a eu souvent l'occasion de condamner le communisme. Par exemple, dans son livre "Ni Marx ni Jésus" (1970, éd. Robert Laffont) : « Agir, c’est se déterminer en fonction de la réalité et non point selon des possibilités qui en sont absentes. Sans doute cette réalité est-elle parfois médiocrement réjouissante, mais dans l’instant donné c’est précisément à cette médiocrité qu’il faut parfois savoir faire face. (…) L’excommunication dédaigneuse de toute forme de capitalisme évolutif, de la révolution industrielle et du progrès technique, au nom d’un socialisme de placard, équivaut à choisir le sous-développement pour ne pas réviser un dogme. ».


L'un de derniers écrits de Jean-François Revel se trouve sous la forme d'une interview publiée le 30 mars 2006 dans "Le Point" : « J’applique réellement le marxisme, qui veut que seule l’expérience valide la théorie. Si donc le socialisme n’a marché nulle part, c’est qu’il est vicieux dans son principe. (…) Le malheur veut que le socialisme démocratique se laisse entraîner, par calcul électoral ou par complexe d’infériorité, dans cette surenchère. On a vu comment la faillite électorale de la gauche en 2002, au lieu de la conduire à réviser ses conceptions et sa stratégie, l’a poussée au contraire vers une sorte de néogauchisme réchauffé, inspiré par la peur d’être affaiblie par l’extrême gauche. (…) Une partie de la droite, intimidée elle aussi, verse à son tour dans une rhétorique antilibérale. ». Il allait mourir un mois plus tard.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (14 janvier 2024)
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Pour aller plus loin :
Jean-François Revel.
André Fontaine.
Clémentine Vergnaud.
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Maurice Barrès.
Jean-Pierre Elkabbach.
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Le nouveau JDD.
Geoffroy Lejeune.
Pap Ndiaye et les médias Bolloré.
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Antone Sfeir.
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Victoria Amelina.
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La santé à la radio.
Philippe Tesson.
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La BBC fête son centenaire.
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7 janvier 2024 7 07 /01 /janvier /2024 04:57

« Aujourd’hui ces hommes, écrivains, militaires, religieux, ont, pour la plupart, disparu. Raison pour laquelle la liste des parias est devenue celle des réprouvés. Pire, elle n'existe plus. Pour le plus grand nombre de nos contemporains, ils sont désormais inconnus. (…) Les maux que nous vivons aujourd’hui, les exaspérations, le délitement généralisé de notre patrie, ne sont pas le fait du hasard. » (Olivier Figueras, "Politique Magazine" n°231 de janvier 2024).




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Le journaliste, essayiste, pamphlétaire, polémiste, pétainiste, antigaulliste et ancien résistant, André Figueras est né il y a 100 ans, le 8 janvier 1924 à Paris. Il est mort à l'âge de 78 ans le 15 mars 2002 également à Paris. Ce centenaire, comme le déplore son fils Olivier Figueras, (ancien) journaliste de
"Présent", ne sera pas officiellement célébré parce qu'évidemment, André Figueras n'est pas vraiment un auteur politiquement correct.

Résistant dès 1941 à l'âge de 17 ans, André Figueras fut un agent de liaison dans les FTP, intégré au réseau Défense de la France. Il a édité des journaux clandestins, réalisé des faux papiers, fait des transferts d'aviateurs américains, etc. En 1944, il s'est engagé dans les commandos de parachutiste de l'armée d'Afrique. À la fin de la guerre, il a reçu à la fois la Croix de guerre et la Médaille de la Résistance, ainsi que la Médaille des libérateurs de Belfort.

Son petit-fils Jean Figueras a raconté bien plus tard, le 30 novembre 2023 dans "Monde & Vie" (auquel collabora André Figueras) : « De ses années de guerre, il parlait très peu, estimant qu’il avait fait son devoir, et répondu à l’appel de la France lorsqu’elle avait eu besoin de lui. Il résista, donc, en écrivant dans le journal de son mouvement sous la houlette de Pierre Brossolette (une des principales figures de la Résistance), et en faisant passer un certain nombre de personnes en Suisse ou en Espagne. Il emprunta lui-même cette filière après avoir été repéré par les Allemands, et, après un passage par le camp de Miranda, rejoignit l’Afrique du Nord où il intégra les commandos de parachutistes de la France libre, avec lesquels il participa à la libération de la France et à la campagne d’Allemagne. ».

À la Libération, André Figueras a fait du journalisme politique, notamment aux côtés de Maurice Clavel. Marié trois fois, le polémiste a été, pour ses premières noces, le mari, assez brièvement, d'Anne Brossolette, la fille de Pierre Brossolette (mort en 1944). Cette union ne l'a pas conduit à avoir d'éventuels passe-droits car il était trop indépendant pour cela. André Figueras a travaillé pour divers journaux, en particulier "Combat", "L'Essor", "L'Aurore", "Le Figaro", Présent", "Minute", "La Crapouillot", "Le Journal du Parlement", "Les Nouvelles Littéraires", etc. Il a tiré sa révérence peu après sa tentative impossible de se présenter à l'Académie française au fauteuil de Jacques Laurent qu'il voulait ainsi honorer.

Dans la vieille tradition des pamphlétaires, André Figueras usait de l'antiparlementarisme primaire pour fustiger toutes les erreurs, fautes et défauts de la classe politique. Malgré son engagement dans la Résistance, il défendait la mémoire de Pétain, a beaucoup parlé de la collaboration et aussi, était proche des milieux catholiques traditionalistes (il était proche de Mgr Marcel Lefebvre et son fils Raphaël est prêtre), ce qui l'a fait se rapprocher du FN et de Jean-Marie Le Pen (parrain de sa fille) à partir des années 1970. Il défendait aussi le GUD, organisation étudiante d'extrême droite très activiste. Quand De Gaulle a procédé à l'autodétermination puis à l'indépendance de l'Algérie, il fut un opposant acharné du gaullisme et de De Gaulle (qu'il avait pourtant admiré pendant la guerre), au nom de l'Algérie française.

André Figueras a laissé une œuvre très fournie, une centaine de livres, déversant souvent sa rancœur et son dégoût, dont la liste exhaustive a été publiée par la revue "Lectures Françaises" n°540 en avril 2002 à l'occasion de sa disparition. On pourra avoir un petite idée du polémiste rien qu'en lisant le titre de certains de ses ouvrages, comme : "Lyautey assassiné. La question marocaine ou comment nous avons perdu le Maroc" (1959), "Nous sommes Frey. La Vérité sur l'UNR" (1959) [Roger Frey était l'un des barons du gaullisme], "Faut-il rester en république ?" (1960), "Les Gaullistes vont en enfer" (1962, saisi), "Guide d'anti-cinquième" (1963, interdit), "Les Pieds Noirs dans le plat" (1963, saisi), "Charles le dérisoire" (1964, interdit), "Le Général mourra" (1965, saisi), "Figueras contre De Gaulle" (1965, saisi), "Mes condamnations" (1966), "Adjudant fisc" (1969), "De Gaulle l'impuissant" (1970), "J'accuse Michel Debré" (1970), "La république des gredins" (1972), "Faux résistants et vrais coquins" (1974), "La Croix de Lorraine qui tue" (1975), "Giscarnaval et Mitterrandoignon" (1976), "Marty sans laisser d'adresse" (1976), "Le camarade cardinal" (1977), "La gestapo fiscale" (1977), "Saint Nicolas du Chardonnet. Le combat de Mgr Ducaud Bourget" (1977), "Pétain c'était De Gaulle" (1979), "Avorteurs et avortons" (1980), "Pas de champagne pour les vaincus" (1981), "Ce canaille de D...reyfus" (1982), "Les derniers jours de la Patrie" (1982), "Les résistants à la Popaul" (1982), "Traité de balayge" (1985), "Philippe Pétain devant l'histoire et la patrie" (1986), "Les quatre secrets de Barbie" (1987), "L'Affaire Dreyfus revue et corrigée" (1989), "Pétain et la résistance" (1989), "Pour en finir avec le Général" (1990), "Mémoires intempestifs. Mi-Figueras, mi-raisin" (1993), "Mes opinions indépendantes sur Pétain, Salan, Le Pen et quelques autres" (1994), "Pas d'Oradour à Saint-Amand-Montrond" (1996), "La fable d'Auschwitz et d'Abraham" (1997), "Dialogues politiquement incorrects" (1998), "Le palimpseste de Vichy" (1998), etc.

Probablement que le plus intéressant est dans sa remarquable "Zoologie du Palais-Bourbon", sorti en 1956 pour sa première édition, complétée dans sa deuxième édition en 1964, où, à l'instar de Léon Daudet et Charles Maurras, André Figueras a dressé de nombreux portraits de personnalités politiques qui, évidemment, ne les grandissaient pas. Alors qu'André Figueras, bien implanté dans les milieux intellectuels et politiques d'après-guerre, aurait pu "faire carrière", fréquentant notamment Albert Camus, François Mitterrand, Maurice Druon, Pierre Poujade, Georges Bidault, etc., il fut au contraire dégoûté par la classe politique de la Quatrième République et son livre de zoologie politique l'a définitivement mis hors des clous, s'attirant la foudre de toute la classe politique, y compris de l'extrême droite.

Dans le "Petit dictionnaire des injures politiques" (sorti en 2011) dont il a dirigé la rédaction, l'historien Bruno Fuligni s'est fréquemment servi de l'ouvrage d'André Figueras pour citer les injures politiques entendues ou lues publiquement. En voici quelques-unes dont une émane d'un autre ouvrage alors indiqué (à ne savourer qu'avec modération, si on ne veut pas rendre la démocratie trop indigeste).


François Mitterrand : « Il ressemble à une gazelle qui aurait des coutumes ecclésiastiques ; on dirait qu'il y a du prélat chez ce sauteur. ».

Pierre Mendès France : « Son visage est celui d'un hibou épuisé ; son sourire a l'air d'avoir servi depuis dix mille ans, tant il est flétri, pâle, mince ; ses yeux sont ternes, flous et usés ; sa voix elle-même tombe en ruine. Quant à son corps, il est rabougri et frileux. Ses mains ont l'air de vieilles serres mises à la réforme. Bref, c'est l'oiseau de nuit vétuste et morose, au vol bas, lourd, hostile. ».

Jacques Chaban-Delmas : « Imaginez-le, ayant enfilé l'habit à losanges, la batte à la main, et faisant parade sur les tréteaux. Avec ses jolies mains, recroquevillées comme il les tient volontiers (car on est cabotin, mesdames), sa tête câline un peu à la renverse où l'œil est langoureux presque autant que celui de Luis Mariano, son sourire de fille de joie qui va passer maquerelle et qui s'essaye à la respectabilité, son regard enamorando dès qu'ils lorgne une petite, n'est-il pas ravissant, le Chaban-Delmas ? (…) Gracieux comme un ouistiti. Du ouistiti, en effet, Chaban-Delmas a les gamineries futées et coquettes, la séduction un peu niaise, les privautés oculaires. Et l'on adorerait, sur le Rocher des Singes, au zoo de Vincennes, voir gambader Chaban-Delmas librement avec une jolie queue longue lui sortant du derrière. ».

Gaston Defferre : « Defferre, partout où il traverse le domaine français, laisse derrière soi la pollution de sa bave. On rétorquera que c'est son métier d'escargot qu'il fait, et qu'il n'appartient à personne de transformer sa nature. ».

Michel Debré : « Je ne nie point qu'il s'agisse en l'espèce d'une sorte de scolopendre raté, de scorpion geignard, de coléoptère sans carapace. Je sais qu'il est catalogué déjà, et que les limaces elles-mêmes, et les vers de chiottes, préférant légitimement être dans leur peau que dans la sienne, sont intervenus auprès du Bon Dieu pour qu'Il ne le range point dans leur catégorie. » ("J'accuse Michel Debré").

Jean-Marie Le Pen : « Jean-Marie Le Pen est l'intellectuel du groupe poujadiste, le penseur des épiciers. Il est l'inventeur de la formule qui eut du succès : "Sortez les sortants !" ».


Georges Bidault : « Bidault tient en effet du cuistre et du joujou. Il y a en lui un Triboulet qui se sublime, qui se transcende et qui s'admire. Il est condescendant comme un régent de collège, et burlesque comme un toton. Supposez qu'une toupie tournante et ronflante prenne tout à coup forme humaine, pense et s'exprime, vous aurez Georges Bidault. ».

Robert Schuman : « Ce n'est sûrement à ce vieux singe que l'on apprendra à faire des grimaces, car il les fait supérieurement. Sa bouche lippue, ses joues ridées, ses yeux bigles, son nez saucissonneur, son front oblique, ses lunettes d'officier allemand, font de lui un parfait macaque blanchi sous le harnois. On l'imagine fort bien à quatre pattes, et se faisant, par le ouistiti par exemple, épouiller les fesses. (…) Dans tous les ministères où il a passé, et à la Présidence du gouvernement, il a donné l'impression d'un macaque demeuré, hydrocéphale, et qui aurait bien aimé que, pour le distraire pendant les conseils, on lui jetât une banane. ».

Édouard Herriot : « Alfred Capus, voyant ce débris s'agiter encore, dirait avec son gai et profond cynisme : "Mais qu'est-ce que fait donc la mort ?". Car ce n'est pas assez, pour le pélican décati, d'avoir multiplié les fautes pendant une interminable existence, d'avoir joué toujours sur le mauvais tableau, d'avoir gaffé comme il respirait. Il faut encore qu'il s'éternise devant la mangeoire politique, qu'il continue de clabauder, de faire des effets de thorax et de jouer, suprême dérision, au penseur et au pacificateur. (…) Cette baderne nous a suffisamment nui. ».

Antoine Pinay : « L'horizon de son intelligence se borne exactement aux frontières de l'hémicycle. Le bourricot qui tourne indéfiniment la noria ne sait même pas qu'il existe de grands paysages libres. ».

Édouard Daladier : « Flaubert a dit : "L'aigle de Meaux était une oie". On peut écrire de même que "le taureau du Vaucluse" est un veau vieux. Il n'a plus corne, ni dents, ni sabots, ni le reste. On le mènerait au pâturage avec une vieille ficelle. On ne peut rien voir de plus mou, de plus tombé, de plus laid que ce bonhomme. ».

René Pleven : « Le vampire-spectre, qui a quatre incisives à chaque mâchoire, suce le sang des hommes pour se nourrir. Incapable en effet de prospérer par lui-même, il a besoin de la mort des autres pour en tirer sa vie. ».

Joseph Laniel : « On voudrait bien, ne serait-ce que par souci de ne pas être banal, comparer Joseph Laniel à autre chose qu'un bœuf. Mais cela est d'autant plus impossible qu'il semble cultiver comme à plaisir la ressemblance. Ce n'est pas assez qu'il soit massif, pesant, de membres brefs et lourds, que sa tête engoncée dans ses épaules soit presque aussi large que son poitrail, que ses gros yeux aux bords rouges aient l'air d'attendre les mouches, et que, de son museau qui mastique à l'horizontal (c'est la seule façon qu'a Laniel de ruminer), on s'étonne de ne pas voir découler un scintillant filet de bave. Il a encore fallu que Joseph Laniel se fît coiffer en brosse, de façon que son mufle apparût à plein, carré. De sorte qu'on rêve de l'apercevoir à l'abandon dans une pâture, et se nourrissant, par grosses bouchées, de sa litière. ».

Pierre Pflimlin : « Son nom est à peu près aussi imprononçable que celui de l'échidné auquel il ressemble, et qui est, nous disent les manuels, "un animal épineux, fouisseur, dont le museau est prolongé en une sorte de bec arqué". L'œil, ajouterons-nous, n'est pas tout à fait pétillant ; les membres son raides ; l'allure générale maladroite et molle. C'est Bourvil au Palais-Bourbon. ».

Jacques Duclos : « Ce crabe des cocotiers a perdu une pince ; ce qui fait qu'il se propulse d'une manière syncopée et roulante (dans tous les sens du terme) ; et que ses grandes mandibules ne font qu'une moitié d'impression. ».

Vincent Auriol : « Prestidigitateur au faciès de fœtus hémiplégique... ».

Guy Mollet : « Il a la consistance froide, la couleur indéfinissablement blême, la pauvreté mentale, la rétractibilité politique de la méduse. Toujours entre deux eaux, poussé par les courants, remué par ce qui passe, c'est un invertébré typique. ».


Henri Queuille : « Ce cloporte béquillard, plat et blasé, était l'éternel ministre de l'Agriculture de la IIIe République. Dans le ministère, comme dans tout village, il est bon qu'il y ait un "idiot" pour faire la joie des autres, qui se croient plus malins que lui. Henri Queuille joua ce rôle dix-sept fois. La IVe République, dont on n'observera jamais trop qu'elle a été faite principalement avec les déchets de la IIIe, transforma Queuille en Président du Conseil. Il inventa alors une trente-troisième position, celle qui seyait le mieux à son tempérament, l'immobilité. Tout le temps qu'il resta au pouvoir, il s'amusa tout seul, mais il n'engendra pas le plus petit projet, la plus petite innovation. Il fut aussi stérile qu'Onan. ».

Gaston Monnerville : « Le caïman édenté du Sénat... ».


Paul Ramadier : « Cette chenue bique, un moment flanquée au rancart dans son étable crasseuse, s'est remise à crotter sur nos grands-routes. On ramasse ses incongruités à la pelle, et c'est si sec, si puant, si pauvre, qu'il n'y a même pas moyen de se servir de ce fumier pour faire pousser des éclats de rire. ».

Jean-Louis Tixier-Vignancour : « C'est en permanence le sanglier qui débouche, la défense hargneuse, le trop lourd et rude, soufflant par ses naseaux épais une sorte de feu obscur, griffant le sol dans son impatience féroce, prêt à renverser et à piétiner tout ce qu'il rencontrera, de temps en temps levant son dur mufle pour humer ce que le vent lui livre de raison, de prudence ou d'audace, et puis, repartant d'un train d'enfer, brute bénévole, magnifique et dangereuse, fauve qui n'est pas sans cousinage avec le porc, mastodonte hérissé, orgueilleux, vindicatif, à la fois horrible et épatant. ».


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (06 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Mauriac et ses vacheries.
Clemenceau et l’art de la vacherie.
Liste exhaustive des ouvrages du pamphlétaire André Figueras.
André Figueras.
Patrick Buisson.

Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
Jordan Bardella.
Marine Le Pen.

Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
Geoffroy Lejeune.
Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
Éric Caliméro Zemmour.
Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
La tactique politicienne du RN.
La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

Louis Aliot.
Le congrès du RN.
Grégoire de Fournas.
Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?
Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240108-andre-figueras.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/andre-figueras-et-le-langage-du-252043

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2024/01/07/40166932.html




 

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3 janvier 2024 3 03 /01 /janvier /2024 04:52

« Cela vient sûrement d'une tendance à la dépression qui n'était pas mortelle car ce sont tout de même des gags pour faire rire, non ? » (Franquin, évoquant "Idées noires").




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L'auteur de bande dessinée André Franquin est né près de Bruxelles il y a 100 ans, le 3 janvier 1924, soit un mois après Morris. Il est mort il y a un peu moins de 27 ans, le 5 janvier 1997, peu après son 73e anniversaire, à Saint-Laurent-du-Var.

Ce n'est pas très utile de présenter précisément Franquin car il fait partie des grands génies de la BD francophone avec Hergé, Morris, Uderzo, Goscinny, Peyo, Gotlib, Greg, et quelques autres. En revanche, lui rendre hommage est toujours un plaisir, un plaisir de gamin. Faisant partie de la première génération de la BD franco-belge, Franquin se caractérisait cependant par des dessins très précis, et surtout, des mouvements plus forts que d'ordinaire, des énervements, des cris, de la dynamique, de la vitalité.

À l'origine, Franquin est connu pour avoir repris les aventures de "Spirou et Fantasio", des éditions Dupuis qui l'ont embauché en 1946, mais il a aussi créé de nouvelles séries, comme "Modeste et Pompon" et surtout, deux géniales séries, "Gaston Lagaffe" et "Idées noires" (cette dernière n'étant pas vraiment une série mais un album et demi).

Si Franquin n'est pas à l'origine de "Spirou et Fantasio" (série dessinée à l'origine par son mentor Jijé), il en a été l'auteur le plus emblématique avec des créations très personnelles comme le Marsupilami, une sorte de marsupial à la queue très longue d'Amazonie, ou encore des personnages récurrents, le comte Pacôme de Champignac, une sorte de professeur Tournesol, un scientifique un peu distrait, très sympa et pacifiste, la journaliste d'investigation au nez pointu Seccotine, le cousin Zantafio (devenu général Zantas, dictateur), et un autre affreux, Zorglub, un scientifique lui aussi fou d'ambition (créé avec Greg).


Entre octobre 1955 et août 1959, fâché avec son employeur, Franquin a quitté Dupuis et a rejoint "Le Journal de Tintin" (des éditions du Lombard) où il a créé "Modeste et Pompon", mais rapidement (parce que le patron lui a donné raison), il est revenu à la maison d'origine au "Journal de Spirou" où il a créé (avec Yvan Delporte) le 28 février 1957 un personnage à sa mesure, Gaston Lagaffe. Initialement, c'était un personnage secondaire qui vivait dans les locaux des éditions Dupuis avec pour chef Fantasio, mais le personnage, en anti-héros, a été très apprécié par les lecteurs et Franquin s'est concentré sur cette série en abandonnant progressivement Spirou et Fantasio en 1968 à Jean-Claude Fournier et Modeste et Pompon à Dino Attanasio. En effet, entre 1961 et 1963, Franquin a fait une dépression en raison d'un trop-plein de projets (Spirou, Gaston Lagaffe, etc.). De plus, la série Spirou était pour lui une véritable contrainte et plus un plaisir, les personnages principaux ne lui appartenant pas.

Parfois, les dessinateurs et scénaristes s'échangeaient des collaborations. Franquin était aidé ainsi pour sa dernière aventure de Spirou par Peyo et Gos, tandis que lui-même a aidé Peyo sur le scénario de l'album "Les Schtroumpfs et le Cracoucass" ainsi que sur le nom et l'esquisse de l'affreux oiseau.

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Gaston Lagaffe est vraiment la marque du génie de Franquin. Le personnage, qui serait désormais viré dès la première heure de n'importe quelle entreprise depuis la fin des Trente glorieuses, fait tout à son bureau, sauf le travail pour lequel il a été embauché, à savoir répondre aux courriers des lecteurs. Il préfigure d'autres anti-héros comme le Grand Duduche de Cabu.

Un brin écologiste avant l'heure, un brin inventeur, un brin amoureux, un brin farceur, il permet de s'identifier à son personnage car il véhicule les vraies valeurs, celles de la famille, de l'amitié, de la créativité, et certainement pas celles de l'argent et du matérialisme consumériste. Il est un employé qui porte des vêtements décontractés voire très négligents pour l'époque (espadrilles, vieux pull, jeans).


Franquin en a profité pour créer son petit monde humain spécifique à Gaston Lagaffe : Mademoiselle Jeanne, la secrétaire aux archives, secrètement amoureuse, Prunelle remplaçant Fantasio appelé à d'autres aventures, Lebrac, le dessinateur toujours en retard d'un dessin ou d'une planche (personnage au long nez dont se sentait le plus proche Franquin), Jules de chez Smith-en-face, son alter ego dans la boîte voisine, et plein d'autres personnages, dont deux animaux fort utiles, sa mouette rieuse et son chat hyperactif.

Sans oublier deux victimes de Gaston Lagaffe, Longtarin, agent de police obsédé par les contraventions, et Monsieur De Mesmaeker, gros plein de soupe cherchant à signer un contrat chez Dupuis mais ratant toujours ses tentatives à cause d'un gag de Lagaffe. Pour ce dernier personnage, Franquin s'est inspiré du physique et du nom du père de son ami Jidéhem (pseudo de Jean De Mesmaeker), qui dessinait ses décors (ce qui fut une catastrophe pour ce père en question qui était commercial et n'était plus pris au sérieux avec la notoriété de Gaston Lagaffe !).

Gaston Lagaffe a fait l'objet d'une adaptation au cinéma, particulièrement mauvaise (film de Pierre-François Martin-Laval sorti le 4 avril 2018 avec Théo Fernandez dans le rôle de Gaston) à propos duquel Isabelle Franquin, la fille du créateur, a déclaré : « Ça fait mal, très mal même, car j'assiste impuissante au désastre ! ».


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L'autre marque du génie de Franquin, où il s'était beaucoup lâché, ce sont ses "Idées noires" publiées chez Fluide glacial après une diffusion dans la revue "Le Trombone illustré" (puis dans la revue "Fluide glacial") entre 1977 et 1983. Les dessins sont noirs et blancs et les traits excessivement noirs, négatifs, déprimants et pour le coup, aussi dépressifs. Cependant, on rigole bien en lisant son Intégrale (l'ensemble des pages) car c'est de l'humour caustique, parfois loufoque, très acide et très décapant.

Ainsi, on y comprend les tendances antimilitaristes et écologistes de Franquin, sujets qui devenaient importants dans les années 1970. Mine de rien, on pourrait faire une belle étude sociologique de ce recueil d'humour assez particulier et très spécifique à Franquin.

L'auteur parlait par exemple des nombreuses constructions de l'époque, une sorte de bétonnisation de l'espace à en faire des cauchemars jurassiques ! (Paradoxalement, avec les nouvelles lois, on risque de rebétonner nos territoires par des hautes tours pour réduire l'artificialisation des sols, en d'autres termes, pour débétonner !).

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Le sujet de la peine de mort revient également plusieurs fois avec un argument imparable : la loi dit que tout homme qui tue sera tué, et alors, le bas de la page représente une succession de bourreaux qui se tuent les uns les autres dans une logique implacable.

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On sent l'antimilitarisme dans cette courte histoire du ministre de la défense gros plein de soupe qui trottine gaiement dans la capitale, la tête en l'air à regarder un avion militaire dont la commande lui a valu sa piscine (en commission occulte), un hélicoptère qui lui a permis de faire rénover sa maison secondaire (en commission occulte), etc. jusqu'à ce qu'une voiture le heurte car il traversait la rue sans regarder, et à la fin, l'ambulancier explique qu'il est arrivé trop tard car il n'y a qu'une seule ambulance déjà utilisée, à cause du manque de crédits...


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Il y a aussi des critiques plus insolites de la mode et des innovations, comme ce fauteuil au design stupide qui, finalement, empale l'acheteur potentiel. Ou cette condamnation judiciaire qui contraint le prévenu à errer indéfiniment dans un labyrinthe sphérique (sans sortie, donc), puis ce nouveau jugement qui renforce la sanction en y mettant aussi un prédateur carnivore (le condamné se dit alors : surtout, ne pas péter !). Et puis les amateurs de miniatures qui s'occupent de leurs gamins comme de leurs bonsaïs en coupant tous les bouts qui dépassent, les amateurs de viande fraîche de cyclistes à recycler (mais le dopage rend la viande immangeable), les chasseurs qui tirent avec des cartouches de protection des lapins, etc. Bref, dans "Idées noires", il y a beaucoup de violence, de sadisme, de masochisme, de côtés sombres de l'âme humaine.


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À l'occasion du centenaire de Franquin, La Poste veut marquer le coup par un timbre de 1,29 euros (tarif de Lettre Verte) qui va sortir à la fin du mois avec un tirage de plus de 700 000 exemplaires : représentant un autoportrait de Franquin tenant un combiné téléphonique d'une main et un pinceau de l'autre, le timbre a été conçu par Bruno Ghiringhelli. Il sera disponible au public à partir du 29 janvier 2024. La journée premier jour aura lieu le 26 janvier 2024 à Angoulême, à l'occasion du Festival de la bande dessinée et il pourra être acheté en avant-première au Centre commercial Champ de Mars d'Angoulême et au Carré d'Encre à Paris (13 bis rue des Mathurins, dans le 9e).


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Une autre actualité a fait grand bruit avec les fêtes de Noël : la sortie d'un nouvel album de "Gaston Lagaffe", le numéro 22 le 22 novembre 2023, intitulé "Le Retour de Lagaffe" par Delaf (pseudo de Marc Delafontaine, auteur canadien), d'après Franquin (éd. Dupuis). Le dernier vrai album datait de 1982, et un der des der est sorti peu avant la mort de Franquin, en décembre 1996, publiant ses dernières planches inédites dessinées de manière très irrégulière par Franquin (après, l'éditeur a sorti quelques autres livres, en particulier des gags inédits).


Le dessinateur a cédé les droits d'auteur de Gaston Lagaffe en 1992 à Marsu Productions et les éditions Dupuis en sont devenus propriétaires en 2013. Dans la cession des droits, il était bien précisé : « Aucune adaptation (…) ne peut avoir lieu sans l’accord de l’auteur qui ne pourra le refuser que pour des motifs éthiques ou artistiques. Il en est de même pour toute création d’une œuvre nouvelle. ».

Isabelle Franquin a vivement critiqué et même attaqué en justice l'éditeur contre la sortie de cet album qu'elle a jugé comme un plagiat au nom des droits moraux de son père, qui ne voulait pas poursuivre la série après sa mort : « Mon père ne voulait pas que Gaston existe après lui. C’était implicite. Ni moi ni mes enfants ne nous souvenons de l’avoir entendu dire le contraire. (…) Toute œuvre a une fin. Celle-ci a été imprimée et reste le reflet de son époque. Qui oserait s’amuser à refaire des chansons des Beatles ? » (17 mars 2022). Cet album est considéré comme un plagiat en raison des techniques numériques particulières utilisées pour concevoir l'œuvre (reprise numérique de tous les personnages et objets sous différentes perspectives à partir des 900 planches d'origine).

Dans les années 1980, Franquin a demandé à son compère Jidéhem de reprendre la série (il dessinait déjà les décors et même bien plus que cela) mais ce dernier a refusé cet honneur car il ne se sentait pas à l'aise avec une créature de Franquin. Selon les éditions Dupuis, rien n'empêche juridiquement de créer de nouveaux gags, mais il faut que le droit moral soit respecté. Après un arbitrage judiciaire tenu le 30 mai 2023, la publication d'un nouvel album de Gaston Lagaffe a été autorisée, mais il fallait l'accord d'Isabelle Franquin (qu'elle n'a pas eu l'occasion de donner).

Qu'importe, l'album n°22 de Gaston Lagaffe est sorti le 22 novembre 2023, et mon avis est qu'il peut être effectivement considéré comme un plagiat un peu décevant dans le sens où l'œuvre de Franquin est si bien respectée qu'elle est surtout imitée, sans beaucoup d'innovation sinon quelques jeux de mots et clins d'œil avec l'époque actuelle (par exemple, "aïe-phone"). C'est même tellement imité qu'il y a trop de cris, d'énervement, de mouvements alors que Franquin équilibrait mieux avec des dessins plus "calmes". Tous les clichés de Gaston Lagaffe y sont, la mouette, le chat, la boule de bowling, le bilboquet, le jokari, les appeaux animaliers, le plâtre corrosif (au lieu de la cire corrosive), etc. Avec aussi des non-sens, comme De Mesmaeker qui va signer un contrat chez les voisins, qui font des constructions métalliques, au lieu de signer chez Dupuis, un éditeur de bandes dessinées (dont l'activité n'a rien à voir avec les constructions métalliques), etc.

Cela dit, l'amateur de Franquin ne peut que se réjouir de goûter de nouveaux plats, surtout pour honorer le dessinateur pour son centenaire. Au risque de l'indigestion.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (02 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


(La première illustration est un autoportrait de Franquin pour la couverture de son premier tome de ses "Idées noires").


Pour aller plus loin :
Pour ou contre la peine de mort ?
Gaston Lagaffe.
Petite anthologie des gags de Lagaffe.
Jidéhem.
André Franquin.
Morris.

François Cavanna.
Charlie Hebdo.
Art Spiegelman.
Maus.
Jean Teulé.
Dmitri Vrubel.
La fresque qui fait polémique.
Sempé.
Maurits Cornelis Escher.
Reiser.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240103-franquin.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/franquin-et-son-petit-monde-252028

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/12/30/40159607.html







 

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