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23 janvier 2025 4 23 /01 /janvier /2025 12:42

« Jean-François Kahn était un géant et un homme rare. Il incarnait le "centrisme révolutionnaire", l'humanisme et la fidélité. Nous l'aimions. » (François Bayrou, le 23 janvier 2025 sur Twitter).




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Le grand frère est venu rejoindre les deux autres, Olivier, parti il y a vingt-cinq ans, un génie de la chimie, qu'on a dit, et Axel, parti il y a trois ans et demi déjà, connu des plateaux de télévision comme généticien et penseur de l'éthique. L'éditorialiste passionné et essayiste politique Jean-François Kahn est mort ce mercredi 22 janvier 2025 à l'âge de 86 ans et demi.

Ami de François Bayrou de longue date, le journaliste est parti au moment où le président de la formation centriste, devenu Premier Ministre, se retrouve au cœur du gouvernement et des discussions pour faire coexister les institutions dans une Assemblée impossible. Cela aura été trop tard pour ce passionné de la politique à l'indignation trop systématique pour être sereine. Il s'était même engagé aux élections européennes de juin 2009 comme tête de liste du MoDem pour le Grand Est, mais en frôlant un score à deux chiffres, il n'a obtenu qu'un seul siège, trop peu pour siéger lui-même à Strasbourg et laissant la députée MoDem sortante de la région garder son siège.

Rejetant à la fois la gauche marxiste vieillotte mais aussi la droite néolibérale pas moins ringarde, JFK, comme l'appelait ses amis, s'était rapproché de François Bayrou sur sa volonté de sortir du clivage stérile et anachronique entre la droite et la gauche. Mais le risque de déplacer le clivage vers un duel entre le centre et les extrémismes, c'est de faire la part belle aux mouvements populistes et en particulier au parti fondé par Jean-Marie Le Pen qu'il va bientôt croiser quelque part au purgatoire, dans l'attente de l'aiguillage définitif par saint Pierre, si toutefois tout cela existe bien, évidemment ! Inquiet, il a lâché le 11 mai 2023 sur France 5 : « Si on continue les conneries, si on continue à jouer au con, évidemment que l'extrême droite va gagner les élections, évidemment. Alors, ce n'est pas fatal, j'espère qu'il y aura une espèce de réaction, et je ne vois pas qu'est-ce qui peut empêcher qu'on continue à jouer au con ! ». Qui était le "on" ? Sans doute Emmanuel Macron, bien sûr !

Auteur très prolifique, Jean-François Kahn a publié environ quarante-cinq essais politiques parfois très denses (de 1975 à 2024) pour expliquer le cheminement de sa pensée complexe. À l'origine, il ne s'était pas prédestiné au journalisme mais il a eu quand même une carrière d'une cinquantaine d'années très réussie (à partir de 1959) à la fois dans la presse ("Paris-Presse", "L'Intransigeant", "L'Express", "Le Nouvel Obs", "Les Nouvelles littéraires", "Le Monde", "Le Point", "Le Soir"), à la radio (France Inter, Radio-Canada, aussi un duel régulier avec Alain Duhamel sur Europe 1 d'où il a été licencié en 1986 parce qu'il avait traité ses propriétaires de "requins" !) et à la télévision (participant fréquemment à "L'Heure de vérité" sur Antenne 2, et à "C dans l'air" sur France 5), couvrant des événements majeurs comme la guerre d'Algérie, la guerre du Vietnam, l'affaire Ben Barka (qu'il a révélée comme grand reporter avec Jacques Derogy), le Printemps de Prague, la chute de Salvador Allende, etc.

Jean-François Kahn a créé et dirigé deux grands hebdomadaires, "L'Événement du Jeudi" en 1984 et "Marianne" en 1997 dont il a dirigé la publication jusqu'en 2007. Je me souviens d'un numéro de "L'Événement du Jeudi" vers 1985 où la une était consacrée à un sondage d'intentions de vote qui plaçait au second tour d'une élection présidentielle un duel entre l'ancien Premier Ministre Raymond Barre, alors l'une des personnalités politiques les plus populaires, et le Premier Ministre, alors en exercice, jeune et moderne, Laurent Fabius, remisant dans les placards les candidatures de Michel Rocard, Jacques Chirac, voire Lionel Jospin.

"Marianne" était son bébé et même une fois hors de la direction, Jean-François Kahn restait très influent sur la rédaction, n'hésitant pas à souffler fréquemment des titres de une, comme l'a expliqué "Le Monde" le 23 janvier 2025. Dans les premiers années du périodique, JFK remplissait "Marianne" avec cinq pseudonymes ! On ne s'est donc pas étonné de le voir le 6 juin 2024 en pleine contestation contre la vente du journal au milliardaire conservateur Pierre-Édouard Stérin : « Je ne peux cautionner le fait qu’il y ait un acheteur qui, dans tous les domaines, soit l’exact inverse de ce pour quoi nous avons créé le journal. (…) Marianne ne peut devenir la propriété d’un personnage ultralibéral en matière économique, qui n’est pas laïc, et qui n’est pas patriote, car toujours exilé fiscal en Belgique. » a-t-il protesté auprès du journal "Le Monde".


La tentative de vente a finalement échoué, et Jean-François Kahn n'y était sans doute pas étranger. Même s'il affichait de nombreuses divergences politiques, notamment sur l'Europe et le souverainisme, avec l'avant-dernière directrice Natacha Polony (entre 2018 et 2024), celle-ci avait amarré l'hebdomadaire pour faire vivre le débat des idées, ce qui était le but originel des deux créateurs, Jean-François Kahn et Maurice Szafran, qui a affirmé auprès de l'AFP le 23 janvier 2025 que la conception de Jean-François Kahn était la suivante : « Le journalisme était un moyen de comprendre l'histoire, de faire l'histoire et de s'inscrire dans l'histoire. ».

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Lorsque Yann Plougastel a publié le 31 mai 2021 un article sur l'un des dernières livres de JFK, son autobiographie "Mémoires d'outres-vies", pour "Le Monde" (le second tome est paru l'année suivante), il a qualifié l'éditorialiste comme d'un « homme qui n'a cessé de s'intéresser à ce qui sort du cadre » et qui a « [privilégié] la complexité aux certitudes », ou encore d'un « diable d'homme, pour qui le maniement du paradoxe et le recours au pas de côté relèvent de l'éthique » et qui « s’est toujours refusé à être là où on l’attendait ».

Et Yann Plougastel de se demander qui était vraiment Jean-François Kahn à la lecture de ce livre-là : « Qui est-il vraiment ? Un historien devenu journaliste par hasard ? Un grand reporter qui se pique de philosophie ? Un ferrailleur d’idées qui abhorre la pensée unique (il fut l’inventeur de ce concept qu’il laissa ensuite à d’autres) et le politiquement correct ? Un amateur d’opéra qui connaît aussi sur le bout des doigts les chansons de Fréhel, Marie Dubas et Édith Piaf, et fredonne "La Varsovienne" dans la version des chœurs de l’Armée rouge ? Un cinéphile émérite qui, après être tombé sous le charme de "L’Arme fatale" avec Mel Gibson (1987), enjoignait à ses journalistes de démarrer leurs papiers avec le même rythme soutenu que ce film ? Un fumeur de cigares qui met le feu à la poubelle de son bureau de la rue Christine, dans le 6e arrondissement parisien, en s’en servant comme d’un cendrier, et l’éteint avec l’eau du bocal où nageait un poisson rouge offert par sa femme, sacrifiant ledit poisson (anecdote vécue par l’auteur de ces lignes qui travailla quinze ans sous sa direction, et à qui il fit jurer de ne jamais révéler cet incident après lui avoir enjoint d’acquérir fissa un nouveau poisson rouge quai de la Mégisserie sur note de frais) ? Un amateur de bonne chère et de plats roboratifs qui se gausse d’un Jean-Jacques Servan-Schreiber, son patron à "L’Express", ne mangeant que des avocats vinaigrette et, du coup, défendant, selon lui, une ligne éditoriale aussi peu enthousiasmante que le libéralisme light de Jean Lecanuet ? Un distrait qui, dans un avion au départ du Caire, se retrouve assis à côté d’un individu ressemblant vaguement à un notaire, lequel s’avère être Yasser Arafat sans son keffieh ? Un homme de son temps, qui n’a pas son permis de conduire, ne sait pas taper à la machine et ne parle pas anglais (en revanche, côté latin-grec, il assure, ce qui est pratique pour couvrir la guerre des Six-Jours, en juin 1967) ? Un ancien militant communiste, passé au réformisme, qui, dégoûté par les trahisons successives des sociaux-démocrates, opta pour des convictions "plus révolutionnaires", à savoir le centrisme. "Je me suis surpris à déborder la gauche molle à partir d’un centrisme dur", plaide-t-il ? ».

La note bibliographique du "Monde" de mai 2021 donnait ainsi des échantillons éloquents de sa « plume incisive » piochés dans les descriptions des personnalités qu'il a côtoyées, en particulier celles-ci. De Gaulle : « Il y a des gens qui sont, dans la vie, "Tartuffe" ou "Le Père Goriot" ou "Le Contrat social". De Gaulle était à lui tout seul "Les Mémoires d’outre-tombe" et "La Légende des siècles". ». Raymond Barre : « Il était à la démagogie ce que le marquis de Sade fut à l’Immaculée Conception. Il parlait vrai. ». Valéry Giscard d'Estaing : « Il parlait comme David peignait avant de se découvrir jacobin. Sa manière évoque un meuble Directoire que l’on aurait juste un peu trafiqué pour lui donner un petit air Régence. ».

Le penseur pouvait faire des boulettes, l'une des plus grosses a été sa réaction dans l'affaire DSK (Dominique Strauss-Kahn était un ami) avec cette sortie particulièrement malvenue et inutilement sexiste le 16 mai 2011 sur France Culture : « Si c’est un troussage de domestique, c’est pas bien ! » (sortie qui choquerait encore plus aujourd'hui !). Il s'en était rendu compte, avait présenté ses excuses et avait même renoncé à son métier de journaliste (sa dernière chronique dans "Marianne" date du 27 mai 2011), mais le mal était fait et la polémique avait fait grand bruit. Question de génération, diraient les plus généreux. Dans son blog, JFK confirmait que son expression était « injustifiable » : « L'expression n'en était pas moins totalement inacceptable. J’ai rarement vécu une telle déchirure intérieure. Il faut l’assumer. ». ll disait aussi le 23 mai 2011 dans "Le Monde" : « Un combat de 50 ans jeté aux oubliettes pour deux mots aussitôt répudiés, vous approuvez cela ? (…) Si vous approuvez, eh bien j’en tirerais les leçons. Car, moi, je ne veux pas d’un tel monde. ».

Son combat de cinquante ans ne sera pas jeté aux oubliettes, qu'il se rassure ! Il laisse à ses amis et à ses lecteurs un grand nombre d'essais politiques (quarante-cinq, ai-il indiqué) qui resteront une trace intellectuelle indélébile de son passage ici-bas. Toutes mes condoléances à la famille.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 janvier 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La pensée complexe.
Candidat du MoDem.
Portrait croisé Jean-François Kahn et Axel Kahn.
Les idéologues de la droite libérale.
Jean-François Kahn.
Axel Kahn.
Philippe Val.
Sophia Aram.
Claude Allègre.
Hubert Reeves.
Alain Peyrefitte.
Jean-Pierre Elkabbach.
Patrick Cohen.
Fake news manipulatoires.
Bernard Pivot.
Christine Ockrent.
Vive la crise !
Yves Montand.
Jean Lacouture.
Marc Ferro.
Dominique Baudis.
Frédéric Mitterrand.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Christine Angot.
Jean-François Revel.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.


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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250122-jean-francois-kahn.html

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/jean-francois-kahn-l-intellectuel-258859

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/23/article-sr-20250122-jean-francois-kahn.html




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3 octobre 2024 4 03 /10 /octobre /2024 03:51

« Un homme (…), qui voit toute sa vie à demeurer l'exact contemporain de son époque. Jean-Pierre Elkabbach voulait en être. En être de son époque, pleinement. En être des vedettes, des gens qui comptent, des princes du temps. En être, surtout, de l'histoire qui s'écrit et se raconte, se transmet et demeure. » (Emmanuel Macron, le 9 octobre 2023 à Paris).


 


Et il s'est tu. À la suite d'un accident et d'une maladie. Le journaliste Jean-Pierre Elkabbach est mort il y a un an, le 3 octobre 2023 à l'âge de 86 ans. Il représente pour beaucoup la compétence du journaliste, mais aussi sa trop grande proximité avec le pouvoir, quel que soit le pouvoir.

Jean-Pierre Elkabbach était un excellent journaliste dans le genre intervieweur, celui qui accouche les esprits, celui va chercher jusqu'à des personnalités improbables, peu connues du grand public mais qui ont beaucoup de choses intéressantes à raconter, en politique mais aussi en culture, en science, etc., et il était aussi un patron de presse très gourmand, voire un peu trop ! Sa notoriété, elle lui est venue d'avoir présenté le journal télévisé de la première chaîne de 1970 à 1972 puis de la seconde chaîne de 1972 à 1974, ce qui assurait une rapide célébrité, mais, au contraire de Christine Ockrent, Jean-Pierre Pernaut, Patrick Poivre d'Arvor, Yves Mourousi, Claire Chazal et quelques autres, ce n'était pas le cœur de ses passions audiovisuelles.

Patron de presse : il a été (entre autres) président de France Télévisions de 1993 à 1996, puis président de Public Sénat de 1999 à 2009 et président d'Europe 1 de 2005 à 2008. Intervieweur de talent : (entre autres) avec l'émission "Carte sur table" aux côtés du brillant politologue
Alain Duhamel sur Antenne 2 de 1977 à 1981 (d'où est née l'expression "Taisez-vous Elkabbach !" que n'aurait pas hurlé directement Georges Marchais, mais simplement son génial imitateur Thierry Le Luron), l'émission "Découvertes" sur Europe 1 de 1981 à 1987 (une émission quotidienne de 18h à 19h, assez longue pour comprendre en profondeur le message de son invité), la matinale d'Europe 1 de 1997 à 2017 ainsi que l'excellente émission culturelle "Bibliothèque Médicis" sur Public Sénat de 1999 à 2018.

Il a par ailleurs été la "vedette" de trois événements audiovisuels : c'est lui, aux côtés d'Étienne Mougeotte, qui a annoncé à la France entière la victoire de
François Mitterrand le 10 mai 1981 à 20 heures sur Antenne 2, une séquence de télévision qui a été très fréquemment reprise pour évoquer la victoire socialiste, avec sa disgrâce audiovisuelle, Jean-Pierre Elkabbach ayant été trop associé au septennat de Valéry Giscard d'Estaing ; ce qui ne l'a pas empêché de devenir un confident très particulier du successeur, François Mitterrand qui lui a accordé l'émission sans doute la plus importante de sa carrière, une interview à l'Élysée le 12 septembre 1994 sur France 2 pour évoquer son passé pendant la guerre, ses amitiés troublantes et sa fille Mazarine ; enfin, il a été beaucoup critiqué dans son mode de gestion sur France Télévisions, permettant à des producteurs-animateurs de s'enrichir énormément avec de l'argent public, ce qui l'a conduit à démissionner.

Tout cela, le Président de la République, dans un
hommage prononcé le 9 octobre 2023 dans les locaux même France Télévisions à Paris, l'a rappelé. Emmanuel Macron s'est souvenu de cette émission mémorable du 12 septembre 1994 avec son lointain prédécesseur socialiste : « Ainsi, les téléspectateurs virent deux hommes, deux vies françaises, deux rapports au pouvoir et au destin. Un Président frappé par la maladie, défendant son parcours à travers une époque de clair-obscur. Un journaliste se hissant à la hauteur du moment, implacable et subtil, intraitable et concentré. Ce moment dit tout du journaliste qu’était Jean-Pierre Elkabbach. Un journaliste qui voulait porter la plume, le Nagra, la caméra dans les plaies de l'époque. Un homme de presse avec ce que son métier, selon lui, supposait de proximité, de chaleur, de voisinage, avec les grands de France et du monde. Un patron qui avait le génie de fomenter, d'obtenir, d'organiser des coups naturellement, spontanément, instinctivement. ».

Le chef de l'État a aussi rappelé son professionnalisme : « Jean-Pierre Elkabbach, à force de vouloir écrire l'Histoire, s'y brûla parfois. Sa participation au
mai 68 de l'ORTF lui valut d'un court bannissement, mais parce qu'il exigeait, selon ses propres mots "du rythme et des idées", qu'il travaillait jour et nuit, obsédé et possédé par son métier, Jean-Pierre Elkabbach revint et reprit sa marche vers les sommets. ».
 


Pour montrer sa puissance d'innovation, Emmanuel Macron a cité son émission "Actuel 2" sur Antenne 2 en 1974 : « Le titre était un hommage à Albert Camus. Il était aussi comme sa devise personnelle, demeurer actuel. Dans cette émission profondément novatrice, on put voir alors ce qu’on ne voyait pas ailleurs : Brigitte Bardot interrogée par Nathalie Sarraute sur son manque de solidarité avec la cause des femmes. Jean-Edern Hallier, chroniqueur social des luttes de Lip face à François Mitterrand. René Dumont défendant un mot alors presqu’inconnu, celui d’écologie. Ou Delphine Seyrig racontant le procès de Bobigny. ».

Et d'ajouter : « Toujours, le journaliste voulait être de son temps. Cela supposait de bousculer, comme de faire émerger les talents, tels Gérard Holtz, Hervé Claude, Claude Sérillon, Nicole Cornu-Langlois, Noël Mamère, Daniel Bilalian, Patrick Poivre d'Arvor, et tant d’autres, d’inventer la rubrique Météo avec Alain Gillot-Pétré. Il fallait être toujours sur la brèche, transgressif et travailleur. ».

Marqué aussi par l'émission "Découvertes" sur Europe 1 : « Avec
Philippe Gildas, le directeur d’antenne, avec Béatrice Schönberg, tous les après-midis, Jean-Pierre Elkabbach se remit à faire ce qu’il savait faire de mieux : capturer l’esprit du temps, lire la modernité artistique, sociale, culturelle, sociologique et en déduire des émissions. La sienne s’appelait logiquement "Découvertes" et naviguait de Raymond Aron à Thierry Le Luron, des spectacles parisiens aux reportages en région. ».

Emmanuel Macron insista sur le talent d'intervieweur dont il fut l'une des victimes : « Ce serait une litote de dire que Jean-Pierre Elkabbach était un intervieweur redoutable, sans doute l'un des plus travailleurs, des plus rusés, le plus théâtral, le plus aguerri. Combien s'y sont fait prendre ? "Celui-là, la prochaine fois qu'il reviendra me voir, il aura appris la messe par cœur" concluait le journaliste après avoir terrassé un impétrant. N’hésitant pas à voler les invités à la concurrence, il cherchait à repérer les visages de demain en même temps que les valeurs du moment. Beaucoup, j’en suis, y accomplirent une sorte de baptême du feu. Les interviews de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1, puis brièvement sur CNews, entrèrent dans la légende, entrèrent même dans la liturgie de notre République. Il y avait les mardis et les mercredis, les questions au gouvernement et tous les matins, les questions de Jean-Pierre Elkabbach. Ses interviews se jouaient cartes sur table, opéraient toujours de vraies découvertes, ambitionnaient d'être actuelles, comme un résumé de toute sa carrière. ».

 


Paradoxalement, l'homme de cultures et de lectures qu'était Jean-Pierre Elkabbach n'a pas laissé beaucoup d'écrits. Il était un homme de l'audiovisuel, avec sa voix agréable et reconnaissable parmi toutes, mais pas une plume très prolifique. S'il a publié quatre ouvrages, il n'en a véritablement sorti qu'un seul exposant sa vie, un an avant sa mort, le 27 octobre 2022, son autobiographie (avec l'aide de Martin Veber), "Les Rives de la mémoire" dont les premiers mots évoquent son origine : « Je suis un enfant de la Méditerranée, de son soleil, de ses rivages arides, de la mer. J'ai quitté Oran, la ville où je suis né, à l'aube de ma vie d'adulte. C'était le début de la guerre d'indépendance. L'Algérie que je laissais derrière moi était devenue un pays de violence et de mort. Je suis parti sans regret. Pendant toute mon adolescence, je ne pensais qu'à cela : fuir Oran, cette ville sans horizon, rejoindre la France et surtout Paris, où tout me semblait possible. ».

Le professionnalisme de Jean-Pierre Elkabbach a transpiré pendant toute sa carrière, et il y a mille et un exemples. J'en prends un car il est très intéressant. Depuis qu'il fait de la politique,
Laurent Fabius n'est pas vraiment ma tasse de thé. Je n'ai jamais apprécié sa condescendance et son esprit partisan. Néanmoins, j'étais très étonné qu'on lui reprochât d'avoir été mêlé au scandale du sang contaminé car j'avais le souvenir, au contraire, qu'il avait, en tant que Premier Ministre, eu le courage d'anticiper les risques avec le sida. Je suis donc très heureux de lire dans l'autobiographie de Jean-Pierre Elkabbach le même genre de réflexion.

Il a eu de très mauvaises relations avec Laurent Fabius dont il a pourtant été le premier intervieweur en 1975 sur France Inter (invité avec
Jacques Attali pour promouvoir son premier livre). En effet, pendant la campagne présidentielle de 1981, Laurent Fabius, directeur de campagne de François Mitterrand, ne voulait pas que Jean-Pierre Elkabbach invitât Michel Rocard à la télévision. Il lui a téléphoné ainsi : « Il en est hors de question. Je suis le directeur de campagne, je ne veux pas de lui à l'antenne. ». Réponse immédiate : « Oui, mais le directeur de l'information, c'est moi, et c'est ma décision. ». Réplique et menace à peine voilée : « Si nous gagnons, vous allez voir ce que nous ferons des gens comme vous ! ». Mais il ne s'est pas laissé intimider : « Écoutez, faites ce que vous voulez. Ce soir, moi, je vous emm@rde ! ». Cela donne une idée du caractère bien trempé.

Évidemment, la gauche est arrivée au pouvoir et les relations entre Jean-Pierre Elkabbach et Laurent Fabius furent exécrables. Jusqu'à l'affaire du sang contaminé : « Pendant des années, il me poursuivit de sa rancune. Nos relations s'apaisèrent dans la tourmente de l'affaire du sang contaminé. Partout, on entendait que Fabius n'avait rien vu et avait failli. Or j'avais suivi les débats et je fis remarquer lors d'une émission qu'on lui faisait subir un mauvais procès. En effet, l'ancien Premier Ministre avait été le premier haut responsable à réagir aux alertes. Dès le 19 juin 1985, il avait prononcé devant une Assemblée Nationale indifférente le dépistage obligatoire des donneurs de sang afin d'éviter les contaminations lors des transfusions. Mon intervention n'était que justice et simple rappel des faits. Je n'aimais pas l'acharnement dont il était l'objet. Il m'appela pour me remercier et nous nous revîmes. J'étais l'un des rares à avoir publiquement pris sa défense. ».

Et de commenter sa relation jusqu'à sa mort : « Par la suite, nos rencontres furent empreintes d'une amabilité courtoise dont ni l'un ni l'autre n'était dupe. Aujourd'hui, la Présidence du Conseil Constitutionnel lui va bien. Il applique avec les huit sages la même méthode qu'avec moi : distance et parole rare. ». Un exemple : « Quand je le conviais aux matins d'Europe 1, il répondait avec parcimonie à mes invitations, mais il venait. Généralement, après l'entretien, les journalistes de la rédaction se pressaient autour de l'invité pour poursuivre les échanges plus librement, en quête de révélations. Leurs coqueluches étaient
Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron, Bernard Arnault, François Hollande et Arnaud Montebourg. Laurent Fabius, lui, faisait salle vide, victime de sa condescendance. ». Le journaliste conclut sur sa rancœur de ne pas avoir pu être Président de la République, dépassé par Michel Rocard, Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn, François Hollande... : « Un Président de la République vit la solitude du pouvoir. Laurent Fabius est un solitaire sans pouvoir. ».

Dans ce livre, qui rapporte une soixantaine d'années de carrière de journaliste politique, Jean-Pierre Elkabbach a bien sûr brossé bien des portraits de responsables politiques, dans sa franchise crûe de son point de vue.

Jean-Pierre Elkabbach a fait aussi état de l'une de ses dernières conversations avec Emmanuel Macron qui l'avait invité à un déjeuner en tête-à-tête en septembre 2022. Question de l'intervieweur professionnel sur l'accomplissement majeur du second quinquennat : « Cela se révélera après, comme dans un
tableau impressionniste. Sur le moment, on ne perçoit que des taches de lumières et c'est en prenant du recul que l'image apparaît dans sa force et sa clarté. Je veux réformer pour assurer notre indépendance nationale. Notre victoire serait que nos enfants puissent encore choisir leur destinée. ».

Et le journaliste a compris la grande frayeur du Président : « En 2027, Emmanuel Macron devra passer la main. Par-dessus tout, il redoute de transmettre sa charge à
Marine Le Pen et à l'extrême droite, qui croient leur heure arrivée. Pour l'éviter, il lui faut réussir son second quinquennat. Ensuite, rien ne l'empêchera de poursuivre son engagement politique et d'incarner l'Europe. Ce n'est pas à lui de régler sa succession, mais il doit promouvoir la génération qui a émergé grâce à lui, Élisabeth Borne, Julien Denormandie, Gabriel Attal, Sébastien Lecornu et surtout Jean Castex, qui quitta Matignon populaire, malgré la crise du covid. Il est l'un des rares à ne pas penser encore au rôle qu'il pourrait tenir en 2027. Avec sa simplicité, sa liberté, il est proche des Français et sait trouver les mots. Pourquoi me fait-il penser à Georges Pompidou à ses débuts ? Si aucune figure du "nouveau monde" ne se détache, le macronisme restera une parenthèse, refermée dès le départ de l'Élysée de son inspirateur, il est le premier à le savoir. La lutte pour le pouvoir, son exercice, les alliances qui se nouent et se dénouent, les opportunités que l'on saisit, les reniements, les ruptures laissent peu de place aux sentiments. La vie politique est impitoyable et requiert un sens aigu de la dissimulation. ».

Dans cette réflexion, comme figures du macronisme, Jean-Pierre Elkabbach a toutefois oublié
Édouard Philippe, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire (il en a parlé un peu avant : « Il s'est révélé être un des piliers des deux quinquennats, utile pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine. Toutes les grandes décisions, il les discute directement avec le chef de l'État. Pourquoi, pense-t-il, ne pourrait-il pas lui succéder à l'Élysée ? »). En revanche, il avait bien vu pour Gabriel Attal dont il n'a pas su qu'il allait être nommé à Matignon.

Son livre se referme sur ces phrases : « Ma soif de connaissance, d'exploration, ne procède pas du journalisme. Elle était là dès l'enfance et c'est elle qui m'a conduit à mon métier. Pendant longtemps, elle s'est confondue avec lui. Désormais, peu à peu, elle s'en détache et reprend sa liberté. Elle oriente le cours de mes jours, nourrit de nouveaux projets et me mène vers de nouvelles causes. Tout bien réfléchi, ai-je tant changé ? Je n'ai pas guéri de ma curiosité. ». Point final.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 septembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Vous n'avez pas honte ?
Boulimique.
Hommage du Président Emmanuel Macron à Jean-Pierre Elkabbach le 9 octobre 2023.
Jean-Pierre Elkabbach.
Patrick Cohen.
Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
Bernard Pivot.
Christine Ockrent.
Vive la crise !
Yves Montand.
Jean Lacouture.
Marc Ferro.
Dominique Baudis.
Frédéric Mitterrand.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Christine Angot.
Jean-François Revel.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.







https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241003-elkabbach.html

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/taisez-vous-elkabbach-256892

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/02/article-sr-20241003-elkabbach.html



 

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6 juillet 2024 6 06 /07 /juillet /2024 03:38

« Les Français méritent mieux que ces méthodes trumpistes. Alors dimanche, ils trancheront démocratiquement, dans les urnes. » (Gabriel Attal, le 5 juillet 2024 sur Twitter).



 


L'extrême droite, c'est la plus basse manipulation politique. On pouvait croire que cette période était révolue, que nous étions entre personnes civilisées. Eh bien, pas du tout ! La campagne électorale du second tour des élections législatives se terminait ce vendredi 5 juillet 2024 à minuit. Mais deux heures avant, nous avons eu droit à une honteuse manipulation politique.

Je l'ai moi-même constaté par hasard en zappant et en tombant à 22 heures 08 sur la chaîne Bolloré CNews qui affichait ce curieux bandeau (avec une faute d'orthographe que je retranscris, on est patriote mais on est nul en français) : « L'éxécutif va suspendre la loi immigration (JDD) ».

Cette information n'était pas anodine : le Premier Ministre Gabriel Attal avait annoncé le 1er juillet 2024 sur TF1 que, dans un souci d'apaisement, il reportait la réforme de l'assurance-chômage dont il devait signer le décret le même jour. Donc, cette possibilité de suspension de la loi Immigration était crédible dès lors que des désistements réciproques avaient eu lieu pour faire barrage à l'extrême droite.

 


De plus, sur le fond, une telle information, si elle était vraie, donnerait une illustration éclatante de l'équation (évidemment fausse) Emmanuel Macron = Jean-Luc Mélenchon.

Une telle information était politiquement très importante pour le choix des électeurs. Et pourtant, aucun autre média ne l'a relayée : ni LCI, ni BFMTV, seulement CNews qui, bizarrement, a désormais le même propriétaire que la source de l'information, à savoir le "Journal du dimanche" (apparemment, Europe 1 a aussi relayé). Il faut savoir que depuis près d'un an, le JDD est un journal d'extrême droite qui n'est plus fiable. C'est ainsi. Comme "France-Soir", comme tant d'autres médias qui ont eu leur heure de gloire et qui ne sont plus qu'une marque qui trompe désormais par son ancienne réputation.

Le JDD titrait exactement : « Info JDD : le gouvernement s'apprête à suspendre la loi Immigration ». L'article mis en ligne vendredi soir mais les lecteurs de JDD l'ont découvert le samedi matin, expliquait : « L'exécutif pourrait envisager de retarder, de suspendre ou même de ne pas promulguer ces dispositions. ». Ce qui est faux puisque la loi a déjà été promulguée, le 26 janvier 2024.

 


Tout s'est passé deux heures avant minuit. Dès 22 heures, très au courant de l'information immédiate (!), le président du RN Jordan Bardella a retweeté l'information du JDD, ce qui est une très grossière manipulation vu la rapidité de la diffusion : « Alors qu'une immense majorité de Français souhaite maîtriser l'immigration, le gouvernement s'apprête à suspendre les quelques maigres mesures de fermeté de la Loi immigration. On peut empêcher cette coalition Macron-Mélenchon sous le contrôle de l'extrême gauche : mobilisation ! ».
 


Comme on le voit, l'extrême droite ne fait pas dans la sophistication, mais dans le gros bourrinage : plus c'est gros, plus ça passe. Mais le gouvernement a immédiatement démenti cette fausse information. Les autres médias ne s'étaient pas donné la peine d'en donner crédit.

À 22 heures 31, Gabriel Attal a réagi, sur le même média, Twitter : « Opérations bien huilée ! Juste avant la fin de campagne, une fausse information reprise immédiatement par le RN dans l'espoir que nous n'ayons pas le temps de répondre, et influer sur le vote. Belle coordination, mais dommage pour vous : information sitôt démentie. Cela ne montre qu'une chose : votre fébrilité. On l'a vue tout au long de cette semaine, où vous avez renoncé à faire campagne. On ne vous a pas vu sur le terrain. Vous avez refusé tous les débats qui vous étaient proposés avec moi cette semaine. Vos candidats eux-mêmes, par centaines, ont déclaré forfait pour les débats de la presse locale et ont joué la chaise vide, espérant masquer leur impréparation. Vous avez paniqué devant le voile levé sur votre programme catastrophique et certains de vos candidats aux propos racistes, antisémites et homophobes. ».
 


Certains militants du RN ont d'ailleurs refusé de croire aux démentis du gouvernement en montrant qu'aucun décret d'application n'avait encore été signé pour la loi Immigration. Sauf que certaines dispositions de la loi peuvent s'appliquer sans avoir besoin de décret d'application.
 


Ce n'est pas nouveau. Une manipulation de même type, c'est-à-dire grossière, de cour de récréation, a eu lieu dans la cinquième circonscription du Maine-et-Loire où le candidat soutenu RN Gilles Bourdouleix avait faussement annoncé qu'il se retirait, laissant ainsi ses deux concurrents Ensemble et NFP déposer leur candidature, et à une heure avant la fin du dépôt de candidature, il s'était finalement représenté, croyant éviter ainsi un désistement en sa défaveur (c'est bien une opération de cour de récréation car la candidate NFP a annoncé finalement qu'elle n'imprimerait pas ses bulletins de vote).

Le Ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a aussi immédiatement démenti : « C'est bien sûr totalement faux. ». Le Ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné, par ailleurs secrétaire général de Renaissance, a réagi pour sa part : « Fake news et manipulation grossière à vingt-quatre heures du scrutin. Le JDD, CNews et Europe 1 s'emploient dans une opération coordonnée avec un parti politique à tromper les électeurs. ». Il comptait saisir le tribunal judiciaire de Paris d'une action anti-fake news.


Le JDD a modifié son article et supprimé le tweet en question dans la journée du samedi. En revanche, Jordan Bardella n'avait toujours pas retiré son tweet.
 


Citoyen parmi d'autres, le docteur Jérôme Marty, président d'un syndicat de médecins, était ulcéré par cette basse manipulation : « Je ne sais pas si l'on mesure bien ce que nous avons vu hier soir (…). Nous avons donc quelqu'un qui prétend aux plus hautes fonctions de l'État qui sciemment participe (organise ?) à un mensonge national électoral. Il faut réaliser l'importance de ce scandale et ce que cela augure des années à venir si l'extrême droite était au pouvoir. Jamais dans notre histoire républicaine une telle manœuvre n'avait été organisée. La proximité entre le groupe Bolloré et le RN est connue. Nous avons donc assisté hier soir à une déstabilisation orchestrée des législatives, une tentative de vol d'une élection par voie de presse. C'est gravissime. Cela pourrait-il casser ces élections. ».

La démocratie est toujours trop faible quand elle ne réagit pas aux attaques qu'elle subit sans arrêt. Heureusement, il y a un moyen simple et clair pour réaffirmer l'attachement aux valeurs républicaines et démocratiques, cela s'appelle le vote et c'est dimanche.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 juillet 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Fake news : la scandaleuse manipulation politique du RN.
Loi Immigration.
Le nouveau JDD.
Le nouveau patron du JDD.
 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240705-manipulation-jdd.html

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/fake-news-la-scandaleuse-255668

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/06/article-sr-20240705-manipulation-jdd.html



 

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24 avril 2024 3 24 /04 /avril /2024 03:57

« Quand on était petit, Christine Ockrent présentait le journal de 20 heures sur Antenne 2, c'était entre 1981 à 1985. Il n’y avait que trois chaînes. La deuxième chaîne réunissait alors 20 millions de Français par jour. On l’appelait "la reine Christine". Elle est la première femme titulaire et rédactrice en chef du 20 heures. À force de dîner avec elle, elle est devenue un membre à part entière de nos familles. » (Sonia Devillers, le 12 mai 2023 sur France Inter).


 


La journaliste Christine Ockrent fête son 80e anniversaire ce mercredi 24 avril 2024. Présentatrice du journal télévisé de 20 heures au début des années 1980, elle était, avec Patrick Poivre d'Arvor, la star des journaux télévisés de l'époque. Elle était aussi, avec Anne Sinclair, l'une des deux reines de l'information à la télévision, chacune opérant avec un grand professionnalisme mais aussi une certaine dose de séduction.

Elle est d'abord belge, née dans la capitale non seulement de la Belgique mais aussi de l'Europe. Son père Roger Ockrent a été le chef de cabinet de Paul-Henri Spaak, Premier Ministre belge et considéré comme l'un des Pères de l'Europe. Comme Catherine Nay (avec Albin Chalandon), Anne Sinclair (avec Dominique Strauss-Kahn), Béatrice Schönberg (avec Jean-Louis Borloo) et bien plus tard, Audrey Pulvar (avec Arnaud Montebourg) et Léa Salamé (avec Raphaël Glucksmann, candidat tête de liste du PS aux élections européennes de 2019 et de 2024), elle partage, depuis une quarantaine d'années, sa vie avec un homme politique (et futur, ancien, ministre), Bernard Kouchner, le médecin distributeur de grains de riz des années 1990. Elle a étudié à l'IEP Paris (diplômée en 1965) et à l'Université de Cambridge, et a commencé en 1967 sa carrière de journaliste aux États-Unis.

Sa notoriété est arrivée avec la décision de Pierre Desgraupes, président d'Antenne 2, en octobre 1981, de la mettre à la présentation du journal télévisée de 20 heures. Christine Ockrent a été rapidement sacrée reine des médias par les téléspectateurs qui n'avaient pas beaucoup l'habitude de voir une femme à cette fonction très intime, puisque, comme le rappelle sur France Inter la productrice Sonia Devillers, les officiants du journal télévisé s'invitaient aux dîners quotidiens des Français (enfin, pour ceux qui dînaient en regardant la télévision ; ce qui n'était pas le cas de mes grands-parents qui dînaient avant de regarder la télévision !). Elle y est restée jusqu'en juin 1985, en alternance avec PPDA (puis de septembre 1988 à décembre 1989 après un passage à RTL et TF1). En particulier, elle a participé à l'émission "Vive la crise !" présentée par Yves Montand et diffusée le 22 février 1984 pour se prêter au jeu d'un faux journal crédible. À cette époque, elle était parmi les plus médiatiques, recevant deux Sept d'or en 1985 (7 d'or du meilleur présentateur de journal télévisé, en l'occurrence présentatrice !, et Super 7 d'or).

En 1992, elle est retournée à la présentation du journal télévisé sur France 3 pour "Soir 3" entre septembre 1992 et septembre 1994, mais surtout, entre novembre 1992 et février 2008, avec des noms d'émission différents ("À la une sur la 3", "Dimanche soir", "Politique dimanche", "France Europe Express", "Duel sur la 3"), elle a animé le dimanche soir un duel entre deux éditorialistes, Serge July ("Libération") et Philippe Alexandre (RTL). Le trio a été rendu célèbre par "Les Guignols de l'Info" sur Canal Plus avec leurs marionnettes qui n'oubliaient pas "la poire et les cahuètes de chez M'ame Crissine". L'émission était parfois, selon la formule, coanimée par Gilles Leclerc.

 


Christine Ockrent a été également directrice de la rédaction de l'hebdomadaire "L'Express" d'octobre 1994 à mars 1996 (une greffe avec la presse écrite qui ne s'est pas bien faite), et sa boulimie des années 1990 et 2000 la conduisait à proposer des éditoriaux réguliers aussi pour Canal J, "Info-Matin", Europe 1 (participant à la grande émission politique hebdomadaire de la station "Le Club de la Presse"), BFM, "La Provence", "Metro", TV5, France 24, etc.

Si Christine Ockrent est partie de France 3 le 17 février 2008, c'était tout simplement parce qu'elle venait de recevoir son bâton de maréchale : elle a été nommée le 20 février 2008 par le Président de la République Nicolas Sarkozy directrice générale déléguée de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), que venait juste d'être créé, rebaptisé le 27 juin 2013 France Médias Monde (nommée sur proposition de son président Alain de Pouzilhac), et à ce titre, directrice générale déléguée des deux entités, la télévision France 24 et la radio RFI (Radio France Internationale), la voix de la France à l'étranger.

Son aventure à ce poste de numéro deux n'a pas duré très longtemps, jusqu'en septembre 2011. Elle a été particulièrement contestée dans sa gestion par le management des deux chaînes avec des épreuves de force inédites dans l'audiovisuel (refus d'assister aux réunions, etc.), avec une affaire d'espionnage des ordinateurs du personnel, etc. Par ailleurs, les relations étaient très tendues entre Christine Ockrent et Alain de Pouzilhac. Sa nomination elle-même a prêté le flanc à la critique car l'AEF dépendait de la tutelle du Ministère des Affaires étrangères ; or le ministre depuis mai 2007 n'était autre que Bernard Kouchner, son compagnon (les syndicats de journalistes ont vivement souligné le risque de conflit d'intérêt). À partir de janvier 2010, la tutelle a été attribuée au Ministère de la Culture. Christine Ockrent a jeté l'éponge en mai 2011 en donnant sa démission et en déposant plainte pour harcèlement moral (en novembre 2010, Bernard Kouchner a quitté le Quai d'Orsay dont c'était aussi le bâton de maréchal).

À partir de février 2013, Christine Ockrent a repris l'antenne, cette fois-ci sur France Culture pour une chronique hebdomadaire le samedi sur des thèmes internationaux. Son expertise journalistique est la géopolitique et c'est ce thème qui revient très souvent parmi les vingt et un essais dont elle est l'auteure, en particulier sur la politique intérieure américaine (elle avait annoncé la victoire d'Hillary Clinton en 2016), les oligarques russes, le régime théocratique iranien, le régime saoudien, le régime communiste chinois, etc.

Petits échantillons. Sur l'Arabie Saoudite, malgré le prince séducteur Mohammed Ben Salmane : « En l’absence de chiffres officiels, Amnesty International estime que quelque cinq cents exécutions ont été pratiquées depuis l’avènement du roi Salman. Une cinquantaine de personnes ont été exécutées lors des premiers mois de 2018, dont la moitié pour des affaires de drogue sans violence, dénonce de son côté Human Rights Watch. Dans le cas d’individus ayant commis des crimes ou des vols particulièrement scandaleux, une fois la tête recousue, leur cadavre est parfois crucifié et exposé en public. Le vol entraîne l'amputation de la main droite et quelquefois des pieds. Sont punis de mort le blasphème, l’homosexualité, la trahison et le meurtre. L’adultère expose la femme mariée à la mort par lapidation ; cent coups de fouet châtient son partenaire. » (2018). Sur Vladimir Poutine : « La dissolution de l’Union Soviétique a été "la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle". Il lui revient donc de restaurer la Russie dans sa gloire, d’effacer ses humiliations, de redorer son Église orthodoxe, d’embrasser les icônes et de brûler les encens, de lui rendre son statut de puissance globale, d’exalter sa victoire contre le fascisme, de célébrer les symboles de sa force ancienne, quitte à ressusciter ceux du communisme. » (2014). Sur les services secrets : « Quand on a, par métier, regardé le dessous de table et l'envers des cartes pendant longtemps, il ne reste plus que trois attitudes : ou préparer une liste de gens "à flinguer", ce qui est fastidieux et illégal, ou se flinguer soi-même, ce qui est inconfortable, ou faire l'appel à une vertu cardinale, le sens de l'humour, ce qui permet de sourire pour le restant de vos jours. » (1986). Le secret de Xi Jinping pour durer : « Xi Jinping interdit d'ordinaire toute mise en cause publique du passé, "le nihilisme historique" et la transparence seraient responsables, selon lui, de l'écroulement de l'Union Soviétique dont il ne cesse de ressasser l'exemple. » (2023). Sur Hillary Clinton : « Quel a été son rôle : celui de l'épouse bornée et trompée ou celui de la complice hypocrite ? Est-elle jusqu'au bout une femme cocue ou une partenaire cynique ? Entre les deux hypothèses, l'Amérique ne cessera d'osciller. Les bien-pensants opinent : qu'elle préserve les apparences, l'institution et sa famille ! Les féministes trépignent : qu'elle le quitte ! Qu'à l'image de sa génération, elle préserve la dignité de la femme bafouée et libérée ! Dans ses Mémoires, Hillary se contentera de cet argument, qui ne va pas loin dans la confidence mais qui correspond sans doute à sa conviction profonde : "Je voulais lui tordre le cou, mais il n'était pas simplement mon mari : il était le Président des États-Unis". » (2016).

En 2023, elle est sortie de sa zone de confort en participant à une pièce de théâtre de l'auteur, metteur en scène et comédien libanais Wajdi Mouawad qui avait dû fuir son pays, le Liban, en 1982 (il était alors adolescent) et qui n'avait plus de nouvelles de son pays que par Christine Ockrent dans le journal télévisé. Sonia Devillers expliquait ainsi : « [Wajdi Mouawad] reste hanté par la guerre, il ne vit qu'à travers la hantise de la guerre à une époque où il n'y avait ni téléphone portable, ni réseaux sociaux, ni chaîne d'information continue. La seule source d'information pour cette famille étant alors le 20 heures de Christine Ockrent à travers laquelle il fait revivre sa propre histoire. Wajdi Mouawad lui fait dire quelques mots sur sa propre mère, des phrases très belles qui font réfléchir à une forme de déshumanisation quand on raconte la vie des victimes de la guerre en général, en plus de raconter comment on médiatise à l'époque une guerre, telle que celle du Liban. ».


Pour son attention portée aux affaires européennes (en particulier avec l'émission "France Europe Express" de 1997 à 2007), Christine Ockrent a fait partie des cinq journalistes (avec notamment Jean Quatremer, Quentin Dickinson et Guillaume Klossa) à avoir fait partie du comité d'honneur du 50e anniversaire du Traité de Rome en 2007.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Christine Ockrent.
Vive la crise !
Yves Montand.
Jean Lacouture.
Marc Ferro.
Dominique Baudis.
Frédéric Mitterrand.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Christine Angot.
Jean-François Revel.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.

 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240424-christine-ockrent.html

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/la-reine-christine-ockrent-la-254212

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/12/article-sr-20240424-christine-ockrent.html



 

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9 octobre 2023 1 09 /10 /octobre /2023 20:31

(verbatim)


Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241003-elkabbach.html








DISCOURS DU PRÉSIDENT EMMANUEL MACRON
EN HOMMAGE À JEAN-PIERRE ELKABBACH
LE 9 OCTOBRE 2023 AU SIÈGE DE FRANCE TÉLÉVISIONS




 

9 octobre 2023
Hommage du Président de la République
à Jean-Pierre Elkabbach au siège de France Télévisions


Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les préfets,
Monsieur le président de l'ARCOM,
Madame la présidente, merci de nous accueillir,
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités.

Voilà 29 ans, sur Antenne 2, se déroula un moment de télévision qui entra aussitôt dans l'histoire. Le 12 septembre 1994, Jean-Pierre Elkabbach, président des deux chaînes du service public télévisuel, interviewait le président Mitterrand. Trois jours plus tôt, ce dernier avait souhaité se confier, confier sa « part de vérité » sur sa jeunesse française, les années 1930, Vichy, sa Résistance, les liens avec René Bousquet.

La veille Jean-Pierre Elkabbach, qui avait tenu dès sa prise de fonction à ne plus apparaître à l'antenne, était venu proposer des noms de journalistes pour l'entretien. François Mitterrand l'avait interrompu, « ce doit être vous ».

Et ainsi, les téléspectateurs virent deux hommes, deux vies françaises, deux rapports au pouvoir et au destin. Un Président frappé par la maladie, défendant son parcours à travers une époque de clair-obscur. Un journaliste se hissant à la hauteur du moment, implacable et subtil, intraitable et concentré. Ce moment dit tout du journaliste qu’était Jean-Pierre Elkabbach. Un journaliste qui voulait porter la plume, le Nagra, la caméra dans les plaies de l'époque. Un homme de presse avec ce que son métier, selon lui, supposait de proximité, de chaleur, de voisinage, avec les grands de France et du monde. Un patron qui avait le génie de fomenter, d'obtenir, d'organiser des coups naturellement, spontanément, instinctivement.

Un homme, enfin, qui voit toute sa vie à demeurer l'exact contemporain de son époque. Jean-Pierre Elkabbach voulait en être. En être de son époque, pleinement. En être des vedettes, des gens qui comptent, des princes du temps. En être, surtout, de l'histoire qui s'écrit et se raconte, se transmet et demeure.

Et est-ce, comme il le raconte, ce premier souvenir où, depuis le balcon sur la mer à Oran, encore enfant, il aperçut les troupes des Alliés investir l'Afrique du Nord en novembre 1942 ? Et est-ce cette fidélité à ce père, mort quand il avait 12 ans, à la synagogue, un jour de Yom Kippour, et dont il se promit aussitôt de porter le nom d'Elkabbach jusqu'à la gloire ?

Était-ce ce goût d'être en scène quand, adolescent dans une Algérie où le dénuement de sa famille n'empêchait pas les bonheurs simples des baignades au Cap-Faron, il s'imaginait triomphateur des théâtres parisiens ? Le jeune homme, né en 1937, sans fortune mais boursier méritant, poussa un jour de 1960 la porte de Radio-Alger. Il partit alors en reportage dans les Djebels. Témoin privilégié d'une guerre d'Algérie qui n'en finissait pas, il assista sur la place du Forum en avril 1961, à la tentative de putsch des Généraux, et devint aussi chemin-faisant l'interlocuteur de Ben Bella, comme l'ami d'un jeune officier du nom de Bouteflika.

Et puis, ce fut l'embauche à Paris, à l'ORTF. Il suivit alors le Général De Gaulle dans tous ses déplacements. Un jour de 1964, Jean-Pierre Elkabbach se trouvait à Buenos Aires dans le cortège présidentiel. La nouvelle parvint depuis l'URSS de la chute politique de Nikita Khrouchtchev. En plein cocktail diplomatique en Argentine, Jean-Pierre Elkabbach tenta aussitôt d'obtenir un commentaire du Général qui le renvoya sèchement à une future conférence de presse. Déçu, le journaliste suivit tout de même, un peu à l'écart, le Général au cours du cocktail. Et ce dernier, face à une interlocutrice d’argentine qui l'entretenait de propos banals, s'exclama sans prévenir « Sic transit gloria mundi ». Jean-Pierre Elkabbach capta ce son présidentiel et le diffusa. L'Elysée ne démentit pas, la citation devint la réaction officielle de la France aux événements d’URSS. Décidément, un bon journaliste doit forcer la chance.

Jean-Pierre Elkabbach, à force de vouloir écrire l'Histoire, s'y brûla parfois. Sa participation au mai 68 de l'ORTF lui valut d'un court bannissement, mais parce qu'il exigeait, selon ses propres mots « du rythme et des idées », qu'il travaillait jour et nuit, obsédé et possédé par son métier, Jean-Pierre Elkabbach revint et reprit sa marche vers les sommets.

Présentateur du journal de la première chaîne en 1970, puis de la seconde en 1972, il accédait enfin à la célébrité. Il avait l'obsession de ne rien manquer de son époque. Il rédigeait les titres, dictait les textes aux prompteurs, détectait dans le même mouvement les tendances profondes du moment. « Quoi de neuf ? » demandait-il toujours, et sa vie durant pour ouvrir une conversation, « Quoi de neuf ? ». En 1974, il inventa l’émission pour répondre à la question : Actuel 2. Le titre était un hommage à Albert Camus. Il était aussi comme sa devise personnelle, demeurer actuel. Dans cette émission profondément novatrice, on put voir alors ce qu’on ne voyait pas ailleurs : Brigitte Bardot interrogée par Nathalie Sarraute sur son manque de solidarité avec la cause des femmes. Jean-Edern Hallier, chroniqueur social des luttes de Lip face à François Mitterrand. René Dumont défendant un mot alors presqu’inconnu, celui d’écologie. Ou Delphine Seyrig racontant le procès de Bobigny.

Après être passé sur France Inter, Jean-Pierre Elkabbach revient sur la deuxième chaîne, devenue Antenne 2, dirigée par Marcel Jullian, cette chaîne qui se voulait la chaîne de l’innovation et du mouvement. Toujours, le journaliste voulait être de son temps. Cela supposait de bousculer, comme de faire émerger les talents, tels Gérard HOLTZ, Hervé CLAUDE, Claude SERILLON, Nicole CORNU-LANGLOIS, Noël MAMÈRE, Daniel BILALIAN, Patrick POIVRE D’ARVOR, et tant d’autres, d’inventer la rubrique Météo avec Alain GILLOT-PÉTRÉ. Il fallait être toujours sur la brèche, transgressif et travailleur.

En 1977 naquit « Cartes sur table ». Le titre était un hommage trouvé par Alain DUHAMEL à Agatha Christie. Et en effet, il s’agissait bien d’un face-à-face, presque un interrogatoire de police, un duel intellectuel et théâtral. Avec ce programme, Jean-Pierre Elkabbach et Alain DUHAMEL inventèrent dans notre mémoire collective la grande émission politique française. Le centre de gravité de la République médiatique se déplaça des colonnes des journaux aux lucarnes du petit écran. « Cartes sur table », fut tout une époque. Faire l’événement, toujours. Et décrocher les entretiens avec tous les plus grands de la scène française et tous les plus grands de ce monde, de Thatcher à Sadate, quitte à délocaliser s’il le fallait les studios au Caire ou au 10 Downing Street.

Et puis en mai 1981, l’époque, si ce n’est la vie, se devait de changer. L’alternance politique inédite emporta tout. Jean-Pierre Elkabbach, soudain, ne pouvait plus en être. A force d’exposition quotidienne, il était devenu l’incarnation de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Pendant le premier septennat de François Mitterrand, le journaliste trouva refuge à Europe 1. Avec Philippe Gildas, le directeur d’antenne, avec Béatrice Schönberg, tous les après-midis, Jean-Pierre Elkabbach se remit à faire ce qu’il savait faire de mieux : capturer l’esprit du temps, lire la modernité artistique, sociale, culturelle, sociologique et en déduire des émissions. La sienne s’appelait logiquement « Découvertes » et naviguait de Raymond Aron à Thierry Le Luron, des spectacles parisiens aux reportages en région.

Passèrent les reflux et les détours de la vie politique et médiatique. En décembre 1993, voilà presque 30 ans, Jean-Pierre Elkabbach fut désigné président de France 2 et de France 3, bientôt réuni sous un seul toit, celui de cette maison France Télévisions. Face à un TF1 dominant, Jean-Pierre Elkabbach jugea qu'il n'y avait rien à perdre. Pour relever le défi à ses yeux, il fallait surprendre, étonner, être audacieux. Il fallait « oser » selon le slogan en forme d'injonction qu'il lança au début de sa présidence. Alors, Jean-Pierre Elkabbach osa. Il conforta à l'antenne Nagui, mit en avant Arthur, introduisant un jeune animateur de radio nommé Jean-Luc DELARUE dans une mission aux prises avec les questions de société. Cette audace, pour lui, n'avait pas de prix. Elle fut sans doute hors de prix pour l'époque. Il fit de Laurent GERRA le carburant nécessaire au succès renouvelé de Michel DRUCKER dans « Studio Gabriel ». Pendant 3 ans, sous sa direction, le service public fit d'une manière ou d'une autre l'actualité.

En 1996, la fin de cette aventure fut, là encore, précipitée et son départ de France Télévisions, violent. Entre vitesse et imprudence, Jean-Pierre Elkabbach avait osé, avec cette part de transgression et selon ce que lui commandait sa manière, d'aller sans cesse plus loin, encore, plus loin, toujours plus loin. Mais de nouveau abattu, Jean-Pierre Elkabbach repartit de zéro. Il revint à son domaine favori : l'interview politique, celle d’Europe 1 à 8h20, qu'il conduisit pendant presque 20 ans.

Ce moment de radio scanda les matins des Français et les carrières de celles et ceux qui les dirigent ou aspirent à le faire. Ce serait une litote de dire que Jean-Pierre Elkabbach était un intervieweur redoutable, sans doute l'un des plus travailleurs, des plus rusés, le plus théâtral, le plus aguerri. Combien s'y sont fait prendre ? « Celui-là, la prochaine fois qu'il reviendra me voir, il aura appris la messe par cœur » concluait le journaliste après avoir terrassé un impétrant. N’hésitant pas à voler les invités à la concurrence, il cherchait à repérer les visages de demain en même temps que les valeurs du moment. Beaucoup, j’en suis, y accomplirent une sorte de baptême du feu. Les interviews de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1, puis brièvement sur CNews, entrèrent dans la légende, entrèrent même dans la liturgie de notre République. Il y avait les mardis et les mercredis, les questions au gouvernement et tous les matins, les questions de Jean-Pierre Elkabbach. Ses interviews se jouaient cartes sur table, opéraient toujours de vraies découvertes, ambitionnaient d'être actuelles, comme un résumé de toute sa carrière.

Celle-ci se poursuivit jusqu'à la fin avec cette même inquiétude, cette même fièvre permanente. Elle se poursuivit notamment sur Public Sénat, cette chaîne qu'il inventa sur le modèle de « C-SPAN » aux États-Unis. La découverte, toujours, et le lieu aussi, pour laisser libre cours à sa passion pour la littérature. Jean-Pierre Elkabbach lisait les classiques de la littérature comme il lisait avant les autres, les romans français et du monde entier en train de s'écrire. Il offrait des ouvrages à tout le monde, s’enquerrait qu'on avait bien lu, exigeait le compte rendu. Il voulait avoir raison avec Sartre et Aron, à la fois Dostoïevski et Gracian, Le Prince des rêves et Albert Camus avec la fidélité pour cette Algérie qu'il portait en lui.

Toutes ces lectures composaient en quelque sorte une morale singulière qui dérangea souvent. Jean-Pierre Elkabbach scrutait les puissants, les apprivoisait, les contournait. Il aimait exercer le pouvoir autant qu'il redoutait le pouvoir des autres. Il aimait être une référence quand on lui reprochait ses révérences. Le journaliste, dans ses Mémoires, cite cette phrase de Jankélévitch : pour être soi-même, selon le philosophe, « il faut être le même que les autres et un autre que tous les autres ». Dans ce paradoxe, réside la tension parfois incomprise qui le travaillait. Une souplesse pour se conformer aux règles et aussitôt la propension à les transgresser. Une adresse pour obtenir les postes et l'irrépressible élan pour s'en faire congédier. Le conformisme d'apparence et la rébellion oblique, c'était lui. Jean-Pierre Elkabbach, un journaliste de sa génération qui commença sa carrière quand l’ORTF existait et que le président Pompidou enjoignait aux médias publics de « porter la voix de la France ». Il en avait gardé le pli sans doute, mais aussi toute la force, la ruse, l'audace pour s’en affranchir. Passionné pour les livres, parlant de littérature avec celle qui l’admirait plus que quiconque, sa femme, l'écrivaine Nicole AVRIL.

Mesdames et messieurs, Jean-Pierre Elkabbach, finalement réussit à en être, à être de son temps et d'une autre. Cette maison en est aussi une autre preuve. Ce fut lui qui lança les travaux du siège de France Télévisions, pour réunir toutes les branches du groupe, lui qui choisit l'architecte, lui qui n'eut pas l'occasion d'assister à l'aboutissement du chantier.

Cette maison d'ailleurs n'avait jamais été inaugurée. Aujourd'hui, vous avez fait le choix, Madame la présidente, de donner à celle-ci le nom de son initiateur, de celui qui a accompli son destin, entré dans notre histoire par le journalisme. Et votre présence à toutes et tous aujourd'hui, n'aurait pu le rendre plus heureux. Profondément, impatiemment actuel, jusqu'à l'angoisse et l'excès, tel était Jean-Pierre Elkabbach. Et peut-être en cela déjà un peu dans l'Histoire, non seulement dans les archives de l'INA, mais dans la mémoire de millions de Françaises et de Français, et dans celle aussi de tous les journalistes, nombreux, ici aujourd'hui, que sa carrière durant, il a repéré, accompagné, enhardi, épuisé, et même, il faut bien le dire, embauché, congédié, puis réembauché encore.

Aujourd'hui, gardons le souvenir de ce journaliste, de cette énergie, de cette fièvre, de cette exigence, pour lui et pour les autres. Je vous remercie.

Vive la République et vive la France !


Emmanuel Macron, le 9 octobre 2023 à Paris.


Source : www.elysee.fr
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20231009-macron-elkabbach.html













 

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16 août 2023 3 16 /08 /août /2023 05:09

« Nous perdons un des journalistes les plus professionnels de sa génération. » (Karl Olive, Twitter).




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La perte d'une personne, a fortiori de trois personnes est toujours une catastrophe humaine, un effondrement singulier. C'est ce qui s'est passé dans l'après-midi de ce mardi 15 août 2023 avec le crash d'un avion de tourisme dans la Loire à Lavau-sur-Loire. L'avion (un monomoteur Robin DR-400) aurait été complètement disloqué à trois ou quatre mètres de fond.

Hélas, ce genre d'accident arrive parfois. Ainsi, beaucoup ont été bouleversés lors de la disparition, le 6 février 2003, d'Yves Agostini, maire du Mée-sur-Seine (commune de l'agglomération de Melun), en Seine-et-Marne, par ailleurs trésorier départemental de l'UDF, qui a connu un terrible sort similaire.

Le journaliste politique Gérard Leclerc aussi pilotait l'avion. Sa présence dans l'accident a entraîné fort logiquement un écho médiatique plus retentissant que pour d'autres accidents. L'avion a décollé de Loudun, dans le Poitou, où il se rendait régulièrement, membre de l'aéroclub, et devait atterrir à La Baule pour rejoindre son demi-frère, le chanteur Julien Clerc qui devait faire un concert dans la cité balnéaire (à ma connaissance, le concert a été maintenu).

Journaliste politique, Gérard Leclerc, à presque 72 ans (il est né le 2 septembre 1951), a beaucoup travaillé pour le service public, en particulier France Télévisions, et a présidé La Chaîne parlementaire (LCP) de mai 2009 à mai 2015. À partir de 2017, il débattait régulièrement sur la chaîne privée CNews, comme éditorialiste politique dans l'émission de Pascal Praud, "L'Heure des pros". Il avait commencé au journal "Le Monde", et à la radio Europe 1 (où il a rencontré sa future épouse) puis RMC.

CNews, dont la rédaction est très affectée puisque ses journalistes ont perdu un de leurs collègues, a fait des émissions spéciales le mardi soir et le mercredi matin pour rendre hommage à Gérard Leclerc et c'en était presque troublant.

Car Gérard Leclerc pouvait difficilement personnifier CNews, chaîne que certains considèrent comme d'extrême droite (ce qui me paraît inexact), car ce journaliste était d'abord d'un grand professionnalisme et surtout, d'une grande honnêteté intellectuelle. Il était plutôt ce qu'on appellerait un "modéré", c'est-à-dire quelqu'un qui mettait en avant la raison, la raison avant la passion, les raisonnements avant les émotions. La modération ne fait jamais la révolution mais je considère que c'est plus une qualité qu'un défaut, mais si un côté trop lisse pouvait agacé.

Ainsi, Gérard Leclerc mettait régulièrement ses contradicteurs de CNews devant leurs contradictions ; par exemple, il disait qu'on ne pouvait pas fustiger l'immobilisme du Président Emmanuel Macron, le fait qu'il ne fasse pas de réforme (sur l'immigration, par exemple), et en même temps, dénigrer à longueur de journées, depuis des mois, sa réforme des retraites.

Entendre ainsi toutes les stars de CNews (dont Georges Fenech, Pierre Lellouche, tous les deux anciens députés UMP) rendre hommage à Gérard Leclerc serait cocasse s'il ne s'agissait pas de sa disparition. Les relations qui ont été nouées avec la personne l'ont emporté sur les idéologies et les convictions et c'est rassurant pour l'esprit humain.

Du reste, c'est bien une quasi-unanimité de la classe politique qui a rendu hommage à Gérard Leclerc, si l'on regarde les nombreuses réactions : le président de LR Éric Ciotti (
« un immense journaliste »), le maire de Nice Christian Estrosi, le président du conseil régional de PACA Renaud Muselier, le député Renaissance Karl Olive, mais aussi le député PS Guillaume Garot (« Il était un journaliste rigoureux et respecté. »), le président du RN Jordan Bardella (« un homme bienveillant et un journaliste passionné »). Et même Éric Zemmour : « Il aimait le débat, détestait le sectarisme et était de ceux qui avaient eu le courage de faire partie de l'aventure de CNews dès le début. » (Éric Zemmour et Gérard Leclerc étaient alors collègues pendant plusieurs années).

Seule fausse note, le directeur de "Riposte laïque" qui a (très maladroitement) tenté de l'humour caustique de type "Charlie Hebdo" mais qui ne respire ici que haine et mépris pour le journaliste : « Le journaleux Gérard Leclerc se tue en pilotant un avion : et la planète, bordel ! ».

Gérard Leclerc laisse dans leur chagrin notamment sa femme, animatrice vedette sur Europe 1 pendant une cinquantaine d'années (Julie), et leurs trois enfants. Dans l'avion, parmi les deux autres passagers, il y avait Michèle Monory, la fille de René Monory, ancien ministre, ancien Président du Sénat, ancien président du conseil général de la Vienne, qui avait été longtemps maire de Loudun.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (16 août 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Gérard Leclerc.
Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
Geoffroy Lejeune.
Pap Ndiaye et les médias Bolloré.
Alexandre Adler.
Antone Sfeir.
Anne Sinclair.
Jean-François Kahn.

Victoria Amelina.
Éric Zemmour.
Denise Bombardier.
Pierre Loti.
Laurent Ruquier.
François Cavanna.
La santé à la radio.
Philippe Tesson.
Daniel Schneidermann.
Catherine Nay.
Serge July.
La BBC fête son centenaire.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230815-gerard-leclerc.html

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/le-bouleversant-accident-de-gerard-249922

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/08/15/40010674.html






 

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7 août 2023 1 07 /08 /août /2023 20:06

« La clientèle trumpienne française, que convoitent les médias Bolloré, réclame du mensonge. C'est son fortifiant, c'est plein de vitamines. Et pas du petit mensonge subreptice, du mensonge de rencontre, au coin d'un bois. Du beau mensonge éhonté, du mensonge haut de gamme fier de lui-même, en pleine lumière, qui relève la tête et qui, dénoncé, dénonce lui-même ses dénonciateurs. » (Daniel Schneidermann, le 7 août 2023).





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Après un mois et demi d'une grève historique, le premier numéro du nouveau "Journal du dimanche", c'est-à-dire celui dont la rédaction (dont les deux tiers ont démissionné) est désormais dirigée par Geoffroy Lejeune, publié ce 6 août 2023 (le numéro 3995), a fait fort dans l'incompétence et le manquement à la déontologie. Au-delà de la désinformation de fond (par exemple, un démenti de Sibyle Veil, présidente de Radio France, à propos de l'éviction de Patrick Cohen de France Info), les erreurs et coquilles sont multiples dans ces trente-deux pages faites dans la précipitation par une équipe réduite. Cela donne un aperçu de ce que le JDD est devenu.

Assurément, il est bien devenu un des "médias Bolloré". Il suffit de connaître ses prescripteurs. Par exemple, Pierre Cassen, ex-délégué CGT, ex-encarté du PCF, ex-trotskiste et devenu disciple d'Éric Zemmour, cofondateur avec sa femme Christine Tasin du site d'extrême droite "Riposte laïque", y a vu une heureuse évolution :
« J'ai acheté le nouveau JDD : vraiment excellent, faites comme moi ! ».

Pour son grand retour dans les kiosques, le JDD a donc voulu taper fort en se faisant le défenseur des familles des victimes de l'insécurité ambiante. C'est l'une des clefs du populisme d'extrême droite : faire dans le sécuritaire et faire croire qu'avec l'extrême droite, il n'y aurait plus ni meurtre ni crime odieux.

Il n'y a certainement pas de fatalité aux crimes, mais même dans une société hypersurveillée et hyperpolicière, le crime existerait toujours parce que l'humanité est ce qu'elle est, jusqu'à son inhumanité. Évidemment, personne ne peut s'opposer au point de vue des victimes, ou des familles des victimes, et elles sont trop souvent négligées, ignorées des pouvoirs publics, en tout cas trop peu écoutées et "prises en charge", pour ne pas y voir un sujet de consensus. Là est donc le piège idéologique.

Le thème est donc non seulement porteur mais pertinent, même s'il est à froid (l'insupportable meurtre d'Enzo a eu lieu il y a déjà plus de deux semaines ; aucun crime odieux n'a, semble-t-il, été commis ces derniers jours, ou, si je l'ignore, c'est qu'il n'a pas été médiatisé, et la différence de traitement médiatique d'un crime par rapport à un autre crime est, en lui-même, un dense sujet d'étude dont il n'est pas question ici).

"Malheureusement" pour la nouvelle équipe autour de Geoffroy Lejeune, non seulement ce sujet a été vicié par la manipulation pure et simple, mais en plus, il a été desservi par une totale incompétence. On est très loin de l'excellence journalistique telle que l'a affirmé le groupe Lagardère à l'annonce du changement : « Au JDD, Geoffroy Lejeune aura la mission d’incarner l’excellence journalistique, à savoir : les faits, l’investigation, le devoir d’informer. ».

L'incompétence, parlons-en en premier puisqu'elle est la plus voyante. Voulant illustrer ses propos sur la mort d'Enzo (Enzo P.), 15 ans, poignardé près d'Évreux (près de Louviers, l'ancien fief électoral de Pierre Mendès France) le 22 juillet 2023, le journal a placé à sa une une photographie de la marche blanche venue soutenir la famille ...d'un autre Enzo (Enzo B.), lui aussi disparu, 16 ans, percuté par une voiture dans les Landes le 16 janvier 2023 (et son frère également gravement blessé). La photo montre ainsi la marche blanche qui a rassemblé plus de 400 personnes sur les lieux de l'accident, à Hinx, le 21 janvier 2023. Il n'était pas compliqué (c'est à la portée de n'importe quel surfeur sur le net) de trouver une photographie d'une autre marche blanche, celle pour soutenir la famille du malheureux adolescent poignardé cet été.

On comprend très vite ici que l'idée du journal n'est pas l'empathie ni la compassion envers les victimes, mais bien la seule exploitation (très mal faite ici) d'un homicide en confondant deux victimes de faits graves très différents l'un de l'autre. Lydia Dumonteil, la mère d'Enzo B., « qui, depuis dimanche, se dit harcelée sur les réseaux », a d'ailleurs annoncé le 7 août 2023 à "Libération" qu'elle comptait déposer plainte contre le JDD pour l'utilisation de cette photographie de une : « Je n’ai jamais été contactée par le JDD, que ce soit à propos de la photo ou même de la tribune. La seule autorisation que j’ai donnée, c’est au journal "Sud Ouest", pour qu’ils prennent une photo de la marche organisée en l’honneur d’Enzo. ».

La réponse (sur Twitter) de Geoffroy Lejeune n'a pas été à la hauteur de sa compétence. Au lieu de faire amende honorable (après tout, l'erreur est humaine et tout le monde peut en faire), il a au contraire expliqué qu'aucune erreur d'illustration n'avait été faite pour illustrer symboliquement des familles de victimes. Une justification qui ne convaincra que ceux pour qui le nouveau JDD est désormais adressé.

La mauvaise foi est d'autant plus caractérisée que la lettre ouverte commence ainsi : « Enzo avait 15 ans et il y a quelques jours, il a reçu une lame en plein cœur. Malgré le silence judiciaire, politique et médiatique autour de l’affaire qui concerne son fils, nous avons lu les mots de la mère d’Enzo. Et nous avons immédiatement pensé à notre histoire, à nos maris, femmes, pères, mères, enfants eux aussi agressés, handicapés, tués, violés, assassinés. ».

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La manipulation, elle, est moins visible et plus subtile. Le JDD a publié en effet une "lettre ouverte de familles de victimes au Président de la République" (comme l'indique le titre de la une) : « Nous demandons au Président que ces douleurs soient reconnues, soulignant la croissance des violences et les défaillances judiciaires. (…) Ces drames sont négligés, car ils ne provoquent pas de tumulte médiatique (…). Non, monsieur le Président, fidèles à qui nous sommes, nous ne demandons pas la lune. Nous ne demandons qu'une seule chose qui ne vous coûtera rien : avoir au moins l'impression de n'être pas les seuls dans notre chagrin à perpétuité. ».

Le journaliste Denis Masliah a rencontré certaines familles de victimes iséroises qui ont signé cette lettre, pour comprendre la manipulation et a titré son article, paru le 6 août 2023 dans "Le Dauphine libéré", de manière très explicite : « Des familles de victimes iséroises cosignent une lettre ouverte au président Macron... écrite par la rédaction du JDD ». Et de préciser : « Un texte paru dans le "Journal du dimanche", qui a en fait été écrit, selon nos informations, par la nouvelle rédaction du journal qui a sollicité ensuite les familles. ».

"La Dépêche", dans un article du 7 août 2023, précise : « Selon "Le Dauphiné libéré", vers qui se serait tournée l'une des familles, l'initiative de cette lettre ouverte n'émanerait pas des familles de victimes de faits divers, mais de journalistes du JDD. Selon le quotidien, la rédaction leur aurait proposé de signer une lettre rédigée par une journaliste de CNews et du JDD. ».

Choisir les mots, les phrases, les thèmes, ce n'est pas jamais anodin, d'autant plus dans ce cas précis puisque la lettre évoque notamment « des criminels aux profils trop récurrents » (sans d'ailleurs expliciter ce que cela signifie vraiment, mais les sous-entendus sont bruyants). Même le titre de la lettre ouverte (« Nous ne sommes pas des faits divers ») reprend idéologiquement le vocabulaire préféré d'Éric Zemmour énoncé le 11 septembre 2022 à Gréoux-les-Bains, dans le Var : « Le tabassage, le viol, le meurtre, l’attaque au couteau d’un Français ou d’une Française par un immigré n’est pas un fait divers. C’est un fait politique que j’appellerai désormais francocide. ».

En clair, comme l'a constaté l'éditorialiste Daniel Schneidermann dans sa chronique du 7 août 2023 : « "L'appel" des victimes au chef de l'État a, en fait, selon les révélations du "Dauphiné Libéré", été rédigé par la bande de Lejeune elle-même, qui l'a ensuite soumis pour signature auxdites victimes. ». La manipulation vient de ce que ce contexte n'est pas clairement indiqué et de ce que le journal laisse entendre que ce sont les familles des victimes elles-mêmes qui ont pris l'initiative de cette lettre ouverte.

Relaté dans un article du JDD paru le 7 août 2023, le tweet de Pierre-Marie Sève, secrétaire général de "l'Institut pour la justice" (club de réflexion proposant des mesures répressives et positionné à l'extrême droite) est venu aider la nouvelle équipe du JDD pour insister sur le fond et pas sur la polémique : « Serait-il possible pour une certaine presse de ravaler quelques heures son venin pour se concentrer sur le fond du sujet ? Sur le fait que depuis des années, des familles sont niées. Et qu'elles sont maintenant salies. Le JDD a tenté de calmer le jeu en parlant d'un sujet consensuel au possible : la douleur de ceux qui ont perdu quelqu'un de leur famille. Et vous êtes incapables de garder cette décence humaine élémentaire qu'est le respect. ».

L'article du JDD précise :
« "C’est bien vous qui avez écrit la lettre ou bien c’est le JDD ?", aurait demandé le journaliste du "Dauphiné libéré" à la victime. "Le Dauphiné libéré a eu l'indécence de lui téléphoner, non pas pour la soutenir ou pour lui adresser un mot de sympathie, pour son fils qui est mort. Mais pour rechercher un scandale où il n'y en a pas" (…). Le directeur de "l’Institut pour la Justice" indique également avoir eu au téléphone la victime contactée par "Le Dauphiné libéré". Cette dernière est "absolument furieuse" de l’objet de l’appel, et "a eu le bon sens de leur raccrocher au nez", précise-t-il. ». Le responsable de ce think tank a reconnu cependant qu'il a lui-même appelé une famille de victime, non pour la conforter ou soutenir, mais pour tenter d'éteindre la polémique...

Ainsi, la mauvaise foi est toujours de mise au JDD nouveau, puisqu'il ne semble pas avoir été démenti que la rédaction de la lettre ouverte émane du JDD lui-même et pas des victimes. Cette mauvaise foi se nourrit de la récupération classique des tragédies. Cela donne une bonne idée du virage que vient de prendre cet hebdomadaire.


Dans un article du "Télérama" publié le 7 août 2023, des journalistes de la rédaction du JDD, sur le départ, sont atterrés, comme l'un d'eux : « Sur le fond comme sur la forme, c’est un torchon. Ce premier numéro vient finalement nous donner raison. ». Il est donc possible que l'hémorragie dans la rédaction se poursuive.

Alors, faut-il s'indigner ? Daniel Schneidermann a apporté une réponse ambiguë : « Le JDD de Bolloré compte sur vos indignations. Semaine après semaine, il va se nourrir du bad buzz produit par notre effroi promotionnel (…). » (je ne sais pas ce qui met dans son "vos" et son"notre"). C'est évident que le pseudo-scandale est une marque de fabrique des populismes, choquer pour faire sa pub, une méthode de marketing comme une autre et la préférée des méthodes tant à l'extrême droite (Jean-Marie Le Pen puis Éric Zemmour) qu'à l'extrême gauche (Jean-Luc Mélenchon et Sandrine Rousseau).

Dans cette affaire, les familles des victimes vont continuer à ne pas être écoutées (puisque la polémique porte sur la manipulation médiatique et pas sur la reconnaissance par l'État des victimes) et sont donc les premières "victimes" de cette polémique... et le journalisme aussi, bien sûr (mais ce n'est pas nouveau).


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (07 août 2023)
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Pour aller plus loin :
Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
Geoffroy Lejeune.
Pap Ndiaye et les médias Bolloré.
Alexandre Adler.
Antone Sfeir.
Anne Sinclair.
Jean-François Kahn.

Victoria Amelina.
Éric Zemmour.
Denise Bombardier.
Pierre Loti.
Laurent Ruquier.
François Cavanna.
La santé à la radio.
Philippe Tesson.
Daniel Schneidermann.
Catherine Nay.
Serge July.
La BBC fête son centenaire.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.

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11 juin 2023 7 11 /06 /juin /2023 05:52

« Si on continue les conneries, si on continue à jouer au con, évidemment que l'extrême droite va gagner les élections, évidemment. Alors, ce n'est pas fatal, j'espère qu'il y aura une espèce de réaction, et je ne vois pas qu'est-ce qui peut empêcher qu'on continue à jouer au con ! » (Jean-François Kahn, le 11 mai 2023 sur France 5).




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Réputé pour son "centrisme révolutionnaire", l'éditorialiste politique Jean-François Kahn fête son 85e anniversaire ce lundi 12 juin 2023. Apparemment en très bonne forme (il était par exemple l'invité de France 5 le 11 mai 2023), celui qui aurait pu avoir un cœur malmené par ses nombreuses interventions médiatiques, réputé pour son indignation et sa passion, est finalement, lui l'aîné (et aussi le "cancre", comparativement), le dernier survivant d'une fratrie qui a donné le chimiste réputé Olivier Kahn, parti le 8 décembre 1999 à 57 ans, et le généticien très médiatique Axel Kahn, parti le 6 juillet 2021 à 76 ans.

Issu très brièvement du communisme (il était adhérent au PCF dans sa jeunesse), Jean-François Kahn est un journaliste politique dont le positionnement politique est plutôt inclassable. Il a collaboré dans beaucoup de rédaction (notamment "L'Express" et Europe 1) avant de prendre en 1977 la direction de la rédaction du journal "Les Nouvelles littéraires" dirigé alors par Philippe Tesson.

En 1984, Jean-François Kahn a tenté et réussi une aventure inédite, celle de créer ex nihilo un nouvel hebdomadaire d'informations générales avec une partie de la rédaction des "Nouvelles littéraires" (notamment le dessinateur Wiaz), "L'Événement du jeudi". Albert du Roy (qui officiait alors dans l'émission politique phare d'Antenne 2 "L'heure de vérité" faisait partie de la rédaction). L'innovation, au-delà de l'aventure d'un hebdomadaire, c'était aussi de le faire financer par ses lecteurs dans un dispositif de souscription, afin de préserver l'indépendance de la rédaction.

Dans les premières années de son lancement, "L'Événément du jeudi" comptait dans le débat éditorial et politique, au point d'envisager sérieusement l'hypothèse, pour l'élection présidentielle de 1988, d'un second tour entre Raymond Barre et Laurent Fabius (en une, leurs marionnettes du "Bébête show" étaient mobilisées). Pour des raisons financières, le magazine d'information générale a fini comme magazine culturel puis comme supplément culturel à "France-Soir" qui l'a racheté en 2000 puis enterré en 2001.


En 1997, Jean-François Kahn a recommencé l'exercice en créant l'hebdomadaire "Marianne" avec Maurice Szafran, et l'a dirigé jusqu'en 2007 (après un rachat, Natacha Polony s'est retrouvée directrice en 2018 avec une ligne éditoriale beaucoup plus souverainiste).

L'une de formules chocs du patron de presse, pleine d'arrogance et de mépris, est peut-être celle qu'il regrette le plus : lors de l'affaire DSK en 2011, JFK a en effet eu une expression très malheureuse qui lui est longtemps restée collée à la réputation :
« Ce n'est que du troussage de domestique ! ». Il s'est mis à dos toutes les féministes et, beaucoup plus largement, tous ceux dont le supposé comportement de Dominique Strauss-Kahn avec les femmes choquait : « Je l'ai reconnu, tout de suite ! Je l'ai payé, c'est normal, j'ai dit une connerie ! » (8 juin 2021).

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Près de soixante ans de journalisme, près d'une cinquantaine d'essais politiques publiés depuis 1982, sans savoir taper à la machine, sans avoir le permis de conduire, sans parler anglais, peu attiré par l'argent (et fustigeant certains de ses confrères devenus obsédés du fric), Jean-François Kahn reconnaît volontiers qu'il est venu au journalisme par hasard et surtout par lâcheté, puisque c'est son père qui lui a trouvé un poste dans un journal qu'il a vite accepté pour fuir ses élèves (il était enseignant). Il a commencé à rédiger ses "Mémoires d'outre-vies" aux éditions de l'Observatoire (le premier tome a été publié le 5 mai 2021 et le deuxième tome le 2 mars 2022).

L'un de ses premiers dossiers, c'était l'investigation sur l'affaire Ben Barka, comme il l'a rappelé le 8 juin 2021 sur TV5 :
« Il y a encore un mystère dans l'affaire Ben Barka : qu'est-ce qu'on a fait du corps ? Ça, c'est encore un mystère! J'ai toutes les raisons de penser que soit on l'a dissous dans de l'acide, soit on l'a fondu dans du béton, quelque chose comme ça (...). Mais je n'ai pas la preuve absolue de ça. ».

Dans cette émission sur TV5, il évoquait la montée de l'extrême droite et surtout, de nombreuses anecdotes qui ont émaillé sa carrière, sa discussion avec Albert Camus sur Don Juan, la visite en fauteuil (non roulant !) du Louvre par Hassan II : les tableaux étaient amenés sur des roulettes devant le roi du Maroc, commentés par André Malraux, etc. jusqu'à ses relations avec son frère Axel qui était en train de mourir (il y a deux ans).





La guerre en Ukraine est un conflit qui provoque des réactions nombreuses et éprouve des cohérences. Jean-François Kahn a ainsi souligné le 18 mars 2022 sur France 5 l'incohérence de l'extrême gauche qui condamne ceux qui arment l'Ukraine et ce sont les mêmes qui regrettaient qu'on n'ait pas armé les républicains espagnols en 1936. Il a également rappelé l'origine du pouvoir de Vladimir Poutine.





Si Jean-François Kahn a été très proche de la galaxie centriste dans les années 1990, 2000, 2010 (soutenant la candidature de François Bayrou et étant même un candidat du MoDem aux élections européennes de 2009), il reste toujours aussi inclassable, puisque s'il fustige très fermement les extrémismes (de droite comme de gauche), il est aussi depuis longtemps protectionniste et applaudit quand Emmanuel Macron tient un discours résolument tourné vers la réindustrialisation et les relocalisations, dans le sens contraire des délocalisations.

En revanche, le 11 mai 2023 sur France 5, il se trompe lorsqu'il prétend que la classe politique applaudissait les délocalisations. Certes, le patron d'un grand groupe français (Alcatel pour ne pas le citer !) soutenait le principe d'une entreprise sans usine, mais je n'ai pas connu un seul responsable politique s'extasier devant des délocalisations et, nécessairement, la fermeture d'usine dans sa propre circonscription ou collectivité territoriale dont il était l'élu, fermeture qui a toujours été un drame tant humain qu'économique (et peu porteuse électoralement !).

En revanche, la question restait sur la mondialisation des échanges et la France, parmi les grandes nations innovatrices (les déclinistes n'aiment pas suffisamment la France pour ouvrir leurs yeux sur son génie technologique) avait alors un intérêt dans la mondialisation en proposant les innovations françaises au monde. Mais le cadre fiscal et social français décourageant ne favorisait pas les start-up pourtant d'origine française (exemple marquant avec Moderna). C'est justement ce cadre qu'Emmanuel Macron a renversé pour rendre la France plus attractive, aujourd'hui la première nation européenne à attirer les investisseurs étrangers.

Ce qui est rassurant et intéressant avec Jean-François Kahn, c'est qu'il pense par lui-même. On n'est pas obligé d'adhérer à sa pensée particulièrement complexe, mais c'est une pensée originale, parfois évolutive, cohérente, certainement passionnée, car on sent la passion de l'histoire politique dont il est diplômé. Électron libre de la pensée politique, il refuse de se ranger dans des cases idéologiques, ce qui mécontente souvent tout le monde (puisque personne n'y reconnaît ses chatons).

Le cauchemar de Jean-François Kahn reste la perspective de l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite. Dans son dernier livre "Comment on en est arrivé là" (sorti le 10 mai 2023 aux éditions de l'Observatoire), l'éditorialiste s'interroge sur l'hypothèse d'une victoire électorale de Marine Le Pen et d'un risque de guerre civile :
« L'arrivée au pouvoir de l'extrême droite, compte tenu, comment dirais-je, d'une radicalisation générale, d'une course à l'extrémisme, provoquera... parce que vous avez à l'extrême gauche des gens qui ne souhaitent que ça ; eux, ils savent qu'ils ne pourront pas gagner, mais formidable si l'extrême droite gagne, d'abord, on est débarrassé de Macron et ça permettra, sur le badge de l'antifascisme, de manifester etc. (…) C'est le climat de guerre civile que ça va provoquer, peut-être pas une guerre civile mais un vrai climat de guerre civile. (…) Et ça, ça m'angoisse terriblement. » (11 mai 2023). Le livre est déjà un best-seller, le troisième livre politique récent le plus vendu à ce jour sur Amazon France.

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À 85 ans (l'âge devenu un argument de vente !), pour lui, il faut tout dire, il n'a plus rien à perdre car si rien ne bouge, ni les politiques, ni les intellectuels, ni les médias, la victoire de l'extrême droite est même probable. Le pire, c'est, à la fin du livre, qu'il retranscrit une tribune que certains grands quotidiens ("Le Monde" et "Le Figaro") avaient refusé de publier pour des raisons diverses, comme si sa plume, certainement corrosive, devenait incorrecte et devait être censurée :
« Quand les gens verront ce qu'on ne pouvait pas dire, qu'on ne pouvait pas publier, franchement, ça, j'aimerais que les gens voient que j'aie pu écrire et qu'on ait dit : ah non, ça on ne peut pas publier (…). C'est incroyable ! Les gens sont stupéfaits de voir qu'on pouvait écrire ça et que ça ne passait pas ! ».

L'incendie du domicile du maire de Saint-Brévin-les-pins lui a donné un exemple inquiétant :
« Ce qui est vraiment terrible (…), c'est la tradition d'extrême droite, sauf que depuis quelque temps, on voit de l'autre côté les mêmes méthodes, exactement, c'est ça qui est terrible. Une normalisation, une banalisation de ces méthodes, y compris par une fraction de l'extrême gauche. Le fait de dire : on n'est pas d'accord avec vous, vous avez mal voté, et donc, on attaque votre permanence, c'est à l'extrême gauche, on attaque votre logement, c'est à l'extrême gauche, on vous coupe l'électricité, c'est à l'extrême gauche. (…) On a vu l'extrême droite qui manifestait tout en noir masquée, c'est l'extrême droite typique, sauf qu'on a vu à l'extrême gauche des gens manifester en noir et masqué. Et c'est ça qui est terrible, parce qu'ils se confortent l'un l'autre, l'un justifie l'autre (…). Dans cette espèce de course à l'extrémisme (…), il y a une logique qui nous mène au pire, il faut comprendre ça ! ».





Excellent débatteur, promoteur du dépassement de la droite et de la gauche, Jean-François Kahn est un empêcheur de penser en rond, et a affronté quelques autres polémistes, comme Philippe Tesson le 30 octobre 2004 sur France 2 (chez Thierry Ardisson) et Éric Zemmour le 24 novembre 2007 sur France 2 (chez Laurent Ruquier).










Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (10 juin 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Candidat du MoDem.
Jean-François Kahn.
Pierre Loti.

Laurent Ruquier.
François Cavanna.
La santé à la radio.
Philippe Tesson.
Daniel Schneidermann.
Catherine Nay.
Serge July.
La BBC fête son centenaire.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230612-jean-francois-kahn.html

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/la-pensee-complexe-de-jean-248576

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/06/08/39935056.html





 

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13 juillet 2018 5 13 /07 /juillet /2018 02:53

« Il n’y a pas cinquante manières de combattre, il n’y en a qu’une, c’est d’être vainqueur. » (André Malraux, 1937).



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Si j’étais encore adolescent, j’utiliserais volontiers la formule "panem et circenses". Déjà parce que je viendrais de l’apprendre et l’adolescent adorait transmettre ses découvertes intellectuelles (en fait, l’enfant la connaissait déjà en lisant Astérix). Ensuite parce que mon peu de goût pour le football me le faisait stupidement haïr.

Et quand on est adolescent, on est entier, carré, on est pour ou on est contre. Je me voyais aller au milieu d’un stade en pleine finale de je ne sais quoi et crever le ballon devant tous les milliers de supporteurs médusés. Comme je courais vite, cela pouvait relever d’un défi à la Nicolas Hulot, pas le ministre mais l’animateur de télévision, celui audacieusement parodié en 1990 par Les Inconnus ("Nicolas Culot") pour un défi trash en plein dix-huitième arrondissement (inventeurs du selfie)…





Maintenant, je cours sans doute moins vite mais je ne m’intéresse toujours pas plus au football. Je ne m’intéresse toujours pas au football, mais je m’intéresse à la France et aux Français et en ce moment, les Français s’intéressent au football. J’ai compris ce mardi 10 juillet 2018 dans la soirée, et je m’en réjouis, que l’équipe de France de football serait en finale de la coupe du monde ce dimanche 15 juillet 2018 à 17 heures à Moscou, et le lendemain, que son adversaire serait l’équipe de Croatie (Comme Theresa May avait refusé de venir en Russie, heureusement que l’équipe d’Angleterre a perdu).

La présence même en finale est un exploit. Trois fois, en 1998, en 2006 et en 2018. Dont au moins une fois la victoire, le 12 juillet 1998. À l’époque, si j’ai bien compris, la Croatie avait été battue par la France, euh… reprenons, l’équipe de Croatie avait été battue par l’équipe de France en demi-finale. Donc, sentiment de revanche pour les joueurs croates. Qui ne doivent plus être de la même génération. Vingt ans, c’est plus long qu’une carrière de sportif. Donc, même sans victoire le 15 juillet 2018, il y a déjà de la fierté de concourir au plus haut niveau. Le calendrier est tel que c’est une double fête nationale. Après le 14 juillet.

Je ne m’intéresse pas au football mais je dois dire que je trouve dans ce football de la fierté bien placée. Je n’ai aucun mérite en tant que citoyen, d’autant plus que je ne suis même pas supporteur, on n’est vraiment fier que de ce dont on est responsable, mais il y a un esprit français de concorde qui convient bien aux temps troublés de l’époque. Ce n’est pas du chauvinisme, malgré le coq en emblème. Ce pourrait être justement un patriotisme dans le meilleur sens du terme, celui sportif, quand le mot n’était pas sali par le dopage et l’argent, celui qui signifie loyal, honnête, respectueux de l’adversaire et des règles.

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Éliminons d’abord les sujets connexes.

Oui, le football est une grande industrie. Une industrie juteuse. Mais elle n’est pas scandaleuse. Elle correspond à la loi de l’offre et de la demande. Ou du moins, elle n’est pas plus scandaleuse que le succès des disques de Johnny Hallyday. Les clubs sont payés par les droits de retransmission des matchs, et ces droits sont amortis par les publicités, mais ces publicités rapportent beaucoup parce qu’il y a beaucoup de téléspectateurs. C’est le principe de la société de consommation. Les énormes sommes d’argent en jeu ne sont que le résultat du nombre de personnes intéressées par le football.

Principe du nombre. Pour empêcher un tel succès, il suffit de ne pas consommer, de ne pas regarder les matchs à la télévision. Les écrivains sont très rares à pouvoir vivre de leurs écrits, mais certains sont millionnaires grâce à leurs livres. Juste un effet du nombre : au contraire des salariés, un artiste, un sportif, et même un agent immobilier, ne sont pas rémunérés en fonction du travail fourni (moyens) mais en fonction de l’impact de leur travail sur les consommateurs (résultats). Il n’y a rien de choquant à cela. Et j’ai même cru comprendre que ce n’étaient pas les joueurs qui gagnaient le plus d’argent dans le milieu du football…

D’ailleurs, de cette industrie du football, il y a des conséquences intéressantes. Par exemple (je n’ai jamais compris pourquoi), il y a plus de vente de téléviseurs. Sans doute en raison des promotions faites à cette occasion (j’avais besoin de remplacer un vieux tube cathodique au printemps 2012 et je m’en étais aperçu, il devait y avoir une coupe de football, peut-être européenne). Les statisticiens ont même pu déceler plus de naissances à la suite d’une grande victoire au football ! J’imaginais l’inverse : la fête des supporteurs consécutive à une victoire sportive devait être bien arrosée, et l’alcool me paraissait peu propice à la conception de bébés…

Éliminons aussi les récupérations politiques.

Bien sûr que si l’équipe de France gagnait la coupe du monde, le Président Emmanuel Macron aurait de fortes chances de gagner des points dans les sondages. Ce fut le cas pour Jacques Chirac (plus 14% !) et pour Lionel Jospin (Premier Ministre de cohabitation). Mais ces embellies sondagières sont toujours de courte durée : les Français ne sont pas des sots et savent faire la différence. Mais ils sont parfois influencés par leur humeur, leur bonne humeur (quand ils sont contents d’une victoire sportive) ou leur mauvaise humeur. Cela laisse entendre que le chef de l’État est véritablement le représentant du peuple et que le peuple ne lui laisse rien passer, tout est à son actif ou à son passif, même si une victoire ou une défaite en football ne lui incombe en aucune manière.

D’ailleurs, la première personnalité politique à avoir bénéficié de retombées politiques positives, c’est le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine qui a inauguré le 14 juin 2018 la coupe du monde d’une manière très simple, directe et sympathique, en disant que la Russie était un pays ouvert et libre.

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Bouder le plaisir d’un peuple spontanément réuni aux Champs-Élysées parce que heureux d’une victoire en demi-finale, cela me paraît relever plus de l’aigreur personnelle que d'une réaction saine et réfléchie. Soyons clairs : si l’on était vraiment indifférent au football, on n’en parlerait pas, ni en bien ni en mal.  Si j’écris sur le sujet, c’est parce que la coupe du monde de football dépasse le domaine sportif pour atteindre le domaine national.

On pourra toujours rappeler que jouer au football, c’est mieux que brûler des voitures et que le joueur de football est finalement un modèle comme un autre, peut-être un modèle d’ascension sociale plus efficace que d’autres, que le modèle du médecin, de l’ingénieur, de l’avocat, etc. Plus collectivement, on pourra toujours dire qu’une confrontation entre deux pays est toujours mieux sur un stade de football que dans un champ de bataille en pleine guerre. Ou encore, qu’il vaut mieux des Français défilant aux Champs-Élysées pour célébrité une victoire sportive, aussi futile soit-elle (mais pas inutile), que défiler pour réagir à des actes de terrorisme qui auraient choqué les consciences (notons cependant que les attentats continuent encore, hélas, avec au moins trente morts au Pakistan le 11 juillet 2018, dans un attentat-suicide des talibans à Peshawar et dans un autre attentat à Jalalabad).

Je ne m’intéresse pas au football, mais je me pose cette question : pourquoi faudrait-il rejeter cette ferveur (certes très temporaire) lorsqu’une équipe sportive de son pays gagne ? Pourquoi considérer les supporteurs comme des imbéciles ? J’en connais beaucoup qui sont loin de l’être mais qui aiment s’amuser entre amis. Pourquoi ce sophisme indigent selon lequel il y aurait plus important que le football et qu’il ne faudrait plus vivre parce qu’il y a des pauvres, des demandeurs d’emploi, des personnes en situation de handicap, etc. qui demanderaient un peu plus à la solidarité nationale ? Pourquoi ne pas l’appliquer aux foules immenses devant le Louvre et devant les salles de concert (devant la Philharmonie de Paris, par exemple) ? Est-ce parce qu’il y aurait des divertissements nobles, qui mériteraient d’exister malgré toute la misère du monde, et les autres, qui seraient une honte tant que la misère du monde ne serait pas résolue ? La joie n’efface pas la lucidité.

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Les "nouveaux identitaires" (je ne sais pas comment les appeler autrement sans connotation péjorative) semblent s’inquiéter du renouvellement du slogan de la France "Black Blanc Beur", selon l’expression de 1998 désignant une équipe de France triomphante aux couleurs de la "diversité" (je n’aime pas le mot "diversité" pour désigner précisément la "diversité d’origines"). Même l’ancien Président du Conseil Constitutionnel Jean-Louis Debré a salué, sur LCI le jeudi 12 juillet 2018, cette diversité : « Aucun autre sport en France ne donne une telle image de diversité et de fierté. » pour dire : « On peut retrouver grâce à cette équipe le sentiment d’être français. ».

Mais que ces identitaires se rassurent ! Dans tous les cas, 2018 ne sera pas 1998. Même Julien Dray, le 10 juillet 2018 sur LCI, l’a admis. Même Laurent Joffrin l’a admis le 11 juillet 2018 dans "Libération" : « La nouveauté, s’il y en a une, c’est que les millions de supporteurs qui ont envahi les rues et les places mardi soir se foutent comme de leurs premiers crampons de l’origine des joueurs de l’équipe de France. (…) Ils agitent des drapeaux tricolores et chantent la Marseillaise, dans un patriotisme footballistique spontané et pacifique. Point de Blacks, de Blancs ou de Beurs : des attaquants, des buteurs et des tacleurs. D’où qu’ils viennent, ceux-là sont les héros d’une saga inoffensive, qui réunit le pays. ». Et de conclure : « Délivrez-nous de l’obsession identitaire : c’est peut-être le message de cette coupe du monde (…). Comme si le sentiment qu’il existe encore, malgré les heurts, les fractures, les déchirements, un creuset français, républicain, égalitaire, restait vivant dans l’inconscient national. À choisir, c’est l’hypothèse qu’il faut retenir, avec les précautions d’usage. » (11 juillet 2018).

Oui, laissons au peuple son plaisir d’être heureux que leur équipe gagne, et de faire la fête. Laissons les rabat-joie à leur amertume et misanthropie. S’il y a une chose qui a toujours marché avec le sport, c’est sa capacité à créer du liant social. Tant à petite échelle qu’à l’échelle planétaire. Il ne faut pas bouder ces petites fenêtres de joie, aussi dérisoires soient-elles.

Et puisque le sport est à la fête, saluons aussi l’exploit sportif, technique, collectif, un sport de haute compétition, résultat d’une collaboration internationale de dizaines de sauveteurs, celui d’avoir sauvé les treize personnes (dont douze enfants) coincées dans une grotte en Thaïlande, et évacuées entre le 8 et le 10 juillet 2018. Un plongeur est mort le 6 juillet 2018 pour cette cause, sauver ces enfants, et ceux-ci ont été heureusement sauvés. Alors, goûtons aussi cette bonne nouvelle malgré cette victime du devoir accompli, saluons avec la même ferveur cet exploit sportif d’un autre genre où l’adversaire est bien plus costaud parce qu’elle est la nature.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 juillet 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Communion nationale autour du ballon rond.
Faut-il haïr le football en 2016 ?
Les jeux olympiques de Berlin en 1936.
Les jeux olympiques de Londres en 2012.

_yartiFootball2018A02



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180710-football.html

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/communion-nationale-et-creuset-205953

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/07/13/36556068.html


 

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24 septembre 2017 7 24 /09 /septembre /2017 01:32

Né le 18 janvier 1928 à Tomblaine, à côté de Nancy, Gérard Lignac était le fils d'un médecin nancéien qui avait investi dans "L'Est Républicain" en 1922. Après des études de droit, un diplôme de l'IEP Paris et un MBA de Harvard, Gérard Lignac travailla d'abord chez Thomson puis chez Westinghouse. Administrateur de "L'Est Républicain", principal journal régional du Grand Est (hors Alsace) avec "Le Républicain lorrain" à partir de 1966, il est devenu le président de "L'Est Républicain" à partir de 1983. Son pouvoir d'influence sur la vision de la vie politique locale (notamment à Nancy) était très grand. En 1997, Gérard Lignac a racheté "Les Dernières Nouvelles d'Alsace" dont il a assuré la présidence jusqu'en 2011. Ce rachat lui a permis de constituer le premier groupe de presse quotidienne régionale, dépassant "Ouest-France". En février 2006, il a racheté au groupe Dassault le pôle Rhône-Alpes de la Socpresse ("Le Dauphiné libéré", "Le Progrès", "Le Bien public", etc.) aux côtés du Crédit Mutuel (déjà propriétaire de "L'Alsace", "Le Républicain lorrain", "Le Pays"), formant ainsi le groupe EBRA (Est Bourgogne Rhône-Alpes) qu'il présida de 2006 à 2012 (groupe de 550 millions d'euros de CA en 2007, pour 4 500 salariés en 2008, vendant environ 1 million d'exemplaires de journaux chaque jour, pour 4,3 millions de lecteurs chaque jour en 2013) et qui fut racheté totalement par le Crédit Mutuel en septembre 2009. Après avoir ainsi cédé les 49% des parts de EBRA au Crédit Mutuel, Gérard Lignac a cédé en novembre 2010 ses 43% des parts de "L'Est Républicain" au Crédit Mutuel également.

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20170923-gerard-lignac.html


 

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