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7 janvier 2008 1 07 /01 /janvier /2008 00:35
Un homme indépendant, compétent, qui a connu la pauvreté dans sa jeunesse, et qui ne mâche jamais ses mots, peut-il réussir en politique ?



Jules Renard disait qu’il ne s’occupait pas de politique. Cette phrase a été reprise par Raymond Forni dans son livre autobiographique ‘Un Enfant de la République’ paru en 2002.

Il avait 66 ans et il a été hospitalisé au début de la semaine dernière. Le mercredi 2, il a été transféré à Paris en raison d’une « complication hépatique sérieuse ».

Raymond Forni est mort la nuit du 4 au 5 janvier 2008 d’une « leucémie foudroyante » selon les communiqués de presse (je m’étonne qu’une leucémie soit si rapide, mais peut-être une grande discrétion a été préservée auparavant).

J’appréciais beaucoup Raymond Forni, homme public. Je n’ai jamais eu l’honneur de le croiser personnellement, mais je l’écoutais toujours avec beaucoup de respect et d’admiration car ses propos, son comportement ont toujours respiré ce qu’on peut appeler intégrité ou honnêteté dans un monde politique parfois très hypocrite.

Son sommet politique, c’était quand Laurent Fabius acceptait de revenir au gouvernement, celui de son rival Lionel Jospin. Alors, tout naturellement, pour un poste très convoité, Raymond Forni fut élu le 29 mars 2000 à la Présidence de l’Assemblée Nationale. Fonctions qu’il occupa jusqu’au 18 juin 2002 et la débâcle socialiste.

Raymond Forni n’a pas eu un début de vie facile. Obligé de quitter l’école en première, pour devenir ouvrier chez Peugeot (son père est mort quand il avait onze ans), où il commença des activités syndicales. Puis il trouva un poste de surveillant d’un lycée technique pour reprendre ses études par correspondance.

Il réussit donc après beaucoup de volonté à passer le bac à vingt-et-un ans puis à faire de brillantes études de droit pour devenir avocat à vingt-sept ans.

Socialiste depuis 1964, il ne fut d’aucun courant (ce qui relève de l’exploit) mais soutenait tous les projets européens, se sentant européen dans ses tripes : « Fils d'immigrés italiens que la pauvreté avait fait fuir leur pays, je suis certes né dans ce pays, mais je n'ai pu en acquérir la nationalité qu'à l'âge de dix-sept ans. La France m'a tout donné. Et c'est peut-être pour cela que, mon sang et mon cœur se mêlant, je crois à l'Europe par dessus tout. ».

À trente-deux ans (en 1973), il est élu député de Belfort, au même moment que Jean-Pierre Chevènement dont il fut à la fois un proche ami et un rival. Raymond Forni venait alors de battre le nouveau maire gaulliste de Belfort, Jean-Marie Bailly, ancien Secrétaire d’État au Commerce et ancien député.

Il présida entre 1981 et 1985 la Commission des lois de l’Assemblée Nationale lors de l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand. Il s’occupa notamment de l’abolition de la peine de mort dont il fut le rapporteur de la loi (en 1981) et des lois Defferre sur la décentralisation (en 1982).

Entre 1978 et 1985, entre 1988 et 1991, et entre 1998 et 2000, il fut vice-président de la CNIL qu’il avait contribué à créer à l’Assemblée Nationale.

En 1985, il fut nommé par François Mitterrand à la Haute Autorité de l’audiovisuel qui fut démantelée en novembre 1986 avec la création de la CNCL (ces deux instances étant à l’origine de l’actuel Conseil Supérieur de l’Audiovisuel).

Sa probité le fit aussi participer à la Commission sur les privatisations opérées pendant la première cohabitation (1986-1988) en 1989 et à la Commission sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales en 1991.

Ensuite, il connut des élections en dents de scie, en fonction de la conjoncture politique nationale : réélu en 1988, battu en 1993, réélu en 1997 et battu en 2002.

Élu de la région la plus touchée par le canal Rhin-Rhône, il a contesté l’utilité de cet ouvrage (ce qui est une erreur à mon sens) ce qui a encourage Lionel Jospin, alors Premier Ministre, à renoncer à ce projet.

En juin 2002, il avait été victime commune de sa rivalité avec Jean-Pierre Chevènement, chacun des deux ayant présenté un candidat dissident contre l’autre, ce qui valut à chacun un échec et l’élection d’un candidat de l’UMP (respectivement Damien Meslot et Michel Zumkeller qui furent réélus en juin 2007).

Longtemps conseiller général (pendant vingt ans), maire de Delle (peu éloigné de Belfort) depuis 1991, Raymond Forni réussit le 28 mars 2004 la conquête du Conseil régional de Franche-Comté dont il prit la présidence (le 2 avril 2004).

Pour la présidentielle de 2007, il avait soutenu en vain le retour de Lionel Jospin comme candidat socialiste et en juin 2007, il n’obtint pas l’investiture socialiste aux législatives. Peut-être à cause de ses déclarations en mai 2007 contre la direction du PS (notamment contre François Hollande et Jean-Marc Ayrault) dont il contestait l’immobilisme.

Une ancienne militante de l’UDF proche du courant de Henri Emmanuelli, en début 2007, Hélène Hassoun, disparue en mars dernier, convoitait d’ailleurs l’investiture socialiste pour cette ancienne circonscription de Raymond Forni (la première du Territoire de Belfort).

Étrangement, parlementaire chevronné, travailleur aux convictions bien affirmées et aux compétences reconnues de tous, Raymond Forni n’a jamais été ministre. La raison était cependant assez simple : François Mitterrand refusait de nommer au gouvernement deux représentants du Territoire de Belfort, or Jean-Pierre Chevènement, de 1981 à 1983, de 1984 à 1986 et de 1988 à 1991, y était déjà membre.

Père de cinq fils, il avait raconté sa vie difficile d’enfant d’immigrés italiens, lui permettant de comprendre la vie quotidienne de nombreux de ses contemporains.

Très respecté par l’ensemble des parlementaires, Raymond Forni a montré une manière différente de faire de la politique. Celle de dire les choses comme il le pensait, parfois de manière abrupte. Ce qui le faisait parfois craindre de ses collaborateurs et interlocuteurs.

Ainsi, en parlant des juges antiterroristes qui se prenaient pour des vedettes. Ou encore en demandant une minute de silence alors qu’il était au perchoir, pour protester contre la condamnation à deux ans d’inéligibilité de Maxime Gremetz qui s’était comporté assez grossièrement lors d’une inauguration à Amiens car selon lui, « en matière électorale, le seul juge, c’est l’électeur », ce qui est très contestable pour les nombreuses affaires politico-financières.

Jean-Marc Ayrault (maire de Nantes et président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale) a évoqué « un exemple de mérite, de rectitude et d’engagement (…) qui alliait l’indépendance d’esprit à la force des convictions ».

Les louanges affluent dans les heures et les jours qui suivent l’annonce de la disparition de Raymond Forni (qui sera enterré le 9 janvier 2007 à 14h30 à Besançon), et ce n’est ici que justice pour la mémoire d’un grand homme politique français.


Sylvain Rakotoarison



Pour aller plus loin :

Biographie de Raymond Forni à l’Assemblée Nationale.

Une autre biographie de Raymond Forni à l’Assemblée Nationale.

Fiche de Raymond Forni à l’Assemblée Nationale.

Biographie de Raymond Forni sur Wikipédia.

Biographie de Raymond Forni sur le Nouvel Observateur.

Dépêche de l’AFP du 5 janvier 2007.





      Article paru sur Agoravox.









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