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26 avril 2016 2 26 /04 /avril /2016 06:49

« Je me suis dit à plusieurs reprises que l’on finirait par faire la chasse aux savants pour les noyer, comme au Moyen Âge. » (cité par Svetlana Aleksievitch).


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Il y a exactement trente ans, dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, à minuit vingt-trois, heure de Paris, s’est déclenchée la plus gigantesque des catastrophes nucléaires de l’histoire mondiale. La centrale de Tchernobyl, près de Pripiat, en Ukraine, n’était plus sous contrôle.

Elle a contaminé une très grande partie du pays voisin, la Biélorusse : « À la suite de l’influence permanente de petites doses d’irradiation, le nombre de personnes atteintes, en Biélorussie, de cancers, d’arriération mentale, de maladies nerveuses et psychiques ainsi que de mutations génétiques s’accroît chaque année… » ("Belarouskaïa Entsiklopediïa", 1996).

Cette catastrophe fut « le point extrême de tout ce qui n’allait pas dans la gestion de l’économie du pays [URSS] » selon le chimiste et académicien Valeri Legassov (1936-1988), directeur de l’Institut Kourtchatov sur l’énergie atomique (principal centre de recherche de l’industrie nucléaire soviétique) qui s’est suicidé le 27 avril 1988, le lendemain du deuxième anniversaire de la catastrophe, en raison des fortes pressions politiques dont il faisait l’objet.

Cet anniversaire est l’occasion d’évoquer Svetlana Aleksievitch, journaliste biélorusse dissidente qui a été récompensée l’an dernier, le 8 octobre 2015, par le Prix Nobel de Littérature 2015 pour « son œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque ». C’était la sixième fois qu’un auteur de langue russe fut honoré par cette distinction mais c’est aussi assez exceptionnel qu’une journaliste plus qu’une écrivaine ait été ainsi gratifiée.

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Car Svetlana Aleksievitch, qui va bientôt avoir 68 ans, est avant tout une passeuse de témoins, une accoucheuse de témoignages. J’avais découvert, dès la sortie de sa traduction chez Lattès en 1998, son magnifique livre "La Supplication" ("Tchernobylskaïa Molitva", éd. Ostojié, Moscou, 1997) qui retranscrit de nombreux témoignages qui n’avaient jamais été entendus jusqu’alors sur les conséquences humaines et sociales très graves de la catastrophe de Tchernobyl.

Elle est une historienne des individus, une transmetteuse des retombées de la grande histoire sur la petite histoire. Svetlana Aleksievitch a également publié d’autres livres de recueil de témoignages sur d’autres sujets qui la touchent de près, à savoir sur la vie quotidienne en Union Soviétique et la guerre en Afghanistan : « Pendant soixante-dix ans, on les a trompés [parlant des citoyens de l’ex-URSS], puis pendant vingt ans, on les a volés. », ce qui fait qu’ils sont devenus « des gens très agressifs et dangereux pour le monde », préférant restaurer la grandeur d’un État révolu à la sauvegarde de la vie humaine. Elle a reproché ainsi à Vladimir Poutine d’avoir engagé le conflit en Ukraine pour de telles raisons.

Elle a adopté le style de roman polyphonique en interrogeant de très nombreux contemporains : « J’ai souvent pensé que je n’aurais jamais assez de force pour arriver [à mener à bien cette entreprise]. Je me souviens avoir vu des jeunes gens travailler sur la centrale de Tchernobyl après la catastrophe sans protection particulière. Je me souviens des hôpitaux afghans où j’avais sous les yeux les atrocités que nos soldats commettaient. J’ai perdu connaissance plusieurs fois. Je ne suis pas une héroïne. Toutes ces voix m’ont poursuivie, hantée. Il m’aura fallu toutes ces années pour monter cet édifice. Peut-être ai-je eu tort de me lancer dans cette aventure ? Aujourd’hui, je me sens libérée. » ("Le Figaro" en 2013).

Parmi ses autres œuvres, on peut citer : "La Guerre n’a pas un visage de femme" (1985) qui raconte les atrocités qu’ont connues les femmes pendant la Seconde Guerre mondiale et qui fut soutenu par Mikhaïl Gorbatchev ; "Derniers témoins" (1985) qui laisse la parole aux enfants pendant la guerre ; "Les Cercueils de zinc" (1990) sur la guerre en Afghansitan ; "Ensorcelés par la mort" (1995) ; "La Fin de l’homme rouge ou le Temps du désenchantement" (2013) où elle décrit les désillusions postcommunistes du peuple russe (« Seul un Soviétique peut comprendre un Soviétique. »).

Récompensée par de nombreux autres prix (comme le Prix Médicis Essai en 2013), Svetlana Alexksievitch fut souvent censurée dans son pays, la Biélorussie, même si son récent Prix Nobel a fait la fierté du Président biélorusse indétrônable Alexandre Loukachenko réélu pour un cinquième mandat le 11 octobre 2015 dans une parodie d’élection présidentielle (au pouvoir depuis le 20 juillet 1994).

Spécialiste de l’Homo sovieticus, elle a dû s’exiler à Paris puis à Berlin pendant plusieurs années mais vit de nouveau en Biélorussie depuis 2013 : « Pendant trente ans, j’ai écris l’encyclopédie de la grande utopie, le communisme. Dans mes cinq livres, je pense avoir tout dit sur le mal et l’homme. Aujourd’hui, je confronte ma méthode d’interview à des champs nouveaux : l’amour et la vieillesse, ou la mort, si vous voulez. Il y a deux moments dans la vie où le langage est proche de l’âme : lorsqu’on aime et lorsqu’on va mourir. Quoi que j’écrive, il est toujours question de l’homme et de son inaptitude au bonheur. » (13 novembre 2015).

La méthode de Svetlana Aleksievitch est assez bien expliquée par elle-même : « Je pose des questions (…) sur les milliers de détails d’une vie qui a disparu. C’est la seule façon d’insérer la catastrophe dans un cadre familier et d’essayer de raconter quelque chose. (…) L’histoire ne s’intéresse qu’aux faits. Les émotions, elles, restent toujours en marge. Ce n’est pas l’usage de les laisser entrer dans l’histoire. Moi, je regarde le monde avec les yeux d’une littéraire et non d’une historienne. » (2013). Elle expliquait aussi : « Très tôt, je me suis intéressée à ceux qui ne sont pas pris en compte par l’histoire. Ces gens qui se déplacent dans l’obscurité sans laisser de traces et à qui on ne demande rien. Mon père, ma grand-mère m’ont raconté des histoires encore plus bouleversantes que celles que j’ai consignées dans mon [dernier] livre. Ce fut le choc de mon enfance et mon imagination en a été frappée à jamais. » ("Le Figaro" en 2013).

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Revenons à son meilleur livre, à mon avis, essentiel, "La Supplication, Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse" où elle a regroupé de nombreuses interviews des habitants, victimes et acteurs de la catastrophe, pendant dix ans (plus de cinq cents témoignages). Elle souffre même d’un cancer pour s’être trop approchée des lieux du désastre. Ni jugement moral, ni ambition scientifique dans ce documentaire. Juste des témoignages individuels et concordants qui montrent, par un effet de loupe, ce que personne ne pourrait imaginer de l’extérieur.

En somme, l’auteur a fait revivre ces centaines de victimes de ce désastre écologique qui ne pouvait pas lui être indifférent : « Si, dans mes livres précédents, je scrutais les souffrances d’autrui, maintenant, je suis moi-même un témoin, comme chacun d’entre nous. Ma vie fait partie de l’événement. C’est ici que je vis, sur la terre de Tchernobyl. Dans cette petite Biélorussie dont le monde n’avait presque pas entendu parler avant cela. Dans un pays dont on dit maintenant que ce n’est plus une terre, mais un laboratoire. Les Biélorusses constituent le peuple de Tchernobyl. Tchernobyl est devenu notre maison, notre destin national. Comment aurais-je pu ne pas écrire ce livre ? » (1997).

Le sociologue suisse Jean Rossiaud (militant antinucléaire) a expliqué en septembre 2000 l’importance éthique du travail de Svetlana Aleksievitch : « Elle se lève seule (…) pour récolter des centaines de vérités subjectives, intimes, solitaires, qui en se recoupant, donnent la trame d’une expérience collective inédite, littéralement inimaginable. (…) Il est nécessaire de rassembler des milliers de témoignages de victimes, parce que non seulement la victime possède une place singulière pour témoigner de l’expérience de l’horreur, mais surtout parce que son témoignage isolé suscite immanquablement l’incrédulité et la renvoie définitivement à sa solitude. La chronique tragique de Tchernobyl commence à peine. À nous de lui donner la continuité nécessaire pour que le travail de mémoire (…) se prolonge par un travail de deuil des promesses d’un progrès technologique illimité, fruit d’un système social qui a rendu cette horreur possible. ».

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Je propose ici très modestement quelques extraits de témoignages tirés de ce livre indispensable qui donnent un aperçu de l’horreur que vivent encore certains habitants près de Tchernobyl.

Arkadi Fikine, liquidateur : « Un groupe de scientifiques est arrivé en hélicoptère. Ils portaient des vêtements spéciaux de caoutchouc, des bottes hautes, des lunettes de protection. Comme pour un débarquement sur la Lune… Une vieille femme s’est approchée de l’un d’eux. (…) "Un scientifique ? Voyez comment il est affublé. Et nous alors ?". Elle l’a poursuivi avec un bâton. Je me suis dit à plusieurs reprises que l’on finirait par faire la chasse aux savants pour les noyer, comme au Moyen Âge. J’ai vu un homme dont on enterrait la maison devant ses yeux… On enterrait des maisons, des puits, des arbres… On enterrait la terre… On la découpait, on en enroulait des couches… Je vous ai prévenue… Rien d’héroïque. ».

Alexandra Ivanovna Kravtsova, médecin : « Deux enfants, deux garçons. Ils n’ont pas été à la crèche, ni au jardin d’enfants. Ils passent leur temps à l’hôpital. L’aîné, on ne peut même pas savoir si c’est un garçon ou une fille. Il est chauve. Je l’ai amené chez des médecins et des guérisseurs de toutes sortes. Il est le plus petit de sa classe. Il n’a pas le droit de courir, de jouer. Si quelqu’un le bouscule par hasard, il saigne, il peut mourir. Il a  une maladie du sang dont je ne peux même pas prononcer le nom. Je restais près de lui à l’hôpital et je me disais : "Il va mourir". Par la suite, j’ai compris que je ne devais pas penser ainsi. J’allais aux toilettes pour pleurer. Aucune mère ne pleure dans la chambre de son enfant, mais aux toilettes, dans la salle de bains. Je revenais toute gaie. (…) "Maman, fais-moi sortir de l’hôpital. Je vais mourir. Ici, tout le monde meurt". Où puis-je pleurer ? Aux toilettes ? Mais il y a la queue, là-bas… Et ils sont tous comme moi… ».

Lioudmila Dmitrievna Polenskaïa, institutrice, évacuée de la zone de Tchernobyl : « À cette époque, notre famille a décidé de ne pas économiser sur la nourriture. Nous achetions le saucisson le plus cher en espérant qu’il était fait avec de la bonne viande. Et puis nous avons bientôt appris que l’on ajoutait de la viande contaminée justement dans ce saucisson-là car il n’était consommé qu’en petites quantités à cause de son prix élevé. Nous nous sommes retrouvés sans défense. (…) Mes amis sont médecins, enseignants. L’intelligentsia locale. Nous avions notre petit cercle. (…) Je le répète : c’est quelque chose qui dépasse la Kolyma, Auschwitz et l’Holocauste. Mais où sont-ils, nos intellectuels, nos écrivains, nos philosophes ? Pourquoi se taisent-ils ? ».

Nadejda Petrovna Vygovskaïa, évacuée de Pripiat : « Mon fils est allé à l’école, il est rentré en larmes dès le premier jour de classe. On lui avait dit de s’installer à côté d’une petite fille, mais celle-ci n’avait pas voulu, en disant qu’il était radioactif et qu’on pouvait mourir à rester assis à côté de lui. Mon fils était le seul enfant de Tchernobyl, dans sa classe. Les autres avaient peur de lui et l’appelaient "la luciole". J’ai eu peur que son enfance ne se termine si vite… (…) À Kiev, on nous a distribué de l’argent pour la première fois, mais il était impossible d’acheter quoi que ce soit : avec une migration de centaines de milliers de personnes, les magasins étaient dévalisés. Dans les gares, dans les cars, il y avait beaucoup de crises cardiaques et d’hémorragies cérébrales. C’est l’exemple de ma mère qui m’a sauvée. Pendant sa longue vie, elle a perdu à maintes reprises sa maison et tous ses biens. La première fois, elle a été victime des répressions des années trente. Ils lui ont tout confisqué : la vache, le cheval, la maison. La deuxième fois, c’était un incendie et elle a pu tout juste me prendre dans les bras pour me sauver des flammes. ».

Sergueï Gourine, opérateur de cinéma : « On m’a posé toutes sortes de questions, mais l’une d’entre elles est restée gravée dans ma mémoire : un garçon qui rougissait et balbutiait a pris la parole. Apparemment, il était timide et taciturne. Il m’a demandé : "Pourquoi ne pouvait-on pas sauver les animaux qui sont restés là-bas ?". Je n’ai pas pu lui répondre… Nos livres, nos films parlent seulement de la pitié et de l’amour pour l’homme. Rien que pour l’homme ! Pas pour tout ce qui est vivant. Pas pour les animaux ou les plantes… Cet autre monde… Mais avec Tchernobyl, l’homme a levé la main sur tout… ».

Larissa Z. : « Parlez de ma fille à tout le monde. À quatre ans, elle chante, danse et récite des poèmes par cœur. Son développement intellectuel est normal. Elle ne diffère en rien des autres enfants, elle a seulement des jeux bien à elle. Avec ses poupées, elle ne joue pas "au magasin" ou "à l’école", mais "à l’hôpital" (…). Depuis quatre ans, nous vivons à l’hôpital, elle et moi. (…) On lui a fait des fesses… On est en train de lui former un vagin… Après la dernière opération, l’évacuation d’urine a totalement cessé et les chirurgiens ne sont pas parvenus à lui insérer un cathéter. Il faut encore d’autres interventions. Mais on nous conseille de la faire opérer à l’étranger. Mais où trouver les dizaines de milliers de dollars nécessaires alors que mon mari n’en gagne que cent vingt par mois ? Un professeur nous a donné un discret conseil : "Avec une telle pathologie, votre enfant représente un grand intérêt pour la science. Écrivez à des cliniques étrangères. Cela doit les intéresser". Et depuis, je n’arrête pas d’écrire… J’écris que l’on presse l’urine toutes les demi-heures, avec les mains, que l’urine passe à travers des trous minuscules dans la région du vagin. Si on ne le fait pas, son rein unique cessera de fonctionner. Est-ce qu’il y a un [autre] enfant dans le monde à qui l’on doit presser les urines toutes les demi-heures ? Et combien de temps peut-on supporter cela ? Personne ne connaît l’importance des petites doses de radiations sur l’organisme d’un enfant. Je leur demande de prendre ma fillette, même pour des expériences… Je ne veux pas qu’elle meure… Je suis d’accord pour qu’elle devienne un cobaye, comme une grenouille ou un lapin, pourvu qu’elle survive. ».

Lena Joudro, 15 ans : « Nous avons laissé chez nous mon hamster, nous l’avons enfermé. Nous lui avons laissé de la nourriture pour deux jours. Et nous sommes partis pour toujours. ».

Nikolaï Fomitch Kalouguine : « Il y a eu une annonce à la radio : interdit d’emporter les chats ! Je voulais cacher ma minette dans une valise, mais il n’y avait pas moyen : elle se débattait, griffait tout le monde. Interdit aussi d’emporter des affaires personnelles ! (…) À l’époque, tout le monde nous disait que nous allions tous mourir. Que, vers l’an 2000, il n’y aurait plus de Biélorusse. Ma fille avait six ans. Je la borde et elle me murmure à l’oreille : "Papa, je veux vivre, je suis encore petite". Et moi qui pensais qu’elle ne comprenait pas… Pouvez-vous imaginer sept petites filles totalement chauves en même temps ? Elles étaient sept dans la chambre… (…) Ma femme ne pouvait plus supporter de la voir à l’hôpital (…). Nous l’avons allongée sur la porte… Sur la porte qui avait supporté mon père, jadis. Elle est restée là jusqu’à l’arrivée du petite cercueil… Il était à peine plus grand que la boîte d’une poupée. Je veux témoigner que ma fille est morte à cause de Tchernobyl. Et qu’on veut nous faire oublier cela. ».

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Édouard Korotkov, pilote d’hélicoptère : « Avant notre retour définitif à la maison, nous avons été convoqué par un collaborateur du KGB qui nous a conseillé instamment de ne jamais raconter à personne ce que nous avions vu. Lorsque je suis rentré d’Afghanistan, je savais que j’allais vivre. Mais Tchernobyl, c’était le contraire : cela ne tuerait qu’après notre départ… ».

Irina Kisseleva, journaliste : « Quelqu’un vous a-t-il dit qu’il était strictement interdit de prendre des photos à proximité immédiate du réacteur ? Il fallait une autorisation spéciale. On confisquait les appareils. avant leur départ, on fouillait les soldats qui y avaient fait leur service, pour qu’ils n’emportent pas de photos. Pas de pièces à conviction. Le KGB confisquait même les pellicules aux équipes de télévision. Ils les rendaient après les avoir exposées à la lumière. Que de documents ont été détruits ! Que de témoignages perdus pour la science et pour l’histoire ! ».

Vassili Borissovitch Nesterenko, directeur de l’Institut de l’énergie nucléaire de l’Académie des sciences de Biélorussie : « J’ai pris le premier train pour Minsk. Après une nuit sans sommeil, au matin, j’étais chez moi. J’ai mesuré la thyroïde de mon fils : cent quatre-vingts microröntgens à l’heure ! La thyroïde est un parfait dosimètre. Il fallait de l’iode. De l’iode ordinaire. Deux à trois gouttes pour les enfants dans un demi-verre d’eau. Trois à quatre gouttes pour les adultes. Le réacteur allait brûler pendant dix jours, il fallait faire ce traitement pendant dix jours. Mais personne ne nous écoutait, nous autres, les scientifiques, les médecins. (…) On me prenait pour un fou. "De quoi parlez-vous, professeur ?". Röntgens, microröntgens… Un langage d’extraterrestre… Retour à Minsk. Sur l’avenue principale, on vendait des pirojki farcis à la viande hachée, des glaces, des petits pains. Sous le nuage radioactif… (…) Des milliers de tonnes de césium, d’iode, de plomb, de zirconium, de cadmium, de béryllium, de bore et une quantité inconnue de plutonium (dans les réacteurs de type RBMK à uranium-graphite du genre de Tchernobyl, on enrichissait du plutonium militaire qui servait à la production des bombes atomiques) étaient déjà retombées sur notre terre. Au total, quatre cent cinquante types de radionucléides différents. Leur quantité était égale à trois cent cinquante bombes de Hiroshima. Il fallait parler de physique, des lois de la physique. Et eux, ils parlaient d’ennemis. Ils cherchaient des ennemis ! ».

Valentina Timofeïevna Panassevitch, veuve d’un liquidateur : « Il y avait pas mal de rumeurs : on disait que les Tchernobyliens "luisaient" même après leur mort… J’ai lu que les gens font un détour pour ne pas s’approcher trop des tombes des pompiers de Tchernobyl, enterrés au cimetière de Mitino. Et l’on évite d’enterrer d’autres morts près d’eux. Si les morts ont peur des morts, que dire des vivants ? Car personne ne sait ce qu’est Tchernobyl. Il n’y a que des suppositions. Des pressentiments. ».

Anna Petrovna Badaïeva, résidente sans autorisation : « Pendant la guerre, on ramassait les orties et les feuilles d’arroche. La faim nous gonflait le ventre, mais nous ne mourions pas… Les baies des forêts, les champignons… Et maintenant… Nous pensions que ce qui bouillait dans les marmites étaient éternel. Je n’aurais jamais cru que cela pourrait changer. Mais c’est ainsi… On ne peut plus boire du lait. Ni cuisiner des haricots. On nous interdit les cueillettes de champignons ou de baies. ».

D’ailleurs, encore aujourd’hui, si vous voulez consommer des champignons, évitez catégoriquement ceux qui proviennent d’Ukraine ou de Biélorussie ! Vous constaterez qu’ils sont nettement moins onéreux que ceux originaires d’autres régions du monde…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 avril 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Fukushima expliqué par Maurice Allais.
Le secteur de l’énergie en France.
Alexandre Loukachenko.
Les élections législatives biélorusses du 28 septembre 2008.
Mikhaïl Gorbatchev.
Vladimir Poutine.
La guerre en Afghanistan.
Boris Nemtsov.
Andrei Sakharov.
Alexandre Soljenitsyne.
Svetlana Aleksievitch.
Staline.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160426-tchernobyl.html

http://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/tchernobyl-devoir-de-memoire-180322

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/04/26/33718198.html

 

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