Étape historique car avec lui, c’est la conclusion d’une décennie de discussions sur les problèmes institutionnels inextricables qui visaient à transformer une structure initialement prévue pour six pays (avec règle de l’unanimité) en une structure plus souple et plus efficace pour gérer vingt-sept pays membres (avec des majorités qualifiées).
De nouvelles institutions pour l’Europe
Parmi les principaux changements, la
désignation de deux nouveaux personnages qui devraient clarifier les rapports entre l’Union européenne et le reste du monde : un Président du Conseil européen pour un mandat de deux ans et demi reconductible, chargé de préparer les Conseils européens tout en maintenant les présidences tournantes tous les six mois, et un Haut représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, équivalent d’un super-ministre des Affaires étrangères.
Tout laissait entendre que la nuit serait longue et que le sommet pourrait être prolongé jusqu’au week-end. Le pire n’étant jamais sûr, la fumée blanche est donc sortie dès le début de la soirée.
Fumée blanche pour un conclave européen. Car opacité dans le processus de décision puisque certaines personnalités s’étaient présentées comme candidates, mais d’autres noms furent aussi en jeu sans être candidats.
Présidence du Conseil européen
Le premier Président du Conseil européen sera la personnalité clef des nouvelles institutions européennes. Son rôle est avant tout de personnifier l’Union européenne tant vis-à-vis des interlocuteurs étrangers que des citoyens européens. Donner un visage et une voix à l’Union européenne.
On se rappelle à quel point la personnalité peut créer la fonction. Celle par exemple de Jacques Delors, Président de la Commission européenne de 1985 à 1995, qui avait su impulser deux réformes essentielles, l’Acte unique et le Traité de Maastricht visant à acquérir une monnaie unique.
Mais on sait aussi que des personnalités plus fades, ou des volontés politiques moins affirmées peuvent également "ramollir" l’âme européenne.
Les anciens favoris
Il y a un an et demi, le favori à ce poste était le Premier Ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Président de l’Eurogroupe (l’ensemble des Ministres des Finances de la zone euro), il s’était montré comme le plus compétent et le plus expérimenté pour un poste qui requiert à la fois une grande habileté politique et une bonne reconnaissance internationale. Son inertie face à la crise financière a toutefois déçu beaucoup d’acteurs européens.
Ensuite, ce fut le tour de Tony Blair, ancien Premier Ministre britannique, de devenir le favori. Son avantage est sa notoriété internationale et sa forte personnalité qui lui aurait permis d’être un interlocuteur de poids face à Barack Obama, Vladimir Poutine ou Hu Jintao. Son handicap, c’est ce qu’il représente politiquement : travailliste alors que la majorité européenne est plutôt démocrate-chrétienne, plus atlantiste qu’européen au point d’avoir été un allié trop actif de George W. Bush dans la guerre en Irak, et relativement mou concernant un référendum qu’il avait lui-même envisagé pour doter la Grande-Bretagne de l’euro.
Un courant assez large a vu le jour en faveur de l’ancienne Présidente de Lettonie, Vaira Vike-Freiberga (soutenue entre autres par Simone Veil et par Daniel Cohn-Bendit) afin de mettre en avant des femmes à des postes de responsables suprêmes en Europe. Cependant, âgée déjà de 71 ans, Vaira Vike-Freiberga ne semblait pas la mieux placée des candidats pour jouer un rôle moteur dans les institutions.
Finalement, c’est le favori du jour qui a été désigné à l’unanimité : l’actuel Premier Ministre belge Herman Van Rompuy, un flamand démocrate-chrétien de 62 ans qui a réussi à maintenir la fragile unité de la Belgique depuis onze mois (nommé le 30 décembre 2008) malgré de profondes divisions politiques et linguistiques.
Qui est Herman Van Rompuy ?
Intellectuel, francophile, très réservé (le contraire de Tony Blair : « Tout être humain doit choisir entre l’absurde et le mystère. Moi, j’ai choisi le mystère… »), une silhouette de professeur Nimbus d’un temps révolu, l’œil vif, plein d’humour et d’autodérision, et amateur de haïkus (il en a rédigé beaucoup lorsqu’il était ministre dont un sur sa propre calvitie : « Cheveux dans le vent, le vent rattrape les années, partis les cheveux… »), Herman Van Rompuy est souvent appelé "l’horloger des compromis impossible" pour sa capacité à mettre d’accord des camps très opposés.
À l’issue du sommet de Bruxelles, Herman Van Rompuy a déclaré le 19 novembre 2009 : « J’y vois d’ailleurs une marque de reconnaissance à l’égard de la Belgique qui, en tant qu’État fondateur, s’est investie sans relâche dans la construction européenne. » ajoutant avec modestie mais détermination : « Je n’ai pas sollicité cette haute fonction. Je n’ai entrepris aucune démarche. Mais à partir de ce soir, je l’assume avec conviction. ».
En dégât collatéral, la Belgique perd un Premier Ministre inespéré et aura bien du mal à préserver les espoirs de réconciliation entre Wallons et Flamands. Ce sera la dure tâche du roi des Belges dans les jours prochains (la nomination du futur Premier Ministre belge).
Conciliateur plutôt que leader
Le sommet européen a donc préféré miser sur une personnalité peu connue sur le plan européen, d’un leadership moyen mais ayant une forte culture du dialogue et de la négociation. Histoire peut-être de ne pas faire trop de l’ombre aux leaderships nationaux.
Super-ministre des Affaires étrangères
La désignation du super-ministre des Affaires étrangères a été couplée avec celle de Herman Van Rompuy obtenue avant tout grâce au désistement de Tony Blair (initialement soutenu par la Grande-Bretagne et par l’Italie). En lot de consolation, la Grande-Bretagne obtient donc ce poste également très convoité par la nomination de Catherine Ashton, 53 ans, commissaire européenne sortante (succédant le 6 octobre 2008 à Peter Mandelson au Commerce). D’origine française (née Courtenay), Catherine Ashton parle couramment le français comme Herman Van Rompuy. Elle est aussi baronne depuis 1999 afin de siéger à la Chambre des Lords (dont elle a été la Présidente).
Parmi les "recalés" à ce poste, la candidature italienne de Massimo D’Alema, ancien Président du Conseil italien et surtout ancien président du parti communiste italien dont ne voulait en aucun cas Angela Merkel ni les pays d’Europe centrale et orientale qui ont trop connu la répression communiste. Par ailleurs, D’Alema a été considéré aussi comme "trop" pro-palestinien pour avoir une réelle impartialité dans des négociations internationales.
Un équilibre subtil
Les quatre principaux postes des institutions de la nouvelle Union européenne sont ainsi occupés avec une diversité de sexe, de tendance politique et de lieu géographique et historique : le Président du Conseil européen Herman Van Rompuy (démocrate-chrétien) représentant les membres fondateurs, le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso (démocrate-chrétien mais soutenu par beaucoup de responsables social-démocrates) représentant l’Europe du Sud, la Haute représentante pour les Affaires étrangères Catherine Ashton (social-démocrate), représentant la Grande-Bretagne et unique femme, et enfin, le Président du Parlement européen Jerzy Buzek (démocrate-chrétien), représentant les nouveaux venus de l’Europe centrale et orientale.
Le futur
Tout va dépendre de la manière dont Herman Van Rompuy va s’approprier de ses nouvelles fonctions. Il disait récemment : « L’avenir de l’Europe ne dépend pas d’une seule personne, mais de quelqu’un qui l’aidera à mieux fonctionner. ».
Dans tous les cas, son mode de désignation n’est pas absolument pas satisfaisant puisque c’est l’opacité des coulisses qui a prévalu à un choix clair, politique et démocratique.
L’étape suivante pourrait donc être de mettre en place une véritable procédure de désignation avec l’obligation de se porter candidat et d’être auditionné sur un projet à présenter à l’ensemble des représentants des États. L’heure n’est plus au consensus mou nécessaire à l’époque de l’unanimité mais au choix politique clair et clairement assumé dans cette nouvelle époque où prévaut pour la plupart des sujets une majorité qualifiée.
En attendant l’étape ultime, celle qui ferait de l’Union européenne une véritable entité démocratique : l’élection au suffrage universel (direct ou indirect) du Président du Conseil européen par le demi milliard de citoyens européens. Une élection qui serait donc supranationale et favoriserait l’émergence d’une opinion publique européenne et surtout, d’un véritable paysage politique européen.
Mais une telle élection, quel que soit son mode de scrutin, signifierait un réel changement de régime pour… les vingt-sept pays de l’Union européenne.
Autrement dit, ce n’est donc certainement pas pour demain.
Pour aller plus loin :