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25 novembre 2007 7 25 /11 /novembre /2007 19:01
La Chine inquiète. Pour ses démonstrations de conquête commerciale, pour son capitalisme sauvage, pour son régime politique répressif. Pourtant, elle fascine aussi, par ce grand potentiel scientifique et technique et cette croissance économique extraordinaire.



Le Président français Nicolas Sarkozy est en visite officielle en République Populaire de Chine du 25 au 27 novembre 2007.

C’est l’occasion de nouer des relations nouvelles entre la France et la Chine, faites à la fois de fermeté sur quelques sujets politiques chauds (Iran notamment), de moins grande fermeté pour d’autres sujets (Taïwan, peine de mort) et surtout d’intérêts économiques bien compris (20 milliards d’euros de contrats signés ce 26 novembre 2007, avec notamment 2 réacteurs EPR d’Areva et 160 avions d’Airbus, Alcatel, Alsthom, Eurocopter, Natixis, EDF, Sanofi-Aventis).


Retour sur quelques impressions d’un modeste observateur qui n’ont aucune prétention.


Main d’œuvre mais aussi matière grise

Il y a quelques années, j'avais vu à la télévision un défilé de mode à Paris. On citait un certain nombre de créateurs de la haute couture. Notamment un Chinois. Le journaliste l'interrogea sur place pendant quelques minutes. Dans un français très compréhensible, ce créateur chinois expliquait qu'il était venu à Paris parce que c'était la capitale de la mode, mais avant tout, parce qu'il voulait montrer au monde occidental que les Chinois, ce n'était pas seulement les petites mains qui cousaient, mais aussi de la matière grise capable d'innovation...

J'encaissais la réflexion. Sans plus.

C'est vrai que par la suite, des petits faits m'ont renforcé cette réflexion du haut couturier. Une sorte de tendance générale.

J'ai quelques amis chinois, et donc, ça m'intéresse d'en savoir un peu plus sur cet immense pays si contrasté.

Cet ami chinois, marié à une Chinoise, deux enfants, qui a fait sa thèse en France et qui y vit depuis une quinzaine d'années, avec un emploi dans une grande entreprise d'armement française.
- Pourquoi n'as-tu pas adopté la nationalité française ?
- Parce que dans ce cas, je perdrais ma nationalité chinoise.
- Tu y tiens tant ?
- Surtout professionnellement : si je n'avais plus de travail ici, je pourrais toujours retourner en Chine, j'ai une place à l'université qui m'attend. La perte de ma nationalité m'enlèverait cette possibilité.


Un pays à forte concurrence intérieure

Concrètement, pour étudier à l'étranger, il faut être très bon. Il ne savait pas dans quel pays il irait. Il ne l'a pas choisi. Il ne connaissait même pas la langue. C'était par classement. Un peu comme les grandes écoles après les concours des classes préparatoires.

La Chine, un pays très élitiste ? Bien sûr.

Cet autre ami chinois, directeur d'un laboratoire d'un grand institut parisien. Et consultant de multinationales. Lorsqu'il arrive à son poste de chercheur (donc fonctionnaire), ses collègues tentent de l'épater, de frimer. Tous racontent de quelle école ils viennent. Normale Sup principalement. Et expliquent : c'est la plus grande en France.

L'ami sourit.
- Ah bon, vous êtes l'élite. Mais moi, vous savez comment je suis arrivé ici ? en passant un concours. Il n'y avait qu'une centaine de places pour plus d'un million de candidats. Regardez le filtre, il est beaucoup fin. Même le premier à Normale Sup ne peut se prévaloir d'une telle sélection !

Les concours en Chine existent en fait depuis le IVe siècle avant J.-C., comme moyen pour les différents rois des royaumes de Chine de contrôler les aristocrates, et avaient pour tendance de centraliser les différents États chinois.


Une armée de scientifiques et d’ingénieurs de haut niveau

Et c'est vrai, la Chine a l'habitude des concours, des compétitions. Des ‘bêtes de concours’. Plus de 300 000 ingénieurs chinois arrivent chaque année tout frais sur le marché chinois, voire sur le marché mondial. Des ingénieurs de grande qualité, avec de grandes compétences technologiques.

Je travaillais il y a une quinzaine d'années dans un grand laboratoire grenoblois. Il avait notamment des relations académiques avec un laboratoire de Houston. Le chef de ce laboratoire était un Chinois. Généralement, j'ai toujours vu, dans toute discipline scientifique, d'éminents chercheurs chinois travaillant aux États-Unis. La différence depuis quelques années, c'est qu'ils reviennent maintenant travailler en Chine. En emportant dans leurs bagages leurs compétences, leurs technologies, leurs savoir-faire.

Autre fait intrigant.


Un véritable dynamisme commercial

Début de l'automne, il y a trois ans.

Je reçois l'email d'un commercial chinois. Il me propose un produit de haute technologie. Premier étonnement : je travaille bien dans ce domaine, je suis donc apte à apprécier la qualité de son produit (très industriel, je passe les détails). Pourtant, je ne me suis pas affiché.

Au bout d'une quinzaine de jours, je reçois un coup de téléphone du même personnage. Deuxième étonnement : comment a-t-il peu connaître mon numéro ? avec un peu d’investigation sur internet, en connaissant bien certaines institutions ou procédures françaises et en sachant rassembler les morceaux (en français) du puzzle. Donc, pas impossible, mais avec beaucoup de perspicacité.

Il me parle donc dans un anglais approximatif. Je suis intrigué. Il me propose de m'envoyer un échantillon. Pourquoi pas ? car finalement, ça m'intéresse un peu... Je reçois le colis à peine une semaine plus tard, alors que pendant ce temps, j'attends depuis six mois un autre colis d'un pays limitrophe. Le produit est effectivement d'une extrêmement bonne qualité, performances au top. Prix... Dix fois moins cher que celui fabriqué en Allemagne. Comme j'ai besoin de faire des analyses plus, je n'ai pas répondu à l'offre tout de suite. Mais le commercial ne se décourage pas à me relancer toutes les deux semaines.

Mes collègues, les gens du même métier, ont reçu, eux aussi, le même type de contact, de proposition. Bref, depuis plusieurs années, sur de nombreux secteurs de haute technologie, la Chine s’affirme.

Haute technologie, force de frappe en main d'œuvre, manuelle pour la production, intellectuelle pour la recherche, volontarisme commercial à rendre jaloux un ingénieur HEC. De quoi s’inquiéter peut-être...

HEC justement. Un de mes anciens professeurs officiant à HEC m'expliquait récemment que la Chine évoluait très lentement et avait une façon particulière de combattre. D'autres seront plus compétents que moi pour parler de la stratégie à la chinoise, du style : "un bon général n'est pas celui qui combat, mais celui qui attend que la tempête décime l'armée adverse" etc. Donc, ce professeur retraçait l'évocation par l'historique chinois.


Un grand pays sans volonté hégémonique

La Chine, selon lui, a toujours été une civilisation très avancée, scientifiquement, économiquement, et cela depuis plus de trois mille ans. Les Romains n'ont rien inventé quand on regarde la technologie chinoise de l'époque. Je passe, ce n'est pas mon propos. Jusqu'à la Renaissance où l'avance technologique chinoise se ralentit.

La Renaissance a permis à l'Occident de se développer. En art et en industries. L'expansion occidentale a commencé à cette époque. On aurait pu imaginer l'hypothèse selon laquelle les Chinois auraient pu investir des colonies en Afrique (ils le font maintenant économiquement) à la place des Européens.

Cela aurait été techniquement possible, mais le régime impérial et surtout les menaces intérieures avaient pour conséquence un renfermement de la Chine, qui était de toute façon capable de vivre en autarcie.

En effet, au XVe siècle, avec 30 000 hommes et 70 vaisseaux, la Chine possédait la marine la plus puissante du monde (selon certains récits, les navires mesuraient 138 mètres, à comparer aux 30 mètres de la Santa Maria de Christophe Colomb par exemple). La flotte chinoise, sous le commandement de Zheng He, est allée jusqu’en Égypte, Kenya et Mozambique (certains pensent même qu’elle aurait atteint l’Amérique dès 1421, comme l’a prétendu Gavin Menzies en 2004, mais rien n’est démontré à ce sujet).

Mais en 1433, l’empereur Ming Xuande fit détruire ses grandes jonques et leurs plans, et interdit la construction d’autres grands navires. Un autre empereur aurait pu reprendre la politique d’expansion (qui n’avait qu’un simple but de prestige), mais la pression des KalmouksMing Zhengtong a même été capturé par eux en 1449).
(descendants de Mongols) sur la frontière nord préoccupa la Chine pendant une longue période (l’empereur

Pendant quelques siècles, les Chinois ont ainsi perdu leur avance technologique au profit des Occidentaux. Jusqu'à la fin du XIXe siècle où ces Occidentaux sont allés même jusqu’à envahir une partie du continent chinois (avec la colonisation de l’Indochine).


Un retour dans le leadership mondial

Pendant tout le XXe siècle, la Chine s'est plutôt tu. Elle n'a fait que se défendre des poussées expansionnistes japonaises (fort racisme anti-japonais en Chine, illustré en 2006 par des manifestations). Elle n'a fait qu'observer ses "agresseurs" occidentaux. Elle a appris le système. Elle a compris le système.


Et aujourd'hui, elle décolle (de l’ordre de 10% annuel de croissance). Elle est la troisième puissance économique du monde après les États-Unis et le Japon, mais devant l’Allemagne avec un PIB de 3 100 milliards de dollars (Le Monde du 19 juillet 2007).

C'est cette nation qui a compris le mieux le fonctionnement du système capitaliste. Elle génère désormais des milliers de millionnaires, qui ont jets privés et piscines personnelles. Elle génère une précarité de l'emploi (le CPE aurait été chez elle une avancée sociale extraordinaire !). Elle génère un enrichissement collectif. Elle maintient aussi l'état de pauvreté initial.


Propriétaire de nombreux actifs étrangers

Cet économiste de HEC me faisait en effet remarquer que pour l'instant, l'enrichissement de la Chine n'allait en effet pas vers le peuple chinois dont le niveau de vie ne s'est pas amélioré, mais dans l'acquisition de nombreux actifs dans le monde, en Afrique, mais aussi en Europe (rachat d'entreprises de luxe, d'hôtels etc.) et aux États-Unis. La Chine est devenue le principal créancier des États-Unis.

La Chine respecte peu la protection des brevets, mais avec son entrée à l’OMC et son enrichissement, il est fort probable qu’elle s’alignera rapidement avec les autres pays sur ce sujet très sensible.

Pour l'instant, tout va bien car la Chine en a besoin. C'est elle qui contribue à la montée du prix du pétrole et du prix de l'acier ou du cuivre, en raison de ses forts besoins. Mais le jour où elle demandera l'addition à l'Occident, cela coûtera plus cher que 1929. Et les États-Unis seront à genoux.

La France a son rôle, car la Chine préfère visiblement l'esprit français à l'esprit américain. À nous d'en profiter aussi : l'économie chinoise a déjà apporté beaucoup plus de créations d'emplois français en France que de suppressions d'emplois français dues à des délocalisations (voir en fin d’article un approfondissement sur les délocalisations).

Et tout cela dans une situation politique déplorable, avec des Droits de l'Homme systématiquement bafoués et des libertés réprimées. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas le gouvernement français précédent d’avoir conclu un odieux accord de coopération avec la justice chinoise.

La Chine m'intrigue.

Alors que la Russie a d’abord libéralisé la vie politique avant son économie, un processus qui semble se raidir avec Poutine (Garry Kasparov emprisonné quelques jours, Boris Nemtsov, ancien vice-Premier Ministre et ex-dauphin de Eltsine, brutalement interpellé), la Chine semble avoir préféré libéraliser son économie avant tout.


Comment une telle ouverture économique et financière, commerciale et scientifique, est-elle possible au sein d'un pays si fermé politiquement ?

Comment peut-elle durer avec un si grand contraste des populations, entre les technologues modernes et aisés de Shanghai et les paysans analphabète et très pauvres des régions plus reculées ?

Je ne suis pas un expert de la Chine, je n’ai fait que modestement exprimer mon interrogation face à un pays qui, dans tous les cas, fascine.


Sylvain Rakotoarison



Sur la délocalisation et ses répercussions sur les emplois :

(1) Quand les délocalisations créent de l’emploi en France.
(2) Des bienfaits des délocalisations.
(3) La délocalisation crée aussi des emplois dans le pays d’origine.
(4) Délocalisations en Chine de Arc International.
(5) Rapport Brunel sur les délocalisations (2006).
(6) Développement du marché chinois (2004).
(7) Les délocalisations,entre mythes et réalités (2004).
(8) Globalisation de l’économie (1).
(9) Globalisation de l’économie (2).
(10) Échanges, délocalisations des emplois et ajustement structurel (2004).
(11) Prospérité et création d’emplois de qualité (2006).
(12) Les délocalisations détruisent plus de 15 000 emplois par an.
(13) Pôles de compétitivité et délocalisations.





     Article paru sur Agoravox.













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commentaires

S
À ceux qui veulent ajouter un commentaire sur le site Agoravox, il y a apparemment un bug qui rend très difficile cette opération.<br /> <br /> Je leur conseille de passer par ce lien :<br /> <br /> http://www.agoravox.fr/article_tous_commentaires.php3?id_article=32184
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S
Merci Le Furtif des références de cet ouvrage.<br /> <br /> <br /> Bien cordialement.
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L
Bonjour SylvainLa lecture de votre article sur Avox fut un plaisir. Me permettrez-vous  de  faire la publicité  d'un ouvrage de base fondamental sur  la Chine Le Monde Chinois en 3 tomes de Jacques Gernet...Venir rappeler la nécessité de la lecture de cet ouvrage corrobore vos propos sur la formation française comparée à la sélection chinoise.Ne le connaissant pas , je ne l'avais jamais lu , à quelques jours de ma retraite d'enseignant d'Hist-Geo.Très cordialementLe Furtif
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