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21 septembre 2019 6 21 /09 /septembre /2019 03:14

« Les lâches meurent plusieurs fois avant leur mort ; le brave ne goûte de la mort qu’une fois. » (Shakespeare, 1623).


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Si l’on suit Shakespeare dans sa pièce "Jules César", l’ancien Président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali était déjà mort lorsqu’il a expiré son dernier souffle ce jeudi 19 septembre 2019 à Djeddah, en Arabie Saoudite, où il avait trouvé un divin refuge. Il venait d’atteindre 83 ans, seize jours auparavant.

En effet, Ben Ali est mort véritablement 14 janvier 2011, le jour où il a lâchement fui le pouvoir, à Tunis, voyant les foules envahir trop densément les rues de son pays. À l’origine de ce qui fut le Printemps arabe, le suicide par le feu d’un marchand ambulant, Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid parce que la police lui avait saisi ses marchandises, sa charrette et sa balance. Peu de monde imaginait que ce tragique événement allait mettre le feu dans la plupart des pays musulmans, d’abord la Tunisie, puis l’Égypte, la Syrie (plongée dans la guerre civile), le Yémen, Bahreïn, la Libye aussi. L’Algérie et le Maroc sont parvenus à éviter l’explosion populaire, du moins à court terme, et au prix de concessions avec les libertés publiques.

En France, victime collatérale, la Ministre française des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie n’avait pas compris qu’il était temps que la France s’arrêtât de soutenir aveuglément un tyran qui n’hésitait pas, pour maintenir un pouvoir sans partage depuis le 7 novembre 1987, à violer impunément les droits de l’homme. Elle a finalement dû quitter le gouvernement de François Fillon en février 2011 et a été battue aux élections législatives de juin 2012, puis rattrapée au Parlement Européen sur la liste UMP en mai 2014 (pour un seul mandat).

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Le 14 janvier 2011, Ben Ali a nommé un nouveau gouvernement, puis a proposé de nouvelles élections pour dans six mois, mais, ces propositions ayant été balayées, quelques heures plus tard, il s’est enfui et s’est réfugié en Arabie Saoudite, accueilli avec tous les honneurs et la sécurité qu’il pouvait espérer, avec la contrepartie de ne plus faire de politique. Malade, il se montra très rarement en public pendant ses huit années et demi d’exil.

Contrairement à Hosni Moubarak qui a été jugé et condamné dans son pays, plutôt comme Robert Mugabe qui est mort il y a deux semaines (le 6 septembre 2019) sans procès, Ben Ali n’a pas eu à se confronter à ses responsabilités face aux nombreux drames humains et politiques dont il a été l’auteur pendant des décennies. L’histoire l’a cependant déjà jugé, d’autant plus sévèrement que ses nombreux et anciens soutiens se sont retournés contre lui.

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La mort de Ben Ali est survenue en plein processus électoral. En effet, à la suite de la mort du (seul) Président élu démocratiquement en Tunisie, Béji Caïd Essebsi le 25 juillet 2019 à l’âge de 92 ans, l’élection présidentielle prévue le 17 novembre 2019 a été avancée au 15 septembre 2019, dimanche dernier (jour où, d’ailleurs, l’épouse de Béji Caïd Essebsi, Chadlia Caïd Essebsi, est morte aussi, à l’âge de 83 ans, d’un accident cardiaque).

Ce premier tour de l’élection présidentielle tunisienne a été marqué par une forte abstention, seulement 45,0% des 7 millions d’électeurs inscrits ont participé au scrutin, soit presque 18 points de moins qu’au précédent premier tour le 23 novembre 2014. Aucun des très nombreux candidats (ils étaient 25 à concourir !) ne s’est réellement distingué et le paysage politique est particulièrement éclaté. Les indications sur les résultats de ce premier tour sont à prendre avec prudence car elles concernent les premiers résultats (pas les résultats définitifs).

Les deux candidats qualifiés pour le second tour n’ont même pas atteint les 20% des voix. Ce sont deux candidats "anti-système" qui s’affronteront au second tour prévu au-delà du 29 septembre 2019 (il me semble que la date n’est pas encore fixée). Kaïs Saïed a obtenu le plus de voix avec 18,4% et Nabil Karoui le suit avec 15,6%. Les islamistes d’Ennahdha, représentés par leur candidat Abdelfattah Mourou (71 ans), Président de l’Assemblée des représentants du peuple par intérim depuis le 25 juillet 2019, n’ont obtenu que 12,9% des voix, en troisième position, et ont apporté leur soutien au second tour en faveur de Kaïs Saïed.

Parmi les autres candidats, Moncef Marzouki (74 ans), l’ancien Président de la République du 13 décembre 2011 au 31 décembre 2014, n’a obtenu que 3,0% des voix, onzième dans le classement, alors qu’il avait été le concurrent de Béji Caïd Essebsi au second tour de la précédente élection présidentielle, le 21 décembre 2014, avec 44,3% des voix (33,4% des voix au premier tour du 23 novembre 2014).

Youssef Chahed (qui vient d’avoir 44 ans), chef du gouvernement depuis le 27 août 2016, n’a obtenu que 7,4% des voix, en cinquième position (dans les sondages, en février 2019, il était pourtant monté jusque vers 30% d’intentions de vote). Par ailleurs, Abdelkarim Zbidi (69 ans), actuel Ministre de la Défense, a recuilli 10,7% des voix (quatrième place) et Mohamed Abbou (53 ans), ancien ministre, 3,6% des voix (dixième place).

Attardons-nous avec les deux candidats du second tour. Tout les oppose : l’un est rigoriste, légaliste, incorruptible, pédagogue, et l’autre homme d’affaires, d’influences, publicitaire, très communiquant …et en prison ! Un Robert Badinter de droite face à un Bernard Tapie …de droite aussi (j’ai conscience que cette comparaison est très simplificatrice, très osée, d’autant plus osée que la situation politique tunisienne est bien plus compliquée qu’en France où il faudrait rajouter une dimension supplémentaire, celle de l’islam politique).

Kaïs Saïed (61 ans) est un constitutionnaliste distingué, parlant un arabe littéraire sur une diction parfaite et un ton monocorde (il est surnommé "Robocob", et qualifié par l’hebdomadaire "Le Point" de "Robespierre mais sans guillotines"), apprécié surtout des diplômés pour ses thèmes de campagne qui sont basés sur la justice, le droit, la lutte contre la corruption. Candidat indépendant aux moyens limités, il est arrivé en tête du premier tour contre toutes les prévisions.

Favorable (néanmoins) à la peine de mort et à la révocabilité des mandats électifs, il a prôné un mode de scrutin indirect pour la désignation des députés. Kaïs Saïed ne s’est engagé dans la politique que depuis moins d’un an, mais il est très connu depuis une dizaine d’années car il intervient très régulièrement à la télévision comme expert sur les institutions.

Le journal tunisien "Leaders" du 15 septembre 2019 explique aussi à propos de Kaïs Saïed : « Les coulisses rapportent faussement que c’est un homme sensible aux thèses islamistes, il n’en est rien. Si c’est un musulman qui s’assume sans détour, il n’est pas non plus connu pour être un militant de l’islam politique. C’est plutôt un militant du droit, de la loi, de l’ordre pour tous et pour chacun à commencer par lui-même. ».

Dans une longue interview à l’hebdomadaire français "L’Obs" du 20 septembre 2019, Kaïs Saïed, considéré comme le favori du second tour, a posé la question : « Ai-je l’air d’un salafiste ? ». Il a revendiqué une campagne originale : « La campagne que je mène n’est pas une campagne électorale. Elle est atypique à tous les niveaux. C’est plutôt une campagne explicative, une campagne pour expliquer, surtout aux jeunes, mais pas seulement, comment le peuple souverain peut avec d’autres instruments juridiques, être le principal acteur en Tunisie. (…) Nous sommes entrés, je crois, dans une nouvelle phase de l’histoire et les concepts classiques tels que la société civile, les partis politiques, la démocratie elle-même sont dépassés par les idées nouvelles. » ("L’Obs").

Son concurrent du second tour, Nabil Karoui (56 ans) est un homme d’affaires dans le domaine de la communication et de la publicité. Le 30 décembre 2010, c’est-à-dire treize jours après le suicide de Mohamed Bouazizi, il a diffusé sur sa chaîne de télévision (de divertissement) les premières informations sur la situation réelle du pays (en état d’insurrection contre le régime Ben Ali). Le 9 octobre 2011, il a eu le courage de diffuser le film d’animation "Persépolis" issu de l’excellente bande dessinée de Marjane Satrapi sur sa vie quotidienne en Iran, ce qui a provoqué des réactions violentes de salafistes contre lui et un procès et une condamnation le 3 mai 2012 pour blasphème (son avocat Chokri Belaïd a été assassiné le 6 février 2013 et le chef du gouvernement Hamadi Jebali a dû démissionner le 13 mars 2013).

Pendant la révolution de 2011, Nabil Karoui a fait de sa chaîne le média d’information par excellence et en remettant en selle à la télévision Béji Caïd Essebsi, ancien ministre de Bourguiba, il a montré beaucoup d’influence sur la vie politique : Béji Caïd Essebsi fut effectivement choisi comme Premier Ministre de transition du 27 février 2011 au 24 décembre 2011, jusqu’à la victoire des islamistes à l’élection de l’Assemblée constituante. Nabil Karoui a contribué à la formation du parti d’opposition Nidaa Tounes lancé le 20 avril 2012 par Béji Caïd Essebsi, parti qui a gagné les élections législatives du 26 octobre 2014 (37,6% des voix et 86 sièges sur 217) et l’élection présidentielle du 21 décembre 2014.

Exemple de son influence, ce fut grâce à Nabil Karoui que Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha depuis novembre 1991, et Béji Caïd Essebsi se sont rencontrés le 14 août 2013 dans un hôtel à Paris pour se rapprocher politiquement (« l’unique issue à ce moment-là pour que le pays ne bascule pas dans la guerre civile », selon lui cité par Frida Dahmani de "Jeune Afrique" le 9 mai 2017).

En avril 2017, il s’éloigna du parti au pouvoir et créa par la suite son propre parti. Lorsqu’en mai 2019, Nabil Karoui a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle, il fut rapidement le favori tant pour la présidentielle (autour de 20-25% d’intentions de vote) que son parti pour les législatives (autour de 30% d’intentions de vote). Sa popularité n’est pas étonnante. Depuis la mort d’un de ses fils, en août 2016, Nabil Karoui sillonne en effet le pays et fait des dons pour de la nourriture ou des soins médicaux aux populations qui en ont besoin. Le gouvernement a alors cherché à l’exclure de l’éligibilité en proposant le 18 juin 2019 l’interdiction de candidature pour les donateurs. Mais Béji Caïd Essebsi a finalement refusé de promulguer cette réforme juste avant de mourir.

Nabil Karoui fut inculpé le 8 juillet 2019 pour blanchiment d’argent (avec gel de ses biens) et incarcéré depuis le 23 août 2019. Malgré tout, il a pu rester candidat à l’élection présidentielle et se retrouve ainsi parmi les deux candidats qualifiés pour le second tour, malgré son absence dans la campagne. Par trois fois sa demande de remise en liberté a été rejetée le 3 septembre 2019, le 13 septembre 2019 et le 18 septembre 2019 (après le premier tour).

Là, pour le coup, au contraire de la situation concernant Jean-Luc Mélenchon en France, on pourrait envisager qu’il y ait eu une action politique de la justice pour l’empêcher de faire campagne. Beaucoup d’associations et d’ONG défendant les droits de l’homme ont dénoncé cette incarcération qui a faussé la campagne électorale.

Au moment où l’autocrate Ben Ali vient de mourir sans être retourné dans son pays, la Tunisie vit un moment historique, cette ligne de crête qui pourra la faire pencher du côté de la démocratie ou de l’autre versant… Tout reste possible, jusqu’à l’invalidation de l’élection présidentielle en raison de l’incarcération d’un des principaux candidats. Les jeunes démocraties sont toujours fragiles dans leurs démarrages.

Mais il faut noter cet élément très prometteur et encourageant : malgré les très graves attentats islamistes qui ont endeuillé les Tunisiens et ceux qui viennent séjourner en Tunisie, la Tunisie est le seul pays à n’avoir pas refermé sa "parenthèse démocratique", où la bonne volonté d’une évolution démocratique trouve son chemin coincé entre une Algérie sans pouvoir et une Libye sans nation, sans compter une Égypte revenue à l’ère Moubarak avec l'avènement de Sissi. Légalistes et démocrates, les Tunisiens ont tout intérêt à poursuivre leur processus démocratique, malgré les grandes difficultés…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 septembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Ben Ali ne sera jamais jugé… mais la démocratie tunisienne passe.
Le premier tour de l’élection présidentielle tunisienne du 15 septembre 2019.
Béji Caïd Essebsi.
Interview de Béji Caïd Essebsi diffusée sur France Inter le 3 décembre 2016 (à télécharger).
Daech.
Les révolutions arabes de 2011.
Ben Ali a 80 ans.
La fuite de Ben Ali.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190919-ben-ali.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/ben-ali-ne-sera-jamais-juge-mais-218025

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/09/20/37648900.html




 

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18 septembre 2019 3 18 /09 /septembre /2019 03:07

« Il y a trois sortes d’hommes politiques : ceux qui troublent l’eau ; ceux qui pêchent en eau trouble ; et ceux, plus doués, qui troublent l’eau pour pêcher en eau trouble. » (Arthur Schnitzler).


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Ce mardi 17 septembre 2019 ont eu lieu de nouvelles élections législatives pour les 6,4 millions d’électeurs d’Israël. Pourtant, les citoyens israéliens ont déjà voté le mardi 9 avril 2019. Comme dans la plupart des démocraties (des "vraies" démocraties), le paysage politique israélien est particulièrement éclaté. Il suffit pour s’en convaincre (c’est un critère comme un autre) de voir quel est le score du premier parti. Ce premier parti, ce fut le Likoud qui a recueilli le 9 avril 2019 seulement 26,5% des voix, et encore, à l’époque, il a progressé de 3,1 points par rapport aux précédentes élections législatives du 17 mars 2015. De plus, ce score du printemps fut le meilleur du Likoud depuis 2003 !

Le caractère éclaté de la classe politique ainsi que le scrutin proportionnel ont rendu impossible toute formation d’une majorité gouvernementale (du reste, on retrouve la même situation actuellement en Espagne). Résultat, dans la nuit du 29 au 30 mai 2019, le Premier Ministre sortant Benyamin Netanyhou a fait dissoure la Knesset (la chambre des députés) et les urnes ont de nouveau parlé ce 17 septembre 2019.

Insistons sur le fait que six mois viennent d’être perdus à cause du scrutin proportionnel… à un moment pourtant clef de la vie d’Israël. En effet, l’attaque des puits de pétrole de l’Arabie Saoudite du 14 septembre 2019, réduisant de moitié la production de pétrole (soit 6% de production mondiale) pourrait embraser l’ensemble de la région, dans le cadre d’une guerre entre sunnites (Arabie Saoudite) et chiites (Iran) qui a déjà lieu, très meurtrière, au Yémen.

Israël a donc évidemment besoin d’un gouvernement fort, stable et on aurait imaginé que les électeurs auraient voulu réagir après leur "indécision" du printemps. En fait, les résultats du scrutin qui sont en train de se préciser (voir plus loin) montrent au contraire un éclatement accentué du paysage politique et surtout, les deux grands partis au coude à coude.

Pourtant, la classe politique elle-même avait réagi à cet éclatement après avril 2019, j’allais écrire, avait "bien" réagi, cet adverbe n’ayant pas le sens de jugement (je me garderais bien de savoir ce qui est "bien" ou "mal" pour un pays étranger, aussi ami soit-il), avec des partis qui ont cherché à se consolider en s'unifiant, en se coalisant, en formant des alliances de rassemblement.

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Comme lors des élections législatives du 9 avril 2019, le duel politique se fait entre deux leaders politiques principaux : Benyamin Netanyahou (69 ans), Premier Ministre du 18 juin 1996 au 6 juillet 1999 et depuis le 31 mars 2009 (il a battu, il y a quelques mois, le record de longévité à ce poste détenu alors par le fondateur de l’État d’Israël, David Ben Gourion), chef du Likoud, parti politique déjà ancien (une cinquantaine d’années) de droite et de centre droit, et le général Benny Gantz (60 ans), ancien chef d’état-majori de Tsahal du 14 février 2011 au 16 février 2015.

Ce dernier s’est engagé dans la vie politique le 27 décembre 2018 en fondant son propre parti, centriste, Résilience pour Israël, constituant le 21 février 2019 une alliance appelée Bleu et Blanc (les couleurs du drapeau national).

Les élections législatives du 9 avril 2019 avaient été initialement prévues le 5 novembre 2019, mais le parti d’Avigdor Liberman était opposé au cessez-le-feu avec le Hamas dans la bande de Gaza, si bien qu’il s’était retiré de la majorité de Benyamin Netanyahou. La faible majorité (à 1 siège près) a explosé à la suite d’un désaccord avec un parti orthodoxe sur le service militaire. Le 26 décembre 2018, la Knesset a alors voté le principe d’élections anticipées par 102 voix sur 120.

Le 9 avril 2019, la participation a baissé à 68,5% des inscrits. Le parti de Benyamin Netanyahou, le Likoud, a amélioré ses résultats du 17 mars 2015 avec un gain de 5 sièges, ce qui l’a amené à avoir 35 sièges sur 120, avec 26,5% des voix, mais la nouvelle coalition de Benny Gantz a atteint un niveau similaire, 26,1% des voix, lui attribuant également 35 sièges. Quant au parti travailliste, qui fut l’un des grands partis qui ont gouverné Israël depuis sa fondation, il n’a représenté plus que 4,4% des voix, lui donnant seulement 6 sièges (au lieu des 19 obtenus en 2015).

Considéré comme le grand vainqueur du 9 avril 2019 (reconnu par Benny Gantz heureux d’avoir mis en place un parti permettant l’alternance future), Benyamin Netanyahou fut chargé de composer un nouveau gouvernement, mais a échoué pour les mêmes raisons qu’à la fin de l’année 2018, ses alliés de droite refusant certains points de sa politique (toujours à propos du service militaire). Refusant de s’allier vers sa gauche (comme ce fut le cas entre 2009 et 2013), Benyamin Netanyahou a préféré dissoudre la Knesset une nouvelle fois, votée le 29 mai 2019.

Comme je l’ai écrit plus haut, la plupart des partis se sont regroupés pour ces nouvelles élections du 17 septembre 2019, en particulier, Koulanou (formation centriste) a fusionné dans le Likoud. Ehud Barak (77 ans), ancien Premier Ministre travailliste du 6 juillet 1999 au 7 mars 2001 et Ministre de la Défense de Benyamin Netanyahou jusqu’au 18 mars 2013, a créé le 26 juin 2019 un nouveau parti, le Parti démocratique, qu’il a intégré dans une alliance plus vaste, l’Union démocratique, de centre gauche. Selon les premières indications, son pari d’en faire un grand parti de gouvernement a échoué, avec seulement 5 sièges obtenus (il aurait environ 4,3% des voix).

Les premières indications des résultats des élections législatives du 17 septembre 2019 montrent que le pari de Benyamin Netanyahou de les gagner est en train d’être perdu. Par rapport au 9 avril 2019, la participation s’est très légèrement améliorée (69,4%).

Selon le dépouillement de 63,10% des bulletins (situation de ce mercredi 18 septembre 2019 à 12h53, heure de Jérusalem), Bleu et Blanc obtiendrait 25,66% des voix et le Likoud 25,03% des voix. Les deux coalitions verraient baisser leur importance à la Knesset avec respectivement 32 et 31 sièges chacun sur 120 au total. Le vrai bénéficiaire de ces nouvelles élections semble être le parti d’extrême droite d’Avigdor Lieberman qui passerait de 5 à 9 sièges. Shas aussi gagnerait un siège avec 9 sièges.

Benny Gantz, prenant ses responsabilités, a déjà proposé de conclure une "grande coalition" entre le Likoud et Bleu et Blanc, pour éviter qu’un petit parti prenne en otage l’ensemble de la classe politique, mais à la condition d’exclure du futur gouvernement Benyamin Netanyahou. La question est alors de savoir si ce dernier peut accepter une telle configuration qui permettrait à son parti de garder le pouvoir (voire de continuer à diriger le gouvernement s’il arrivait en tête, cela semblerait ne pas se dessiner, mais cet ordre peut encore se modifier). Cela l’obligerait à se retirer de la vie politique, à laisser un "héritier" au sein du Likoud prendre la direction des affaires.

Rien, en tout cas, ne semble en mesure de lui permettre de trouver une majorité en dehors de cette solution de grande coalition, dans la mesure où les causes des dissolutions de décembre 2018 et de mai 2019 restent les mêmes. Les jours de Benyamin Netanyahou à la tête du gouvernement israélien sont donc comptés…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 septembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les élections législatives israéliennes du 17 septembre 2019.
Poisons et délices de la proportionnelle.
Les enjeux des élections législatives israéliennes du 9 avril 2019.
Golda Meir.
La lutte contre l’antisémitisme est l’affaire de tous !
Les Accords de Camp David.
La naissance de l’État d’Israël.
Massacre à Gaza.
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
Tentative de paix en 1996.
Un géant à Jérusalem.
Shimon Peres.
Israël est une démocratie.
Yitzhak Rabin.
Le Président Peres.
Ariel Sharon.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
Yasser Arafat.

_yartiIsrael2019A01



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190917-israel.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/israel-2019-chant-du-cygne-pour-217958

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/09/17/37641991.html




 

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16 septembre 2019 1 16 /09 /septembre /2019 03:49

« Les lâches meurent plusieurs fois avant leur mort ; le brave ne goûte de la mort qu’une fois. » (Shakespeare, 1623).


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Si l’on suit Shakespeare dans sa pièce "Jules César", l’ancien Président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali était déjà mort lorsqu’il a expiré son dernier souffle ce jeudi 19 septembre 2019 à Djeddah, en Arabie Saoudite, où il avait trouvé un divin refuge. Il venait d’atteindre 83 ans, seize jours auparavant.

En effet, Ben Ali est mort véritablement 14 janvier 2011, le jour où il a lâchement fui le pouvoir, à Tunis, voyant les foules envahir trop densément les rues de son pays. À l’origine de ce qui fut le Printemps arabe, le suicide par le feu d’un marchand ambulant, Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid parce que la police lui avait saisi ses marchandises, sa charrette et sa balance. Peu de monde imaginait que ce tragique événement allait mettre le feu dans la plupart des pays musulmans, d’abord la Tunisie, puis l’Égypte, la Syrie (plongée dans la guerre civile), le Yémen, Bahreïn, la Libye aussi. L’Algérie et le Maroc sont parvenus à éviter l’explosion populaire, du moins à court terme, et au prix de concessions avec les libertés publiques.

En France, victime collatérale, la Ministre française des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie n’avait pas compris qu’il était temps que la France s’arrêtât de soutenir aveuglément un tyran qui n’hésitait pas, pour maintenir un pouvoir sans partage depuis le 7 novembre 1987, à violer impunément les droits de l’homme. Elle a finalement dû quitter le gouvernement de François Fillon en février 2011 et a été battue aux élections législatives de juin 2012, puis rattrapée au Parlement Européen sur la liste UMP en mai 2014 (pour un seul mandat).

_yartiBenAliB03

Le 14 janvier 2011, Ben Ali a nommé un nouveau gouvernement, puis a proposé de nouvelles élections pour dans six mois, mais, ces propositions ayant été balayées, quelques heures plus tard, il s’est enfui et s’est réfugié en Arabie Saoudite, accueilli avec tous les honneurs et la sécurité qu’il pouvait espérer, avec la contrepartie de ne plus faire de politique. Malade, il se montra très rarement en public pendant ses huit années et demi d’exil.

Contrairement à Hosni Moubarak qui a été jugé et condamné dans son pays, plutôt comme Robert Mugabe qui est mort il y a deux semaines (le 6 septembre 2019) sans procès, Ben Ali n’a pas eu à se confronter à ses responsabilités face aux nombreux drames humains et politiques dont il a été l’auteur pendant des décennies. L’histoire l’a cependant déjà jugé, d’autant plus sévèrement que ses nombreux et anciens soutiens se sont retournés contre lui.

_yartiBenAliB01

La mort de Ben Ali est survenue en plein processus électoral. En effet, à la suite de la mort du (seul) Président élu démocratiquement en Tunisie, Béji Caïd Essebsi le 25 juillet 2019 à l’âge de 92 ans, l’élection présidentielle prévue le 17 novembre 2019 a été avancée au 15 septembre 2019, dimanche dernier (jour où, d’ailleurs, l’épouse de Béji Caïd Essebsi, Chadlia Caïd Essebsi, est morte aussi, à l’âge de 83 ans, d’un accident cardiaque).

Ce premier tour de l’élection présidentielle tunisienne a été marqué par une forte abstention, seulement 45,0% des 7 millions d’électeurs inscrits ont participé au scrutin, soit presque 18 points de moins qu’au précédent premier tour le 23 novembre 2014. Aucun des très nombreux candidats (ils étaient 25 à concourir !) ne s’est réellement distingué et le paysage politique est particulièrement éclaté. Les indications sur les résultats de ce premier tour sont à prendre avec prudence car elles concernent les premiers résultats (pas les résultats définitifs).

Les deux candidats qualifiés pour le second tour n’ont même pas atteint les 20% des voix. Ce sont deux candidats "anti-système" qui s’affronteront au second tour prévu au-delà du 29 septembre 2019 (il me semble que la date n’est pas encore fixée). Kaïs Saïed a obtenu le plus de voix avec 18,4% et Nabil Karoui le suit avec 15,6%. Les islamistes d’Ennahdha, représentés par leur candidat Abdelfattah Mourou (71 ans), Président de l’Assemblée des représentants du peuple par intérim depuis le 25 juillet 2019, n’ont obtenu que 12,9% des voix, en troisième position, et ont apporté leur soutien au second tour en faveur de Kaïs Saïed.

Parmi les autres candidats, Moncef Marzouki (74 ans), l’ancien Président de la République du 13 décembre 2011 au 31 décembre 2014, n’a obtenu que 3,0% des voix, onzième dans le classement, alors qu’il avait été le concurrent de Béji Caïd Essebsi au second tour de la précédente élection présidentielle, le 21 décembre 2014, avec 44,3% des voix (33,4% des voix au premier tour du 23 novembre 2014).

Youssef Chahed (qui vient d’avoir 44 ans), chef du gouvernement depuis le 27 août 2016, n’a obtenu que 7,4% des voix, en cinquième position (dans les sondages, en février 2019, il était pourtant monté jusque vers 30% d’intentions de vote). Par ailleurs, Abdelkarim Zbidi (69 ans), actuel Ministre de la Défense, a recuilli 10,7% des voix (quatrième place) et Mohamed Abbou (53 ans), ancien ministre, 3,6% des voix (dixième place).

Attardons-nous avec les deux candidats du second tour. Tout les oppose : l’un est rigoriste, légaliste, incorruptible, pédagogue, et l’autre homme d’affaires, d’influences, publicitaire, très communiquant …et en prison ! Un Robert Badinter de droite face à un Bernard Tapie …de droite aussi (j’ai conscience que cette comparaison est très simplificatrice, très osée, d’autant plus osée que la situation politique tunisienne est bien plus compliquée qu’en France où il faudrait rajouter une dimension supplémentaire, celle de l’islam politique).

Kaïs Saïed (61 ans) est un constitutionnaliste distingué, parlant un arabe littéraire sur une diction parfaite et un ton monocorde (il est surnommé "Robocob", et qualifié par l’hebdomadaire "Le Point" de "Robespierre mais sans guillotines"), apprécié surtout des diplômés pour ses thèmes de campagne qui sont basés sur la justice, le droit, la lutte contre la corruption. Candidat indépendant aux moyens limités, il est arrivé en tête du premier tour contre toutes les prévisions.

Favorable (néanmoins) à la peine de mort et à la révocabilité des mandats électifs, il a prôné un mode de scrutin indirect pour la désignation des députés. Kaïs Saïed ne s’est engagé dans la politique que depuis moins d’un an, mais il est très connu depuis une dizaine d’années car il intervient très régulièrement à la télévision comme expert sur les institutions.

Le journal tunisien "Leaders" du 15 septembre 2019 explique aussi à propos de Kaïs Saïed : « Les coulisses rapportent faussement que c’est un homme sensible aux thèses islamistes, il n’en est rien. Si c’est un musulman qui s’assume sans détour, il n’est pas non plus connu pour être un militant de l’islam politique. C’est plutôt un militant du droit, de la loi, de l’ordre pour tous et pour chacun à commencer par lui-même. ».

Dans une longue interview à l’hebdomadaire français "L’Obs" du 20 septembre 2019, Kaïs Saïed, considéré comme le favori du second tour, a posé la question : « Ai-je l’air d’un salafiste ? ». Il a revendiqué une campagne originale : « La campagne que je mène n’est pas une campagne électorale. Elle est atypique à tous les niveaux. C’est plutôt une campagne explicative, une campagne pour expliquer, surtout aux jeunes, mais pas seulement, comment le peuple souverain peut avec d’autres instruments juridiques, être le principal acteur en Tunisie. (…) Nous sommes entrés, je crois, dans une nouvelle phase de l’histoire et les concepts classiques tels que la société civile, les partis politiques, la démocratie elle-même sont dépassés par les idées nouvelles. » ("L’Obs").

Son concurrent du second tour, Nabil Karoui (56 ans) est un homme d’affaires dans le domaine de la communication et de la publicité. Le 30 décembre 2010, c’est-à-dire treize jours après le suicide de Mohamed Bouazizi, il a diffusé sur sa chaîne de télévision (de divertissement) les premières informations sur la situation réelle du pays (en état d’insurrection contre le régime Ben Ali). Le 9 octobre 2011, il a eu le courage de diffuser le film d’animation "Persépolis" issu de l’excellente bande dessinée de Marjane Satrapi sur sa vie quotidienne en Iran, ce qui a provoqué des réactions violentes de salafistes contre lui et un procès et une condamnation le 3 mai 2012 pour blasphème (son avocat Chokri Belaïd a été assassiné le 6 février 2013 et le chef du gouvernement Hamadi Jebali a dû démissionner le 13 mars 2013).

Pendant la révolution de 2011, Nabil Karoui a fait de sa chaîne le média d’information par excellence et en remettant en selle à la télévision Béji Caïd Essebsi, ancien ministre de Bourguiba, il a montré beaucoup d’influence sur la vie politique : Béji Caïd Essebsi fut effectivement choisi comme Premier Ministre de transition du 27 février 2011 au 24 décembre 2011, jusqu’à la victoire des islamistes à l’élection de l’Assemblée constituante. Nabil Karoui a contribué à la formation du parti d’opposition Nidaa Tounes lancé le 20 avril 2012 par Béji Caïd Essebsi, parti qui a gagné les élections législatives du 26 octobre 2014 (37,6% des voix et 86 sièges sur 217) et l’élection présidentielle du 21 décembre 2014.

Exemple de son influence, ce fut grâce à Nabil Karoui que Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha depuis novembre 1991, et Béji Caïd Essebsi se sont rencontrés le 14 août 2013 dans un hôtel à Paris pour se rapprocher politiquement (« l’unique issue à ce moment-là pour que le pays ne bascule pas dans la guerre civile », selon lui cité par Frida Dahmani de "Jeune Afrique" le 9 mai 2017).

En avril 2017, il s’éloigna du parti au pouvoir et créa par la suite son propre parti. Lorsqu’en mai 2019, Nabil Karoui a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle, il fut rapidement le favori tant pour la présidentielle (autour de 20-25% d’intentions de vote) que son parti pour les législatives (autour de 30% d’intentions de vote). Sa popularité n’est pas étonnante. Depuis la mort d’un de ses fils, en août 2016, Nabil Karoui sillonne en effet le pays et fait des dons pour de la nourriture ou des soins médicaux aux populations qui en ont besoin. Le gouvernement a alors cherché à l’exclure de l’éligibilité en proposant le 18 juin 2019 l’interdiction de candidature pour les donateurs. Mais Béji Caïd Essebsi a finalement refusé de promulguer cette réforme juste avant de mourir.

Nabil Karoui fut inculpé le 8 juillet 2019 pour blanchiment d’argent (avec gel de ses biens) et incarcéré depuis le 23 août 2019. Malgré tout, il a pu rester candidat à l’élection présidentielle et se retrouve ainsi parmi les deux candidats qualifiés pour le second tour, malgré son absence dans la campagne. Par trois fois sa demande de remise en liberté a été rejetée le 3 septembre 2019, le 13 septembre 2019 et le 18 septembre 2019 (après le premier tour).

Là, pour le coup, au contraire de la situation concernant Jean-Luc Mélenchon en France, on pourrait envisager qu’il y ait eu une action politique de la justice pour l’empêcher de faire campagne. Beaucoup d’associations et d’ONG défendant les droits de l’homme ont dénoncé cette incarcération qui a faussé la campagne électorale.

Au moment où l’autocrate Ben Ali vient de mourir sans être retourné dans son pays, la Tunisie vit un moment historique, cette ligne de crête qui pourra la faire pencher du côté de la démocratie ou de l’autre versant… Tout reste possible, jusqu’à l’invalidation de l’élection présidentielle en raison de l’incarcération d’un des principaux candidats. Les jeunes démocraties sont toujours fragiles dans leurs démarrages.

Mais il faut noter cet élément très prometteur et encourageant : malgré les très graves attentats islamistes qui ont endeuillé les Tunisiens et ceux qui viennent séjourner en Tunisie, la Tunisie est le seul pays à n’avoir pas refermé sa "parenthèse démocratique", où la bonne volonté d’une évolution démocratique trouve son chemin coincé entre une Algérie sans pouvoir et une Libye sans nation, sans compter une Égypte revenue à l’ère Moubarak avec l'avènement de Sissi. Légalistes et démocrates, les Tunisiens ont tout intérêt à poursuivre leur processus démocratique, malgré les grandes difficultés…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 septembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Ben Ali ne sera jamais jugé… mais la démocratie tunisienne passe.
Le premier tour de l’élection présidentielle tunisienne du 15 septembre 2019.
Béji Caïd Essebsi.
Interview de Béji Caïd Essebsi diffusée sur France Inter le 3 décembre 2016 (à télécharger).
Daech.
Les révolutions arabes de 2011.
Ben Ali a 80 ans.
La fuite de Ben Ali.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190915-tunisie-presidentielle.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/09/21/37651231.html



 

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26 juillet 2019 5 26 /07 /juillet /2019 03:25

« En ce jour de fête de la République tunisienne, le Président Béji Caïd Essebsi nous a quittés. Il n’y a pas de hasard, son destin était lié à celui de la Tunisie. (…) La France perd un ami et la République tunisienne un dirigeant courageux qui aura présidé son pays dans un moment essentiel de son histoire, où il aura résisté à tous les obscurantismes pour bâtir l’avenir, la démocratie et le progrès. » (Emmanuel Macron, le 25 juillet 2019).


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Après la démission le 21 novembre 2017 de Robert Mugabe (né le 21 février 1924), il n’était cependant pas le chef d’État le plus vieux du monde parce qu’il y avait toujours la reine Élisabeth II de sept mois son aînée (et à la tête d’un État, il y a eu aussi le retour de Mahathir Mohamad, né le 10 juillet 1925, comme Premier Ministre de la Malaisie depuis le 10 mai 2018), mais il avait un dynamisme assez exceptionnel pour son âge. Le Président de la République tunisienne Béji Caïd Essebsi est mort à Tunis ce jeudi 25 juillet 2019 à l’âge de 92 ans et demi (il est né le 29 novembre 1926).

Il a été en quelques sortes une victime collatérale du double attentat islamiste qui a ensanglanté les rues de Tunis le 27 juin 2019, entraînant la mort d’un policier, puisque, à cette date, il a fait un malaise et fut hospitalisé dans un état considéré comme "très critique" (on parlait alors déjà de sa mort). Il a quitté l’hôpital le 1er juillet 2019 mais fut hospitalisé de nouveau le 24 juillet 2019, veille de son décès.

Béji Caïd Essebsi a représenté le symbole de la démocratie tunisienne qui démarrait. Après son indépendance et les "règnes" de Bourguiba et Ben Ali, la Tunisie fut le seul pays à majorité musulmane ayant participé au Printemps arabe (et même l’ayant initié) à être allé dans la voie de la démocratie sincère ("sincère" dans le sens où d’autres pays se considèrent démocratiques sous prétexte qu’ils ont organisé des élections mais souvent "peu sincères").

En ce sens, la Tunisie est une exception heureuse et cela explique en partie pourquoi les terroristes islamistes s’en prennent autant à lui et à son économie en visant particulièrement ses infrastructures touristiques.

Le 9 octobre 2015, le Prix Nobel de la Paix a été attribué à quatre associations tunisiennes (remis le 10 décembre 2015 à Oslo) qui ont œuvré pour faire la médiation politique entre 2011 et 2014 et faire émerger la transition démocratique en Tunisie. Ce Prix Nobel est la consécration de tout un peuple dans ses efforts pour se démocratiser.

Béji Caïd Essebsi a été élu Président de la République tunisienne le 21 décembre 2014 à l’issue de la première élection présidentielle au suffrage universel direct libre et sincère. Il a obtenu 39,5% des voix avec 62,9% de participation le 23 novembre 2014 dans un premier tour assez confus avec vingt-sept candidats et a remporté la majorité absolue avec 55,7% des voix pour 60,1% de participation au second tour le 21 décembre 2014.

Son principal concurrent fut le Président sortant, Moncef Marzouki (74 ans), élu le 12 décembre 2011 Président de la République tunisienne par l’Assemblée nationale constituante élue le 23 octobre 2011. Il a recueilli 33,4% des voix au premier tour et 44,3% des voix au second tour de l’élection présidentielle directe de 2014. Les autres candidats ont obtenu moins de 8% au premier tour.

Béji Caïd Essebsoi a pris ses fonctions le 31 décembre 2014 pour un mandat de cinq ans (à cause de son âge, il venait de renoncer à solliciter un second mandat). En raison de son décès, la prochaine élection présidentielle a été devancée du 17 novembre 2019 au 15 septembre 2019. Président de l’Assemblée des représentants du peuple depuis le 4 décembre 2014, Mohamed Ennaceur (85 ans) a été chargé d’assurer l’intérim présidentiel jusqu’à l’issue de cette élection présidentielle, conformément à la Constitution du 27 janvier 2014 (il est du même parti que le Président disparu).

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Béji Caïd Essebsi a marqué toute l’histoire de la Tunisie après son indépendance le 25 juillet 1957. Comme l’a fait remarquer le Président Emmanuel Macron, qui assistera à ses funérailles le samedi 27 juillet 2019, il est mort le jour même de l’indépendance. Au gouvernement depuis 1956, à partir de 1962, il fut directeur de la sûreté nationale, puis Ministre de l’Intérieur du 5 juillet 1965 au 8 septembre 1969, Ministre de la Défense du 7 novembre 1969 au 12 juin 1970, ambassadeur de Tunisie en France du 1er août 1970 au 14 décembre 1971, puis Ministre des Affaires étrangères du 15 avril 1981 au 15 septembre 1986, puis ambassadeur de Tunisie à Bonn, sous les mandats de Bourguiba.

Béji Caïd Essebsi fut ensuite Président de la Chambre des députés du 14 mars 1990 au 9 octobre 1991 et Premier Ministre à l’issue de la Révolution de 2011, du 26 février 2011 au 24 décembre 2011, chargé du processus électoral et constitutionnel, il a organisé l’élection de l’Assemblée nationale constituante. Dans l’opposition entre 2011 et 2014, Béji Caïd Essebsi a gagné les élections législatives du 26 octobre 2014 (son parti a obtenu 37,6% des voix avec une participation de 68,4%, apportant 86 sièges sur 217) et, dans la foulée, l’élection présidentielle du 21 décembre 2014.

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Pendant la campagne électorale, on a reproché à Béji Caïd Essebsi d’avoir servi Bourguiba et Ben Ali (il avait même été membre du parti présidentiel), mais les faits, c’est qu’il a mis en place la transition démocratique, la seule qui a réussi de toutes les révolutions arabes. S’il a gagné en 2014, c’est en partie à cause de la très mauvaise gestion du pays de la coalition élue en 2011, qui n’était pas préparée au pouvoir, certains ayant été même en prison pendant parfois quinze ans.

Parmi les sujets de préoccupation les plus graves auxquels a été confronté Béji Caïd Essebsi, il y a eu le terrorisme islamiste. Quatre mois après son élection, deux terroristes islamistes kamikazes de Daech ont tué à la kalachnikov 22 personnes (dont 21 touristes) le 18 mars 2015 au Musée du Bardo, près de Tunis.

Deux mois plus tard, Daech a commis le plus grave attentat en Tunis, le 26 juin 2015 dans la station balnéaire de Port El-Kantaoui, près de Sousse, qui a coûté la vie de 38 personnes, exclusivement des touristes étrangers (dont 30 Britanniques). Le scénario le plus cauchemardesque pour engendrer la terreur : devant l’hôtel Imperial Marhaba, le terroriste kamikaze, déguisé en touriste, est arrivé sur la plage et a tué à la kalachnikov et à la grenade.

Ainsi, le 30 juin 2015, répondant aux questions de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1, Béji Caïd Essebsi a annoncé la création d’une police touristique et la fermeture de quatre-vingts mosquées considérées comme des mosquées à danger : « Je suis le chef de guerre contre le terrorisme. Comme dans toute guerre, nous pouvons perdre une bataille, mais on ne perdra pas la guerre. ».





Répondant le 2 décembre 2016 aux questions de Pierre Weil (interview diffusée le lendemain sur France Inter) à l’occasion de la sortie d’un livre d’entretiens avec Arlette Chabot ("La démocratie en terre d’islam", sorti le 17 novembre 2016 chez Plon), Béji Caïd Essebsi a reconnu que la situation économique et sociale a encore beaucoup de mal à progresser malgré la liberté et la démocratie.

Aux étrangers potentiels touristes inquiétés par les attentats, il a rappelé une évidence, qu’aucun pays du monde n’était épargné : « Je suis sûr que la Tunisie n’est pas moins sécurisée que la France. S’il y a eu des attentats en Tunisie, il y en a eu en France, et ils étaient plus mortels que chez nous. ».

En revanche, la jeunesse tunisienne est en effet un terreau sur lequel s‘est beaucoup nourri le terrorisme islamiste : « La Tunisie a une grande jeunesse, et la révolution a été l’œuvre de cette jeunesse-là. Des régions sous-développées, des régions où il y a de la pauvreté, des régions où il y a de la marginalisation. Mais cette jeunesse, beaucoup ont des diplômes supérieurs, nous avons 250 000 Tunisiens qui ont des diplômes supérieurs mais qui ne trouvent pas du travail. Donc, c’est un matériau tout à fait bien préparé pour ces choses-là [participer à la guerre civile en Syrie] alors qu’ils sont travaillés par des associations qui les attirent vers l’extérieur et qui paient leur passage à l’extérieur. ».

La démocratie, l’œuvre de toute une vie : « La démocratie ne s’impose pas, elle se pratique. Nous, nous avons initié ce processus, mais dans la pratique, il faut donner du temps au temps. Effectivement, nous avons quand même des sensibilités politiques qui n’étaient pas très chaudes pour la démocratie. Donc, nous devons continuer à pratiquer cette démocratie, à lui donner des chances et à amener le maximum de gens pour soutenir cette démarche. ».

Enfin, n’hésitant pas à déranger ceux qui, en France, sont "contre l’islam", Béji Caïd Essebsi a réfuté toute incompatibilité : « Pour moi, je le dis partout, l’islam n’est pas incompatible avec la démocratie. Nous l’avons prouvé chez nous. Nous avons initié un processus démocratique. Nous avons une Constitution pour un État civil qui n’a pas de références religieuses, mais pour un peuple à majorité musulmane. ».

La disparition de ce grand Président intellectuel et démocrate, très cultivé, connaissant très bien la France et admirant la construction européenne comme une union d’États souverains qui étaient anciennement belligérants, va créer un grand vide dans le paysage politique de la Tunisie. Son objectif était de lancer son pays sur les rails de la démocratie. Il pourra toujours dérailler un jour, mais sa mission a été remplie avec succès. Non seulement les Tunisiens, mais tous les citoyens du monde peuvent lui en être reconnaissants aujourd’hui.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 juillet 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Béji Caïd Essebsi.
Interview de Béji Caïd Essebsi diffusée sur France Inter le 3 décembre 2016 (à télécharger).
Daech.
Les révolutions arabes de 2011.
Ben Ali.
La fuite de Ben Ali.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190725-beji-caid-essebsi.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/beji-caid-essebsi-le-pere-de-la-216869

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1 juillet 2019 1 01 /07 /juillet /2019 01:28

« Conscient de mes responsabilités, j’estime que la seule solution à la crise actuelle réside dans la nécessité de me retirer de la scène politique. Pour cela (…), je renonce, à compter de ce jour, à mes fonctions de Président de la République. ».


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Non, surtout, pas de contresens ni de songe d'été des gilets jaunes, ce n’est pas Emmanuel Macron qui a prononcé ces quelques mots, il ne s’agit pas de la France, mais il s’agit de l’Algérie, une allocution à la télévision nationale, le 11 janvier 1992, il s'agit de la démission du chef de l’État algérien qui a laissé le pays sans même de successeur car il n’y avait plus d’assemblée (car dissoute), or c’était le président de l’assemblée qui devait assurer l’intérim, et après lui, le président du Conseil constitutionnel qui s’est récusé. L’Algérie, pays ingouvernable ?

L’Algérie est un grand pays musulman avec beaucoup de jeunes, et surtout depuis la chute de Kadhafi, sa position géopolitique est stratégique dans la lutte contre le terrorisme islamiste international. C’est pourquoi la stabilité politique peut être souhaitée au-delà d’autres considérations, comme, par exemple, la démocratie.

Il y a quarante ans, le 9 février 1979, le colonel Chadli Bendjedid a accédé à l’âge de 49 ans (il est né le 1er juillet 1929 à Bouteldja) à la Présidence de la République algérienne démocratique et populaire. Il venait d’être élu deux jours auparavant, le 7 février 1979, seul candidat du FLN (Front de la libération nationale), le parti unique, avec 95,14% des voix. C’était moins qu’à la précédente élection présidentielle où Houari Boumediene (1932?-1978), son prédécesseur, candidat également unique, avait obtenu 99,50% le 10 décembre 1976.

Rappelons rapidement qu’à l’indépendance de l’Algérie, le 3 juillet 1962, l’État algérien s’est organisé institutionnellement d’une manière peu démocratique : le FLN prit le pouvoir et en organisa le monopole constitutionnel. Ahmed Ben Bella (1916-2012), Vice-Président du gouvernement provisoire du 19 septembre 1958 au 22 juillet 1962, fut désigné président du FLN le 27 septembre 1962 et cumula le même jour cette fonction avec celle de Président du Conseil des ministres (chef du gouvernement). Il a contraint Ferhat Abbas (1899-1985), le premier Président de la République algérienne (et ancien Président du Gouvernement provisoire du 19 septembre 1958 au 9 août 1961), à démissionner. Le 15 septembre 1963, Ahmed Ben Bella fut élu Président de la République avec 99,60% des voix (unique candidat), tout en dirigeant le gouvernement.

À la suite de son coup d’État du 19 juin 1965, alors Ministre de la Défense et Vice-Président du Conseil des ministres, Houari Boumediene a repris tout le pouvoir de Ben Bella (qu’il a fait enfermer), à savoir la Présidence de la République (la seule pseudo-élection a eu lieu en 1976, voir ci-dessus), la Présidence du Conseil des ministres et la présidence du FLN. Un Conseil de la Révolution a été institué du 19 juin 1965 au 10 décembre 1976, présidé par lui et dont Chadli Bendjedid et Abdelaziz Bouteflika, entre autres, furent membres (nommés par Boumediene).

Boumediene, dont le leadership national et même international (il fut le Secrétaire Général du Mouvement des non-alignés du 5 septembre 1973 au 16 août 1976) fut peu contesté, est mort à l’hôpital d’Alger le 27 décembre 1978 d’une maladie du sang (à l’âge de 46 ans), plongeant l’Algérie dans l’incertitude institutionnelle. Durant un intérim assuré par le Président de l’Assemblée populaire nationale, Rabah Bitat (1925-2000), une nouvelle élection présidentielle fut organisée, entièrement contrôlée par le FLN, le 7 février 1979.

Quel a été le choix du FLN ? Ce furent les militaires algériens qui choisirent Chadli Bendjedid en tant que le plus ancien et le plus haut gradé des leurs. À l’âge de 25 ans, Chadli Bendjedid s’est engagé au FLN dans la guerre d’indépendance ("de libération nationale"). Il entama une carrière militaire pendant et après la guerre d’Algérie. Il fut à la tête de nombreuses troupes, à Constantine, à Oran, jusqu’à être affecté au staff de Boumediene pour coordonner l’ensemble des services de sécurité.

Lorsqu’il arriva au pouvoir, Chadli Bendjedid, soutenu par les militaires, donc, s’est retrouvé en pleine autocratie : sans liberté de la presse, sans liberté d’expression, sans liberté politique, sans liberté syndicale. Tout était contrôlé par un parti unique (FLN), un journal unique, un syndicat unique, etc. Il a cumulé ses fonctions présidentielles avec celles de Ministre de la Défense du 8 mars 1979 au 25 juillet 1990. Il a essayé de faire redémarrer certains secteurs économiques en autorisant timidement l’initiative privée (agriculture, transports, énergie, logement), afin d’encourager l’arrivée d’investisseurs étrangers.

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Chadli Bendjedid a voulu ouvrir sa diplomatie vers l’Ouest malgré la forte amitié avec l’URSS. Ainsi, François Mitterrand est venu en visite officielle à Alger le 30 novembre 1981 (pour négocier un contrat sur le gaz algérien, il retourna en Algérie à sept autres occasions) et Chadli Bendjedid s’est rendu à Paris le 7 novembre 1983. Par ailleurs, Chadli a été le premier Président algérien à se rendre aux États-Unis en visite d’État, rencontrant Ronald Reagan le 17 avril 1985 à Washington.





Même s’il a fait libérer Ahmed Ben Bella le 30 octobre 1980, institutionnellement, Chadli Bendjedid n’a jamais voulu assouplir le principe du parti unique de la Constitution algérienne du 22 novembre 1976 (la loi constitutionnelle du 30 juin 1979 n’a fait que réduire la durée du mandat présidentiel de six à cinq ans et obliger la nomination d’un Premier Ministre). Si bien qu’il a été réélu deux fois de la même manière que lors de sa première élection, en candidat unique : il a ainsi obtenu 99,42% le 12 janvier 1984 et 93,26% le 22 décembre 1988. Ces scores, dignes des meilleures dictatures communistes, ne semblaient pas effrayer les dirigeants algériens dans leur crédibilité international d’un soutien "démocratique" et "populaire".

Cette fermeture politique a pu être constatée très rapidement au cours de ses mandats. Chadli Bendjedid a ainsi choisi de réprimer très sévèrement le "Printemps berbère", un mouvement qui a pris son départ lors de plusieurs manifestations et mouvements de grève à Tizi Ouzou, dans d’autres villes de Kabylie et à Alger, du 11 mars 1980 au 20 avril 1980, pour réclamer la reconnaissance de la langue berbère et une certaine autonomie de la Kabylie : « La démocratie n’est pas l’anarchie. » (Discours du 17 avril 1980). Le bilan humain fut lourd : 126 morts et 5 000 blessés, sans compter une centaine d’arrestations.

D’autres émeutes (manifestations puis répressions), peu médiatisées, ont eu lieu par la suite, à Oran en 1984, puis à Constantine, à Sétif et Annaba, du 7 au 12 novembre 1986, faisant une dizaine de morts, des centaines de blessés, des centaines d’arrestations et de très nombreux dégâts matériels. Alors que la richesse nationale provenait pour 98% de la vente d’hydrocarbures, la forte baisse du prix du pétrole et du gaz et la baisse simultanée du dollar ont abouti à un effondrement économique de l’Algérie au milieu des années 1980, et à un chômage massif.

Les manifestations du 5 octobre 1988 ont été d’une plus grande importance politique pour l’Algérie. En effet, une partie des dirigeants du FLN qui contrôlait le syndicat unique s’est retrouvée en opposition à Chadli Bendjedid. Ce dernier a prononcé un discours le 19 septembre 1988 devant les cadres du FLN où il a condamné l’immobilisme politique et économique du gouvernement et du FLN. Les mouvements ont commencé dans des lycées et quartiers à Alger le 3 octobre 1988 et s’est étendu dans tout le pays en deux jours.

Chadli Bendjedid décréta l’état de siège le 6 octobre 1988 pour faire face aux émeutes à Alger, Oran, Constantine, Annaba, Tizi Ouzou et Béjaia, du 4 au 10 octobre 1988. Il a chargé le général Khaled Nezzar, chef d’état-major et futur Ministre de la Défense (de juillet 1990 à juillet 1993) de rétablir l’ordre. La répression fut encore plus brutale qu’en 1986, provoquant selon le bilan officiel, 159 morts et 154 blessés, mais selon des bilans officieux, plus de 600 morts (une loi a amnistié les responsables en 1990). La situation politique était d’autant plus confuse qu’au-delà d’une guerre intestine entre factions du FLN se jouait également une récupération de la contestation sociale par des mouvements islamistes.

À la fin d’octobre 1988, Chadli Bendjedid a renvoyé le chef de la police politique (le général Lakehal Ayatat, délégué général à la prévention et la sécurité), le Ministre de l’Intérieur (El-Hadi Lekhdiri) ainsi que le chef du parti (Mohamed Chérif Messaadia) avant de tirer des leçons politiques et institutionnelles de ces émeutes.

Cela ne l’a pas empêché de se faire réélire avec un score de république bananière le 22 décembre 1988 (voir plus haut) mais il a cependant entrepris des réformes malgré les résistances internes au FLN. Concrètement, Chadli Bendjedid a promulgué le 23 février 1989 une nouvelle Constitution algérienne approuvée lors du référendum du même jour par 73,4% de "oui" avec 79,0% de participation.

Ce référendum fut une véritable victoire pour Chadli Bendjedid puisque des factions du FLN, les islamistes du FIS (Front islamique du Salut) et l’opposition avaient appelé à boycotter le scrutin. Le nouveau texte constitutionnel constituait un grand progrès pour les libertés puisqu’il assurait la liberté religieuse, d’expression, d’association, de la presse, la propriété privée, l’indépendance de la justice et surtout, élément fondamental (rappelons qu’en Pologne, un mouvement similaire, fin du parti unique, a eu lieu à peu près à la même époque), l’État autorisait le multipartisme (d’où l’opposition de certains clans du FLN). Ainsi, le FIS d’Abassi Madani fut légalisé le 10 mai 1989. En tout, vingt et un partis politiques furent légalisés et ont pu participer aux élections.

Un calendrier électoral fut adopté pour organiser des élections libres et pluralistes : en 1990 pour la gestion des villes, et en 1991 pour renouveler l’Assemblée populaire nationale. Le 12 juin 1990, les élections communales (c’est-à-dire municipales) ont consacré une large victoire aux islamistes du FIS avec 54,25% des voix (le FLN n’ayant obtenu que 28,13% des voix), avec 62,18% de participation. Dans les villes remportées par le FIS, une tentative d’adoption de la charia a été opérée avec fin de la mixité, obligation du port du voile, interdiction de la vente d’alcool, etc.

La situation sociale et politique (ainsi qu’économique) était désastreuse pendant cette période. Le FIS a appelé à une grève générale illimitée le 25 mai 1991, initiant des manifestations et des occupations des places à Alger. Le 2 juin 1991, la police est intervenue pour réprimer les manifestants, et le 5 juin 1991, Chadli Bendjedid a décrété l’état de siège pour quatre mois.

Après un an et demi de fortes pressions du FIS, les élections législatives furent organisées au scrutin majoritaire à deux tours. Le premier tour a eu lieu le 26 décembre 1991 et la liberté s’est retrouvée prise en tenaille entre les vieux hiérarques militaires du FLN et les conquérants islamistes du FIS. Ce fut une énorme victoire du FIS. Dès le premier tour, le FIS a remporté 188 sièges sur les 430 que comptait l’assemblée, avec 47,3%% des voix. Le FLN n’a obtenu que 15 sièges avec 23,4% des voix. Enfin, parti de l’opposition, le FFS (Front des forces socialistes) de Hocine Aït Ahmed (1926-2015) a conquis 25 sièges avec 7,4% des voix. Les autres partis n’ont pas obtenu de siège au premier tour.

En tout, ce 26 décembre 1991, 231 sièges sur les 430 au total ont été pourvus dès le premier tour, et les 199 restants devaient être pourvus au cours d’un second tour qui départagerait les deux candidats placés en tête. Avec les projections des résultats du premier tour, il était probable sinon certain que le FIS allait non seulement conquérir la majorité absolue de l’unique chambre parlementaire et allait donc gouverner l’Algérie, mais aussi obtenir plus des deux tiers des sièges, ce qui lui aurait permis de changer la Constitution et d’adopter la charia. Le second tour devait avoir lieu le 16 janvier 1992.

Fallait-il poursuivre cette descente aux enfers (islamiques) ? Lorsque la démocratie apporte le croissant vert, faut-il laisser la démocratie ? En Égypte, vingt années plus tard, les Frères musulmans ont conquis la Présidence de la République mais rapidement, les militaires sont intervenus pour reprendre le pouvoir et éviter la dictature islamique par une autre dictature, elle militaire.

Les militaires du FLN, eux, n’ont pas eu cette hésitation. Il fallait stopper un processus qui allait amener l’Algérie dans la dictature islamique, alors que Chadli Bendjedid avait remarquablement négocié avec l’Iran pour sauver les otages américains en 1979.

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À quelques jours du scrutin, les militaires ont finalement décidé de faire un coup d’État : ils ont rendu Chadli Bendjedid responsable de cette situation trop favorable au FIS et l’ont poussé à la démission le 11 janvier 1992. Sa dissolution de l’assemblée populaire nationale le 4 janvier 1992 n’était pas suffisante pour eux. Le Haut conseil de sécurité (HCS), chargé par la Constitution de conseiller le Président de la République, s’est alors réuni le 12 janvier 1992 pour arrêter le processus électoral. Le HCS était composé notamment du Premier Ministre Sid Ahmed Ghozali et de plusieurs ministres dont celui de la Défense, Khaled Nezzar.

Le 14 janvier 1992, le HCS créa le Haut Comité d’État (HCE) chargé de gérer le pays (jusqu’au 30 janvier 1994) et a nommé Mohamed Boudiaf, alors réfugié au Maroc, à sa Présidence le 16 janvier 1992. Ce dernier, qui avait proclamé l’état d’urgence le 9 février 1992, fut assassiné le 29 juin 1992. L’Algérie s’enfonça dans une décennie noire de guerre civile entre islamistes et le pouvoir aux mains des militaires dont le bilan humain fut terriblement lourd, environ 200 000 morts. Jusqu’à la désignation de Liamine Zeroual à la tête du pays (le 30 janvier 1994), l’homme fort du HCE fut Khaled Nezzar.

Arrivé au pouvoir par l’élection présidentielle du 15 avril 1999, Abdelaziz Bouteflika, ancien Ministre des Affaires étrangères, a tenté de faire la réconciliation nationale au cours des années 2000 (Abassi Madani a appelé à la fin de la lutte armée le 25 août 2003). Il est toujours au pouvoir et s’apprête peut-être à solliciter un cinquième mandat, à l’âge de 81 ans, pour l’élection présidentielle prévue le 18 avril 2019, alors que, très malade depuis 2013, il n’a pas prononcé un seul discours public au cours de son quatrième mandat. Le problème est qu’aucune personnalité du FLN ne serait en mesure de gagner une élection et les militaires préfèrent ainsi encore s’accrocher à un quasi-fantôme que risquer de se retrouver dans la situation de janvier 1992.

Quant à Chadli Bendjedid, qui a pu s’apercevoir de la fragilité de son assise politique, porté à la Présidence de la République par les militaires et destitué par les mêmes militaires, il a profité de son retrait politique pour rédiger ses mémoires (qui furent publiées le 1er novembre 2012) avant de s’éteindre d’une sale maladie à l’hôpital militaire d’Alger le 6 octobre 2012 à l’âge de 83 ans. Pendant ces dernières, il était respecté et participait parfois aux cérémonies officielles.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Chadli Bendjedid.
Disparition de Chadli Benjedid.
Hocine Aït Ahmed.
Ahmed Ben Bella.
Josette Audin.
Michel Audin.
Déclaration d’Emmanuel Macron sur Maurice Audin (13 septembre 2018).
François Mitterrand et l'Algérie.
Hervé Gourdel.
Mohamed Boudiaf.
Vidéo : dernières paroles de Boudiaf le 29 juin 1992.
Rapport officiel sur l’assassinat de Boudiaf (texte intégral).
Abdelaziz Bouteflika en 2009.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190701-chadli-bendjedid.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/06/09/37415366.html



 

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23 juin 2019 7 23 /06 /juin /2019 01:31

Entre une autocratie militaire et une démocratie qui favorise l’islamisme, la voie est étroite. Pas seulement dans les révolutions arabes d’aujourd’hui mais déjà dans l’Algérie des années 1990.


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Dans quelques jours, le 5 juillet, les Algériens vont fêter le cinquantenaire de leur indépendance. Une façon de panser les plaies et d’avoir un regard vers l’avenir. Mais il y a un anniversaire sans doute moins médiatique et plus pessimiste. C'est le vingtième anniversaire de l’assassinat de Mohamed Boudiaf le 29 juin 1992.


Boudiaf fut un des acteurs historiques de cette indépendance, cofondateur du FLN. Il fut ministre d’État dans le premier gouvernement provisoire du 19 septembre 1958 au 22 juillet 1962. Il était de la même génération que Ben Bella qui vient de mourir (le 11 avril 2012). Il était un tout petit plus jeune que lui, deux ans et demi.

Mais il se brouilla avec lui au moment de l’indépendance, créa alors un parti d’opposition, puis fut emprisonné le 23 juin 1963 et même condamné à mort en 1964 mais il a réussi à se réfugier en France puis au Maroc.

Chadli Benjedid, dix ans plus jeune que Boudiaf, a récupéré le pouvoir après la mort de Boumediene, et se retrouva dans une impasse politique à la fin des années 1980.

Il a en effet ouvert la voie du multipartisme et des élections vraiment libres après sa "réélection" le 22 décembre 1988 et la ratification par référendum d’une nouvelle constitution le 23 février 1989, ce qui a conduit les islamistes à créer leur parti, le FIS (front islamique du salut), reconnu par l’État le 6 septembre 1989, et à remporter en 1990 plusieurs élections locales (presque mille communes sur mille cinq cents et trois cinquièmes des provinces.

Il faut se rappeler le contexte historique international : premier gouvernement libre en Pologne, répression sanglante à Pékin et chute du mur de Berlin. Le 25 décembre 1991, fin de l’Union soviétique.

Le 26 décembre 1991, le premier tour des élections législatives plébiscitèrent le FIS en remportant cent quatre-vingt-huit sièges sur deux cent trente et un, vingt-cinq sièges pour le FFS de Hocine Aït Ahmed (qui a 85 ans) et quinze seulement pour le FLN au pouvoir. L’armée décida de rompre le processus électoral en n’organisant pas le second tour. Les collectivités dirigées par les islamistes furent dissoutes et les dirigeants du FIS arrêtés, Abassi Madani et Ali Belhadj.

Acculé à la démission le 11 janvier 1992 par les militaires, Chadli Bendjedid, qui souffre depuis plusieurs d’un cancer, a laissé le pouvoir à Boudiaf, encore en exil (vingt-huit ans !) et considéré comme un homme neuf (préféré à l’actuel Président algérien, Abdelaziz Bouteflika).

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Mohamed Boudiaf, appelé aussi Tayeb El Watani pendant la guerre d’indépendance, fut nommé Président du Haut comité d’État le 16 janvier 1992.

Des vagues d’attentats se déroulèrent pendant plusieurs années, revendiqués par le GIA (groupe islamiste armé) ou provoqués par l’armée algérienne. La guerre civile fut à son comble ce 29 juin 1992 quand Mohamed Boudiaf, visiblement homme de bonne volonté, fut assassiné sauvagement au Palais de la Culture d’Annaba après avoir lancé une campagne contre la corruption et après avoir prononcé ces paroles : « L’être humain n’est que de passage ici-bas. La vie est brève, nous devons tous disparaître un jour. ».

 



Lorsque la foule entendit les tirs et s’est mise à plat ventre, Boudiaf resta debout et continua imperturbablement sa conférence. À 73 ans, il fut tué d’une dizaine de balles dans le dos. Les vrais auteurs de cet assassinat ne sont toujours pas identifiés et leurs motivations non plus. L’ambulance a même été visée par les tirs.

Le rapport de l’armée algérienne n’a pas été très concluant (et même un peu léger dans son travail) même s’il a favorisé la piste du militaire isolé influencé par des mouvements islamistes : « L’auteur matériel du crime a (…) tenté de justifier son crime par des considérations tirées de ses convictions religieuses, acquises à travers ses nombreuses lectures et en particulier sous l’influence de l’action des mouvements islamistes à l’intérieur et à l’extérieur du pays (…). Il dit être favorable à la violence pour l’élimination de l’injustice et des oppresseurs. Selon lui, la source essentielle de l’oppression se situe au plus haut niveau de l’État. C’est pourquoi il estime qu’il n’a pas tué Mohamed Boudiaf en tant que personne mais en tant que symbole de chef d’État. Il affirme que l’idée de commettre un tel attentat est née dans son esprit à partir de l’année 1989. ».

Au contraire, selon l’épouse de la victime, Fatiha Boudiaf, la piste islamiste serait à exclure et tandis que l’armée aurait eu tout intérêt à empêcher les transformations proposées par Boudiaf, le sincère, l’honnête, l’incorruptible.

Amine Benabderrahmane, secrétaire particulier de Boudiaf, a décrit en effet le Président assassiné comme un serviteur pour ses compatriotes : « Montrant sa détermination, il avait décidé dès son retour au pays de rétablir l’autorité de l’État. Il était le chef incontesté, mais le pouvoir ne l’intéressait nullement. Il était là au service du peuple et pour le peuple qui souffrait chaque jour. » ajoutant à propos de l’islamisme : « Il refusait les compromis avec les fanatiques, ces monstres sans foi ni loi qui tuaient, brûlaient et égorgeaient au nom de Dieu comme si Dieu le Tout-Puissant pouvait cautionner leurs vils desseins. ».

Aujourd’hui, le processus de réconciliation nationale avec les terroristes islamistes semble fonctionner mais la démocratisation reste encore hésitante. À 75 ans, malade, Abdelaziz Bouteflika en est à son troisième mandat présidentiel : en fonction depuis 27 avril 1999, élu les 15 avril 1999 (74,0%), 8 avril 2004 (85,0%) et 9 avril 2009 (90,2%), et ne semble pas prêt à lâcher prise.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 juin 2012)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Vidéo : les dernières paroles de Boudiaf le 29 juin 1992.
Rapport officiel sur l’assassinat de Boudiaf (texte intégral).
L’Égypte entre armée et islam.
Entre vert moutarde et vert croissant.
Bouteflika.
Les révolutions arabes.
La Turquie.

yartiBoudiaf03 



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190623-mohamed-boudiaf.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/06/09/37415329.html




 

 

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17 juin 2019 1 17 /06 /juin /2019 17:56

Né le 8 août 1951, député de décembre 2000 à décembre 2005, président du Parti liberté et justice issu des Frères musulmans (du 30 avril 2011 au 24 juin 2012), Mohamed Morsi a été élu le 17 juin 2012 au second tour Président de la République égyptienne avec 51,7% des voix face à l'ancien Premier Ministre Ahmed Chafik. Investi le 30 juin 2012, il fut profondément contesté par la foule égyptienne (le 30 juin 2013, 17 millions d'Égyptiens ont manifesté contre lui) et a été démis de ses fonctions le 3 juillet 2013 au cours d'un coup d'État militaire. Mohamed Morsi fut arrêté et emprisonné depuis le 3 juillet 2013. Il fut condamné à 20 ans de prison incompressibles le 21 avril 2015, puis il fut condamné à mort le 16 mai 2015 (condamnation cassée par la cour de cassation en novembre 2016), puis il fut condamné à la prison à vie le 18 juin 2016 et ses biens ont été saisis le 14 août 2016. Présent en plein audience dans un autre procès, il est mort le 17 juin 2019.

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180328-al-sissi.html

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20190617-mohamed-morsi.html

 

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7 avril 2019 7 07 /04 /avril /2019 03:30

« Le bulletin de vote est plus fort qu’une balle de fusil. » (Abraham Lincoln, 1856).



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Ce mardi 9 avril 2019, près de 6 millions de citoyens israéliens votent pour désigner les 120 députés de leur XXIe Knesset. Ces élections législatives auraient dû avoir lieu le 5 novembre 2019 mais une rupture de coalition a fait anticiper les élections.

L’État d’Israël est un régime parlementaire, on pourrait même préciser, un régime d’assemblée. Une seule assemblée, la Knesset, élue à la proportionnelle intégrale dans le cadre d’une unique circonscription, nationale, avec un seuil de représentation de 3,25% des suffrages exprimés. C’est un véritable régime des partis, certes bien meilleur qu’un régime de parti unique, mais qui a l’inconvénient d’être particulièrement instable quand un parti majoritaire ne représente pas la moitié de l’électorat, ce qui est de plus en plus le cas dans nos démocraties postmodernes.

À l’origine, le parti travailliste représentait pendant longtemps (de 1948 à 1977, jusqu’à l’arrivée de Menahem Begin) le parti majoritaire avec des scores électoraux souvent supérieurs à 40%, ce qui rendait la gouvernance compatible avec ce mode de scrutin qui avantage la dispersion du paysage politique (les listes étant "bloquées", les têtes de liste sont sûres d’être élues si la liste franchit le seuil de 3,25%).

Mais aujourd’hui, il est quasiment impossible, pour un parti, d’atteindre 40%. Par exemple, dans la Knesset actuelle, élue le 17 mars 2015, le parti le plus fort électoralement est le Likoud (centre droit et droite), mais il n’a obtenu que 23,4% des voix, soit seulement 30 sièges sur 120, c’est-à-dire seulement la moitié de la majorité absolue nécessaire à assurer une stabilité pour gouverner. Les autres partis ont recueilli moins de 20% des voix et dix partis sont représentés à l’assemblée.

Ainsi, l’Union sioniste, qui était une coalition composée des travaillistes, de centristes et d’écologistes, dirigée par Isaac Herzog, était arrivée en deuxième place avec seulement 18,7% des voix (24 sièges), Liste unifiée d’Ayman Odeh (extrême gauche), en troisième position avec 10,6% des voix (13 sièges), Yesh Atid d’Yair Lapid (centristes) a recueilli 8,8% des voix (11 sièges), Koulanou de Moshe Kahlon (centristes) 7,5% des voix (10 sièges), etc.

Depuis très longtemps, le paysage politique d’Israël est donc éclaté et les gouvernements ne tiennent qu’en raison d’un accord de coalition entre plusieurs partis. Comme sous la Quatrième République française, cela donne de l’importance considérable aux petits partis (ici religieux), une importance disproportionnée si l’on regarde leur audience électorale. Du reste, l’Allemagne a le même problème, elle aussi représentée par des députés élus à un scrutin mixte dont l’effet proportionnel amène régulièrement les leaders politiques à revenir sur leurs engagements préélectoraux, ce qui renforce les populismes.

Pour former son quatrième gouvernement le 14 mai 2015 et obtenir une majorité à la Knesset, Benyamin Netanyahou a dû conclure une alliance avec cinq partis : le Likoud (qu’il dirige), Koulanou, Le Foyer Juif, Shas et Judaïsme unifié de la Torah, l’ensemble représentant 61 sièges sur 120.

C’est une coalition hétéroclite puisque Koulanou est centriste, deux partis sont ultra-orthodoxes (Judaïsme unifié de la Torah et Shas : 13 sièges) et un autre est religieux nationaliste (Le Foyer juif : 8 sièges). Enfin, le 30 mai 2016, a rejoint la coalition gouvernementale (passée à 67 sièges sur 120) Israel Beytenou (6 sièges), parti créé et dirigé par Avigdor Liberman (ancien membre du Likoud et plusieurs fois ministre depuis 2001), qui est un parti populiste et national-conservateur.

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Depuis 2015, cette coalition est instable, tant en personnes qu’en partis. Ainsi, le Ministre de la Protection environnementale Avi Gabbay, nommé au titre du parti centriste Koulanou, a démissionné du gouvernement le 31 mai 2016, et surtout, a démissionné de son parti Koulanou pour rejoindre le parti travailliste qu’il a conquis, puisqu’il le préside désormais depuis le 10 juillet 2017 (succédant à Isaac Herzog). À ce titre, Avi Gabbay est devenu le principal rival de Benyamin Netanyahou, dirigeant la coalition de centre gauche contre l’actuelle coalition.

Mais cette défection personnelle n’a pas eu d’incidence sur le gouvernement puisque Koulanou est resté dans la coalition. En revanche, Israel Beytenou, le parti d’Avidgor Liberman, a finalement quitté le gouvernement le 14 novembre 2018 car il s’est opposé au cessez-le-feu conclu avec le Hamas dans la bande de Gaza qu’il a considéré comme une « capitulation devant le terrorisme ». Ce départ a rendu la majorité très fragile (61 sièges sur 120) et tributaire des caprices des partis religieux. Quelques semaines plus tard, un désaccord avec les partis ultra-orthodoxes (représentant 13 sièges) a fait éclaté la coalition. Les députés ont voté le 26 décembre 2018 leur auto-dissolution et l’anticipation des élections législatives au 9 avril 2019. Pendant ces trois mois, le gouvernement de Benyamin Netanyahou gère les affaires courantes et ne peut plus proposer des réformes.

Une nouvelle coalition s’est formée le 21 février 2019, appelée Bleu et Blanc (les couleurs du drapeau israélien), résultat d’une fusion de trois partis, et représentant 11 sièges dans la Knesset sortante. Cette nouvelle alliance centriste est placée sous la direction de Benny Gantz, chef d’état-major de Tsahal (l’armée israélienne) du 14 février 2011 au 16 février 2015, qui a fondé l’un des partis alliés le 27 décembre 2018 (Résilience pour Israël). Benny Gantz n’avait eu aucune activité politique avant le 27 décembre 2018 et veut ainsi concourir aux élections législatives du 9 avril 2019.

Par ailleurs, l’actuel Ministre de l’Éducation et de la Diaspora, Naftali Bennett, ancien collaborateur de Benyamin Netanyahou et ancien membre du Likoud, était devenu président du Foyer juif le 6 novembre 2012, et est resté son leader jusqu’au 29 décembre 2018 où il a quitté ce parti avec deux autres membres, dont l’actuelle Ministre de la Justice Avayet Shaked, pour créer le nouveau parti Nouvelle Droite qui a 3 députés sortants. Cette scission provient de la perspective des élections législatives pour faire plus pression sur Benyamin Netanyahou.

Comme on le voit, la vie politique israélienne est très compliquée, les petits partis étant souvent créés par des dissidents de plus grands partis pour se faire entendre, pour avoir plus de poids politique, ce que le scrutin proportionnel renforce.

Quelles sont les tendances pour ces élections du 9 avril 2019 ?

Si l’on se fie aux derniers sondages (ils sont nombreux en cette période électorale), Benyamin Netayahou pourrait être relativement rassuré sur les chances de remporter une nouvelle fois les élections, malgré les scandales financiers qui l'ont touché. En effet, les sondages donnent sa coalition de centre droit gagnante avec entre 63 et 69 sièges (sur 120). Son parti seul, le Likoud, est crédité de 28 à 32 sièges, soit environ la représentation qu’il a actuellement (30).

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De plus, le Président des États-Unis Donald Trump n’a pas cessé de l’aider électoralement avec deux annonces diplomatiques majeures dont une récente : la reconnaissance des Américains de la souveraineté israélienne sur le Golan (le 24 mars 2019), ainsi que la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël et le transfert de Tel-Aviv à Jérusalem de l’ambassade des États-Unis en Israël (annoncé le 6 décembre 2017, réalisé le 14 mai 2018). Le Président du Brésil Jair Bolsonaro a, lui aussi, renforcé le leadership international de Benyamin Netanyahou par sa visite à Jérusalem le 1er avril 2019.

Le principal concurrent du Premier Ministre sortant, la coalition de centre gauche incluant les travaillistes et la nouvelle alliance Bleu et Blanc, serait, selon les sondages, en retard, avec seulement entre 51 et (pour les plus optimistes) 58 sièges sur 120, alors qu’au début du mois de mars 2019, les sondages lui attribuaient plus de sièges que la coalition de Benyamin Netayahou. Le parti travailliste seul n’aurait qu’entre 8 et 10 sièges, selon les sondages, soit nettement moins que dans la configuration actuelle (19 sièges).

La surprise viendra peut-être de la nouvelle alliance centriste Bleu et Blanc qui serait créditée par les sondages de 29 à 32 sièges, ce qui est beaucoup pour une nouvelle formation, même si, au début du mois de mars 2019, des sondages lui donnaient jusqu’à 38 sièges. Bleu et Blanc serait donc au coude à coude avec le Likoud pour être la première formation politique. Ce ne serait probablement pas assez pour gouverner, mais l’enjeu pourrait être le suivant : si la coalition de Benyamin Netanyahou est capable ou pas d’obtenir la majorité absolue.

Si la coalition de centre gauche faisait le meilleur score, ou s’il n’y avait aucune majorité, il serait probable que ce ne seraient pas les travaillistes qui dirigeraient le prochain gouvernement israélien, mais la nouvelle formation Bleu et Blanc dont le leader, le général Benny Gantz pourrait devenir Premier Ministre. Dans ce cas, il ne serait pas le premier ancien chef d’état-major à diriger un gouvernement car il y a eu Yitzhak Rabin et Ehud Barak (et d’autres chefs d’état-major ont eu des postes politiques très importants, comme Ministres de la Défense, ce qui fut le cas de Moshe Dayan et Shaul Mofaz).

Si, au contraire, la coalition de centre droit et de droite gagnait de nouveau ces élections législatives, Benyamin Netanyahou, qui est Premier Ministre du 18 juin 1996 au 6 juillet 1999 et depuis le 31 mars 2009 (réélu le 18 mars 2013 et le 6 mai 2015), pourrait dépasser le record de longévité au pouvoir détenu actuellement par le fondateur de l’État d’Israël, David Ben Gourion, Premier Ministre du 14 mai 1948 au 26 janvier 1954 et du 3 novembre 1955 au 26 juin 1963. Le 9 avril 2019, Benyamin Netanyahou aura effectivement dirigé un gouvernement israélien pendant 13 ans et 27 jours, soit 100 jours de moins que David Ben Gourion.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 avril 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Poisons et délices de la proportionnelle.
Les enjeux des élections législatives israéliennes du 9 avril 2019.
Golda Meir.
La lutte contre l’antisémitisme est l’affaire de tous !
Les Accords de Camp David.
La naissance de l’État d’Israël.
Massacre à Gaza.
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
Tentative de paix en 1996.
Un géant à Jérusalem.
Shimon Peres.
Israël est une démocratie.
Yitzhak Rabin.
Le Président Peres.
Ariel Sharon.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
Yasser Arafat.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190331-legislatives-israel.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/de-la-democratie-en-israel-214005

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/03/31/37221618.html


 

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16 mars 2019 6 16 /03 /mars /2019 03:39

« Je ne veux pas d’un peuple juif généreux, libéral, anticolonialiste, anti-impérialiste… et mort ! » (Golda Meir).



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C’était cette intransigeance-là qui pouvait faire frémir lorsqu’on écoutait Golda Meir. Pourtant, l’apparence était trompeuse. Il y a cinquante ans, le 17 mars 1969, cette femme déjà âgée, 70 ans, l’air d’une grand-mère ukrainienne ridée et affaiblie par la vie, fumeuse comme il ne serait plus du tout permis aujourd’hui (il existe peu de photographies d’elle sans une cigarette à la main ou à la bouche), est devenue Premier Ministre de l’État d’Israël.

D’un tempérament très fort, elle a été parmi les (trois) premières femmes dans l’histoire du monde à diriger un gouvernement national. Et même encore maintenant, il n’y en a pas encore eu beaucoup, de femmes chefs de gouvernement ou Présidentes de la République (on peut citer Indira Gandhi, Benazir Bhutto, Margaret Thatcher, Theresa May, Angela Merkel, Michelle Bachelet, Dilma Rousseff, Cristina Kirchner, Eva Peron, Édith Cresson, etc. mais je ne cite pas dans les pays d’Europe du Nord ou de l’Est où elles sont plutôt nombreuses depuis une trentaine d’années).

Golda Meir refusa les propositions de paix du Président égyptien Anouar El-Sadate en février 1971 (accord de paix contre restitution des territoires occupés). Elle avait peu d’affection pour les Palestiniens. Elle se disait d’ailleurs elle-même Palestinienne, en tout cas, elle pouvait prouver qu’elle avait un passeport palestinien à l’époque du mandat britannique. Née à Kiev le 3 mai 1898 dans une famille très pauvre, elle a connu la persécution contre les Juifs en Ukraine. Sa famille a alors décidé d’émigrer aux États-Unis en 1906. Adolescente, elle aidait sa mère à tenir la petite épicerie familiale, mais à l’âge de 15 ans, elle est partie vivre sa vie, s’auto-suffire et faire des études. À 17 ans, elle commença à militer pour soutenir le projet sioniste et à 19 ans, elle s’est mariée.

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En 1921, le jeune couple émigra dans un kibboutz en Palestine alors sous mandat britannique. La vie y fut difficile au point que son mari aurait préféré retourner aux États-Unis, si bien qu’en 1924, ils se sont installés à Tel-Aviv. Elle a pris progressivement de plus en plus de responsabilités dans des organisations sionistes, au point d’être en 1934 membre du comité national de la communauté juive en Palestine, révélant déjà « [une oratrice] habile et une polémiste redoutable » (selon Amnon Kapeliouk).

Juste avant la création de l’État d’Israël, on lui confia quelques missions diplomatiques dont une pour convaincre le roi de Jordanie de ne pas faire la guerre à Israël. Elle a fait partie des vingt-quatre signataires de la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël le 14 mai 1948. Elle fut donc, au regard de l’Histoire, une cofondatrice de l’État d’Israël, une historique. Par ailleurs, elle a obtenu le premier passeport israélien le 15 mai 1948.

Très vite, elle s’est transformée en femme d’État. Représentante d’Israël en URSS en 1948 ("ministre plénipotentiaire"), elle suscita beaucoup d’espoir chez les Juifs d’Union Soviétique. Élue députée en 1949 à la première Knesset (et réélue jusqu’en 1974), elle fut nommée Ministre du Travail et de la Sécurité Sociale du 10 mars 1949 au 19 juin 1956, malgré la réticence des partis religieux qui n’imaginaient pas une femme ministre dans le gouvernement de David Ben Gourion. Au-delà du socialisme (travaillisme) qui leur était commun, Golda Meir partageait la même intransigeance que Ben Gourion contre les pays arabes qui voulaient l’anéantissement d’Israël.

Lorsque Ben Gourion limogea le Ministre des Affaires étrangères Moshe Sharett jugé trop mou, il proposa la succession à Golda Meir qui fut ainsi Ministre des Affaires étrangères de l’État d’Israël du 17 juin 1956 au 12 janvier 1966, pendant presque dix ans. Pourtant, la vie politique intérieure israélienne était (et reste) loin d’être un long fleuve tranquille. Dans les années 1960, Golda Meir entra régulièrement en conflit avec Ben Gourion qui cumulait en même temps le Ministère de la Défense. C’étaient ainsi deux administrations qui étaient souvent en conflit, avec notamment Shimon Peres qui était "directeur général" du Ministère de la Défense et qui se prenait parfois pour le Ministre des Affaires étrangères.

Au sein du futur parti travailliste (Mapai), Golda Meir faisait clairement figure de principale rivale de Ben Gourion et son influence interne augmenta lorsque Levi Eskhol prit, le 26 juin 1963, la succession de Ben Gourion contraint de démissionner à la suite d’un scandale politique. Elle quitta le gouvernement après les élections législatives de novembre 1965 pour devenir secrétaire générale du Mapai, puis secrétaire générale du parti travailliste (avec la fusion de trois partis), en 1968. Mais fatiguée et vieillie, elle démissionna de la tête du parti au pouvoir quelques mois plus tard, le 1er août 1968, et était sur le point de prendre sa retraite politique (d’autant plus que plus personne n’imaginait qu’elle pût encore avoir un avenir politique).

Ce qui a précipité les choses, ce fut la mort soudaine du Premier Ministre en exercice Levi Eshkol, d’une crise cardiaque, le 27 février 1969. La guerre de succession faisait rage chez les travaillistes, avec deux camps : d’une part, Moshe Dayan, à l’époque Ministre de la Défense, et d’autre part, Ygal Allon, Vice-Premier Ministre assurant l’intérim, tous les deux candidats au poste de Premier Ministre. Pour trouver un candidat de consensus, le parti travailliste a choisi finalement Golda Meir qui retrouva le pouvoir après l’avoir quitté quelques années.

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Golda Meir fut Premier Ministre d’Israël du 17 mars 1969 au 3 juin 1974. En raison de la victoire de la Guerre des Six-Jours en 1967, Golda Meir bénéficia d’une grande confiance populaire, ce qui l’encouragea à rester très ferme contre les Palestiniens, au point d’avoir déclaré, selon l’éditorialiste Jean Daniel dans un livre publié en 2008 : « Nous pourrons sans doute un jour vous pardonner d’avoir tué nos enfants. Mais il nous sera beaucoup plus difficile de vous pardonner de nous avoir contraint à tuer les vôtres. La paix viendra quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils nous haïssent . » (sous réserve de véracité).

Comme Premier Ministre sortante, Golda Meir remporta deux élections législatives, celles du 28 octobre 1969 où son parti a obtenu 56 sièges (sur 120) et 46,2% des voix, et celles du 31 décembre 1973, en obtenant 51 sièges (sur 120) et 39,6% des voix.

L’attaque arabe surprise lors du déclenchement de la Guerre du Kippour le 6 octobre 1973 a conduit, malgré la victoire finale, à la démission de Golda Meir le 11 avril 1974 car de sérieux dysfonctionnements ont été constatés dans les services de renseignements. Un général a pris alors le relève, Yitzhak Rabin, qui a dû démissionner trois années plus tard à cause d’un scandale politique.

Retirée de la vie politique depuis cinq années et très malade, Golda Meir est morte à Jérusalem le 8 décembre 1978 à l’âge de 80 ans. Pour le moment, elle fut la seule femme à avoir dirigé un gouvernement israélien.

Successeure d’Ehud Olmert à la tête de Kadima, le parti centriste créé le 21 novembre 2005 par Ariel Sharon, Tzipi Livni, alors Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères sortante, s’était retrouvée en position de devenir très probablement la prochaine Premier Ministre (la seconde femme en Israël) lors des élections législatives du 10 février 2009 où elle avait obtenu 28 sièges (sur 120) et 22,5% des voix, soit le premier parti du pays, devant le Likoud de Benyamin Netanyahou avec 27 sièges et 21,6% des voix. Mais Tzipi Livni n’avait pas pu former de majorité, au contraire de son rival du Likoud allié avec le parti d’extrême droite d’Avigdor Liberman. Elle participa cependant au troisième gouvernement Netanyahou, après les élections législatives du 22 janvier 2013, comme Ministre de la Justice du 18 mars 2013 au 2 décembre 2014.

Après avoir créé sa propre formation politique et fait une alliance avec le parti travailliste (Union sioniste) pour les élections législatives anticipées du 17 mars 2015, Tzipi Livni était revenue sur l’avant-scène politique en devenant la chef de l’opposition à la Knesset du 1er août 2018 au 1er janvier 2019 (jusqu’à la rupture de l’alliance avec les travaillistes, à l’initiative de ces derniers). Discréditée dans les sondages, Tzipi Livni a alors décidé le 18 février 2019 de se retirer de la vie politique et de ne pas participer aux prochaines élections législatives qui auront lieu dans quelques jours, le 9 avril 2019, afin d’éviter la dispersion des voix centristes.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 mars 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Golda Meir.
La lutte contre l’antisémitisme est l’affaire de tous !
Les Accords de Camp David.
La naissance de l’État d’Israël.
Massacre à Gaza.
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
Tentative de paix en 1996.
Un géant à Jérusalem.
Shimon Peres.
Israël est une démocratie.
Yitzhak Rabin.
Le Président Peres.
Ariel Sharon.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
Yasser Arafat.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190317-golda-meir.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/golda-meir-la-dame-de-fer-en-213521

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/03/10/37165812.html

 

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13 février 2019 3 13 /02 /février /2019 03:55

« À ta place, ce c*l, je voudrais l’installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent de l’andouille et rouler carrosse par les rues. » (Alfred Jarry, "Ubu roi", 1896).


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Il y avait encore quelques doutes pendant quelques jours, mais c’est maintenant officiel, depuis ce dimanche 10 février 2019 : aussi invraisemblable que cela puisse paraître, le Président de la République algérienne démocratique et populaire sortant Abdelaziz Bouteflika a confirmé qu’il serait candidat à l’élection présidentielle du 18 avril 2019. Il postule donc pour un cinquième mandat au Palais d’El Mouradia avec ce message à la nation : « La volonté inébranlable de servir la patrie ne m’a jamais quitté et elle me permet de transcender les contraintes liées aux ennuis de santé auxquels chacun peut être un jour confronté. ». Une manière comme une autre de célébrer le quarantième anniversaire de la Révolution iranienne (le 11 février 1979).

La veille, le 9 février 2019, au cours d’un meeting à Alger, Mouad Bouchareb, coordinateur provisoire et secrétaire général par intérim du FLN (depuis 2018), avait clamé : « En votre nom, et par devoir de gratitude, je suis honoré d’annoncer que le FLN présente comme candidat à la prochaine élection présidentielle le moudjahid Abdelaziz Bouteflika. » ("Jeune Afrique", 10 février 2019).

Au-delà de la longue durée (j’y reviendrai), le plus choquant n’est même pas l’âge, 82 ans (qu’il aura dans quelques jours), mais son état de santé qui l’empêche de se tenir debout depuis plusieurs années. Il n’a pas prononcé un seul discours en public et en direct depuis le début de son précédent mandat.

On ne reprochera pas son ou ses handicaps. Après tout, Stephen Hawking, au contraire, était même admirable. Ni même son engagement au service de la nation en parallèle, comme c’est le cas encore pour Wolfgang Schäuble, l’actuel Président du Bundestag, longtemps ministre très influent (Intérieur, Finances) et même candidat à la Chancellerie malgré son fauteuil roulant. Non, on reprochera simplement que le Président Bouteflika est incapable d’exercer ses fonctions, d’agir, de prendre des décisions, d'imaginer l'avenir de son pays.

C’est d’ailleurs peut-être cela que veulent les militaires du FLN : garder l’Algérie sous congélateur en attendant. En attendant quoi ? Qu’ils trouvent eux-mêmes la solution pour la lourde succession d’Abdelaziz Bouteflika. À l’évidence, ils veulent reconduire un "fantôme", un "fantôme" tellement évident que le site sarcastique Nordpresse.be a même imaginé il y a quelques mois que Bouteflika était mort depuis plusieurs années et qu’il a été remplacé par un "humanoïde robotique" ! Attention, messieurs les complotistes, ce site belge se veut humoristique et a même annoncé ces derniers jours plusieurs titres comme : « Nicolas Maduro annonce qu’il organisera un grand débat national » ; « Le yacht de Vincent Bolloré pris pour un bateau de migrants et coulé par la marine grecque » ; « Castaner : "Nous avons retrouvé un gilet jaune dans la voiture de l’incendiaire" » ; « 2 cm de neige à Paris : déjà 8 000 morts et 200 000 réfugiés », etc.

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Revenons à l’Algérie. Si le FLN veut tellement la reconduction d’Abdelaziz Bouteflika, c’est qu’il n’a personne d’autre à proposer. Personne, de plus jeune, capable de faire consensus au FLN, parmi les militaires, et encore moins capable de réunir une majorité de suffrages pendant l’élection, même en forçant un peu les urnes. Car il faut imaginer que dans la tête des hiérarques du FLN, Abdelaziz Bouteflika sera évidemment réélu, que le principal était d’assurer sa candidature et que le reste coulerait de source.

Et pourquoi faudrait-il que le candidat élu provienne du FLN ? Le risque islamiste n’est toujours pas écarté, même s’il se présente d’une autre manière qu’en janvier 1992 après les succès électoraux du FIS. Mais imposer le maintien au pouvoir d’un FLN sclérosé ne paraît pas non plus des plus prometteurs pour développer la démocratie algérienne. D’ailleurs, la promesse d’Abdelaziz Bouteflika, s’il est réélu, c’est d’organiser dès cette année une "conférence nationale inclusive" qui aurait pour buts "l’élaboration d’une plateforme politique, économique et sociale" et "un enrichissement de la Constitution".

Au cours d’une conférence de presse le 2 février 2019, le Premier Ministre Ahmed Ouyahia (66 ans) avait anticipé la candidature en disant que Bouteflika n’animerait pas sa campagne électorale. Ahmed Ouyahia est Premier Ministre depuis le 16 août 2017 et l’a été auparavant du 31 décembre 1995 au 15 décembre 1998, du 6 mai 2003 au 24 mai 2006 et du 23 juin 2008 au 3 septembre 2012. Il a été aussi de nombreuses fois ministre important depuis une vingtaine d’années, mais le mandat le plus important semble être sa fonction de secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND) du 26 janvier 1999 au 3 janvier 2013 et depuis le 10 juin 2015 (précédant et succédant au général Abdelkader Bensalah, 76 ans, Président de la Chambre haute depuis le 2 juillet 2002 et réélu le 9 janvier 2013 et 29 janvier 2019, et à ce titre, chargé de l’intérim présidentiel en cas de vacance, après avoir présidé l’Assemblée populaire nationale de 1997 à 2002).

Le RND est l’alliance présidentielle regroupant plusieurs partis algériens, notamment le FLN et qui a réuni son conseil national le 2 février 2019 pour appeler Abdelaziz Bouteflika à se représenter devant les électeurs. Durant son dernier mandat (2014-2019), selon le journaliste Abdelghani Aichoun ("Algeria Watch") : « Ses apparitions publiques se sont résumés aux quelques audiences accordées à des Présidents ou Premiers Ministres étrangers, et à certaines activités ministérielles ou protocolaires nationales (conseil des ministres, festivités du 1er novembre, visite du chantier de la grande mosquée d’Alger). Pas de discours. » (5 février 2019).

Ahmed Adimi, porte-parole de Talaie El Hourriyet, le parti créé le 14 juin 2015 par Ali Benflis (74 ans, qui fut Premier Ministre du 26 août 2000 au 5 mai 2003, secrétaire général du FLN de 2001 à 2003 et candidat aux élections présidentielles de 2004, de 2014 et de 2019), a fustigé les soutiens de Bouteflika : « Même avec les élections truquées, leurs personnels ne pourront pas arracher 1% des voix. C’est pour cela qu’ils s’accrochent à un Président malade. » ("Algeria Watch", 5 février 2019). Dans le même article, il est cité Soufiane Djilali, président de Jil Jadid et ancien candidat à l’élection présidentielle de 2014, qui disait le 3 février 2019 : « Ils veulent nous faire croire que l’Algérie a besoin d’un homme, alors qu’il ne peut rien pour lui-même. Derrière cet homme-là, on veut continuer à gérer le pays comme une tribu, en se partageant les privilèges et les prérogatives. ». Tous les ministres et dirigeants militaires ou civils ont peur de l’élection d’un Président "indépendant" qui engagerait des poursuites judiciaires contre la corruption et autres malversations pratiquées au cœur du pouvoir depuis une vingtaine d’années. La réélection de Bouteflika leur donnerait l’impunité, du moins pour un temps.

Rappelons rapidement la très longue carrière d’Abdelaziz Bouteflika qui en fait le dernier dinosaure de la guerre d’indépendance de l’Algérie. Dès l’indépendance, il a eu de très importantes responsabilités : Ministre de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme dans le gouvernement d’Ahmed Ben Bella du 27 septembre 1962 au 4 septembre 1963, il fut l’indéboulonnable Ministre des Affaires étrangères du 4 septembre 1963 au 8 mars 1979 sous les mandats et gouvernements de Ben Bella et de Boumediene (il présida l’Assemblée générale de l’ONU en 1974), tout en étant membre du Conseil de la Révolution du 20 juin 1965 au 10 décembre 1976. Pour l'anecdote, Bernard Stasi, qui, comme collaborateur du Ministre français de la Jeunesse et des Sports Maurice Herzog, avait rapproché la jeunesse française de la jeunesse algérienne en mettant en place un tournoi de football, avait sympathisé avec l’homologue algérien… Bouteflika.

Bouteflika fut ensuite Ministre d’État du 8 mars 1979 au 15 juillet 1980 puis écarté par Chadli Bendjedid. Il fut traduit devant le conseil de discipline du FLN puis pour poursuivi par la Cour des comptes pour un détournement de fonds. Il s’exila à l’étranger (en Suisse) pendant six ans et se transforma en consultant international (un métier juteux). Après un timide retour en Algérie à la fin des années 1980 (il participa au congrès du FLN de 1989), il refusa d’être de nouveau ministre, puis, après le début de la guerre civile, refusa la proposition de la junte militaire d’être le Président de la République en janvier 1994 (le général Liamine Zeroual fut alors choisi).

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Rappelé une nouvelle fois par les militaires à la fin de la décennie désastreuse de guerre civile entre FLN et islamistes du GIA, Abdelaziz Bouteflika fut élu Président de la République le 15 avril 1999 avec 73,8% des voix et 60,9% de participation, a pris ses fonctions le 27 avril 1999 et a été réélu le 8 avril 2004 avec 85,0% des voix et 58,1% de participation, le 9 avril 2009 avec 90,2% des voix et 74,6% de participation, et le 17 avril 2014 avec 81,5% des voix et 50,7% de participation. Des élections pluralistes qui ont été régulièrement contestées par l’opposition qui a condamné des fraudes et qui a parlé de parodies. Par ailleurs, il cumule avec le poste de Ministre de la Défense nationale depuis le 5 mai 2003 et de président d’honneur du FLN depuis le 28 janvier 2005.

Quel est le bilan de Abdelaziz Bouteflika depuis 1999 ? Il est probablement trop tôt encore pour faire ce bilan et s’il y a eu au moins un point positif dans cette déjà longue Présidence, c’est la stabilité intérieure et le retour à la paix civile. Dès le 16 septembre 1999, Bouteflika a fait ratifier par référendum, avec 98,6% de "oui" et une participation de 85,0% (contestée), la loi sur la concorde civile adoptée par le Parlement le 8 juillet 1999, qui fut complétée par un second référendum le 29 septembre 2005 pour approuver la Charte pour la paix et la réconciliation nationale par 97,4% de "oui" avec 79,8% de participation, qui a amnistié environ 6 000 combattants islamistes qui ont pu quitter ainsi la clandestinité du maquis.

La date limite de dépôt des candidatures à l’élection présidentielle du 18 avril 2019 est le 3 mars 2019, et ces candidatures seront validées (ou invalidées) par le Conseil constitutionnel le 13 mars 2019. Certains partis politiques ont déjà annoncé le boycott de ce scrutin, en particulier le RCD et le FFS. Une dizaine de candidatures seraient pour l’instant annoncées.

Depuis la révision constitutionnelle du 6 mars 2016 (loi n°16-01 du 26 Joumada El Oula 1437), provoquée par les conséquences du Printemps arabe de 2011 en Algérie, il est désormais indiqué que « le Président de la République est élu au suffrage universel, direct et secret. L’élection est acquise à la majorité absolue des suffrages exprimés. » (article 85 de la Constitution). Il est également indiqué : « La durée du mandat présidentiel est de cinq ans. Le Président de la République est rééligible une seule fois. » (article 88 de la Constitution). Comme cette dernière disposition date de 2016, sa première application est pour l’élection de 2019, si bien qu’en droit constitutionnel, s’il est réélu cette année, Abdelaziz Bouteflika pourra être encore réélu une nouvelle fois, en 2024 ! (À la fin de ce sixième mandat, Bouteflika aurait alors 92 ans, et pourrait donc concourir à la compétition stupide du chef d’État le plus âgé, avec pour concurrents invincibles Robert Mugabe, renversé à plus de 93 ans, et la reine Élisabeth II, qui n’est pas loin de fêter son 93e anniversaire).

Notons toutefois qu’avant 2008, cette disposition constitutionnelle de la limitation à deux mandats existait déjà et Bouteflika a fait retirer cette contrainte lors d’un vote du Parlement algérien à main levée le 12 novembre 2008 pour modifier ainsi la Constitution par 500 pour, 21 contre et 8 abstentions, dans l’unique objectif de pouvoir se représenter à l’élection présidentielle en 2009.

Enfin, pour information, il faut aussi préciser qu’au-delà de l’article 87 de la Constitution algérienne qui donne les conditions pour pouvoir être éligible à la Présidence de la République, l’article 102 explique : « Lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement. ». Si Abdelaziz Bouteflika entame un cinquième mandat, le Conseil constitutionnel devra probablement appliquer un jour cet article de la Constitution algérienne…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Abdelaziz Bouteflika.
Chadli Bendjedid.
Disparition de Chadli Benjedid.
Hocine Aït Ahmed.
Ahmed Ben Bella.
Josette Audin.
Michel Audin.
Déclaration d’Emmanuel Macron sur Maurice Audin (13 septembre 2018).
François Mitterrand et l'Algérie.
Hervé Gourdel.
Mohamed Boudiaf.
Vidéo : dernières paroles de Boudiaf le 29 juin 1992.
Rapport officiel sur l’assassinat de Boudiaf (texte intégral).
Abdelaziz Bouteflika en 2009.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190210-bouteflika.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/bouteflika-le-malade-imagine-ou-le-212598

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/02/12/37094975.html



 

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