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6 février 2019 3 06 /02 /février /2019 12:47

« Josette Audin, restée seule avec trois jeunes enfants, retenue plusieurs jours dans son appartement, se démène dès qu’elle le peut pour tenter de savoir où son mari est détenu. » (Emmanuel Macron, le 13 septembre 2018).


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Malade, une personne s’est éteinte à Bobigny le samedi 2 février 2019 quelques jours avant l’âge de 88 ans. Née le 15 février 1931 à Alger, Josette Audin était une vieille dame comme les autres, mais malgré les drames de la vie, et surtout, "le" drame de sa vie, elle arborait toujours son sourire resplendissant de jeune fille.

Le 12 décembre 2018 dans l’amphithéâtre de l’Institut Poincaré, malgré sa santé fragile, elle était présente, comme chaque année, à la cérémonie de remise du prix Maurice-Audin attribué par la Société mathématique de France.

Le drame de sa vie est hélas bien connu. Son mari, le jeune mathématicien Maurice Audin, fut arrêté le 11 juin 1957 par un commando de parachutistes : « Occupe-toi des enfants ! » furent ses derniers mots à Josette. Ils s’étaient mariés en janvier 1953 (ils s’étaient rencontrés à la faculté d’Alger en 1952), et ils avaient eu trois enfants. Maurice Audin préparait sa thèse de doctorat en mathématiques et Josette enseignait dans un lycée à Alger. Les deux étaient des militants communistes et soutenaient l’indépendance de l’Algérie.

Officiellement disparu sans explication, Maurice Audin fut en fait torturé et tué le 21 juin 1957. Dès mai 1958, après une première enquête, l’historien Pierre Vidal-Naquet a établi les faits, et dans ses mémoires en 2001, le général Paul Aussaresses a reconnu, au soir de sa vie, qu’il avait bien donné l’ordre de torturer et de tuer Maurice Audin, en donnant même le nom du lieutenant qui l’a assassiné. Lors de la diffusion posthume d’un documentaire en janvier 2014, le vieux militaire a même confirmé : « On a tué Audin. On l’a tué au couteau pour faire croire que c’était les Arabes qui l’avaient tué. Voilà. Qui c’est qui a décidé de ça ? C’est moi. ». Il n’y avait donc plus de doute sur les faits.

Josette décida de rester en Algérie après l’indépendance, mais le coup d’État de Boumediene l’obligea à trouver refuge en France pour protéger ses enfants. La petite famille s’est retrouvée à la rentrée 1966 à Étampes, puis à Argenteuil. Le plus jeune fils de Josette, Pierre Audin, mathématicien également, confia bien plus tard : « Ma mère n’en parlait jamais. C’était son jardin secret, et on l’a respecté. Il y avait son portrait partout, je me doutais que c’était un héros, mais je ne savais pas pourquoi. Un jour, je suis tombé sur un livre dans la bibliothèque, intitulé "L’Affaire Audin". » ("L’Humanité" du 4 février 2019). Pierre Audin n’avait qu’un mois lorsque son père a disparu. Ce fut son frère aîné, Louis, aujourd’hui décédé, qui lui a mis le livre de Pierre Vidal-Naquet dans les mains.

Elle ne s’est jamais remariée et ne pouvait pas réussir à faire son deuil jusqu’à l’an dernier. Le combat de Josette Audin fut celui de toute sa vie. Pendant plus de soixante et un ans, elle voulait que la France reconnût les faits, à savoir que ce furent des militaires français qui ont tué son mari. Elle n’avait pas d’esprit de vengeance, car elle savait que tous les faits durant la guerre d’Algérie ont bénéficié de mesures d’amnistie, si bien que l’impunité judicaire, dans tous les cas, aurait été maintenue.

C’est un autre débat et c’est le problème aussi des sorties de guerre, civile ou pas, ou de dictatures : faut-il amnistier, c’est-à-dire que l’État pardonne les criminels, pour faire la réconciliation ? Question posée autant pour la guerre d’Algérie que pour la sortie de l’apartheid en Afrique du Sud, ou encore lors de la libéralisation de l’Europe centrale et orientale, en particulier en Allemagne de l’Est, en Pologne et en Roumanie (aussi, bien sûr, en Russie)…

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La reconnaissance de la France, c’était son combat. Et elle l’a obtenue. In extremis. Encouragé par le mathématicien Cédric Villani (Médaille Fields), également député LREM de l’Essonne et potentiel candidat à la mairie de Paris (qui avait accueilli Josette Audin à l’Assemblée Nationale le 12 janvier 2018 pour témoigner contre la torture), et le député communiste de Seine-Maritime, Sébastien Jumel (les deux députés ont fait un appel à la reconnaissance le 14 février 2018), le Président de la République Emmanuel Macron est venu le 13 septembre 2018 rencontrer Josette Audin pour lui apporter ce qu’elle a attendu si longtemps. Il valait mieux tard que jamais.

Devant son modeste trois pièces à Bagnolet, Emmanuel Macron a en effet évoqué la responsabilité de l’État français dans la disparition de son mari : « Ce système a été le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture, que l’affaire Audin a mis en lumière. (…) En échouant à prévenir et à punir le recours à la torture, les gouvernements successifs ont mis en péril la survie des hommes et des femmes dont se saisissaient les forces de l’ordre. En dernier ressort, pourtant, c’est à elle que revient la responsabilité d’assurer la sauvegarde des droits humains et, en premier lieu, l’intégrité physique de celles et de ceux qui sont détenus sous leur souveraineté. (…) Une reconnaissance ne guérira pas leurs maux. Il restera sans doute de l’irréparable en chacun, mais une reconnaissance doit pouvoir, symboliquement, délester ceux qui plient encore sous le poids de ce passé. C’est dans cet esprit, en tout cas, qu’elle est pensée et aujourd’hui formulée. (…) Il en va (…) du devoir de vérité qui incombe à la République française, laquelle dans ce domaine comme dans d’autres, doit montrer la voie, car c’est par la vérité que la réconciliation est possible et il n’est pas de liberté, d’égalité et de fraternité sans exercice de vérité. La République ne saurait, par conséquent, minimiser ni excuser les crimes et atrocités commis de part et d’autre durant ce conflit. La France en porte encore les cicatrices, parfois mal refermée. ».





Le journal "L’Humanité" a retranscrit la conversation entre Josette Audin et Emmanuel Macron :
« JA – Je vous remercie sincèrement…
EM – Non ! C’est à moi de vous demander pardon, donc vous ne me dites rien, si vous m’autorisez. On restaure un peu de ce qui devait être fait.
JA – Oui, enfin, je vous remercie quand même !
EM – Je vois que l’indiscipline continue. ».

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Dans "Le Parisien" du 13 septembre 2018 (interrogé par Nelly Terrier), Pierre Audin a raconté : « Le Président est venu chez ma mère, il lui a parlé, la République fait un effort pour regarder son passé en face. Le Président a rendu hommage à son combat, il lui a parlé des grandes lignes de sa déclaration, elle était très émue. Elle attendait ce moment depuis plus de soixante ans. Elle est évidemment satisfaite, elle a passé sa vie à se battre, tout cela a gâché, brisé sa vie. Elle a élevé seule ses enfants, tout en se battant pour faire reconnaître que la disparition de son mari était un crime. (…) Cela concerne la mort de mon père Maurice, bien sûr, mais aussi tous les autres, dont on ne parle pas assez. (…) C’est la reconnaissance officielle que cette répression n’était pas du tout là pour sauver des vies, comme cela a été soutenu pendant des années, mais bien pour instaurer la terreur. La patrie des Droits de l’Homme doit assumer, comme elle l’a fait pour le Vel d’Hiv, son passé. ».

Lors de cette reconnaissance, j’avais écrit : « La veuve peut mourir sereinement. ». C’est ce qu’a annoncé Fabien Roussel, secrétaire national du parti communiste français, sur Twitter le 3 février 2019 : « Elle part apaisée d’avoir vu enfin ce crime d’État reconnu. ». Oui, Josette Audin a pu trouver la sérénité d’avoir gagné son combat, celui, moral, de la vérité.

C’est ce qu’explique souvent le politologue Alfred Grosser, spécialiste des relations franco-allemandes : pour réussir la réconciliation, il ne faut pas nier le mal commis. Au contraire, il y a un premier devoir qui est de se dire la vérité, connaître le mal reçu des deux côtés. C’est seulement après cette première étape qu’on peut imaginer la seconde étape, celui du pardon et de la réconciliation.

Face au si long silence de l’État français, Josette Audin se trouvait alors dans l’incapacité de pardonner parce que la vérité n’avait encore jamais été dite. Jusqu’à ce 13 septembre 2018. Que Josette rejoigne son époux dans la sérénité et la paix de son âme, et condoléances à sa famille et proches.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Chadli Bendjedid.
Josette Audin.
Michel Audin.
Déclaration d’Emmanuel Macron sur Maurice Audin (13 septembre 2018).
François Mitterrand et l'Algérie.
Hervé Gourdel.
Mohamed Boudiaf.
Vidéo : dernières paroles de Boudiaf le 29 juin 1992.
Rapport officiel sur l’assassinat de Boudiaf (texte intégral).
Abdelaziz Bouteflika en 2009.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190202-josette-audin.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/josette-audin-le-combat-d-une-212423

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/02/05/37078101.html


 

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