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4 novembre 2015 3 04 /11 /novembre /2015 06:54

« Donnez au soleil de s’élever, au matin d’éclairer. La force de vos prières ne nous fera pas revenir celui dont la bougie s’est éteinte et qui gît dans la poussière, les larmes amères ne le réveilleront pas, ne le ramèneront plus ici. (…) Laissez le soleil entrer, à travers les fleurs. Ne regardez pas en arrière. Accordez le repos à ceux qui sont partis. Levez les yeux avec espoir, et pas sur une ligne de mire. (…) Ne dites pas : "Un jour viendra", faites-le advenir, car ce n’est pas un rêve. Et sur toutes les places, acclamez la paix ! » ("Shir la-shalom", un chant pour la paix, qu’avait chanté Yitzhak Rabin quelques minutes avant sa mort).



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Il y a juste vingt ans, le Premier Ministre israélien Yitzhak Rabin a été assassiné sur la place des Rois d’Israël à Tel-Aviv à l’issue d’un meeting en faveur de la paix. Il n’était pas seulement un chef de gouvernement, mais "le" chef du gouvernement qui a réussi à amorcer les premières étapes d’une paix qui se cherche toujours : « Rabin est certainement le plus vivant des morts-vivants se promenant parmi nous. » (Yossi Sarid, ancien ministre de Rabin et Barak, président du parti Meretz de 1996 à 2003).

Au cours d'une conférence de presse, le Secrétaire Général de l'ONU, Ban Ki-Moon, a rendu hommage à Yitzhak Rabin : « Le Premier Ministre Rabin a consacré sa vie à la sécurité de son pays natal. Il est mort après avoir courageusement compris la nécessité et la possibilité d'entamer des négociations de paix sérieuses avec les Palestiniens, en reconnaissant que, comme il l'a dit, "vous ne faites pas la paix avec des amis ; vous ne pouvez faire la paix qu'avec vos ennemis". (...) Aujourd'hui, les voix de la majorité qui soutiennent la paix et s'opposent à la violence sont noyées par la rhétorique incendiaire et les actions choquantes d'extrémistes de tous bords. » (New York le 3 novembre 2015).


La fragile paix des braves

Prix Nobel de la Paix 1994 avec Shimon Pérès et Yasser Arafat, Yitzhak Rabin avait signé la paix entre Israéliens et Palestiniens, en particulier la Déclaration de principes à Washington le 13 septembre 1993 (sous les auspices de Bill Clinton : la poignée de mains fut historique), puis les accords d’Oslo le 4 mai 1994, enfin l’accord de Taba le 28 septembre 1995. Pour la première fois, Israël a accepté la création de l’Autorité palestinienne, précurseur d’un État palestinien, tandis que Yasser Arafat a reconnu l’État d’Israël.

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On aurait pu croire que tout irait en progressant dans un contexte historique exceptionnellement favorable avec la chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’Union Soviétique, et même la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, les accords d’Oslo sonnait comme la fin de la période noire de l’après-guerre. Hélas, le 4 novembre 1995, peut-être même avant le 11 septembre 2001, fut la preuve que les progrès de la paix et de la démocratie ne sont jamais acquis si la volonté des dirigeants politiques fait défaut.

Comme lors de l’assassinat, le 6 octobre 1981, d’Anouar el-Sadate (1918-1981), Président égyptien et lui aussi Prix Nobel de la Paix 1978 pour récompenser les accords de Camp David du 17 septembre 1978 avec Menahem Begin sous les auspices de Jimmy Carter, ce fut par un ultra de son camp qu’Yitzhak Rabin tomba : son assassin, un étudiant d’extrême droite qui avait 25 ans à l’époque, sioniste radical, voulait poursuivre le massacre du Caveau des Patriarches à Hébron perpétré le 25 février 1994 par Baruch Golstein et qui coûta la vie à vingt-neuf Palestiniens. L’assassin a été condamné à la prison à perpétuité.

Craignant que le populisme fût plus fort que l’esprit d’Oslo, Leah Rabin (1928-2000), la veuve de Yitzhak Rabin, avait alors supplié Shimon Pérès, qui avait succédé à son mari, d’organiser immédiatement des élections législatives anticipées pour profiter de l’émotion suscitée par cet assassinat. Mais Shimon Pérès a refusé et a perdu de justesse les élections qui ont eu lieu le 29 mai 1996 (avec moins de 30 000 voix d’écart). Benyamin Netanyahou a réussi donc à conquérir le pouvoir le 18 juin 1996 grâce à des slogans démagogiques en proposant la sécurité avant la paix, et le processus de paix s’enlisa (Benyamin Netanyahou a dû quitter le pouvoir le 6 juillet 1999 sur un constat d’échec). Par la suite, Yasser Arafat fit échouer la dernière tentative de revenir à la paix d’Oslo proposée par Ehud Barak et Bill Clinton (Sommet de Camp David II du 25 juillet 2000 et Sommet de Taba du 27 janvier 2001).

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Un faucon de paix

Né le 1er mars 1922 à Jérusalem, Yitzhak Rabin fut d’abord un militaire, devenu général. Il participa à la première guerre israélo-arabe du 14 mai 1948 au 20 juillet 1949 puis à la guerre des Six Jours du 5 au 10 juin 1967. Après avoir été ambassadeur d’Israël aux États-Unis en 1968, il fut élu député travailliste le 31 décembre 1973 et intégra très vite les instances dirigeantes du parti travailliste et le gouvernement : Ministre du Travail du 10 mars 1974 au 3 juin 1974, il succéda à Golda Meir (1898-1978) comme Premier Ministre du 3 juin 1974 au 20 juin 1977. Il perdit les élections législatives du 17 mai 1977 à cause d’une histoire de compte bancaire aux États-Unis (Menahem Begin lui succéda).

Yitzhak retrouva le chemin du pouvoir en occupant dans plusieurs gouvernements, parfois de grande coalition, le très stratégique Ministère de la Défense du 13 septembre 1984 au 15 mars 1990 où il prit des mesures très fermes lors de la Première Intifada. Après sa victoire électorale le 23 juin 1992 sur Yitzhak Shamir (1915-2012) du Likoud, dans la bataille des deux Yitzhak, il retrouva le poste de Premier Ministre du 13 juillet 1992 jusqu’à sa mort, tout en cumulant avec le Ministère de la Défense et, partiellement, pour des périodes temporaires, avec d’autres ministères (Intérieur, Éducation et Culture, Santé, etc.).

Au contraire de Shimon Pérès qui n’avait jamais combattu militairement les Arabes, il était symbolique que celui qui fît la paix soit un militaire, et malgré cela, cela n’a pas suffi et certains extrémistes ont crié à la trahison d’Yitzhak Rabin.

Une dizaine d’années plus tard, un autre général israélien, lui aussi connu pour sa fermeté face aux Palestiniens, et lui-même provoquant la Seconde Intifada, Ariel Sharon (1928-2014), a évolué vers la création d’un État palestinien, considérant que la croissance démographique nécessitait deux États pour éviter une "absorption" des Israéliens (où l’on voit comment le thème du "grand remplacement" a été récupéré par le Front national en France). La maladie d’Ariel Sharon, qui l’a plongé dans le coma, ainsi que les scandales financiers qui ont touché son successeur Ehud Olmert ont remis au pouvoir pour une longue période Benyamin Netanyahou à partir du 9 mars 2009 et constamment réélu depuis cette date. Dirigeant israélien qui n’a jamais eu l’intention sérieuse de faire la paix avec les Palestiniens (premier Premier Ministre né après la création de l’État d’Israël).


Une petite-fille émouvante

Lors des funérailles de son grand-père le 6 novembre 1995 à Jérusalem, Noa Rotman (elle s’appelait à l’époque Noa Ben-Artzi, et elle avait 18 ans) a ému le monde entier par son hommage public : « Tu ne nous as jamais abandonnés, et maintenant, ils t’ont abandonné, toi, mon héros éternel ! ».


Noa Rabin par DaylyAll2

Cela faisait quelques mois qu’elle était au service militaire qu’elle a terminé avec le grade de lieutenant. Depuis l’assassinat, la veuve, la fille et la petite-fille d’Yitzhak Rabin n’ont cessé de parcourir le monde pour perpétuer la mémoire de l’ancien Premier Ministre, au point que certains en Israël ont trouvé qu’elles en faisaient un peu trop (« La famille Rabin a été transformée en icône, intouchable. » osait se confier un journaliste israélien à "Libération" en avril 1996).

Très tôt, Noa a expliqué à la presse internationale toute la cohérence de son grand-père : « Pour faire la paix, Israël doit être fort. Ce sont les deux faces de la même pièce. ». En ce sens, elle reprenait le slogan de Benyamin Netanyahou en 1996.

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Mais elle n’aurait donné évidemment aucune excuse à ce milieu de rabbins extrémistes qui a encouragé l’assassinat de son grand-père au nom du Grand Israël : « Pour moi, Israël est un corps divisé en deux parties. L’une est en bonne santé, l’autre atteinte par un cancer. Ce cancer, c’est l’extrême droite. Ce cancer a tué mon grand-père. Ce cancer cherche encore à tuer Israël. Comment nous prémunir contre lui ? » (14 avril 1996).

Vingt ans plus tard, Noa Rotman, devenue avocate et scénariste de série télévisée, mariée et mère de deux enfants, a annoncé cet été son intention de s’engager dans la vie politique : « Si je suis élue, je m’engage à agir avec droiture et transparence, j’apporterai une voix féminine, démocratique et fidèle au sionisme d’aujourd’hui, sans complexe ni honte. » (sur la chaîne Aroutz 10 le 2 août 2015).

La société israélienne reste très divisée et beaucoup pensent que le problème de sécurité actuel provient de l’action d’Yitzhak Rabin qui jouit pourtant d’un véritable "culte" en Israël au point que même Benyamin Netanyahou se sent obligé de faire des hommages tous les ans : « Pauvre Bibi ! Il doit prononcer, année après année, trois discours à la journée pour la commémoration de Rabin. Il est devenu un vrai expert ! » (Noa Rotman).

Noa Rotman n’hésite donc pas à critiquer la classe politique actuelle : « Je peux clairement voir la différence entre le type de dirigeant que nous avons maintenant et le genre de dirigeant sérieux, audacieux et responsable que [mon grand-père] représentait. Cela n’empêche pas les gens de dire que c’est la faute de Rabin, que tout a commencé avec les accords d’Oslo, qu’il a importé les terroristes ici et qu’il leur a donné des armes. » (I24news le 25 octobre 2015).


Et la paix en 2015 ?

Le 24 janvier 2015, quelques jours après les attentats contre "Charlie Hebdo", Noa Rotman avait répondu à la question de Nathalie Hamou, de "Télérama" : "Israël s’est-il remis de l’assassinat d’Yitzhak Rabin ?" : « La France vient de subir les pires attentats de son histoire, mais, à Paris comme à Tel-Aviv, il ne faut sous aucun prétexte renoncer à nos valeurs démocratiques. (…) Des menaces pèsent sur notre sécurité, dans les cafés, les bus, même les synagogues, où des fidèles ont été assassinés de sang-froid, comme aux pires heures des pogroms. Il est facile de croire que nous sommes condamnés à vivre par les armes. La banalité du désespoir est un cercle vicieux. Avant les pourparlers d’Oslo aussi, Israël se trouvait dans un état d’esprit un peu désespéré ; pourtant, les accords ont pu être signés. La prochaine fois qu’une occasion nous sera offerte, ne lui tournons pas le dos. Ce serait la plus belle stèle possible à la mémoire de mon grand-père. » ("Télérama").

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Et Noa Rotman d’évoquer "l’essentiel" : « Il manque un élément dans le climat politique actuel et violent : un plan de paix, un ingrédient essentiel dans les assassinats politiques en Israël. Si une option politique de paix émerge, alors, certainement, c’est très possible [qu’il y ait un autre assassinat politique]. » (25 octobre 2015).

Issue de la "MTV-génération", celle des jeunes qui n’ont pas connu la guerre, insouciants et indifférents, de plus en plus dépolitisés qui préfèrent écouter de la musique à suivre l’actualité politique ou les négociations de paix, Noa Rotman s’est logiquement impliquée dans la chose politique depuis l’assassinat de son grand-père et de nombreux jeunes de sa génération furent également émus par cet assassinat et se sont engagés à leur tour. Nul doute que, faute d’une volonté de paix de leurs aînés, c’est cette génération d’Israéliens-là qui aura à cœur de préparer la paix avec leurs voisins palestiniens.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (4 novembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Israël est une démocratie.
Yitzhak Rabin.
Shimon Pérès.
Ariel Sharon.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
Yasser Arafat.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151104-yitzhak-rabin.html

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/yitzhak-rabin-la-paix-assassinee-173442

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/11/04/32841740.html


 

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