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29 août 2021 7 29 /08 /août /2021 03:07

« Nous avons toujours une ancre qui tient ferme aussi longtemps qu’on ne la brise pas soi-même ; c’est le sentiment du devoir. » (Ivan Tourgueniev, 1856).



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Hélas, en six modestes lettres, mon titre résume la situation actuelle en Afghanistan (c’est par ailleurs une série télévisée canadienne pour enfants). Ceux qui pensent que c’est trop loin pour s’en préoccuper font une erreur de discernement : d’une part, tout ce qui est humain nous concerne tous, nous humains, et en particulier la détresse humaine, sous toutes les formes (et pas seulement celles étalées dans les journaux télévisés, bien évidemment), d’autre part, indépendamment des familles directement touchées par le drame afghan, les Européens, les Américains, bien d’autres citoyens sont indirectement touchés par une éventuelle recrudescence d’attentats sur leurs territoires et plus généralement, par une déstabilisation d’une région du monde qui impactera toujours sur l’ensemble du monde.

Mon propos ici est d’évoquer l’attentat suicide à l’aéroport de Kaboul qui a fait autour d’une centaine de victimes, dont seize soldats américains et une dizaine de soldats britanniques, commis le 26 août 2021 et revendiqué par Daech, ainsi que ses conséquences.

Toujours des scènes d’horreur. Le matin même, des avertissements contre des menaces d’attentat s’étaient fait entendre et l’attentat a eu lieu quelques heures plus tard. Ces avertissements sont toujours d’actualité et la question n’est pas de savoir s’il y aura un autre attentat mais quand il aura lieu.

Pourtant, ces scènes de cauchemar, bien que moins médiatisées, ne sont hélas pas nouvelles. Rien que depuis cinq ans, il y a eu des dizaines d’attentats suicides à Kaboul et des centaines voire des milliers de victimes. Pour n’en citer que quelques-uns, au risque de la nausée arithmétique (et sans être exhaustif) : le 19 avril 2016 (64 victimes), le 20 juin 2016 (23 victimes), le 23 juillet 2016 (au moins 80 victimes), le 21 novembre 2016 (32 victimes), le 10 janvier 2017 (57 victimes), le 8 mars 2017 (49 victimes), le 31 mai 2017 (au moins 150 victimes), le 3 juin 2017 (au moins 7 victimes), le 20 octobre 2017 (56 victimes), le 20 janvier 2018 (40 victimes), le 27 janvier 2018 (au moins 103 victimes), le 15 août 2018 (48 victimes), le 19 juillet 2019 (8 victimes), le 7 août 2019 (14 victimes), le 17 août 2019 (80 victimes), le 6 mars 2020 (70 victimes), le 25 mars 2020 (25 victimes), le 12 mai 2020 (16 victimes), le 24 octobre 2020 (36 victimes), le 2 novembre 2020 (au moins 32  victimes), le 8 mai 2021 (85 victimes), le 14 mai 2021 (12 victimes), le 3 août 2021 (8 victimes)…

Beaucoup de ces attentats à Kaboul ont eu en France une très faible couverture médiatique. Celui du 26 août 2021 a un contexte particulier puisque depuis le 15 août 2021, les Talibans contrôlent Kaboul et l’ensemble de l’Afghanistan en recréant l’Émirat islamique d’Afghanistan, et que ce sont les islamistes de Daech qui ont commis l’attentat afin de tuer non seulement des Américains mais aussi des Talibans et des Afghans.

Ce contexte a aussi été provoqué par le Président américain Donald Trump ; les États-Unis ont conclu un accord avec les Talibans le 29 février 2020 pour un retrait des troupes américaines en quatorze mois. La date du départ des troupes américaines a été repoussée au 31 août 2021, et les Talibans attendent ce départ pour nommer un nouveau gouvernement.

Les soldats américains qui contrôlent l’aéroport de Kaboul ont fermé les possibilités de nouvelles évacuations ce 28 août 2021, afin de pouvoir évacuer leurs propres troupes (environ 5 000) entre le 28 et le 31 août 2021. 5 400 Afghans candidats à l’asile seraient encore à l’aéroport attendant un hypothétique départ vers des terres lointaines qui les mettraient à l’abri de la revanche des Talibans qui souhaitent empêcher au maximum l’hémorragie des cerveaux afghans (car pour la plupart, ces candidats à l’émigration sont instruits et font partie de l’élite intellectuelle). 117 000 personnes ont déjà été évacuées par les troupes américaines dans le pont aérien entre le 17 et le 28 août 2021. De son côté, la France a fait beaucoup moins d’évacuations, seulement 2 834 durant la même période, ce qui paraît assez faible, comparativement à nos autres partenaires.

Réagissant à l’attentat, le Président des États-Unis Joe Biden a même pleuré par compassion aux familles des victimes. L’histoire dira s’il a eu raison de tenir une telle allocution ce 26 août 2021, mais pour l’heure, les réseaux sociaux ne se sont pas privés de contester un Président affaibli et aussi vieilli. Joe Biden, un nouveau Jimmy Carter ?

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Ce qui commence à s’esquisser, c’est que cet attentat du 26 août 2021 à Kaboul, peut-être d’autres dans les prochains jours, est un événement fondateur du mandat de Joe Biden au même titre que les attentats du 9 septembre 2001 l’ont été pour les mandats de George W. Bush Jr. La réaction militaire des États-Unis a été de tuer deux responsables de Daech le surlendemain par drone interposé, ce qui peut paraître insignifiant par rapport au préjudice moral infligé à la puissance américaine. Les Talibans, maintenant responsables de la sécurité de leur pays, sont bien pauvrement dotés pour déjouer les attentats de Daech, ils n’ont pas de service de renseignement digne de ce nom tandis que le gouvernement afghan qu’ils ont renversé avait réussi à déjouer de nombreux attentats islamistes grâce à ses services de renseignement.

Plus intéressant, c’est de considérer que les Talibans ne vont pas être les pires ennemis des Américains (et des Européens) : Daech est la première cible et il y a donc un objectif commun entre Américains et Talibans pour combattre Daech. Est-ce que cette nouvelle posture amènera les Américains à soutenir le futur régime taliban ? Ce serait aller un peu vite et beaucoup de voix rappellent que les Talibans ne sont pas non plus les meilleurs alliés pour des démocraties laïques confirmées.

Tout dépendra de leurs propres intentions, or celles-ci sont plutôt claires : ils veulent pacifier l’Afghanistan et surtout, avoir une reconnaissance internationale. Pour cela, il leur faut nouer des accords diplomatiques. Le 27 août 2021, des diplomates français auraient commencé à discuter avec les Talibans à Doha, ce qui constitue un fait marquant. La France souhaite par ailleurs ne pas fermer son ambassade.

Rappelons d’ailleurs que l’ambassadeur actuel depuis septembre 2018, homme courageux, resté jusqu’au bout pour assurer l’évacuation des ressortissants français et de leurs collaborateurs afghans, n’est autre que David Martinon qui, dans une autre vie, était le très médiatique porte-parole du Président Nicolas Sarkozy qui avait péniblement raté son parachutage municipal à Neuilly-sur-Seine, l’ancien fief du Président, aux élections municipales de mars 2008.

Restons en France et précisons certains éléments de la politique française. Quand le Président Emmanuel Macron, dans son allocution du 16 août 2021, a insisté sur le besoin de fermeté face à des flux migratoires prévisibles en provenance de l’Afghanistan, il a été fustigé par l’opposition de gauche. Mais quand on a détecté cinq Afghans proches de la mouvance islamiste qui auraient été amenés en France avec les autres réfugiés, ce fut l’opposition de droite qui a fustigé Emmanuel Macron pour avoir invité des terroristes potentiels.

Pour le coup, la critique était mal fondée pour ces cinq Afghans puisque justement, les services de renseignement français les avaient identifiés et mis sous surveillance. Le problème, c’est lorsque les possibles futurs terroristes passent sous le radar de la surveillance territoriale. Cela montre aussi que la position du gouvernement français est la bonne.

Elle a été réaffirmée à l’issue du conseil des ministres de rentrée du 25 août 2021 par le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal, à savoir que la France ne choisirait pas entre son devoir d’humanité et sa sécurité. Cette position médiane fait l’honneur de la France et elle marquera les esprits pour longtemps. Elle n’est pas facile à tenir politiquement (on vient de le voir, toutes les oppositions lui sont tombées dessus), surtout à quelques mois d’une campagne présidentielle qui promet d’être difficile. Mais elle était d’autant plus nécessaire, pour que la France reste la France, que la France présidera l’Union Européenne à partir du 1er janvier 2022.

La France ne doit pas abandonner ses amis afghans, en particulier ceux qui l’ont aidée, qui ont pris des risques personnels, avec leur famille, pour assurer la mission française en Afghanistan pendant cette presque vingtaine d’années. Les abandonner aux Talibans, au sort d’un futur statut de traîtres serait aussi scandaleux que l’abandon de la France des Harkis, ces Algériens qui avaient choisi la France contre les indépendantistes algériens.

Ce devoir d’assistance aux amis de la France a évidemment une conséquence de politique intérieure : c’est qu’il faut les accueillir en France, et cela dans les meilleures conditions possibles. Il faut notamment qu’ils soient acceptés et que cessent ces déclarations particulièrement odieuses de récupérations politiciennes qui visent à surfer sur le climat anti-immigration.

On ne me fera pas croire qu’un pays de plus de 67 millions d’habitants serait incapable d’accueillir dans le calme 2 834 réfugiés afghans (soit 30 par département !). Si c’était le cas, si ceux qui critiquent pensent que c’est le cas, alors ils ont une bien piètre idée de leur pays qu’ils n’aiment visiblement pas et qu’ils n’admirent pas, ils sont anti-patriotiques, du reste comme d’habitude, sous fausse étiquette de patriotes, ils n’aiment pas leur patrie (j’avais cru qu’un patriote aimait sa patrie et la défendait coûte que coûte, malgré l’adversité).

Il s'agit bien sûr de rester prudent et vigilant mais les terroristes potentiels n'ont jamais attendu une crise internationale pour vouloir déstabiliser des pays qu'ils considèrent ennemis. Du reste, beaucoup d'auteurs d'attentats terroristes en France étaient des citoyens français, parfois bien intégrés dans la vie sociale, et l'arrêt de l'immigration n'arrêterait donc pas nécessairement les attentats. La situation est plus complexe qu'un simple manichéisme idéologique sur l'immigration, utilisé abusivement depuis quarante-trois ans en France par des partis extrémistes d'obédiences diverses et variées, avec des arrière-pensées électoralistes finalement peu efficaces.

La prise de Kaboul est un choc pour la coalition alliée qui était présente en Afghanistan depuis presque vingt ans. Son objectif n’était pas de gérer le pays à la place de ses habitants. Son objectif était de stabiliser le pays. La coalition n’y est pas arrivée. On peut pleurnicher, on peut fustiger, mais fustiger qui ? Les Américains depuis Bush ? Les Français depuis Jacques Chirac ? Leurs autres alliés ? Cela n’a pas d’utilité. C’est vrai que lorsque Joe Biden a déclaré que les soldats américains assassinés à Kaboul le 26 août 2021 étaient morts pour la liberté, j’avais un petit pincement au cœur car on pouvait le concevoir il y a deux ans, c’est plus difficile aujourd’hui alors que les Talibans son (re)devenus maîtres de l’Afghanistan. Même pincement au cœur sur le sens à donner de la mort des 90 soldats français en Afghanistan.

L’utilité, c’est de se tourner vers l’avenir. Cet avenir n’était pas en faveur du maintien de forces étrangères. Cela n’avait pas de sens. Chaque pays doit être capable de s’assumer seul. Probablement que l’armée du pouvoir légal, de l’ancien Président Ashraf Ghani (qui a fui son pays) était trop peu formée et n’a pas su résister à l’avance (rapide) des Talibans sans aide de la coalition, mais aujourd’hui, il s’ouvre une fenêtre d’opportunité. La fenêtre est très petite et très peu ouverte, mais elle est ouverte. Cela ne durera pas longtemps. C’est d’avoir l’audace de la naïveté, celle d’amener les Talibans à devenir responsables et à respecter certaines valeurs que nous considérons comme universelles.

Il ne faut pas faire avec l’Afghanistan ce qu’on fait avec l’Iran depuis 1979, pays considéré comme irrémédiablement ennemi, un pays qui se tournerait vers d’autres puissances, en particulier la Russie, la Turquie, l’Iran, la Chine, le Pakistan et l’Inde. Pour le moment, la Chine a reconnu le nouveau régime taliban, la Russie attend de voir, le Canada aussi, la France a pris des premiers contacts, tandis que les États-Unis assurent ne pas vouloir le reconnaître et le Royaume-Uni encourage ses alliés à ne pas le reconnaître. La situation se figera dans quelques semaines. À chaque puissance de prendre la bonne décision. Le sens de l’histoire, c’est d’aller au-delà de ses propres ressentiments.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 août 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Kaboum.
Emmanuel Macron sur les Talibans à Kaboul.
Les Talibans à Kaboul en 2021.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 16 août 2021 à Paris (texte intégral et vidéo).
Les soldats français morts en Afghanistan.
Chasseur alpin en Afghanistan.
L’invasion de l'Afghanistan par l'armée soviétique.
Jacques Hamel, martyr de la République.
Fête nationale : cinq ans plus tard…

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210826-afghanistan.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/kaboum-235370

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/08/28/39112177.html












 

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17 août 2021 2 17 /08 /août /2021 03:57

« L’Afghanistan ne doit pas redevenir le sanctuaire du terrorisme qu’il a été. C’est un enjeu pour la paix, la stabilité internationale, contre un ennemi commun : le terrorisme et ceux qui le soutiennent ; à cet égard, nous ferons également tout pour que la Russie, les États-Unis et l’Europe puissent efficacement coopérer, car nos intérêts sont bien les mêmes. » (Emmanuel Macron, le 16 août 2021).



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Ce dimanche 15 août 2021 fait partie de ces tristes journées de l’histoire du monde. Kaboul, la capitale de l’Afghanistan, n’a résisté que quelques heures à l’entrée des Talibans dans la ville. Ils contrôlent désormais tout le pays, de manière très prévisible.

Le départ des troupes américaines après celui des troupes notamment françaises ne laissait guère de doute sur l’évolution du pays. Le problème est réel : fallait-il rester pour porter une supposée démocratie de manière très artificielle ou laisser la nature faire et les Afghans se retrouver avec un retour inéluctable des Talibans, une sorte de retour à la case départ, à celle de 2001 ?

Il y a malheureusement peu de doute sur la suite des événements et la transformation de la société afghane. Le pessimisme paraît de mise même si ces vingt dernières années n’avaient pas de quoi être glorieuses. Ces prochaines semaines, il y aura forcément des horreurs, car on ne maîtrise jamais une armée d’occupation de cet ordre-là. Ce sont toujours les extrémistes qui ont le dessus.

L’urgence est d’ordre humanitaire. Il y a l’évacuation des ressortissants étrangers, en particulier français, l’ambassade de France est occupé et les Français sont repliés à l’aéroport international, mais l’aéroport lui-même, en principe encore sous contrôle américain, a été envahi par la foule. Il y a cependant peu de raisons de ne pas laisser repartir les étrangers, sauf à vouloir refaire le coup de la prise d’otages à l’ambassade américaine à Téhéran en 1979.

Le plus préoccupant reste cependant les Afghans qui ont coopéré avec notamment l’armée française et la France doit leur garantir, à eux et à leur famille, la sécurité la plus forte. En nous aidant, ils se sont engagés et ont pris des risques et c’est de notre devoir de les protéger. Il semblerait que ces derniers jours, certains d’entre eux ont eu beaucoup de problème pour obtenir un visa français.

Toujours est-il qu’ils peuvent être comparés à des harkis afghans, et il est indispensable de les défendre. Pour autant, des voix particulièrement odieuses commencent à se faire entendre pour entretenir la tendance anti-immigration dans un but purement électoraliste. Autant dire les choses : c’est dégueulasse. Il s’agit de la vie de ces amis de la France dont nous avons profité et il faut les protéger des Talibans.

L’autre sujet français est plus moral qu’humanitaire : la France a perdu 90 soldats depuis qu’elle est engagée en Afghanistan en 2001 (l’armée s’est retirée en 2014). La question qu’un citoyen français pourrait légitimement se poser est : ces vies ont-elles servi à quelque chose ? Car si nous sommes intervenus en Afghanistan, c’était pour stopper la contagion terroriste et terrasser une base arrière du terrorisme islamique.

Ces questions brûlantes, que peut-être les Français en vacances pourraient appréhender d’un œil distrait, ont fait que le Président de la République Emmanuel Macron s’est senti obligé de prononcer une allocution télévisée sur un ton grave adapté à la situation (allocution qu’on peut lire ou réécouter ici).

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On pourra toujours dire qu’Emmanuel Macron fait sa campagne électorale. Ce qui est un peu ridicule car je ne pense pas que son allocution ait eu une forte audience en plein mois d’août. En revanche, il fait son travail de Président de la République, chef de la Nation et chef des armées, ce que son prédécesseur manquait généralement de faire : exprimer la position de la France, esquisser des perspectives.

Certes, Emmanuel Macron n’est pas Superman et n’a rien dit de particulièrement surprenant. Il a néanmoins parlé de ces sujets importants.

D’une part, sur la protection des Français et de ceux qui les ont aidés : « L’urgence absolue est de mettre en sécurité nos compatriotes, qui doivent tous quitter le pays, ainsi que les Afghans qui ont travaillé pour la France. ». Il a précisé que « la situation [sur le site historique de l’ambassade] demeure préoccupante ». Il a indiqué également que la France protège actuellement le délégué de l’Union Européenne et ceux des Afghans qui ont travaillé avec la représentation européenne. 800 des Afghans qui ont aidé la France sont déjà placés sous la protection française hors d’Afghanistan mais des dizaines d’autres attendent encore de quitter l’Afghanistan.

La France veut aussi aider ceux qui se sont engagés contre les Talibans : « De nombreux Afghans, défenseurs des droits, artistes, journalistes, militants, sont aujourd’hui menacés en raison de leur engagement. Nous les aiderons parce que c’est l’honneur de la France d’être aux côtés de celles et ceux qui partagent nos valeurs, autant que nous pourrons le faire et en tenant compte de la nécessaire adaptation de notre dispositif. ».

Il faut évidemment lire entre les lignes et la fin de la phrase que je viens de citer pourrait laisser entendre que moralement, nous soutenons ces personnes engagées, mais concrètement, cela dépendra un peu de nos possibilités.

Ce qui ne manquera pas d’arriver, c’est qu’on puisse reprocher à Emmanuel Macron un afflux de nouveaux arrivants pour la France. Or accueillir quelques milliers de réfugiés afghans pour un grand pays comme la France qui compte 68 millions d’habitants ne devrait pas poser de problème, sinon mental et électoral. C’est vraiment avoir une bien mauvaise idée de la France de croire que nous ne pouvons pas les accueillir dans des conditions dignes.

Toutefois, Emmanuel Macron, n’oubliant pas d’être habile politiquement et anticipant ainsi les futures critiques, a aussi insisté pour éviter de nouveaux flux migratoires irréguliers : « Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants qui mettraient en danger ceux qui les empruntent, et nourriraient les trafics de toute nature. ».

D’autre part, sur le rappel des soldats français morts en Afghanistan : « En Afghanistan, notre combat était juste et c’est l’honneur de la France de s’y être engagé. La France n’y a jamais eu qu’un ennemi : le terrorisme. Nos interventions militaires n’ont pas vocation en effet à se substituer à la souveraineté des peules, ni à imposer la démocratie de l’extérieur, mais à défendre la stabilité internationale et notre sécurité. Partout, la mise en place de processus politiques crédibles est notre priorité. C’est ce principe fondamental de notre politique étrangère que nous avons appliqué en Afghanistan et que nous continuerons de mettre en œuvre. (…) Nous n’oublierons pas nos soldats. Nous n’oublierons pas nos morts. 90 au total. ».

En outre, le Président Emmanuel Macron a tenté d’esquisser des perspectives. En premier, avec une action au Conseil de Sécurité des Nations Unies, au sein duquel Emmanuel Macron espère une coopération entre la Russie, les États-Unis et l’Europe (notamment la France et le Royaume-Uni, tous les deux membres permanents). Il n’a rien dit à propos de la Chine.

L’autres perspective, déjà évoquée plus haut, c’est d’éviter une nouvelle crise migratoire. Emmanuel Macron souhaite alors faire fonctionner le couple franco-allemand : « Nous porterons (…) une initiative pour construire sans attendre une réponse robuste, coordonnée et unie qui passera par la lutte contre les flux irréguliers, la solidarité dans l’effort, l’harmonisation des critères de protection, et la mise en place de coopérations avec les pays de transit et d’accueil comme le Pakistan, la Turquie ou l’Iran. ». Sur la forme, prenons note d’un nouvel adjectif en vogue dans le langage diplomatique, "robuste", à la définition élargie pour pérenne, durable.

Concrètement, à part deux avions militaires français prêts à rapatrier des ressortissants français (et des amis afghans qui les ont aidés), Emmanuel Macron n’a pas précisé ni le projet de résolution à l’ONU, ni la nature de l’initiative pour contrôler le flux migratoire. Il est encore trop tôt et il faut amorcer la concertation internationale.

En prenant ainsi la parole devant les Français, Emmanuel Macron n’a fait que son devoir de Président de la République. Il n’aurait rien dit qu’on le lui aurait reproché. Il a été même plus rapide que son homologue américain, Joe Biden, qui semble particulièrement mal à l’aise dans cette nouvelle situation et qui (à cette heure) ne s’est toujours pas exprimé publiquement sur l’occupation talibane de l’Afghanistan.

Ni les Russes, ni les Américains n’ont réussi à stabiliser l’Afghanistan. Peut-être est-ce le rôle de l’Europe de devenir enfin un géant diplomatique ?...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 août 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Emmanuel Macron sur les Talibans à Kaboul.
Les Talibans à Kaboul en 2021.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 16 août 2021 à Paris (texte intégral et vidéo).
Les soldats français morts en Afghanistan.
Chasseur alpin en Afghanistan.
L’invasion de l'Afghanistan par l'armée soviétique.
Jacques Hamel, martyr de la République.
Fête nationale : cinq ans plus tard…

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210816-afghanistan-taliban.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/les-talibans-a-kaboul-emmanuel-235155

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/08/16/39097139.html













 

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16 août 2021 1 16 /08 /août /2021 19:22

(verbatim et vidéo)


Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210816-macron.html







Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 16 août 2021 à 20 heures


ALLOCUTION DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE RELATIVE À LA SITUATION EN AFGHANISTAN

Mes chers compatriotes, de l’hexagone, des Outre-mer et de l’étranger,

Je m’adresse à vous ce soir, alors que nous continuons à nous battre contre le virus avec détermination, et que tout est fait pour que la relance économique et sociale soit la plus forte possible dans notre pays, parce qu’à quelques milliers de kilomètres d’ici un tournant historique est à l’œuvre, en Afghanistan, loin de nos frontières, mais avec des conséquences majeures pour l’ensemble de la communauté internationale, pour l’Europe, et pour la France.


Après une guerre de vingt années, après la décision de retrait des troupes américaines prise successivement par le président Trump et le président Biden, Kaboul, la capitale de l’Afghanistan, est tombée en quelques heures, sans résistance, aux mains des Talibans. L’intervention américaine et internationale a commencé il y a exactement vingt ans, après les attentats du 11 septembre 2001, et le refus du régime taliban de l’époque en Afghanistan, de livrer Ben Laden, l’organisateur de ces attentats.

Notre pays a été, pendant treize années, engagé militairement en Afghanistan, de 2001 à 2014.

Le Président Jacques Chirac, dès octobre 2001 a décidé la participation de la France à l’action internationale, par solidarité avec nos amis et alliés américains qui venaient de subir une attaque effroyable sur leur sol. Avec un objectif clair : combattre une menace terroriste qui visait directement notre territoire et celui de nos alliés depuis l’Afghanistan, devenu le sanctuaire du terrorisme islamiste.

À partir de juin 2011, le Président Nicolas Sarkozy a engagé le retrait des premières troupes françaises.

Le Président François Hollande, a ensuite décidé du retrait complet de nos troupes combattantes de manière coordonnée avec les autorités afghanes d’alors, ainsi qu’avec avec nos alliés.

L’intervention militaire française a donc définitivement cédé la place, le 31 décembre 2014, à l’action civile que nous avons continué de mener à bien, auprès du peuple afghan, avec lequel nos liens d’amitié sont anciens et profonds.


En Afghanistan, notre combat était juste et c’est l’honneur de la France de s’y être engagé. La France n’y a jamais eu qu’un ennemi : le terrorisme. Nos interventions militaires n’ont pas vocation en effet à se substituer à la souveraineté des peuples, ni à imposer la démocratie de l’extérieur mais à défendre la stabilité internationale et notre sécurité. Partout, la mise en place de processus politiques crédibles est notre priorité. C’est ce principe fondamental de notre politique étrangère que nous avons appliqué en Afghanistan et que nous continuerons de mettre en œuvre.

Bon nombre d’unités de l’armée française sont passées dans ces vallées durant ces 13 années : légionnaires, tirailleurs, marsouins, chasseurs alpins, marins, aviateurs. Et c’est à eux que je tiens d’abord, ce soir, à m’adresser. A ceux qui ont combattu, aux familles de ceux qui sont morts ou ont été grièvement blessés. Nous n’oublierons pas nos soldats. Nous n’oublierons pas nos morts. 90 au total.

Le 18 août 2008, dans l’embuscade d’Uzbin, il y a 13 ans presque jour pour jour, 10 soldats français et un interprète afghan étaient tués, 21 soldats français blessés. Ce combat que la France a mené était utile et était notre honneur. Il portera un jour ses fruits et je vous demande de vous en souvenir.


À cet instant, la situation en Afghanistan se dégrade rapidement et brutalement. A l’heure où je vous parle, les Talibans sont maîtres de la quasi-totalité du pays. Ils sont entrés dans Kaboul et contrôlent la ville à l’exception de l’aéroport où les activités sont coordonnées par les Américains. Le Président afghan a quitté le pays. Les vols commerciaux ont cessé.


Ce tournant, auquel nous étions préparés, nécessite des décisions et des initiatives immédiates, à la mesure de la gravité de la situation pour répondre à la catastrophe humanitaire.

L’urgence absolue est de mettre en sécurité nos compatriotes, qui doivent tous quitter le pays, ainsi que les Afghans qui ont travaillé pour la France.

Nos ressortissants ont été progressivement évacués en anticipation ces dernières semaines. Nous sommes en contact avec tous les Français qui veulent rejoindre le sol national, qu’ils se trouvent à l’aéroport militaire, à l’aéroport civil ou sur le site historique de l’ambassade où la situation demeure préoccupante. Je veux ici remercier nos représentants sur place, nos diplomates, policiers, militaires pour leur engagement et leur courage. Remercier aussi nos alliés américains, indispensables pour mener à bien ces évacuations.

La France est l’un des très rares pays à avoir décidé de maintenir sur place jusqu’au bout les moyens de protéger ceux qui ont travaillé pour elle. Nous avons aussi anticipé les opérations d’évacuation dans les dernières semaines.

Tous les employés afghans des structures françaises qui pouvaient être menacés ainsi que leurs familles, ce qui représente plus de 600 personnes, ont ainsi pu être accueillis et pris en charge dans de bonnes conditions dans notre pays.

La France protège en ce moment le délégué de l’Union Européenne et a apporté protection aux collaborateurs afghans de la représentation européenne. La France a également apporté protection et soutien à tous les personnels français d’Organisations non gouvernementales souhaitant quitter le pays.

Des opérations sont conduites depuis plusieurs années, pour accueillir en France les personnels civils afghans qui ont travaillé pour l’armée française, ainsi que leurs familles. C’est notre devoir et notre dignité de protéger ceux qui nous aident : interprètes, chauffeurs, cuisiniers et tant d’autres. Près de 800 personnes sont d’ores et déjà sur le sol français. Plusieurs dizaines de personnes sont encore sur place qui ont aidé l’armée française et pour lesquelles nous restons pleinement mobilisées.

De nombreux afghans, défenseurs des droits, artistes, journalistes, militants, sont aujourd’hui menacés en raison de leur engagement. Nous les aiderons parce que c’est l’honneur de la France d’être aux côtés de celles et ceux qui partagent nos valeurs, autant que nous pourrons le faire et en tenant compte de la nécessaire adaptation de notre dispositif. Je remercie les associations, collectifs et communes qui aideront à leur accueil. Afin de procéder à ces opérations d’évacuation, qui ne se conduiront pas sans une étroite coordination avec les militaires américains sur place, j’ai décidé l’envoi de deux avions militaires et de nos forces spéciales. Ils seront sur place dans les prochaines heures.


Au-delà de l’urgence, j’entends prendre au nom de la France plusieurs initiatives en lien étroit avec les autres états européens et nos alliés.

Notre action visera à continuer de lutter activement contre le terrorisme islamiste sous toutes ses formes.

Des groupes terroristes sont présents en Afghanistan et chercheront à tirer profit de la déstabilisation. Le Conseil de sécurité des Nations unies devra donc apporter une réponse responsable et unie. J’ai échangé sur ce point avec le Premier ministre Johnson et nous prendrons des initiatives communes dans les prochaines heures. Le retour de la stabilité passera par une telle action, politique et diplomatique au sein du Conseil de sécurité. L’Afghanistan ne doit pas redevenir le sanctuaire du terrorisme qu’il a été. C’est un enjeu pour la paix, la stabilité internationale, contre un ennemi commun : le terrorisme et ceux qui le soutiennent ; à cet égard, nous ferons également tout pour que la Russie, les Etats Unis et l’Europe puissent efficacement coopérer, car nos intérêts sont bien les mêmes.

Ensuite, la déstabilisation de l’Afghanistan risque également d’entraîner des flux migratoires irréguliers vers l’Europe.

La France, comme je l’ai dit, fait et continuera de faire son devoir pour protéger celles et ceux qui sont les plus menacés. Nous prendrons toute notre part dans le cadre d’un effort international organisé et juste. Mais l’Afghanistan aura aussi besoin dans les temps qui viennent de ses forces vives et l’Europe ne peut pas à elle seule assumer les conséquences de la situation actuelle. Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants qui mettraient en danger ceux qui les empruntent, et nourriraient les trafics de toute nature.

Nous porterons donc, en lien avec la République Fédérale d’Allemagne, et je me suis entretenu il y a quelques instants à ce sujet avec la Chancelière Merkel, et avec d’autres états européens, une initiative pour construire sans attendre une réponse robuste, coordonnée et unie qui passera par la lutte contre les flux irréguliers, la solidarité dans l’effort, l’harmonisation des critères de protection, et la mise en place de coopérations avec les pays de transit et d’accueil comme le Pakistan, la Turquie ou l’Iran.

Enfin, il nous faut continuer de défendre nos principes, nos valeurs, qui font ce que nous sommes.

L’histoire de l’Afghanistan n’a pas commencé pas en 2001. Nous sommes intervenus dans un pays ébranlé par quarante ans de guerre, un grand pays tourmenté. Et Nous, Français, sommes à même de le comprendre. Nous, à qui il a fallu des siècles de lutte, de fautes, d’avancées et de reculs pour bâtir une nation conforme aux plus grandes espérances humaines : l’égalité sans considération d’origine, de sexe ou de religion et la liberté de choix et de conscience.

Et nous savons combien ces combats sont chaque jour à recommencer.
Les défis auxquels les Afghanes et les Afghans seront confrontés dans les prochaines semaines et les prochains mois sont terribles, immenses.
Le peuple afghan a le droit de vivre dans la sécurité et le respect de chacun. Les femmes afghanes ont le droit de vivre dans la liberté et la dignité. Et si le destin de l’Afghanistan est entre ses mains, nous resterons, fraternellement, aux côtés des Afghanes et des Afghans. En soutenant la société civile afghane et en faisant notre devoir de protection de celles et ceux que nous pouvons protéger. En disant très clairement à ceux qui optent pour la guerre, l’obscurantisme et la violence aveugle qu’ils font le choix de l’isolement. En étant toujours du côté de ceux qui combattent pour la liberté, les droits des femmes, qui portent dans le monde le même message que le nôtre. C’est le choix de la raison, c’est le choix de ce que nous sommes profondément.

Vive la République !
Vive la France !

Emmanuel Macron, le lundi 16 août 2021 à Paris.


Source : www.elysee.fr/

https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20210816-allocution-macron.html

 

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13 juin 2021 7 13 /06 /juin /2021 16:35

« Nous qui mourrons peut-être un jour disons l’homme immortel au foyer de l’instant. » (Saint-John Perse, 1957).





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Journée historique et insolite à Jérusalem ce dimanche 13 juin 2021 à la Knesset. Le scrutin a été très serré : 60 voix sur 120 en faveur de la nouvelle majorité, contre 59 votes et 1 abstention. Naftali Bennett (49 ans), le leader du parti d’extrême droite Yamina, a été élu Premier Ministre d’Israël à la tête d’une coalition hétéroclite qui a donc mis en échec le Premier Ministre sortant Benyamin Netanyahou (71 ans) qui est resté Premier Ministre malgré l’absence de majorité depuis plus de deux ans, et cela malgré quatre nouvelles élections législatives plus éclatées les unes que les autres.

Naftali Bennett, ancien membre du Likoud avant 2012, et Yaïr Lapid (57 ans), principal opposant à Benyamin Netanyahou depuis ces dernières élections, ont trouvé un terrain d’entente : ils seront chacun Premier Ministre par rotation. D’abord Naftali Bennett de juin 2021 à août 2023, puis Yaïr Lapid d’août 2023 à novembre 2025 (à la fin de la législature), l’autre étant Ministre des Affaires étrangères. Cette alternance de Premier Ministre ne serait possible que dans le cas où la coalition n’éclaterait pas avant la fin de la législature.

Pour Benyamin Netanyahou, par ailleurs concerné par une affaire judiciaire, c’est la fin d’une présence de douze ans sans discontinuer à la tête d’Israël, détenant désormais le record de longévité au pouvoir (quinze ans et trois mois en tout).

Il y a une certaine injustice à ce scrutin de la Knesset, ne serait-ce que pour deux raisons, même si l’affaire judiciaire en cours, l’impossibilité à réunir une coalition stable et l’usure du pouvoir ont encouragé ce réflexe TSN, tout sauf Netanyahou, de nombreux députés israéliens.

En effet, Benyamin Netanyahou a remporté les dernières élections législatives qui ont eu lieu le 23 mars 2021 avec 24,2%, obtenant 30 sièges sur 120. C’est certes peu, et même en perte de vitesse, (5 points de moins en suffrages, 7 sièges de moins), mais le parti qu’il dirige, le Likoud, est pourtant le premier parti du pays, et de loin, puisque le deuxième, Yesh Atid, dirigé par Yaïr Lapid, n’a obtenu que 13,9% des voix et 17 sièges, soit représentant presque deux fois moins que le Likoud.

Benyamin Netanyahou fut donc chargé le 6 avril 2021, par le Président de l’État Ruven Rivlin, de trouver une nouvelle majorité. Son problème était le suivant : la division entre le sionisme laïc d’Avigdor Liberman (Israel Beytenou) et les partis orthodoxes (Shas et Judaïsme unifié de la Torah) qui constituaient alors les partenaires traditionnels du Likoud depuis une dizaine d’années. Benyamin Netanyahou a cherché à remettre Yamina dans sa sphère d’influence en proposant à Naftali Bennett d’être Premier Ministre la première année de la législature.

Après l’échec du Premier Ministre sortant, ce fut Yaïr Lapid qui fut désigné le 5 mai 2021 pour chercher une nouvelle coalition après l’échec. Un accord fut finalement trouvé in extremis, le soir du 2 juin 2021, dernière limite pour la recherche d’un compromis avant retour aux urnes.

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Et c’est par l’accord entre Yaïr Lapid et Naftali Bennett que cette nouvelle coalition a pu se dégager, contre toute attente. Yesh Atid est un parti centriste et libéral. Yaïr Lapid a été Ministre des Finances de Benyamin Netanyahou du 18 mars 2013 au 2 décembre 2014. Naftali Bennett, lui aussi, fut plusieurs fois ministre de Benyamin Netanyahou (Économie, Affaires religieuses, Éducation, Défense, etc.). Il est à la tête d’un parti d’extrême droite qui rassemble Le Foyer juif et le Parti sioniste religieux. Ce parti est explicitement nationaliste et de mouvance coloniale radicale. Il ne représente que 6,2% des voix et 7 sièges.

Cette première injustice, c’est que le nouveau Premier Ministre dirige un parti qui a eu moins du quart des sièges du Premier Ministre sortant, cela par le jeu d’une coalition hétéroclite dont la stabilité est peu crédible durablement.

La seconde injustice est la situation sanitaire du pays qui est l’exemple marquant de ce qu’il faut faire pour gérer la pandémie. La politique de vaccination massive de la population a porté ses fruits. Au 12 juin 2021, Israël est le pays qui a le plus vacciné : 63,3% de sa population a reçu au moins une dose de vaccin. En tout, 10,6 millions de doses ont été injectées (même si c’est finalement peu par rapport à la France : 43,8 millions de doses le 11 juin 2021). Par exemple, dans la journée du 13 juin 2021, seulement 2 décès ont été à déplorer, et 5 nouveaux cas. Sur les sept derniers jours, il y a eu seulement 95 nouveaux cas (-16% par rapport à il y a une semaine) et 12 décès. Seulement 213 personnes sont hospitalisées en service de réanimation pour le covid-19 en Israël. Israël a institué un passe vaccinal et fermé ses frontières, mais la situation est tellement positive que ce passe vaccinal est en cours d’être abandonné.

Benyamin Netanyahou a vaincu l’épidémie de covid-19 dans son pays et se retrouve ainsi dans la position de Churchill gagnant la guerre mais perdant les élections. Pas renvoyé par le peuple mais par une combinaison de petits partis.
 
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Je reviens sur la coalition qui s’est révélée (en tout cas à ce jour) positive puisqu’elle a réussi à trouver une majorité de rechange à la Knesset. Déjà, insistons sur l’impossible Knesset depuis deux à trois ans, dont les élections se succédaient sans parvenir à trouver une majorité. Ce paysage éclaté couplé au mode de scrutin de proportionnelle intégrale a rendu Israël durablement ingouvernable. Peu d’observateurs donneraient cher sur la durabilité de la nouvelle majorité même si l’union anti-Netanyahou peut être une motivation très solide et insoupçonnablement gagnante.

Cette coalition est composée de Yamina (7), Nouvel espoir (6), Yesh Atid (17), Bleu et blanc (8), Parti travailliste (7), Israel Beytenou (7) et Meretz (6). Nouvel espoir est un nouveau parti dirigé par un ancien ministre du Likoud, Gideon Sa’ar dont l’objectif est de dégager Benyamin Netanyahou. Cela fait en tout 58 députés. En fait, cela fait 57 députés, car un député de Yamina est favorable à Benyamin Netanyahou.

Or, il faut en obtenir au moins 61 pour que le nouveau gouvernement puisse être investi. C’est la raison pour laquelle la coalition a besoin du soutien d’un parti arabe, Liste arabe unifiée, qui a 4 sièges. Le dirigeant de ce parti arabe, Mansour Abbas avait pourtant été approché par Benyamin Netanyahou pour faire partie du nouveau gouvernement. Yaïr Lapid a promis à la Liste arabe unifiée un certain nombre de gages (responsabilités nationales et aides budgétaires) pour soutenir le nouveau gouvernement de la majorité de remplacement. Notons que le vote de la Knesset du 13 juin 2021 n’a réuni que 60 voix et pas les 61 attendues. Une voix s’est abstenue au lieu d’approuver la nouvelle coalition. Il suffirait de quelques voix supplémentaires pour faire voler en éclats cette coalition.

Après l’accord de principe le 2 juin 2021, une répartition des postes a été conclue le 11 juin 2021. Dans le nouveau gouvernement Bennett-Lapid, les principaux partenaires sont représentés : Benny Gantz à la Défense, Avigdor Liberman aux Finances, Gidieon Sa’ar à la Justice, Ayelet Shaked (de Yamina) à l’Intérieur, Merav Michaeli (travailliste) est, elle, aux Transports et Nitzan Horowitz (du Meretz) à la Santé. Sur les 27 ministres, il y a 9 femmes.

La majorité est très hétérogène notamment sur les colonies : des partis d’extrême droite (dont un est à la tête du gouvernement), qui réclament l’annexion pure et simple des territoires occupés côtoient ainsi des partis de gauche et pacifistes.

Parallèlement, ce même 2 juin 2021 a eu lieu l’élection présidentielle. Le Président de l’État sortant, Neuven Rivlin, du Likoud, achève son mandat de sept ans et la Constitution lui interdit de demander son renouvellement. Le Président de l’État est élu à la majorité absolue par les députés de la Knesset. Seulement deux candidats indépendants ont postulé : Miriam Peretz, enseignante, qui a obtenu 26 voix sur 113 suffrages exprimés face à l’ancien ministre travailliste (devenu indépendant) Isaac Herzog élu avec 87 voix sur 113 (soit 76,3%). Isaac Herzog est par ailleurs le fils du général Chaim Herzog qui fut Président de l’État du 5 mai 1983 au 13 mai 1993. Il prendra ses fonctions le 9 juillet 2021.

Le Président français Emmanuel Macron a salué cette élection : « Le Président de la République adresse ses plus chaleureuses félicitations à M. Isaac Herzog pour son élection (…). À cette occasion, le Président de la République réaffirme sa volonté de continuer à travailler avec Israël dans tous les domaines qui font la richesse de notre partenariat. Il rappelle, également, comme il l’a fait lors de la spirale de violence qui vient de frapper le Proche-Orient, son attachement indéfectible à la sécurité de l’État d’Israël, et à la détermination de la France à rester engagée à ses côtés pour assurer la sécurité et la stabilité régionales. ».

Je reviendrai ultérieurement pour évoquer plus précisément la situation politique d’Israël entre mars 2020 et mars 2021, son impasse parlementaire et le maintien de Benyamin Netanyahou malgré l’absence de majorité.

Dans tous les cas, les difficultés de désignation d’un nouveau gouvernement (qui a mis plus de deux ans et quatre élections !) montrent à l’évidence qu’Israël est une démocratie, sans doute "trop grande" pour avoir un gouvernement stable ou reposant sur une majorité stable et cohérente. Dans la région, il suffit de regarder ses voisins pour voir à quel point la démocratie est rare et précieuse. L’exemple de la Syrie est très éloquent : le 26 mai 2021, Bachar El-Assad a été réélu Président de la République arabe syrienne avec 95,1% des voix. Il dirige la Syrie d’une main de fer depuis… le 17 juillet 2000 (c’est à peu près à cette date que sont arrivés au pouvoir Vladimir Poutine en Russie et Recep Tayyip Erdogan en Turquie, tous les deux démocratiquement élus et réélus…).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 juin 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Naftali Bennett, Premier Ministre d’Israël à la place de Benyamin Netanyahou.
Israël 2020 : Benyamin Netanyahou vs Benny Gantz (3e round).
Benyamin Netanyahou a 70 ans.
Les élections législatives israéliennes du 17 septembre 2019.
Poisons et délices de la proportionnelle.
Les enjeux des élections législatives israéliennes du 9 avril 2019.
Golda Meir.
La lutte contre l’antisémitisme est l’affaire de tous !
Les Accords de Camp David.
La naissance de l’État d’Israël.
Massacre à Gaza.
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
Tentative de paix en 1996.
Un géant à Jérusalem.
Shimon Peres.
Israël est une démocratie.
Yitzhak Rabin.
Le Président Peres.
Ariel Sharon.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
Yasser Arafat.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210613-bennett.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/naftali-bennett-premier-ministre-d-233712

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/06/13/39013946.html









 

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4 avril 2021 7 04 /04 /avril /2021 03:46

« J’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » (Blaise Pascal, posthume, 1670).


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Ce n’était pourtant pas un poisson d’avril, ce n’était pas non plus une manifestation de Pâques malgré la date parce que c’était en terre musulmane, quoiqu’on puisse imaginer là un avatar innovant de la Résurrection, mais cela a eu de quoi surprendre.

Effectivement, le samedi 3 avril 2021 a eu lieu dans la soirée au Caire, à 18 heures (heure de Paris), pendant une quarantaine de minutes, un très étrange convoi funéraire : vingt-deux pharaons, dont quatre reines (les autres étaient des hommes), ont paradé en grandes pompes dans la capitale égyptienne pour rejoindre leur dernière demeure. Ou plutôt, leur nouvelle demeure car depuis deux siècles, ces malheureuses personnalités ont été ballottées au gré des ego et des impératifs culturels et politiques.

Ce sinistre défilé, car il s’agit bien d’un sinistre défilé, puisqu’il s’agit d’un transfert de cadavres, des momies découvertes dans la Vallée des Rois, près de Louxor (à la rive gauche du Nil), avait l’objectif de déménager une salle de l’ancien Musée du Caire, place Tahrir, dans le Musée national de la civilisation égyptienne (NMEC), situé près des pyramides, prés aussi du nouveau Grand Musée égyptien (GEM), au Plateau de Gizeh (il doit ouvrir au public au milieu du mois d’avril 2021). Parmi les monarques en déplacement, on peut citer les plus connus du grand public, c’est-à-dire le pharaon Ramsès II et la reine Hatshepsout.

À titre personnel, je trouve assez odieuse cette idée de vouloir exposer des momies, idée qui date d’il y a plus d’un siècle et demi et qui vaut de mettre à la vue du public des cadavres asséchés qui mériteraient de bénéficier du même respect, tout pharaons qu’ils fussent, que n’importe qui. C’est un truc à vouloir se faire incinérer.

Cette parade d’un fort mauvais goût (les vingt-deux chars étaient décorés selon ce qu’on pourrait imaginer de "l’époque") a été organisée par l’égyptologue égocentré Zahi Hawass, fort sympathique au demeurant, mais dont les connaisseurs savent qu’il a assuré la préemption de toute découverte archéologique sur sol égyptien à ses propres fins "commerciales".

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Celui qui fut nommé très éphémèrement Ministre des Antiquités égyptiennes dans le gouvernement égyptien quelques jours avant la fin de l’ère moubarakienne et quelques jours après le début de la Révolution égyptienne (il y a dix ans) avait été le très influent patron du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes de 2002 à 2011. Cette noble institution fondée par l’égyptologue français Mariette en 1858, a été dissoute en 2011 et remplacée par un ministère. Il est difficile de trouver des documentaires télévisés sur les découvertes archéologiques égyptiennes récentes sans y voir incrustée l’image de Zahi Hawass qui en a fait une affaire personnelle. On soutiendra cependant son combat pour préserver le patrimoine égyptien voire rapatrier certains monuments qui ont quitté l’Égypte depuis deux siècles (du moins, ceux qui ne furent pas offerts par le peuple égyptien mais plutôt "empruntés" par des archéologues cleptomanes).

S’il faut saluer le fait que ces vingt-deux momies seront accueillies dans un meilleur environnement technique (contrôle de l’humidité, de température, etc.) destiné à leur meilleure conservation, avoir fait de leur transfert une opération de communication politique à visée nationaliste (événement diffusé en direct à la télévision) n’est pas forcément le résultat d’une très bonne inspiration.

À cette occasion, Zahi Hawass a déclaré à l’AFP : « Les momies seront présentées pour la première fois d’une belle façon, à des fins éducatives. Pas pour le sensationnalisme. ». Et pourtant, exposer des cadavres restera avant tout du sensationnalisme. Au contraire de la précédente exposition, chaque momie sera exposée à côté de son sarcophage d’origine, de sa biographie et, le cas échéant, des scanners qui auraient été réalisés dans le passé. Dans l’ancien musée, ces momies avaient été placées sans aucune information les concernant. Mais cette sobriété était-elle vraiment plus du sensationnalisme que la nouvelle exposition ? La nouvelle présentation donnerait plutôt l’idée qu’un corps reste seulement une "chose", objet d’étude, et pas un "résidu" d’humain qui mériterait le respect, aussi ancien soit-il.

Les vingt-deux momies ne sont donc pas transférées au GEM mais au NMEC, car le GEM, qui reprendra toutes les collections de l’ancien Musée du Caire, est surtout consacré au (jeune) pharaon Toutankhamon, très célèbre, que l’archéologue britannique Howard Carter a découvert le 4 novembre 1922 dans son tombeau d’origine, jamais encore violé. Pendant les travaux, une partie des trésors de sa tombe a été exposée à l’étranger, en particulier à la Grande Halle de la Villette à Paris il y a deux ans (j’ai eu la chance d’y aller), exposition itinérante mondiale qui a été bousculée par la crise sanitaire en 2020. Pas question de mettre les vingt-deux momies au GEM, selon Zahi Hawass : « Le GEM a le roi Toutankhamon, la star. Si vous ne mettez pas de momies au NMEC, personne ne va y aller ! ». L’explication a l’avantage d’être franche et directe.

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Mais mauvaise inspiration que ce défilé en grandes pompes, car cette cérémonie qui avait la volonté de redorer (c’est le cas de le dire) le blason du tourisme égyptien, particulièrement en berne depuis dix ans, ne va peut-être pas améliorer l’image du pays. En effet, de nombreuses catastrophes sont survenues peu avant ce défilé mégalomaniaque, et ont conduit beaucoup d’Égyptiens à y voir une nouvelle version de la fameuse malédiction des pharaons.

Bien sûr, c’est de la superstition (je n’y ai jamais cru et je n’y crois pas plus aujourd’hui, corrélation n’a jamais été causalité), mais qu’on regarde cette accumulation de malheurs dont a été victime l’Égypte cette semaine.

D’abord, il y a eu du 23 au 29 mars 2021 ce fameux blocage du Canal de Suez par un paquebot qui a fait attendre des centaines de navires au point de provoquer un mini-choc pétrolier (et un choc complotiste sur Hillary Clinton !). Cet incident, qui a été heureusement entièrement résorbé ce week-end, a cependant donné de grandes frayeurs internationales.

Mais il est des catastrophes plus coûteuses en vies humaines. En effet, le 26 mars 2021 a eu lieu un accident ferroviaire de grande ampleur (une collision frontale entre deux trains sur une voie unique) à 350 kilomètres au sud du Caire qui a coûté la vie à 32 voyageurs. Le 27 mars 2021 au matin, un immeuble résidentiel de dix étages, à l’est du Caire, dans un quartier populaire, s’est effondré (probablement en raison de sa vétusté) et a tué au moins 25 personnes. Le même jour, 28 mars 2021, un incendie a ravagé des boutiques désaffectées près de la gare de Zagazig, à 80 kilomètres au nord du Caire, heureusement sans faire de victimes.

Toutes ces catastrophes ont contribué à renforcer l’idée d’une malédiction des pharaons, mais il faut se rappeler que, à l’origine, il s’agissait de la malédiction "du" pharaon, à savoir de Toutankhamon, qui aurait tué tous ceux qui ont approché son tombeau. Mais pourquoi en voudrait-il à ses sujets 3 347 ans après sa mort prématurée ? À cette veille de Pâques 2021, Toutankhamon devait au contraire être content : il ne sera pas dérangé par ses prédécesseurs et ses successeurs, puisqu’ils habitent désormais dans une annexe de son prestigieux nouveau palais !… Le voilà confirmé comme le véritable maître d’Égypte !…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 avril 2021)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
Momies : la nouvelle malédiction des pharaons ?
Toutankhamon.
Le buste de la reine Néfertiti.
Mort du Raïs.
Anouar El-Sadate.
Sœur Emmanuelle : respecter et aimer.
Les Accords de Camp David.
Et Moubarak, que devient-il ?
Sissi imperator.
Gamal Abdel Nasser.
Abdel Fattah Al-Sissi et Mohamed Morsi.
Marine Le Pen en Égypte.
Les révolutions arabes de 2011.
Entre vert moutarde et vert croissant.
Et si l’on écoutait Michel Rocard ?
Moubarak démissionne.
L’obélisque de la Concorde.
Transition égyptienne : entre colère et raison.
L’Égypte, fin janvier 2011.
Une autre victime au Caire le 22 février 2009.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210403-malediction-pharaons.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/etonnant/article/momies-la-nouvelle-malediction-des-232096

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/04/03/38900931.html






 

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17 décembre 2020 4 17 /12 /décembre /2020 03:59

« Apparemment négative puisqu’elle ne crée rien, la révolte est profondément positive puisqu’elle révèle ce qui, en l’homme, est toujours à défendre. » (Albert Camus, 1951).


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La révolution tunisienne, qu’on a aussi appelée révolution de jasmin, a commencé il y a dix ans, le 17 décembre 2010. Un événement a déclenché une véritable révolte au sein du peuple tunisien qui a entraîné le départ d’un autocrate et la mise en place d’une transition démocratique en Tunisie. Avec l’effet dominos, d’autres pays furent touchés par cette révolution, d’abord le Yémen et l’Égypte, puis la Libye et la Syrie, etc.

C’est ce qu’on a appelé les Printemps arables (en 2011) qui ont, certes, transformé durablement le monde musulman, mais probablement pas comme on aurait pu l’imaginer. La démocratie n’a vraiment été essayée qu’en Tunisie, et la tentative en Égypte s’est soldée par l’alternative malheureusement fréquente dans les pays musulmans entre une autocratie militaire et une démocratie islamisée, comme cela se retrouve aussi en Turquie.

Revenons rapidement aux événements tunisiens.

Mohamed Baouazizi, un commerçant ambulant de fruits et légumes à Sidi Bouzid, s’est fait confisquer sa marchandise en absence d’autorisation légale. Désespéré et ne pouvant nourrir sa famille, il s’est immolé à 26 ans devant le siège du gouvernorat le 17 décembre 2010. Il fut alors hospitalisé dans le service des grands brûlés d’un hôpital du pays, à Ben Arous.

Dans la même situation que Mohamd Baouazizi, des dizaines de commerçants sont sortis dans la rue le même jour pour le soutenir et protester contre les conditions de vie difficiles. Très vite, la police est intervenue et il y a eu des blessés. Le 22 décembre 2010, un autre jeune, lui aussi dans la misère, Houcine Neji (24 ans) s’est tué sur un poteau électrique, par électrocution en train de se préparer à se suicider.

Le mouvement s’est étendu à d’autres villes tunisiennes vers le 23 décembre 2010, la police a tenté de réprimer le mouvement, en tirant, elle a tué Mohamed Ammari le 24 décembre 2019 à Menzel Bouzaiane. Les manifestations se sont encore étendues jusqu’à la capitale Tunis le 27 décembre 2010 et le mouvement commençait à être incontrôlable. D’autres manifestants furent tués par balle par la police qui a tenté de réprimer ces manifestations. De nombreux morts et blessés furent à déplorer durant ces manifestations et les affrontements avec la police.

Pendant cette période des fêtes de fin d’année, en France, peu imaginaient ce qui allait se passer quelques semaines plus tard. Peu s’intéressaient à cet événement et pour ceux qui s’y intéressaient, peu y voyaient autre chose qu’une simple révolte provoquée par la misère sociale que la répression policière aurait matée tristement mais facilement.

En Tunisie, le pouvoir était plus lucide. Le Président Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, autocrate soutenu par les puissances européennes et américaine, a bien compris l’enjeu et est allé rencontrer Mohamed Baouzizi dans sa chambre d’hôpital le 28 décembre 2010. Ben Ali a même proposé à la famille de l’argent et un emploi pour apaiser le sentiment d’injustice et la colère. Hélas, le 4 janvier 2011, Mohamed Baouzizi a succombé à ses blessures. Le lendemain, 5 000 personnes ont assisté à son enterrement et ont renforcé leur mouvement de protestation contre le pouvoir.

Pour donner une idée de "l’inconscience", ou plutôt, du manque de prise de conscience des événements par la France, la réponse de la Ministre française des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie (également Ministre d’État), lors d’une question au gouvernement posée par le député Jean-Paul Lecoq à l’Assemblée Nationale le 11 janvier 2011, a été catastrophique. Non seulement elle annonçait que la France soutenait le pouvoir tunisien, mais elle lui proposait son aide et son expertise pour réprimer les manifestants.

Elle a déclaré notamment : « Face à cela, plutôt que de lancer des anathèmes, notre devoir est de faire une analyse sereine et objective de la situation. Parlons du fond, tout d’abord. Il est vrai que dans ces deux pays [Tunisie et Algérie], il y a énormément d’attente (…) de pouvoir entrer au marché du travail. (…) Il s’agit, en particulier, de toutes les conditions nécessaires que la communauté internationale tout entière doit mettre pour permettre aux jeunes et aux jeune diplômés de pouvoir accéder au marché du travail. Le deuxième problème est effectivement celui des décès et des violences constatées à l’occasion de ces manifestations. On ne peut que déplorer des violences concernant des peuples amis. ».

Et la phrase qui a fait scandale : « Pour autant, je rappelle que cela montre le bien-fondé de la politique que nous voulons mener quand nous proposons que le savoir-faire de nos forces de sécurité, qui est reconnu dans le monde entier, permette de régler des situations sécuritaires de ce type. C’est la raison pour laquelle nous proposons aux deux pays de permettre, dans le cadre de la coopération, d’agir dans ce sens, afin que le droit de manifester soit assuré de même que la sécurité. ».

Manifestement, Michèle Alliot-Marie n’avait rien compris au film. Elle s’est accrochée à son ministère jusqu’au 27 février 2011, acculée à la démission après les révélations sur ses vacances tunisiennes passées à Noël 2010 auprès de proches de Ben Ali (pendant le début de la révolution) et ses intérêts financiers en Tunisie.

Cette phrase particulièrement abjecte qui plaçait le gouvernement français aux côtés des forces répressives de Ben Ali, a été d’autant plus étonnante que cette ministre, depuis mai 2002, l’une des ministres qui a été ministre à la plus grande longévité, était hyper-prudente et ne voulait jamais faire de vague, espérant devenir un jour Première Ministre. Ce qui montrait bien que le soutien à Ben Ali était un réflexe diplomatique français (et plus largement international) qui allait de soir et qui ne prêtait même pas à discussion. Ses rétropédalages ultérieurs n’ont pas permis d’effacer cette phrase dite au moment où le pouvoir à Tunis vacillait mais que tout restait encore possible.

Au fur et à mesure que les manifestations ont eu lieu, la répression également, Ben Ali a compris qu’il ne retrouverait plus sa légitimité. Lâchement, il a fui son pays le 14 janvier 2011 avec une tonne et demie d’or, en se réfugiant en Arabie Saoudite, laissant la Tunisie dans un état insurrectionnel sans solution. À l’origine, il comptait voir le chaos s’installer et revenir en homme providentiel. C’était sous-estimer son peuple.

Premier Ministre depuis le 17 novembre 1999, Mohamed Ghannouchi a formé un nouveau gouvernement le 17 janvier 2011 et a pris des mesures pour libéraliser le régime. Le mouvement, les grèves, les manifestations ont pourtant continué, le gouvernement a été remanié le 27 janvier 2011, mais ce n’était pas suffisant et le 27 février 2011, Mohamed Ghannouchi a démissionné, marquant la fin de la révolution tunisienne. Ancien ministre, Béji Caïd Essebsi lui a succédé pour mettre en place une véritable transition démocratique. Au-delà du départ de Ben Ali, c’était son parti qu’il fallait sortir de toutes les instances de pouvoir. Le 7 mars 2011, la sûreté de l’État et la police politique ont été dissoutes par le gouvernement, la décision fut très populaire.

Les élections du 23 octobre 2011 ont désigné les 217 députés de l’Assemblée nationale constituante tunisienne pour entamer un processus de nouvelle Constitution. Non seulement ces élections furent le premier scrutin libre de la Tunisie depuis son indépendance en 1956, mais aussi le premier scrutin libre des Printemps arabes. Le rôle de cette assemblée fut de rédiger la nouvelle Constitution (elle fut adoptée le 26 janvier 2014 et appliquée le 10 février 2014). Le secrétaire général de Ennahdha, parti islamiste, Hamadi Jebali, a alors succédé à Béji Caïd Essebsi comme Premier Ministre le 24 décembre 2011 car son parti a obtenu la majorité relative.

La Tunisie reste une démocratie très fragile. Après une Présidence de Béji Caïd Essebsi (élu le 21 décembre 2014 et mort à la fin de son mandat), un candidat indépendant proche des conservateurs, Kaïs Saïed, a été élu le 13 octobre 2019, tandis qu’une majorité relative était revenue aux islamistes après un passage dans l’opposition. Cependant, un gouvernement de coalition a été désigné par une majorité fragile.

Beaucoup d’intérêts, dans le monde musulman, veulent détruire la démocratie tunisienne car elle est le seul exemple de démocratie dans le monde musulman. Les attentats islamistes ont affaibli autant économiquement que politiquement cette démocratisation : le 18 mars 2015, 24 personnes ont trouvé la mort au Musée du Bardo près de Tunis ; le 26 juin 2015, 38 personnes ont trouvé la mort sur une plage dans la région de Sousse ; le 24 novembre 2015, 12 personnes ont trouvé la mort dans l’explosion d’un bus à Tunis ; le 7 mars 2016, 65 personnes ont trouvé la mort dans un assaut à Ben Gardane ; le 27 juin 2019, un attentat suicide a tué une personne à Tunis ; le 6 mars 2020, une personne a été tuée dans des attentats suicides à Tunis.

Au 4 mai 2012, le bilan humain de la révolution tunisienne a été officiellement de 367 morts (dont 8 enfants et 29 forces de l’ordre) et de 2 174 blessés.

Si les Printemps arabes ont effectivement apporté la démocratie en Tunisie, avec un début de pérennité mais toujours fragile, les autres pays où la révolution s’est développée n’ont pas apporté la démocratie. Les mouvements sont nés après la prise de conscience qu’ils pouvaient faire démissionner les dirigeants du pays.

L’Égypte a "imité" la Tunisie à la fin de janvier 2011 et l’autocrate Hosni Moubarak a également démissionné quelques semaines plus tard mais après une phase de démocratie qui a fait élire un islamiste à la tête de l’État, une reprise en main des militaires a rassuré la communauté internationale et remis l’Égypte à la case départ. La Syrie est en guerre civile depuis une dizaine d’années et les victimes se comptent en centaines de milliers, avec le maintien du dictateur Bachar El-Assad. Au contraire, la Libye s’est délivrée de son dictateur Kadhafi mais reste dans une sorte de guerre civile impliquant des clans quasi-irréconciliables. Le Yémen est dans une situation conflictuelle très compliquée, terrain de guerre entre sunnites saoudiens et chiites iraniens (premières manifestations dès le 16 janvier 2011).

Plus généralement, l’effet principal des Printemps arabes fut hélas très négatif avec l’implantation de Daech en Syrie et en Irak, puis, après avoir été délogés, la création d’une nuée de mouvements autour de Daech, aussi cruels que décentralisés, qui ont commis de très nombreux attentats partout dans le monde et en particulier en France (Charlie Hebdo, Bataclan, esplanade de Nice, etc.). Le bilan des Printemps arabes pourrait donc être considéré comme considérablement désastreux pour la paix et les valeurs humanistes…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 décembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
10 ans de révolution tunisienne.
Albert Memmi.
Élie Kakou.
Ben Ali ne sera jamais jugé… mais la démocratie tunisienne passe.
Le premier tour de l’élection présidentielle tunisienne du 15 septembre 2019.
Béji Caïd Essebsi.
Interview de Béji Caïd Essebsi diffusée sur France Inter le 3 décembre 2016 (à télécharger).
Daech.
Les révolutions arabes de 2011.
Ben Ali a 80 ans.
La fuite de Ben Ali.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201217-revolution-tunisienne.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/10-ans-apres-la-revolution-229557

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/12/13/38704222.html







 

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2 mars 2020 1 02 /03 /mars /2020 03:48

« L’intelligence est un capitaine qui est toujours en retard d’une bataille. Et qui discute après la bataille. » (Louis-Paul Fargue, 1929).


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Ce lundi 2 mars 2020, les électeurs israéliens vont élire leurs 120 nouveaux députés de la Knesset. D’ordinaire, ces élections ont lieu tous les quatre ans, mais cette fois-ci, ce sont les troisièmes élections législatives en moins d’un an. En effet, après la rupture, le 16 novembre 2018, de la majorité issue des élections du 17 mars 2015, le Premier Ministre Benyamin Netanyahou, devenu minoritaire, a avancé les élections législatives au 9 avril 2019 pour régler ce problème (elles étaient prévues initialement au 5 novembre 2019).

Lui, Premier Ministre sortant, était, entre 2015 et 2018, avant cette rupture de majorité, à la tête d’une coalition de droite et du centre, comprenant 67 sièges à l’origine, puis réduite à 61 sièges après la rupture avec Avigdor Liberman (Israel Beytenou), juste la majorité absolue, dont son parti, le Likoud, représentait 30 sièges (23,4% des voix).

En face de lui, ce 2 mars 2020, il y a Benny Gantz qui est devenu, au fil des scrutins depuis un an, son adversaire numéro un. À la tête d’une coalition de centre gauche, appelée Bleu et blanc (les couleurs du drapeau israélien), Benny Gantz est entré en politique très tardivement, il est avant tout un militaire (comme c’est assez courant dans l’histoire d’Israël).

Le problème, c’est le mode de scrutin qui montre que lorsque le paysage politique est éclaté (parce que le peuple est lui-même éclaté politiquement), il conduit à une impasse institutionnelle. Le scrutin proportionnel empêche la formation d’une majorité stable et claire, voulue par les électeurs.

Lors des élections législatives du 9 avril 2019, Benyamin Netanyahou a gagné des électeurs avec 26,5% des voix, son parti, le Likoud a obtenu 35 sièges (sur 120). Tandis que son rival Benny Gantz a obtenu lui aussi 35 sièges, avec 26,1% des voix, mais sa capacité à élargir pour former une majorité absolue était beaucoup plus faible que celle de Benyamin Netanyahou. Cependant, le problème n’a pas été résolu pour autant car Avigdor Liberman, avec ses 5 sièges (1 de moins qu’en 2015), a continué dans son refus de revenir dans la majorité avec le Likoud, si bien que Benyamin Netanyahou est resté minoritaire avec seulement 60 sièges (insuffisant puisqu’il faut au moins 61). Quant à Benny Gantz, il a refusé de faire alliance avec les partis arabes et n’a pas pu proposer une coalition de rechange.

Le 30 mai 2019, la Knesset a alors voté sa dissolution pour organiser de nouvelles élections le 17 septembre 2019.

Mais ces nouvelles élections législatives du 17 septembre 2019 se sont soldées par le même constat, l’incapacité à rassembler une majorité de gouvernement. Benny Gantz a pris un léger ascendant puisqu’il a recueilli 33 sièges (avec 25,9% des voix) tandis que Benyamin Netanyahou est arrivé en deuxième place, avec 32 sièges (avec 25,1% des voix). Néanmoins, Benyamin Netanyahou avait une meilleure capacité à rassembler une majorité. Sans pour autant l’obtenir (seulement 55 sièges sur 120) en raison du refus d’Avigdor Liberman (8 sièges). Mais de son côté, Benny Gantz n’a pas non plus réussi à former une majorité (seulement 57 sièges), malgré une alliance avec les partis arabes (13 sièges), qui, pourtant, avaient jusqu’à cette date, toujours refusé de participer à une coalition gouvernementale.

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En fait, la seule solution politique pour résoudre cette crise, comme les rapports de force ont peu changé entre les scrutins, c’était de former une grande coalition, comme à l’époque de Yitzhak Shamir et Shimon Peres entre le 13 septembre 1984 et le 15 mars 1990. C’est-à-dire, une alliance entre le Likoud et Bleu et blanc qui aurait alors 65 sièges sur 120. Mais les deux conditions qu’a imposées Benny Gantz étaient inacceptables pour Benyamin Netanyahou : d’une part, que Benny Gantz devînt Premier Ministre car il avait 1 siège de plus que son rival, et d’autre part, le retrait politique de Benyamin Netanyahou en raison de sa mise en examen imminente.

Et effectivement, Benyamin Netanyahou a été mis en examen le 21 novembre 2019 dans trois affaires de corruption, fraude et abus de confiance. Comme chacun est resté sur ses positions, après l’impossibilité de former un gouvernement, la Knesset a voté une nouvelle fois sa dissolution le 11 décembre 2019 et a fixé le nouveau scrutin au 2 mars 2020.

Avant le début de cette nouvelle campagne électorale, à cause de sa mise en examen, Benyamin Netanyahou fut défié en interne. Son leadership au Likoud a été en effet remis en cause par Guideon Saar, qui fut Ministre de l’Éducation du 31 mars 2009 au 18 mars 2013 et Ministre de l’Intérieur du 18 mars 2013 au 5 novembre 2014. Des primaires ont donc été organisées pour départager les deux hommes dans le but de conduire le Likoud aux nouvelles élections. Sans surprise, Benyamin Netanyahou les a largement remportées, avec 72,5% des voix (et une participation de 49,5% des adhérents du Likoud).

Ainsi, malgré sa mise en examen, Benyamin Netanyahou est toujours en lice pour se maintenir comme Premier Ministre à ces élections du 2 mars 2020. Ses très bonnes relations avec le Président américain Donald Trump peuvent lui servir d’atout pour convaincre les électeurs que la protection d’Israël serait mieux assurée avec son maintien pour poursuivre des relations qui n’ont jamais été aussi proches avec les États-Unis, qu’avec le venue d’un novice en politique dont le seul exploit serait d’être un "monsieur propre" de la politique israélienne.

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Dans les sondages, les deux coalitions, celles de Benyamin Netanyahou et celle de Benny Gantz, sont dans un mouchoir de poche en intentions de vote et aussi en estimation de sièges, même si ces derniers jours, le Likoud semble avoir pris une légère avance. Les deux formations seraient créditées d’environ 33-34 d’estimation de sièges, les partis arabes d’environ 14 sièges estimés (stable) tandis que les autres partis seraient autour de 7-8 sièges estimés sauf le parti d’Avigdor Liberman qui serait en baisse (autour de 6 sièges estimés). En d’autres termes, la nouvelle Knesset ressemblerait à peu près à l’ancienne.

Bref, sauf grande surprise de dernier moment, non observable dans les intentions de vote, tout porte à croire que les résultats des élections du 2 mars 2020 seraient sensiblement équivalents à ceux du 9 avril 2019 et du 17 septembre 2019, ce qui aboutirait, une nouvelle fois, à l’impossibilité de former un nouveau gouvernement. Israël n’est pas le seul pays à avoir cette mésaventure institutionnelle, la Belgique n’a plus de gouvernement depuis les élections fédérales du 26 mai 2019, toujours pour les mêmes raisons des conséquences néfastes du scrutin proportionnel (l’émiettement des partis politiques).

Quand on observe ces expériences de crises politiques, quoi qu’on pense de la Cinquième République et même de son article 49 alinéa 3, on ne peut que se réjouir que la France, au-delà de tous ses problèmes sociaux, a au moins un gouvernement capable de gouverner dans la durée. Imaginons-nous sous la Quatrième République, sans gouvernement depuis des mois, avec la crise du coronavirus


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er mars 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Israël 2020 : Benyamin Netanyahou vs Benny Gantz (3e round).
Benyamin Netanyahou a 70 ans.
Les élections législatives israéliennes du 17 septembre 2019.
Poisons et délices de la proportionnelle.
Les enjeux des élections législatives israéliennes du 9 avril 2019.
Golda Meir.
La lutte contre l’antisémitisme est l’affaire de tous !
Les Accords de Camp David.
La naissance de l’État d’Israël.
Massacre à Gaza.
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
Tentative de paix en 1996.
Un géant à Jérusalem.
Shimon Peres.
Israël est une démocratie.
Yitzhak Rabin.
Le Président Peres.
Ariel Sharon.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
Yasser Arafat.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200301-israel.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/israel-2020-benyamin-netanyahou-vs-221929

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25 février 2020 2 25 /02 /février /2020 11:45

« C’est sur cette terre que je vais mourir. » (1er février 2011).


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Avec une pointe de condescendance : « Nous ne sommes pas des Tunisiens, tout de même ! ». C’était un propriétaire d’hôtel qui m’expliquait cela le 25 janvier 2011. Il avait beaucoup investi dans le tourisme local et il n’était pas question de déstabiliser ainsi son pays. Je séjournais dans le sud de l’Égypte et la première journée de manifestations s’était soldé par plusieurs morts au Caire. Pour comprendre, il faut revoir la chronologie.

Onze jours auparavant, le 14 janvier 2011, après plusieurs semaines de manifestations, le Président tunisien Ben Ali a fui son pays et s’est réfugié en Arabie Saoudite où il doit certainement s’y trouver encore. Mais la Tunisie est un petit pays. Les Égyptiens, c’est un grand peuple, ce sont les héritiers des pharaons, l’une des premières civilisations de l’humanité. Nous valons mieux que les Tunisiens, semblait-il dire en quelques sortes.

En septembre 2011, était prévue la deuxième élection présidentielle pluraliste (la première avait eu lieu le 6 septembre 2005). En principe, Hosni Moubarak aurait dû être réélu et fêter le trentième anniversaire de son arrivée au pouvoir. Trente ans ! Il est arrivé au pouvoir le 13 octobre 1981 à la suite de l’assassinat de Sadate. Il était son Vice-Président de la République depuis le 16 avril 1975, et donc son dauphin, contrôlant l’armée égyptienne.

Entré dans l’armée de l’Armée de l’air égyptienne en 1949, Moubarak a fait toute sa carrière dans l’armée jusqu’à devenir, entre le 23 avril 1972 et le 16 avril 1975, le chef d’état-major de l’Armée de l’air et le Vice-Ministre de la Défense. En 1974, il fut promu maréchal de l’armée de l’air. Lorsqu’est survenue la révolution égyptienne, cela faisait vingt-neuf ans qu’il tenait le pays d’une main de fer, avec l’armée à ses bottes, suscitant au fil des années la colère des moins aisés.

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Décision inédite, le pouvoir avait coupé toutes les liaisons Internet et de téléphonie cellulaire du 27 janvier au 3 février 2011. La Haute Cour administrative du Caire a condamné le 28 mai 2011 Hosni Moubarak à une amende de 23,3 millions d’euros pour les conséquences économiques désastreuses d’une telle décision.

Le changement de gouvernement le 28 janvier 2011, puis l’allocution du 1er février qui annonça la limitation à deux mandats présidentiels tout en souhaitant achever son cinquième mandat avec ces explications : « Je tiens à finir ma mission. » ont tenté de redresser la situation. Mais en vain. La répression policière pour faire évacuer la place Tahrir au Caire le 2 février 2011, qui fit des centaines de morts, renforça la colère des Égyptiens. Après une dernière tentative le 10 février 2011 où il confirma son intention de s’accrocher au pouvoir, il a dû finalement le quitter le lendemain, 11 février 2011, la queue entre les pattes.

Les révolutionnaires égyptiens furent alors très joyeux d’apprendre le départ d’Hosni Moubarak vers sa maison de Charm El-Cheikh. Mais les manifestations continuèrent jusqu’en avril 2011 pour exiger son arrestation. Hosni Moubarak fut alors arrêté le 12 avril 2011 pour deux chefs d’inculpation : sa responsabilité dans la mort des 864 victimes de la répression de la révolution, et son implication dans la corruption.

Après un malaise cardiaque (il fut placé en soins intensifs), il fut transféré dans un hôpital militaire au Caire le 16 avril 2011. Son procès pour "meurtres et tentative de meurtres sur des manifestants, abus de pouvoir et de biens sociaux et atteinte aux intérêts de l’État" pendant la révolution a commencé le 3 août 2011. Moubarak fut présent au cours de ce procès… sur une civière, plaidant non coupable. Le 5 janvier 2012, le procureur a requis la peine de mort par pendaison (comme Saddam Hussein). Finalement, le 2 juin 2012, il fut condamné à la prison à perpétuité.

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En raison de son état de santé (des rumeurs évoquaient une attaque cérébrale abev assistance respiratoire dès le 20 juin 2012), il fut mis en liberté conditionnelle le 21 août 2013. Il fut acquitté le 2 mars 2017 lors d’un second procès sur les accusations de meurtres de jeunes manifestants révolutionnaires. Enfin, il fut définitivement libéré le 24 mars 2017. Entre temps, le maréchal Al-Sissi a pris le pouvoir le 8 juin 2014 sur le Président islamiste Mohamed Morsi (élu le 17 juin 2012) au cours du coup d’État du 3 juillet 2013 et vient d’être réélu à la tête de l’Égypte le 28 mars 2018.

Alors, que devient Moubarak ? Eh bien, comme Ben Ali, Moubarak vit une paisible retraite libre, mais à la différence de Ben Ali, sa liberté est reconnue par son pays tandis que Ben Ali est recherché par les autorités tunisiennes sur sa responsabilité dans la répression des manifestations de décembre 2010 et janvier 2011.

Et ce vendredi 4 mai 2018, Hosni Moubarak fête ses 90 ans. Pour un homme in articulo mortis il y a six ans, c’est une belle performance…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 mai 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Et Moubarak, que devient-il ?
Sissi imperator.
Gamal Abdel Nasser.
Abdel Fattah Al-Sissi et Mohamed Morsi.
Marine Le Pen en Égypte.
Les révolutions arabes de 2011.
Entre vert moutarde et vert croissant.
Et si l’on écoutait Michel Rocard ?
Moubarak démissionne.
L’obélisque de la Concorde.
Transition égyptienne : entre colère et raison.
L’Égypte, fin janvier 2011.
Une autre victime au Caire le 22 février 2009.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200225-moubarak.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/02/25/38054276.html

 

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21 octobre 2019 1 21 /10 /octobre /2019 03:42

« Le comportement récent de Netanyahu indique malheureusement que ce qu’il cherche, ce n’est pas l’unité, mais l’immunité. » (Communiqué de Bleu-Blanc, coalition concurrente au Likoud, le 17 octobre 2019).



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L’actuel Premier Ministre israélien Benyamin Netanyahou fête ce lundi 21 octobre 2019 son 70e anniversaire. Sur sa page facebook en français, 70 000 likes ! Comme pour tous les anciens jeunes (on l’appelait "Bibi" lorsqu’il a pris la première fois ses fonctions de Premier Ministre à l’âge de 46 ans), la vieillesse se voit mal, mais 70 ans, même au XXIe siècle, c’est un peu le début du vieillard. Je ne suis pas du tout anti-vieux (c’est notre destin à tous, ça ou le néant), et j’ai au contraire beaucoup d’admiration pour ceux qui ont pu garder leur mécanique intellectuelle, et même physique, à un âge avancé, mais en politique, lorsque la jeunesse a été parmi les arguments de vente, l’âge fait vieillir un peu plus rapidement.

Un petit parallèle même s’il y a une dizaine/quinzaine d’années de différence. À peu près à la même époque, un jeune ancien dissident du régime communiste en Hongrie, après moins d’une décennie de libéralisation, s’est fait élire Premier Ministre de Hongrie. Viktor Orban avait 35 ans quand il a commencé à diriger la Hongrie, d’abord du 6 juillet 1998 au 27 mai 2002 puis, depuis le 29 mai 2010.

Viktor Orban a maintenant 56 ans, ce qui est encore loin des 70 ans de Benyamin Netanyahou, mais la trajectoire est étonnamment parallèle : Benyamin Netanyahou est en effet devenu Premier Ministre du 18 juin 1996 au 6 juillet 1999 et depuis le 31 mars 2009. Concrètement, ou plutôt, historiquement, Benyamin Netanyahou a battu tous les records de longévité d’un Premier Ministre israélien, tant en cumulé que d’une manière continue (sans interruption), dépassant ainsi le record du fondateur historique de l’État d’Israël, David Ben Gourion.

Certes, l’histoire d’Israël n’a qu’un an de plus que son Premier Ministre actuel. Et la grande différence entre Viktor Orban et Benyamin Netanyahou, c’est que Viktor Orban peut encore esquisser un avenir rose pour son pouvoir et son parti puisqu’il a le soutien très large et probablement encore durable du peuple hongrois. Benyamin Netanyahou, au contraire, est en train de laborieusement résister aux différentes raisons qui tendraient à interrompre sans doute définitivement sa carrière politique.

Et cela pour au moins deux raisons.

La première raison, c’est qu’il est sous les projecteurs d’enquêtes judiciaires pour des affaires politico-financières, et contrairement à d’autres pays, en Israël, "ça ne rigole pas". Même Yitzhak Rabin, malgré son prestige militaire, a dû démissionner et renoncer à poursuivre sa carrière politique dans les années 1970 (pas définitivement) pour une obscure affaire concernant son épouse. Beaucoup plus récemment, Ehud Olmert a dû également démissionner et abandonner la vie politique en raison d’affaires judiciaires sur des faits concernant l’époque où il était le maire de Jérusalem (il a même été mis en prison du 15 février 2016 au 2 juillet 2017). Les Présidents de l’État d’Israël n’ont pas été épargnés non plus, un a même fait récemment de la prison car condamné pour viol (suspendu le 25 janvier 2007, Moshe Katsav a dû démissionner le 1er juillet 2007 et était en prison du 7 décembre 2011 au 21 décembre 2016).

Ce que la justice israélienne reproche à Benyamin Netanyahou depuis 2016, ce sont trois affaires de corruption, fraude et abus de confiance. Cependant, malgré trois années d’enquêtes de plusieurs juges, aucune inculpation n’a été encore prononcée, mais même inculpé, le Premier Ministre ne serait pas obligé de démissionner dans les textes. C’est surtout cette épée de Damoclès qui plane sur l’incertitude politique actuelle. Il y a déjà eu des manifestations pour réclamer la démission de Benyamin Netanyahou en raison des poursuites judiciaires qui le concernent.

Car la seconde raison de son destin hésitant, c’est évidemment la situation politique et électorale. Le parti de Benyamin Netanyahou, le Likoud, n’a pas convaincu la moitié de l’électorat, mais seulement le quart.

Après la rupture de sa coalition gouvernementale en novembre 2018, Benyamin Netanyahou avait anticipé de six mois les élections législatives, qui ont eu lieu le 9 avril 2019. Néanmoins, n’ayant toujours pas su parvenir à trouver une majorité absolue au sein de la nouvelle Knesset, il a organisé de nouvelles élections législatives le 17 septembre 2019 (c’était la première fois qu’il y a eu deux élections aussi rapprochées). Mais les résultats de ces élections furent encore plus "éclatés" qu’au printemps.

Depuis un an, il y a deux blocs mais qui ne représentent guère plus du quart de l’électorat, le Likoud (et alliés) et la coalition Bleu-Blanc de centre gauche (des couleurs du drapeau israélien), menée par l’ancien chef d’état-major de Tsahal, Benny Gantz. Or, ces deux formations ont perdu des voix par rapport au printemps.

De plus, si le Likoud était arrivé en tête le 9 avril 2019, il a laissé cette première place à Bleu-Blanc le 17 septembre 2019. La situation est ainsi : alors que ces deux blocs avaient obtenu chacun 35 sièges (sur 120) au printemps, ils ont eu cet automne respectivement 32 (Likoud avec 25,1% des voix) et 33 (Bleu-Blanc avec 25,9% des voix).

Avec l’émiettement de la classe politique, aucun des deux leaders (Benyamin Netanyahou et Benny Gantz) n’a réussi, depuis un mois, à rassembler au moins 61 députés autour de leur personne pour former le gouvernement. Dès la soirée électorale, fut émise l’hypothèse d’une "grande coalition", comme c’est le cas actuellement en Allemagne ou comme ce fut le cas en Israël entre 1984 et 1988 entre le Likoud et le parti travailliste, c’est-à-dire d’une coalition gouvernementale réunissant le Likoud et Bleu-Blanc. D’un point de vue programmatique, c’est possible, et d’un point de vue plus politique, cela permettrait d’éviter la mainmise de petits partis religieux ou extrémistes sur la politique gouvernementale, parce qu’indispensables à la préservation de la majorité (pouvant les défaire, comme ce fut le cas en 2018).

À eux deux, Bleu-Blanc et Likoud, ils auraient le soutien d’au moins 65 députés, soit plus de la majorité absolue de la Knesset. Le problème n’est pas pour autant résolu, car Benny Gantz, qui est arrivé en tête, a revendiqué d’être Premier Ministre d’un tel gouvernement ou, au moins, de diriger le gouvernement dans un premier temps en cas de rotation pour la fonction, et surtout, a rejeté toute idée de participation gouvernementale de Benyamin Netanyahou en raison de ses affaires judiciaires.

Pour Benyamin Netanyahou, c’est inacceptable doublement. D’une part, il veut rester Premier Ministre dans les mois qui viennent pour pouvoir décider d’une immunité judiciaire, mais celle-ci a toutes les chances de ne jamais être votée dans la configuration parlementaire actuelle, et en cas de rotation, il veut diriger le gouvernement dans la première moitié de la législature (qui dure quatre ans), car son avenir reste incertain en cas de procès et de condamnation.

Très étrangement, le Président de l’État d’Israël (depuis le 24 juillet 2014, succédant à Shimon Peres), Reuven Rivlin a nommé Benyamin Netanyahou le 25 septembre 2019 pour trouver les moyens de former un gouvernement. Pourquoi ce choix et pas celui de Benny Gantz ? Parce qu’auparavant, les 22 et 23 septembre 2019, 55 députés avaient apporté leur soutien à Benyamin Netanyahou pour former le prochain gouvernement et seulement 54 députés à Benny Gantz, dont certains des huit députés arabes, ce qui était sans précédent car les députés arabes n’ont jamais voulu prendre position généralement lors d’une crise politique, mais ils l’ont fait dans ce cas pour empêcher à tout prix Benyamin Netanyahou de former un nouveau gouvernement.

Plus précisément, le 22 septembre 2019, Benny Gantz était arrivé en tête avec 57 votes favorables, mais le lendemain, trois députés du parti Balad (arabe) avaient réfuté leur présence dans ces 57 votes. C’était donc l’explication de cette désignation de Benyamin Netanyahou, avec la volonté de Reuven Rivlin de voir un gouvernement d’union nationale avec le soutien de ces deux leaders. Notons entre parenthèses que la présence de députés arabes en Israël prouve la réalité de la démocratie israélienne : imagine-t-on la présence de personnes juives au parlement iranien par exemple ?

Pour Benny Gantz, pas question de faire partie d’un gouvernement dirigé par un Premier Ministre qui pourrait être inculpé et condamné pour des affaires financières. Le Likoud a déjà accepté le principe d’une rotation et Reuven Rivlin, pour mettre tout le monde d’accord, souhaiterait que Benyamin Netanyahou promette son retrait en cas d’inculpation. Pour corser le tout, Benny Gantz n’est pas seul dans sa coalition Bleu-Blanc et les composantes de cette coalition avaient déjà voulu faire un Premier Ministre tournant en cas de victoire. Celui qui aurait bénéficié de cette rotation, Yaïr Lapid, ancien Ministre des Finances du 18 mars 2013 au 2 décembre 2014, président d’un des partis de Bleu-Blanc et numéro deux de cette coalition, a cependant annoncé qu’il renonçait à vouloir être Premier Ministre dans la configuration actuelle.

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La rentrée parlementaire a eu lieu le 3 octobre 2019. Benyamin Netanyahou a pour l’instant échoué dans ses négociations pour former le nouveau gouvernement. Reuven Rivlin n’a pas exclu, en cas d’échec constaté, de désigner Benny Gantz pour rechercher à son tour une solution à la crise politique actuelle. Au Likoud, réfutant l’idée que ce parti est complètement uni derrière Benyamin Netanyahou, un député, Guideon Saar, ancien Ministre de l’Éducation du 21 mars 2009 au 18 mars 2013 et ancien Ministre de l’Intérieur du 18 mars 2013 au 5 novembre 2014, a mis au défi au Premier Ministre de remettre en jeu son leadership au sein du Likoud et qu’il serait candidate en cas de primaire, mais Benyamin a refusé de relever le défi. Le 10 octobre 2019 à Tel-Aviv, seulement 10% des cadres ont été présents pour voter à l’unanimité leur confiance à Benyamin Netanyahou et leur soutien à sa candidature comme nouveau Premier Ministre.

En fait, le Likoud a toujours été un parti très discipliné et depuis le début de l’État d’Israël, aucun dirigeant du Likoud et du parti dont il est l’héritier n’a été évincé par les adhérents (130 000 aujourd’hui). En tout, il n’y a eu que quatre dirigeants, qui, tous, ont été Premiers Ministres : Menahem Begin, Yitzhak Shamir, Ariel Sharon et Benyamin Netanyahou. Cela explique en partie pourquoi le Likoud reste aujourd’hui très majoritairement uni derrière son chef, d’autant plus que Benyamin Netanyahou a évité soigneusement de laisser croire à un proche qu’il pourrait être son dauphin et tout candidat qui le défierait serait rapidement considéré comme un "traître" (ce qui explique aussi pourquoi Guideon Saar n’a pas insisté dans sa défiance contre Benyamin Netanyahou).

Depuis trois semaines, les représentants de Bleu-Blanc refusent de rencontrer le Likoud pour former le nouveau gouvernement. Ils attendent en fait que le Premier Ministre soit inculpé par la justice israélienne d’ici à novembre prochain. Ils bloquent donc toutes les tentatives pour former un gouvernement d’union nationale, attendant soit la désignation de Benny Gantz comme futur Premier Ministre (mais qui aura encore moins de chance de réussir que son rival), soit de nouvelles (et troisièmes) élections législatives qui seraient, pour Bleu-Blanc, dans un bon timing avec le probable calendrier judiciaire qui discréditerait ou même mettrait hors jeu Benyamin Netanyahou.

Le 16 octobre 2019, Benyamin Netanyahou a fait plusieurs accords avec le bloc des 55 députés qui le soutient, notamment un pour ne soutenir qu’un gouvernement dirigé par lui ou d’union nationale avec rotation de Premier Ministre, et aussi, un autre accord pour voter contre tout gouvernement minoritaire qui pourrait être soutenu par défaut par les 13 députés arabes ou d’extrême gauche (La Liste unifiée). Cette initiative visait à éviter la formation d’un gouvernement minoritaire autour de Benny Gantz avec le soutien du parti d’Avigdor Liberman et toléré par les partis arabes.

Le 17 octobre 2019, Benyamin Netanyahou a proposé à Benny Gantz un nouveau cadre pour la formation d’un gouvernement d’union nationale : « Ce gouvernement s’appuiera sur un large consensus national pour lui permettre de relever les défis pressants en matière de sécurité et d’économie qui se posent autour de nous. Toutes les parties devront faire des concessions pour parvenir à un consensus. ».

Benyamin Netanyahou s’est adressé à son rival Benny Gantz ainsi : « Je lui ai présenté un compromis en vue de la mise en place d’un vaste gouvernement d’union nationale. C’est le seul gouvernement qui peut être formé maintenant, c’est le seul gouvernement qui doit être formé maintenant. (…) Tous les citoyens d’Israël regardent autour de nous et voient un Moyen-Orient qui se dégrade sous nos yeux. Les experts savent que les problèmes de sécurité se multiplient et qu’ils ne nous attendent pas. C’est pourquoi j’appelle Gantz à faire preuve de responsabilité nationale et à entamer immédiatement des négociations avec moi afin de former le gouvernement dont l’État d’Israël a cruellement besoin. ». Benyamin Netanyahou voulait notamment que Benny Gantz et lui-même publiassent une réaction commune au plan du Président Donald Trump.

Mais le chef de Bleu-Blanc a immédiatement refusé cette nouvelle offre et même de la discuter : « J’ai une offre que je ne peux pas refuser. Nous attendons jusqu’à ce que nous recevions le mandat du Président, puis nous entamerons des négociations sérieuses en vue de former un gouvernement d’union libérale qui apportera un changement et redonnera de l’espoir aux citoyens d’Israël. » (Benny Gantz, Twitter le 17 octobre 2019).

Effectivement, le mandat qu’a reçu Benyamin Netanyahou du Président Reuven Rivlin se termine le mercredi 23 octobre 2019 à minuit, et le Président devrait ensuite le transmettre à Benny Gantz pour trouver une autre issue à la crise actuelle, et cela pour une durée encore de vingt-huit jours. En cas encore d’échec, un député aura encore vingt et un jours, entre le 21 novembre 2019 et le 12 décembre 2019, pour trouver au moins 61 députés prêts à le soutenir. En cas d’échec, de nouvelles élections législatives devront être alors organisées (voulues semble-t-il par Bleu-Blanc).

Le 24 octobre 2019, Reuven Rivlin pourrait, en théorie, accorder quatorze jours supplémentaires à Benyamin Netanyahou, mais c’est fort peu probable dans la situation actuelle d’obstruction voulue par Bleu-Blanc et son refus ferme de négocier avec lui (d’ailleurs, ce dimanche 20 octobre 2019, Benyamin Netanyahou a fait annoncer par un proche qu’il ne demanderait pas la prolongation de ce mandat).

Toujours combatif, Benyamin Netanyahou a averti son rival que si ce dernier était à la tête d’un gouvernement sans le Likoud, lui-même ne se retirerait pas de la vie politique et serait le chef de l’opposition.

Le 18 octobre 2019, il a même dénoncé Avigdor Liberman et Yaïr Lepid à la manœuvre, "prenant en otage" Benny Gantz et mis en garde contre un gouvernement minoritaire de Bleu-Blanc soutenu implicitement par "La Liste unifiée" (coalition des 13 députés regroupant les partis arabes et l’extrême gauche), dont il a accusé les dirigeants de soutenir le terrorisme palestinien et le Hezbollah : « La formation d’un gouvernement minoritaire qui s’appuierait sur La Liste unifiée serait un acte antisioniste qui mettrait en danger notre sécurité. ».

Ancien Ministre de l’Économie du 18 mars 2013 au 14 mai 2015 et ancien Ministre de l’Éducation du 14 mai 2015 au 2 juin 2019, Naftali Bennett a déclaré le 20 octobre 2019 : « Regardez, Netanyahu n’est pas parfait. Mais il était un très bon Premier Ministre pour l’État d’Israël et sa sécurité. Depuis qu’il est entré en politique, il a marqué l’histoire. Les médias de gauche, le monde universitaire, la culture et la justice l’ont transformé en symbole du mal absolu. (…) Si Netanyahu avait annoncé la création d’un État palestinien ou la cession massive de territoires aux Palestiniens, comme Sharon l’avait fait de son vivant sous la pression des médias, la justice interromprait les poursuites contre lui. (…) Il fait de la politique non pas pour les honneurs ni pour l’argent, mais pour prendre soin de la qualité de vivre en Israël, jour et nuit. (…) Ils ne poursuivent pas Netanyahu, mais tout le camp de droite. ».

Pour Benyamin Netanyahou, une véritable course de vitesse s’annonce entre la formation du trente-cinquième gouvernement d’Israël et le cours normal de la justice israélienne. Ce qui est probable, c’est la désignation prochaine (dans quelques jours) de Benny Gantz pour former ce gouvernement, et tout aussi probablement, son échec dans cette mission et, moins certainement, le retrait de Benyamin Netanyahou qui débloquerait les obstacles à la constitution d’une grande coalition entre le Likoud et Bleu-Blanc.

Pour l’heure, Benyamin Netanyahou reste toujours le Premier Ministre d’Israël, et à ce titre, il a rencontré Mike Pompeo, le Ministre américain des Affaires étrangères, à Jérusalem ce vendredi 18 octobre 2019 au sujet de la Syrie et des raids de la Turquie contre la population kurde et de l’influence iranienne dans la région…

Israël, Belgique, Italie, Allemagne, Espagne, Autriche… beaucoup de pays sont aujourd’hui victimes, en raison de l’émiettement de leur classe politique, du scrutin proportionnel qui provoque des crises politiques plus ou moins résolues selon la stature des acteurs du moment. Cela n’empêche pas forcément la stabilité gouvernementale, mais cela plonge les parlements respectifs dans des querelles byzantines dont l’intérêt des citoyens est rarement pris en compte. Et Israël a sans doute le régime politique le plus byzantin des démocraties modernes. Byzantin pour Israël, c’est paradoxal !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 octobre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Benyamin Netanyahou a 70 ans.
Les élections législatives israéliennes du 17 septembre 2019.
Poisons et délices de la proportionnelle.
Les enjeux des élections législatives israéliennes du 9 avril 2019.
Golda Meir.
La lutte contre l’antisémitisme est l’affaire de tous !
Les Accords de Camp David.
La naissance de l’État d’Israël.
Massacre à Gaza.
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
Tentative de paix en 1996.
Un géant à Jérusalem.
Shimon Peres.
Israël est une démocratie.
Yitzhak Rabin.
Le Président Peres.
Ariel Sharon.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
Yasser Arafat.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20191021-netanyahou.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/benyamin-netanyahou-70-ans-dont-13-218728

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/10/18/37723241.html





 

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30 septembre 2019 1 30 /09 /septembre /2019 03:27

« Chaque fois que l’homme, dans l’histoire de l’humanité, s’est pris pour Dieu ou s’en est proclamé le porte-parole, ce fut la catastrophe. Rien n’a changé au cours des siècles. » (Antoine Sfeir, 2013). Première partie.


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Il y a un an, le 1er octobre 2018, le politologue franco-libanais Antoine Sfeir est mort à Paris, après de douloureux moments d’une maladie hélas trop répandue, quelques semaines avant son 70e anniversaire (né le 25 novembre 1948 à Beyrouth dans une famille maronite, c’est-à-dire chrétienne). Spécialiste du Proche et Moyen-Orient, Antoine Sfeir était connu en France pour avoir participé à de nombreuses émissions télévisées de décryptage de l’actualité (en particulier "C dans l’air" d’Yves Calvi sur France 5).

Il a vécu une très malheureuse expérience, le 13 juin 1976, alors qu’il était jeune journaliste de 27 ans, il fut enlevé par des miliciens terroristes palestiniens (du FPLP) et pendant une semaine, il fut torturé. Il n’a jamais su pourquoi ni comment il en a réchappé, mais il a vite décidé de quitter le Liban et s’exiler en France quelques mois plus tard : « Cet événement a renforcé chez moi le refus de l’émotion dans le métier. J’ai appris aussi une chose après ça, c’est que j’avais envie de transmettre, et cela ne s’est jamais arrêté. J’étais déterminé et j’ai eu la chance de retravailler très vite dans le journalisme. Un métier dont on ne se lasse pas et où on apprend tous les jours. On est à la fois étudiant et transmetteur. ». Transmetteur, c’est en effet le bon mot le concernant.

Son corps a gardé des séquelles de cette semaine de l’horreur, tout comme sa bouche a gardé des stigmates de la poliomyélite dont il fut atteint bébé (à ce sujet, voici une évolution extrêmement positive des progrès de la santé dans le monde : en 1988, 350 000 cas de poliomyélite, et en 2017, seulement 22 cas ! Ce fut la conséquence de la décision de l’OMS en mai 1988 d’éradiquer totalement cette maladie grâce au salutaire vaccin).

Au-delà de son métier de journaliste et de politologue, ainsi que d’essayiste (il a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages), il fut appelé régulièrement par le gouvernement ou les parlementaires pour l’expertise sur l’islam qu’il a développée tout au long de sa carrière. J’y reviendrai peut-être dans un article ultérieur.

Entre septembre 2014 et sa disparition, il fut également, après Edgar Faure et Raymond Barre, le président de l’Institut libre d’étude des relations internationales (école supérieure spécialisée dans les relations internationales, créée en 1948 par René Cassin et présidée depuis février 2019 par Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert-Schuman). Son credo pour les étudiants était assez simple mais ambitieux : « comprendre le monde pour s’engager et le changer ».

C’est en effet essentiel de d’abord comprendre le monde avant de nourrir toute volonté de le modifier. Plus qu’un hommage, je propose donc ici un petit compte-rendu de son dernier livre que je considère comme non seulement excellent, mais d’une terrible actualité, et donc, nécessaire (Renaud Girard, dans "Le Figaro", le considérait d’ailleurs comme « un livre que tout honnête homme attiré par l’Orient devrait avoir dans sa bibliothèque »).

Son titre est sans ambiguïté : "L’islam contre l’islam, l’interminable guerre des sunnites et des chiites" (éd. Grasset). C’est un petit livre, il ne contient même pas 200 pages, mais elles sont très denses. Le sujet est très complexe et pour l’approfondir, il aurait sans doute fallu plusieurs dizaines de tomes de mille pages, ce qui illustre ainsi les grandes qualités de synthèse et de pédagogie d’Antoine Sfeir.

Ce livre démarre assez brutalement : « Chaque fois que l’homme s’est senti supérieur à un autre, cela a abouti à une tragédie ; chaque fois qu’un clan, une tribu a convoité les biens et les richesses d’un autre clan ou d’une autre tribu, cela a fini par un massacre. Chaque fois que la force s’est exprimée, elle l’a fait au détriment de l’individu, des peuples, et du droit ; mais chaque fois que le droit a voulu s’imposer, il s’est montré impuissant face à la force. Chaque fois que l’homme, dans l’histoire de l’humanité, s’est pris pour Dieu ou s’en est proclamé le porte-parole, ce fut la catastrophe. Rien n’a changé au cours des siècles. ».

Depuis 1979 (révolution iranienne et invasion soviétique en Afghanistan), depuis 2001 (attentats du 11 septembre), depuis 2003 (guerre en Irak), depuis 2011 (Printemps arabe) et depuis 2014 (apparition de Daech), le monde d’après-guerre, structuré par la guerre froide de nature idéologique (libéralisme contre communisme) a évolué progressivement dans une guerre d’une autre nature, plus religieuse, plus irrationnelle, moins politique, moins "facile à comprendre", dont les prémices étaient observables dès la création de l’État d’Israël en 1948. Les attaques des puits de pétrole saoudiens par des minorités chiites qui ont eu lieu le 14 septembre 2019 constituent l’un des derniers épisodes de cette histoire si mouvementée de l’islam.

À la lecture de ce petit livre, il ressort (très banalement) que rien n’est simple. Et surtout pas les schémas un peu trop simplistes (que George W. Bush Jr a renforcés en parlant d’axe du mal), le manichéisme ne peut pas vraiment être pertinent dans un monde si complexe, si subtil qu’est le monde musulman.

Le seul reproche qu’on pourrait faire à cet essai, c’est qu’il est un peu trop ancien déjà, sorti en 2012, et donc, il manque des événements récents essentiels, comme l’essor de Daech dans le terrorisme islamiste, l’accord entre les États-Unis et l’Iran sous Barack Obama, puis, l’arrivée de Donald Trump et la remise en cause de cet accord, enfin, la guerre civile au Yémen, et la menace pour l’Arabie Saoudite. On peut aussi rajouter le retour à l’ordre militaire en Égypte (Antoine Sfeir en était alors à l’élection de Mohamed Morsi à la tête de l’Égypte) et le changement fondamental de paradigme avec la production américaine du gaz de schiste qui bouleverse complètement la géopolitique pétrolière.

Il est commun de dire que les relations des pays musulmans sont régies par la rivalité voire la détestation entre les chiites et les sunnites, la haine est pire entre eux qu’envers les chrétiens. Mais en disant cela, on ne dit rien, rien pour comprendre la situation géopolitique actuelle, car c’est beaucoup plus subtil et complexe que cela. C’est là tout l’effort pédagogique d’Antoine Sfeir, celui de transmetteur, d’essayer de présenter cette complexité à la fois succinctement et rigoureusement. En ce sens, il était un excellent vulgarisateur.

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À cause de la révolution islamique en Iran, seul État que les chiites dirigent seuls, on a pu croire que les chiites étaient les plus cruels, au sens des droits humains, et puis, l’arrivée d’Al Qaida, dès 1993, puis de Daech en 2014, a montré que la cruauté des sunnites n’avaient rien à envier à celle des chiites. Du reste, l’Arabie Saoudite, sunnite, l’avait déjà montré bien plus tôt. L’hypocrisie a voulu mélanger l’intérêt stratégique des alliances et la protection des droits humains… seulement quand cela arrangeait.

Si je devais faire une comparaison très osée et beaucoup trop grossière, ce que ne fait pas explicitement Antoine Sfeir, je serais tenté de mettre en parallèle les chiites avec les catholiques (plus particulièrement les jésuites) et les sunnites avec les protestants. Avec un schisme qui n’est pas survenu quelque 1 500 années après la mort du prophète, comme avec Luther et Calvin pour les chrétiens, mais seulement quelques années après la mort de Mahomet, ce qui renforce cette haine mutuelle car jamais, dans l’histoire de l’islam, et dès la mort de Mahomet, futurs chiites et futurs sunnites n’ont été alliés ou amis, n’ont vécu ensemble, unis et confiants.

Cette complexité, loin d’angoisser, devrait au contraire donner de l’espoir : les stratégies diplomatiques peuvent en effet avoir un jour de l’effet. Ce n’est pas une lutte religieuse manichéenne qui aurait pour conclusion soit la victoire définitive de l’islam sur le christianisme et l’athéisme, soit sa défaite définitive et "l’éradication" de l’islam. Dans ce monde mouvant qui nécessite probablement plus de finesse et d’intelligence qu’auparavant, tout reste possible, et pas forcément le pire.

Dans son livre, Antoine Sfeir ne laisse pas apparaître cet espoir, il donne seulement des éléments historiques, théologiques, politiques sur l’islam. Il se livre à l’explication des faits et ne semble pas proposer ses impressions pour l’avenir, rose ou noir, voire vert ou brun, ou les deux, vert et brun. Dans un premier temps, il explique l’origine de cette différence entre les branches principales de l’islam, sunnites et chiites (en sachant qu’il existe de nombreuses ramifications, notamment chez les chiites, comme les druzes par exemple au Liban). Puis, après un saut de plus d’un millénaire, il présente la situation géopolitique plus récente et fait une analyse de chaque (grand) pays musulman.

Restons dans le parallèle simpliste que je me suis fait. Chaque analogie n’est pas équivalente à la suivante. Par exemple, on pourrait considérer que les chiites sont "de gauche" tandis que les sunnites sont "de droite". En disant cela (ce qui est déjà très osé et trop généralisant), je ne veux pas pour autant dire que les catholiques sont "de gauche" et les protestants "de droite" (d’autant plus que le libéralisme, véhiculé plutôt par le protestantisme, est loin d’être une valeur philosophique "de droite", elle serait plutôt "de gauche" même si en France, on le considère autrement). Ce sont juste des "pseudo-clivages" pour aider à comprendre, avec le risque de penser qu'il faudrait choisir uniquement entre chiistes et sunnites...

Les chiites seraient plutôt des jésuites en ce sens qu’ils sont plus théologiques que politiques. Ils considèrent qu’il faut étudier l’islam, les textes, le Coran, donner des interprétations qui peuvent évoluer au fil du temps, ce sont des chercheurs, ils ont développé beaucoup de sciences et de savoirs, tandis que les sunnites, qui sont avant tout politiques, donc, plongés dans l’islam politique, ils considèrent que les premiers textes sacrés suffisent à leur foi et qu’il n’est pas question d’en dire plus.

Le clivage est donc surtout religion (chiite) vs politique (sunnite). Il pourrait être aussi monarchie, dynastie, vs république populiste, dictature militaire. Je m’explique. L’origine du différend entre chiites et sunnites remonte à la mort de Mahomet, en juin 632. Ce dernier n’avait pas de fils ayant survécu mais plusieurs filles. Ali ibn Abi Talib (Ali), son cousin, a épousé sa fille Fatima Zahra (604-632). Mahomet n’avait donné aucune consigne pour sa succession. Son gendre et confident, Ali (600-661), logiquement, aurait dû succéder à Mahomet, mais il considérait que l’élément majeur était l’unité des musulmans, et refusait donc de déclencher une guerre civile pour s’accaparer de l’empire mahométan.

Face à lui, des notables influents et militairement puissants de La Mecque ont pris le pouvoir. Mahomet avait fui La Mecque vers Médine pour justement s’en éloigner (ce fut l’Hégire, en 622, le calendrier musulman débute le 16 juillet 622).

Les trois premiers successeurs de Mahomet furent les trois premiers califes, avec un rôle plus politique que religieux : Abou Bakr As-Siddiq (573-634), Omar ibn Al-Khattab (584-644), qui fut assassiné, et Othman ibn Affan (579-656). Abou Bakr, père de Aïcha (614-678), l’épouse préférée de Mahomet, considérait qu’Ali, à 32 ans, était trop jeune et inexpérimenté pour succéder à son gendre. Il "vola" donc son pouvoir.

Après l’assassinat d’Othman, Ali est devenu le quatrième calife et est considéré comme le "premier imam" pour les chiites. Il fut contesté par le très puissant gouverneur de Syrie Mo’awiya (602-680) nommé par Othman. Ali réussit à s’imposer militairement contre ses adversaires dirigés par Aïcha. Après une bataille contre Mo’awiya et un arbitrage le défavorisant, Ali se replia en Irak (à Koufa) tandis que ses adversaires agrandirent leur zone d’influence vers Arabie et l’Égypte.

Ali fut assassiné à Koufa en 661 par certains de ses partisans (les kharidjites) qui s’opposaient à cet arbitrage défavorable (il fut enterré à Najaf), permettant à Mo’awiya de s’emparer du califat et de créer sa dynastie (les Omeyyades).

Hassan (624-670), le premier fils d’Ali, succéda à son père comme "deuxième imam", puis, à la mort de ce dernier, le deuxième fils d’Ali, Hussein (626-680) lui succéda comme "troisième imam". Lors de la bataille de Karbala, le 10 octobre 680, Hussein, petit-fils de Mahomet, fut très cruellement assassiné par Yazid (645-683), le fils de Mo’awya qui lui avait succédé comme calife à la mort de ce dernier.

Cette mort atroce fut le point de départ du rite de l’Achoura qui a pris la même importance que la Passion du Christ dans la liturgie chrétienne. Neuf autres imams se succédèrent après Hussein, jusqu’au douzième imam, Mohammed Al-Mahdi, qui est mort en 874 à l’âge de cinq ans. En fait, officiellement, il ne serait pas mort mais "occulté" et il est considéré seulement comme "caché" et il devrait revenir dans les siècles à venir. Là encore, cette idée du retour du douzième imam reprend celle du retour du Messie sur Terre.

Pour résumer, les chiites sont les partisans d’Ali et de ses successeurs, tandis que les sunnites sont les partisans des califes et des Omeyyades. Les premiers sont donc plus focalisés sur la religion, l’islam (avec un clergé très hiérarchisé, comme chez les catholiques), et les seconds sur la chose politique, le pouvoir politique et militaire (sans aucune autorité religieuse structurée, comme chez les protestants).

Les chiites sont eux-mêmes très divisés, car beaucoup de "sectes" ont été créées au cours des douze premiers imams, les zaydites après le quatrième imam, les ismaéliens après le sixième imam (donnant la dynastie des Fatimides et d’où sont originaires les druzes), ainsi que les alaouites après le onzième imam. La grande majorité des chiites sont cependant duodécimains, c’est-à-dire qu’ils croient à la succession des douze premiers imams, dont le douzième est "occulté" et censé revenir un jour sur Terre.

Les chiites sont minoritaires dans le monde musulman, ils représentent environ 9% des musulmans en tout, soit environ 140 millions de personnes. Ils ne sont majoritaires que dans très peu de pays comme l’Iran, l’Azerbaïdjan et Bahreïn, tandis qu’ils représentent souvent des minorités socialement opprimées. C’est pour cela qu’on pourrait aussi faire du clivage gauche vs droite avec des chiites qui sont la classe défavorisée et les sunnites les dirigeants économiques et politiques de la plupart des pays musulmans (à quelques exceptions près).

Comme on le voit, les chiites et les sunnites ont toujours été en guerre les uns contre les autres, et cela depuis la mort de Mahomet. Dans la prochaine partie, j’arriverai à l’époque contemporaine et ferai part de certaines observations très pertinentes et éclairantes d’Antoine Sfeir qui confirment l’extrême complexité du monde musulman.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 septembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Antoine Sfeir.
Michel Aoun.
Énième attentat islamiste.
Que faire des djihadistes français de retour de Syrie ?
Terrorisme = islamisme ?
Vous avez dit amalgame ?
Daech.
Ben Laden.
Arafat.
Incompréhensions américaines.
Nouveau monde.
Attentats du 11 septembre 2001.
Printemps arabe.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20191001-antoine-sfeir.html

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/l-islam-pour-les-nuls-ou-la-218222

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/09/25/37663005.html





 

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