« L’homme libre est celui qui n’a pas peur d’aller jusqu’au bout de sa pensée. » (Léon Blum).
On pouvait le craindre depuis son hospitalisation le 13 septembre 2016 au cours de laquelle il luttait entre la vie et la mort à la suite d’un grave accident vasculaire cérébral. Shimon Peres est mort à 93 ans ce matin du 28 septembre 2016 à Tel-Aviv.
Cela me fait beaucoup de peine car non seulement il était le dernier dirigeant de la génération historique des fondateurs de l’État d’Israël, c’est la course naturelle du temps qui l’impose, mais il était aussi l’un des derniers sages d’Israël, l’un de ceux qui ont toujours milité, même dans les moments les plus difficiles, en faveur de la paix entre Israéliens et Palestiniens.
Pourtant, s’il était un géant moralement (une autorité morale incontestable reconnue mondialement), il a toujours été un nain politiquement, dans son pays, et malgré une carrière politique plus qu’éblouissante, il n’a jamais été vraiment aimé des électeurs israéliens.
Effectivement, il n’a jamais été élu Premier Ministre sur son nom propre. Les trois périodes où il a été Premier Ministre, ce furent souvent par hasard ou à moitié. Il n’a jamais conduit son parti (travailliste) à une victoire des urnes.
Chef de plusieurs gouvernements …par hasard
Shimon Peres est devenu Premier Ministre du 22 avril 1977 au 21 juin 1977 pour assurer l’intérim après la démission de son prédécesseur Yitzhak Rabin, touché par deux scandales, mais il perdit les élections législatives du 17 mai 1977 en n’obtenant que 32 sièges sur 120 (24,6% des votes) face à son adversaire du Likoud, Menahem Begin, 43 sièges (33,4%).
Quand il est redevenu Premier Ministre du 13 septembre 1984 au 20 octobre 1986, c’était après un résultat mitigé aux élections législatives du 23 juillet 1984, qui a abouti à une grande coalition (comme actuellement en Allemagne) entre les travaillistes et le Likoud, une direction du gouvernement tournante qu’il a dû partager avec son adversaire d’alors, Yitzhak Shamir. En tête avec 44 sièges sur 120 (et 34,9% des votes), il n’avait pas réussi à rassembler une majorité et a dû gouverner avec Yitzhak Shamir et ses 41 sièges (31,9%).
Enfin, la troisième fois qu’il est redevenu Premier Ministre, ce fut du 4 novembre 1995 au 17 juin 1996, juste après le tragique assassinat de son prédécesseur (à nouveau) Yitzhak Rabin, et il a encore échoué aux élections législatives du 29 mai 1996. Certes, il était, là aussi, arrivé en tête avec 34 sièges sur 120 (et 26,8% des votes) mais incapable de construire une majorité au contraire de son concurrent du Likoud, Benyamin Netanyahou et ses 32 sièges (25,1%) qui accéda ainsi pour la première fois au poste de Premier Ministre (il l’est aussi actuellement).
Comme on le voit, la vie politique israélienne est assez difficile à comprendre car le paysage politique est composé d’une mosaïque de petits partis politiques et le scrutin proportionnel empêche les majorités claires, si bien que les gouvernements sont souvent tributaires de petits partis extrémistes ou fondamentalistes qui sont en général très rarement favorables à une paix durable.
Une carrière politique très dense
Né le 2 août 1923 en Pologne dans une région qui fait désormais partie de la Biélorussie, Shimon Peres a suivi sa famille en 1933 à Tel-Aviv. Il participa à l’armée israélienne en 1947 avant de travailler pour le Ministère de la Défense en 1953. Acteur de la diplomatie militaire des premières années de l’État d’Israël, il initia une coopération avec la France à l’époque du gouvernement de Guy Mollet.
Shimon Peres a toujours aimé la France et les Français et s’est rendu très souvent, au cours de sa longue existence, en France, qui le lui a bien rendu ; souvent, les journalistes français ne comprenaient pas les échecs électoraux de celui qu’ils considéraient comme le plus sage des personnalités politiques israéliennes.
L’engagement politique de Shimon Peres peut être daté du 3 novembre 1959 quand il fut élu pour la première fois député à la Knesset dans le sillage du Premier Ministre travailliste David Ben Gourion. À partir de ce moment-là, le 21 décembre 1959, a commencé une très longue carrière ministérielle qui s’est achevée le 4 juillet 2007, démissionnaire en raison d’un autre honneur. Il serait un peu fastidieux de citer tous ses postes. On peut citer l’Immigration, les Communications, les Transports, l’Information, la Défense, les Affaires religieuses, l’Intérieur, les Affaires étrangères, les Finances, la Coopération régionale, et le Développement économique régional.
Il fut par ailleurs chef du Parti travailliste de 1977 à 1992, de 1995 à 1997 et de 2003 à 2005. Au-delà de ses fonctions de Premier Ministre, il fut souvent Vice-Premier Ministre (cumulant avec un portefeuille) : du 20 octobre 1986 au 15 mars 1990, du 7 mars 2001 au 2 novembre 2002, du 10 janvier 2005 au 23 novembre 2005 et du 4 mai 2006 au 4 juillet 2007. On ne pourrait pas dire que Shimon Peres ne fût pas gourmand de ces responsabilités ministérielles, au point d’accepter certaines coalitions contre nature (avec le Likoud notamment).
La paix comme refrain personnel
Deux faits politiques majeurs furent à son actif.
D’une part, il contribua de façon déterminante, comme Ministre des Affaires étrangères, aux négociations qui ont débouché sur les Accords d’Oslo dont la déclaration de principe fut signée le 13 septembre 1993. Ce furent des accords pour installer une paix durable entre Israéliens et Palestiniens (bien oubliés aujourd’hui). Shimon Peres ne fut pas sur la photo de la poignée de main historique entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat sous le regard du Président américain Bill Clinton, mais son rôle décisif fut reconnu ; il fut récompensé symboliquement, avec Rabin et Arafat, par l’attribution du Prix Nobel de la Paix en octobre 1994.
D’autre part, après avoir été battu le 9 novembre 2005 par Amir Peretz à la tête du Parti travailliste, il accepta un bouleversement du paysage politique avec son ancien adversaire du Likoud, le Premier Ministre Ariel Sharon, pour créer un nouveau parti dit centriste, Kadima, et proposer une paix unilatérale avec les Palestiniens, dans la perspective d’élections législatives anticipées prévues le 28 mars 2006.
L’hospitalisation (définitive) d’Ariel Sharon, alors Premier Ministre, le 4 janvier 2006, à la suite d’une seconde hémorragie cérébrale (la première avait eu lieu le 18 décembre 2005) aurait dû, en toute logique, conduire Shimon Peres, numéro deux de Kadima, à redevenir Premier Ministre (toujours par hasard). Il avait alors 82 ans et a déclaré renoncer à cette fonction le 9 janvier 2006, laissant la voie à Ehud Olmert.
Au sommet de l’État d’Israël
La boulimie de postes politiques a pu aussi s’observer lorsque Shimon Peres a été candidat à l’élection présidentielle israélienne du 31 juillet 2000. Il n’a recueilli que 57 voix sur 120 contre 63 en faveur de son adversaire du Likoud Moshe Katsav qui, à la suite d’un scandale sexuel, a dû démissionner de son poste présidentiel quelques semaines avant la fin de son mandat, laissant une image ternie de la fonction.
Shimon Peres se représenta à l’élection présidentielle du 13 juin 2007 et fut, cette fois-ci, élu au second tour par 86 voix favorables sur 120, après un premier tour où il avait obtenu 58 voix sur 120 contre 37 en faveur de son adversaire du Likoud Reuven Rivlin.
Ainsi, Shimon Peres, seul ancien Premier Ministre dans cette fonction, fut Président de l’État d’Israël du 15 juillet 2007 au 24 juillet 2014, un poste honorifique. Il avait presque 91 ans à la fin de son mandat. Son successeur, élu le 10 juin 2014, fut son ancien concurrent, Reuven Rivlin.
Plus qu’un homme politique israélien, marqué principalement par des échecs électoraux, Shimon Peres restera surtout un symbole d’une paix difficile à se frayer dans un monde qui voudrait toujours rester belliqueux. Hommage lui soit rendu.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 septembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Shimon Peres.
Israël est une démocratie.
Yitzhak Rabin.
Le Président Peres.
Ariel Sharon.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
Yasser Arafat.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160928-shimon-peres.html
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/shimon-peres-l-un-des-derniers-185048
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/09/28/34375467.html
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