Des convictions solides et de l’intelligence relationnelle éprouvée sont les constituants de base d’un homme d’État. Mais ils sont loin d’être suffisants. Deuxième partie.
Après avoir fait des distinctions entre les différentes ambitions politiques dans mon premier article, voici un autre repère.
Héritiers versus conquérants
Je complèterai en effet le schéma par cet autre axe qui est le clivage entre les héritiers et les conquérants.
Par héritiers, je ne parle pas seulement ceux issus de grandes familles politiques comme les Debré, Bosson, Méhaignerie, Baudis, Cochet, Raffarin, Idrac, Joxe, De Villepin etc. mais aussi ceux qui ont été ‘chouchoutés’, aidés, placés, installés dans des situations confortables, comme François Baroin, Édouard Balladur, Raymond Barre, Dominique De Villepin (aussi), Martine Aubry (placée par François Mitterrand au gouvernement puis par Pierre Mauroy à Lille, et fille de Jacques Delors), etc. Cependant, il faut bien les distinguer, car certains, malgré une aide initiale, ont pris de gros risques, ont fait des conquêtes, comme Jean-Louis Debré, Pierre Joxe, Jean-Pierre Raffarin etc. Il ne faut pas croire que les héritiers n’ont aucun mérite, car s’ils restent à leur niveau de responsabilités, c’est qu’ils le méritent, c’est qu’ils ont montré leur compétence (reconnue par les électeurs le plus souvent).
Par conquérants, je parle de ceux qui vont conquérir par eux-mêmes leurs mandats. Ils sont souvent les outsiders, ont peu d’aide extérieure, mais montrent une volonté de fer. On peut citer François Bayrou, Alain Carignon (qui a conquis la mairie de Grenoble à 33 ans à un maire reconnu de tous depuis dix-huit ans), Jean-Christophe Lagarde dont le travail de terrain pendant une vingtaine d’années lui a apporté la mairie de Drancy et une circonscription législative, toutes les deux confirmées une nouvelle fois (autrefois détenues par les communistes pendant un demi-siècle), etc. À la différence des héritiers, les conquérants sont totalement responsables de leur réussite électorale ou politique. Ils n’en ont que plus de mérite, mais aussi plus d’ego.
Les ‘animaux politiques’
Mais revenons à l’ambitieux du troisième type. Il est en quelque sorte l’Obélix de la politique. Il est tombé petit dans la potion politique et il ne pense qu’à ça. Dès le début de l’existence. Toutes les décisions qu’ils auront à prendre (études, vie professionnelle, relations amicales voire… relations affectives, mariage etc.) ne seront que des moyens pour atteindre leur but ultime… leur désignation au plus haut niveau.
Nous pouvons évidemment en citer un grand nombre. Les plus connus : Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Ils ont ‘réussi’, eux. Mais il y a aussi François Bayrou, François Fillon, Laurent Fabius, Jean-François Copé, Julien Dray, etc.
Quant à Xavier Bertrand, il fait partie de ceux qui restent encore discrets tout en nourrissant une très forte ambition (au grand dam de François Fillon et de Jean-François Copé).
Regard vers les huit dernières élections présidentielles
Maintenant, reprenons les différentes élections présidentielles au scrutin universel direct de la Ve République.
Je ne vais porter attention qu’aux grands candidats dont la candidature n’était pas de témoignage. Pour cette raison, j’exclus les candidats de partis non gouvernementaux, c’est-à-dire qui n’étaient pas en situation de vouloir gagner, mais seulement de vouloir peser, à savoir : Jacques Duclos, Georges Marchais et Jean-Marie Le Pen (qui a pourtant atteint un second tour). Et j’exclus donc aussi tous les candidats qui ont recueilli moins de 10% des suffrages exprimés.
Tous les candidats dont je vais parler sont évidemment dotés de grandes ambitions personnelles et d’un ego fort développé. Sans cela, pas de campagne électorale. Peut-être est-ce ce qui a manqué à Pierre Mendès France et Jacques Delors ?
Qui restent-ils alors ?
En décembre 1965, Charles De Gaulle, François Mitterrand et Jean Lecanuet se disputèrent les suffrages. L’élection est exceptionnelle : la première du genre depuis 1848 et l’élection Louis Napoléon Bonaparte (futur Napoléon III), et en présence d’un homme d’État historique, fondateur de la Résistance en 1940. De Gaulle partait donc avec une avance, mais a dû quand même essuyer un ballottage. Avec ses dents blanches, Jean Lecanuet jouait à Kennedy tandis que Mitterrand réussissait déjà à réunir la gauche dans un combat perdu d’avance.
En juin 1969, c’est l’élection de la succession, dans un duel entre Georges Pompidou et Alain Poher (j’ai exclus Jacques Duclos, seul rescapé d’une gauche sinistrée représentée par les candidatures de Gaston Defferre et Michel Rocard). Ni Pompidou ni Poher n’étaient prédestinés à devenir candidats à l’élection présidentielle. Pompidou était un héritier, collaborateur puis Premier Ministre de De Gaulle et devenu, par la force des choses, son héritier politique (héritage d’ailleurs disputé avec Michel Debré). En face de lui, un sénateur tranquille, qui venait d’être élu au plateau (Présidence du Sénat) en 1968, et qui, par effraction, devint le principal opposant à De Gaulle lors du référendum sur la réforme du Sénat et la participation. Poher n’était pas du tout préparé à cette candidature, alors que Pompidou ruminait son éviction de juillet 1968 et laissait entendre à ses amis ses intentions.
En mai 1974, à la suite de la mort de Pompidou, trois candidats bataillaient ferme : Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, et Jacques Chaban-Delmas. Giscard d’Estaing avait une ambition présidentielle dès 1967 et avait même encouragé Pinay à se présenter en 1969 pour lui garder la place. L’ambition innée de Mitterrand n’est plus à rappeler, son ascension multi-ministérielle sous la IVe République ayant été stoppée par mai 1958 (il comptait devenir rapidement Président du Conseil, poste le plus élevé). Enfin, la candidature de Chaban-Delmas est un peu spéciale : très ambitieux, au perchoir pendant les années De Gaulle, Premier Ministre de la Nouvelle Société sous Pompidou, il montrait une énergique ambition tant pour lui que pour le pays.
En avril 1981, ce sont trois Présidents de la République, sortant ou futurs, qui s’affrontèrent avec leur ambition en bandoulière : Giscard d’Estaing, Mitterrand et Chirac (j’exclus Marchais présent uniquement pour compter les voix communistes et faire pression sur Mitterrand).
En avril 1988, Raymond Barre s’invita dans le jeu de la cohabitation entre Chirac et Mitterrand. Raymond Barre fut-il un ambitieux ? Sans doute, mais par effraction. Haut dans les sondages depuis l’arrivée de la gauche, reconnu pour ses compétences et sa modération, Raymond Barre n’avait envisagé sa candidature que vers 1983, au moment où il évoquait une éventuelle cohabitation qu’il contesterait. En 1981, Barre s’était loyalement effacé au profit de Giscard d’Estaing. Il s’est tout aussi loyalement effacé au profit de Chirac en mai 1988.
Dans le dernier article, je continuerai avec les trois dernières élections présidentielles et évoquerai les constantes et la prochaine de 2012.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 juillet 2008)
Pour aller plus loin :
Les grands candidats à l’élection présidentielle.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=42615
http://www.lepost.fr/article/2008/07/31/1234255_les-plus-ambitieux-doivent-ils-toujours-gagner-2-3.html