(dépêche-blog)
Retour sur un vieil article de mai 2008.
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La constitution molle
By Thomas Favre-Bulle • May 5th, 2008 • Category: A la une, Articles, Tous
Après le passage ravageur et remarqué de la commission dite Balladur, dont la traine éblouira nos parlementaires avant l’été, la constitution de la Vème République devra donc subir les honneurs de la commission Veil, ainsi en a décidé Nicolas Sarkozy, qui a annoncé son institution le 8 janvier dernier et en a précisé la composition le 8 avril. Que de monde aux jupons d’une constitution que l’on a souvent dit inadaptée et dépassée.
La commission Balladur se donnait pour mission de toucher à la mécanique juridique déployée dans le texte et réglant le ballet des institutions, ce qui soulève d’ailleurs des questions d’ordre moins mécanique, notamment sur la manière dont ce que l’on qualifie de technique juridique, relève plus de l’orientation politique que de pures logiques techniciennes. Cette commission qui proposait donc une toilette d’envergure des rouages institutionnels a renoncé à toucher au préambule, une opération jugée périlleuse et consommatrice d’un temps précieux.
Derrière l’effet d’annonce de la volonté par le Président de la République de vouloir intégrer dans le bloc de constitutionnalité de nouveaux droits fondamentaux, il nous faut en étudier les implications concrètes sur les mécanismes et les jeux de pouvoirs mis en œuvre par le concept de constitutionnalité, de sa maîtrise et de ses garanties. Par sa décision du 16 Juillet 1971, dite Liberté d’Association, le Conseil Constitutionnel, pensé à l’origine comme un outils politique permettant de garder un certain contrôle sur le Parlement, a, non sans panache, intégré le court préambule de la Constitution de 1958 et tous les textes auxquels il fait référence, au sein d’un bloc de constitutionnalité à portée de sa compétence. Il a par là entamé sa mutation vers une véritable nature juridique, juge garant du respect de la constitution par les gouvernements et majorités parlementaires.
Cette décision a soulevé un problème juridique de taille, celle de l’étendue du pouvoir du Conseil. En effet, le préambule n’a pas été rédigé pour servir de base aux contrôles de constitutionnalité, et il est assez flou. Plus brumeux encore, il renvoie à des textes tout aussi peu opératoires dans un contexte de contrôle juridique, le préambule de la Constitution de 1946, et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, déployant des concepts aux contours incertains, parfois subtilement redondants, ou dont les applications pratiques peuvent paraître contradictoires ou incompatibles. Or le Conseil est à la fois maître de l’amplitude de la constitutionnalité et seul juge de son interprétation. Ces territoires incertains sont donc une importante source de pouvoir pour le Conseil, qui peut y trouver, et surtout en dégager par interprétation à partir de larges principes fondamentaux, des arguments juridiques à même de fonder une décision.
Il nous manque un outils adéquat pour analyser l’ampleur du champs ouvert à l’interprétation par les dispositions constitutionnelles. Entre les principes très généraux qui ouvrent de larges perspectives aux dispositions les plus techniques ne laissant que peu de marges de manœuvre. Le Littré nous dit que peut être défini comme mou ce qui “cède facilement au toucher, à la pression, tout en conservant une certaine adhérence”. Complémentaire est la définition du CNRTL qui précise que le mou et ce qui “enfonce au toucher, qui est malléable”. Le concept de mollesse apparaît approprié pour aider à une définition de la profondeur d’interprétation d’une disposition.
Il y aurait donc d’un côté un bloc de constitutionnalité dure, plutôt technicienne, et rétive à l’interprétation, et de l’autre un bloc de constitutionnalité molle, dans laquelle l’interprétation peut s’enfoncer. On comprendra que si il est très difficile d’interpréter de manière fantaisiste une disposition telle que “Le Président de la République est élu pour cinq ans”, un concept comme la “Liberté de conscience” laisse beaucoup plus de champs. Cette distinction ne signifie pas que les dispositions dures ne soient que pure technique, mais simplement qu’elle sont dans leur lettre peu susceptible d’être interprétées d’une manière différente de l’esprit qui a prévalu à leur rédaction. Le champs politique qu’elles recoupent doit être cherché ailleurs.
Cette répartition entre deux blocs, tracée à grands traits, ne recoupe que partiellement une réalité qui n’est pas aussi simple. Dans une interprétation se cristallisent des forces (directes) et des champs de pouvoirs (indirects) d’origines et de portée différente. Une disposition peut sembler propice à une large interprétation, mais l’engouffrement dans la brèche peut être stoppé ou réorienté par des facteurs extérieurs au champs de conscience de la construction juridique. C’est à cette frontière que l’apport d’une sociologie du Conseil Constitutionnel peut être intéressant. Travail qui reste encore à entamer, à l’image de ce qui a pu être mené à l’égard du Conseil d’Etat par Bruno Latour et publié dans son ouvrage “La Fabrique du Droit”. Le verrouillage des décisions constitutionnelles au sein des champs de fictions juridique (nous reviendrons sur ce concept de champs de fiction juridique dans un prochain billet), sans grande possibilité de pénétrer des interfaces réduites à la portion congrue, empêche leur décodage adéquat.
Cette relativisation effectuée, il convient de déconstruire la dichotomie que nous venons de mettre en place entre le bloc mou et le bloc dur, utile à des fin propédeutiques mais qui touchera assez rapidement ses limites. Nous ne sommes pas en face de deux blocs aux frontières clairement définies, mais plutôt face à un continuum polarisé autour de situations types, toujours approchées, jamais vraiment matérialisées, à la manière dont un système chaotique est polarisé sans jamais atteindre un équilibre stable. On pourrait donc définir, pour une disposition donnée, un coefficient de mollesse, témoin de l’amplitude du champs d’interprétation offert. Il semble assez aisé de définir un tel coefficient pour peu que l’on isole de nombreux facteurs extérieurs perturbants, pour ne s’attacher qu’aux simples enchaînements logiques interne des constructions juridiques. Mais si l’on prend en considération l’existence de ce champs de fiction propre aux logiques juridiques, qui permet l’intégration d’un réel intégralement perçu et analysé au sein d’un système cohérent et maîtrisable.
Ce sont ces territoires que le Président de la République se propose d’élargir aujourd’hui, par des voies aussi larges que l’égalité entre les sexes, la diversité, ou l’intégration. Des boulevards ouverts à l’interprétation. Les éléments nous manquent et nous ne conjecturerons pas ici sur des intentions dont la subtilité nous échapperait. Mais il faut tout au moins remettre en perspective cet élargissement de la compétence du Conseil avec ses mutations organiques et fonctionnelles. Non pas qu’il n’ait jamais été figé, et nous avons entraperçu combien le rôle qu’il a acquit diffère des intentions constituantes de 1958, Deux mouvements contemporains captent notre attention. Le premier, c’est la consensualisation de la judiciarisation, Clairement, par l’insertion d’un renvoi à la Charte de l’environnement de 2004 au sein du préambule de la constitution, le très virtuel pouvoir constituant a reconnu les pouvoirs étendus que s’était arrogé le Conseil. Nulle doute que c’est en parfaite conscience des usages que peut faire le Conseil de ces textes parfois flous que le chantier du préambule est lancé aujourd’hui, Le second, c’est peut-être l’amorce d’une politisation du Conseil, quoiqu’elle reste à étudier, avec la décision des anciens Présidents de la République Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, membres de droit, de siéger effectivement, deux membres non négligeables au sein d’un Conseil qui ne compte que 9 autres membres. Deux mouvements qu’il faut garder à l’esprit lors du débat sur le toilettage du préambule, qui, loin d’être anodin, peut offrir des angles d’attaque parfois très opératoires.
Dans ce billet nous avons lancé quelques pistes sur lesquelles nous nous proposons de revenir à l’avenir:
la notion de champs de fiction juridique, qui définit la manière dont sont intégrés au sein d’un corpus stable et déterministe des éléments chaotiques, tronqués, et épars.
l’analogie du champs de constitutionnalité à un système chaotique, au sens physique du terme.
Les ressources en ligne:
Les 77 propositions de la commission Balladur dans Le Monde
Le site de ladite commission
Analyse sur le blog de Frédéric Rolin
L’annonce de la constitution de la commission Veil sur le BFDC
La décision Liberté d’Association du Conseil Constitutionnel
L’article qui lui est consacré sur Wikipédia
La Fabrique du Droit, de Bruno Latour, sur Amazon
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