« L’un des enjeux des décennies à venir sera la préservation de notre modèle social ou son abandon. Si on souhaite le préserver, il faudra éviter une partition entre les générations. » (Note de François Bayrou du 17 mai 2021).
Le président du MoDem et maire de Pau, François Bayrou fête son 70e anniversaire ce mardi 25 mai 2021. En guise de cadeau d’anniversaire qu’il a voulu offrir aux Français, il a lancé un nouveau pavé dans la mare. En effet, il a publié le lundi 17 mai 2021 une nouvelle note de prospective. On ne peut pas dire qu’il usurpe ses fonctions (bénévoles, précisons-le bien) de Haut-Commissaire au Plan, avec un rythme très soutenu de notes, environ une tous les deux mois. Une nouvelle note qui n’hésite pas à créer la polémique en demandant notamment… une (petite) augmentation de l’immigration. Avec cela, il reste dans les valeurs démocrates-chrétiennes de son aîné Bernard Stasi, pour qui l’immigration pouvait être une chance pour la France et l’Europe.
Heureusement qu’il y a eu Emmanuel Macron en 2017. Sans ce dernier, François Bayrou, parce qu’il était programmé pour cela, aurait été candidat à l’élection présidentielle en 2017, encore en 2022 et ainsi de suite et il se serait vite épuisé sans apporter grand-chose au débat national. Il a un alter ego, très éloigné politiquement de lui mais pas si éloigné sur le plan de la trajectoire personnelle : électron libre en perpétuelle candidature présidentielle, qui aime s’écouter parler, Jean-Luc Mélenchon s’épuise encore aujourd’hui à croire au grand soir.
Heureusement, donc, la victoire d’Emmanuel Macron de 2017 a été avant tout la victoire intellectuelle de François Bayrou qui, depuis 2002, a prôné l’existence d’une position centrale qui ne soit ni de droite ni de gauche. Traduction qui a l’air anecdotique mais qui est une grande révolution dans les esprits politiques, pour les élections municipales de 2020, le Ministère de l’Intérieur a multiplié les "étiquettes" des listes : en plus des "divers droite", des "divers gauche" et des "divers" (tout court), il y a eu des "divers centre".
Comme la candidature centrale (je n’ose écrire centriste) est préemptée par Emmanuel Macron, il reste à François Bayrou, depuis 2017, à diffuser ses idées, et surtout, à travailler, enquêter, se documenter grâce à la toute-puissance de l’État (à laquelle il n’avait pas eu accès auparavant car ne faisant pas partie des grands corps de l’État) et à proposer des solutions aux grands problèmes de notre temps.
Certes, on pourra toujours dire qu’une note, moins rigoureuse, moins fouillée, moins précise qu’un rapport, aura quand même la destinée d’un rapport, c’est-à-dire à empiler après un petit service après-vente pendant une semaine dans les médias. Je pense au contraire que ces notes vont être précieuses pour les gouvernements à venir, qu’elles vont même être stratégiques car François Bayrou n’hésite pas à fouiller des sujets qui fâchent, qui font mal, qui blessent. Le nucléaire en a été un exemple ; cette semaine, le modèle social français est un autre exemple. Sa note du 17 mai 2021 a pour titre : "Démographie : La clé pour préserver notre modèle social" (qu’on peut télécharger et lire ici).
Tentons de présenter correctement le raisonnement très logique de François Bayrou sur ce sujet crucial. Le modèle social français repose sur la solidarité entre les générations : la génération n+1 finance la retraite de la génération n. Mais ce schéma n’est possible que s’il y a beaucoup plus de personnes dans la population active que parmi les retraités. Or, cela nécessite une chose simple : qu’il y ait suffisamment de jeunes pour "supporter", dans le sens anglais de "soutenir" les générations anciennes.
Bien sûr, il ne suffit pas d’être dans la population active pour pouvoir répartir la richesse, encore faut-il avoir un emploi, avoir une rémunération d’une manière ou d’une autre. Le fort taux de chômage met autant à mal la solidarité par répartition que le vieillissement de la population. La note précise que c’est une exception parmi les nations. La plupart des nations ont adopté des systèmes par capitalisation et épargne : chacun épargne pour ses frais futurs (maladie, chômage, retraite) et le vieillissement de la population n’a pas d’incidence directe sur les pensions et la couverture sociale (toutefois, il y a une proportion de la population qui n’a pas de couverture sociale, même en cas de démographie ascendante).
En revanche, le système français par répartition est très sensible aux fluctuations démographiques : « C’est donc une réalité à laquelle nous ne pouvons pas échapper : l’équilibre du système se trouve extrêmement dépendant de l’importance de la population active, du rapport numérique entre actifs et inactifs, que ces derniers soient dans leur enfance, en formation, malades, handicapés, chômeurs ou à la retraite, comme il se trouve absolument dépendant des ressources collectives de la nation, donc de la capacité et de la performance de l’économie sur laquelle repose le financement de ce système social. ». Remarquons toutefois que la note fait une erreur en excluant les chômeurs et les personnes en situation de handicap de la population active, ces derniers restent des actifs, même les personnes malades ou en formation, mais ne sont pas toujours contributrices de recettes (fiscales ou sociales).
La note rappelle aussi que la plupart des pays européens ont une démographie à la baisse, au contraire de la France qui, jusqu’à il y a deux ans, continuait à maintenir une certaine vitalité démographique au point que les projections laissaient entendre pour 2050 ou 2060 que la France serait la première puissance démographique de l’Europe. Le lecteur attentif restera indulgent vis-à-vis de François Bayrou lorsqu’il écrit en 2021 : « dans les années 2050 à 2060, c’est-à-dire à l’horizon d’à peine un quart de siècle », car l’ancien Ministre de l’Éducation nationale n’a jamais été ami avec les chiffres.
François Bayrou reste lucide sur la possibilité d’intégrer de nombreux immigrés pour revitaliser la démographie nationale. Il cite l’exemple de l’Allemagne qui a accueilli dans les années 2010 un million d’immigrés originaires des Balkans (il me semblait que c’étaient plutôt des Syriens et des Irakiens) par besoin de main d’œuvre, ce qui est très différent pour un pays comme la France « souffrant d’un important chômage chronique ». Mais il n’en reste pas moins ceci : « Il y a dans le dynamisme démographique d’un pays la conséquence, et sans doute aussi la source d’un optimisme national. ».
Dans cette note, le Haut-Commissaire au Plan observe que la vitalité démographique de la France s’essouffle depuis deux ans. En 2019, il a manqué 50 000 naissances pour assurer le renouvellement des générations. Le taux de fécondité est de 1,86 en 2019 alors qu’il faudrait qu’il soit de 2,1 pour un renouvellement. En vingt ans, l’âge moyen de la mère à la naissance de son premier enfant est passé de 29 ans à 31 ans (« plus l’âge de procréation est précoce, plus le taux de fécondité est élevé »). La pandémie de covid-19, au contraire des premières intuitions (le confinement aurait eu pour effet un mini-baby-boom), a renforcé cette tendance à la baisse de la natalité. En janvier 2021, il y a eu 13% de naissances en moins qu’en janvier 2020.
Par ailleurs, la France va devenir un pays vieillissant : les plus de 65 ans vont représenter un quart de la population en 2040 et certaines projections les font monter jusqu’à 34% de la population en 2070. L’âge médian pourrait passer de 42 ans en 2020 à 46 ans en 2050. Comparativement, la France vieillit cependant moins vite que les autres pays européens et son taux de centenaires est le plus élevé d’Europe (32,6 pour 100 000 habitants).
Ce vieillissement est préoccupant car il remet en cause l’équilibre de notre système des retraites et il a aussi des conséquences sur des millions de personnes qui doivent accompagner cette population vieillissante (il y a actuellement 4 millions d’aidants informels).
Renforcer l’équilibre entre les générations, c’est donc une nécessité pour notre modèle social : « Pour cela, et comme pour toutes les nations, il n’existe que deux voies : avoir plus d’enfants ou accueillir des personnes d’autres pays. La France devra jouer des deux leviers dans des proportions raisonnables qui garantissent le maintien de la cohésion nationale. ».
L’apport migratoire « doit être accepté et acceptable ». Nul doute que cette question est ultrasensible depuis des décennies en France : « [Elle] est sérieuse et difficile à aborder parce qu’elle mêle des problèmes réels, des fantasmes puissants, des arrière-pensées politiques. ». Au sens de l’ONU, une personne immigrée est une personne née dans un autre pays que celui où elle vit : ils sont une ultraminorité, 260 millions de personnes dans le monde, soit 3,4% de la population mondiale.
Selon cette même définition, il y a en France 12,3% de population immigrée actuellement, soit sensiblement la même proportion dans les autres pays européens. Avec la définition française (une personne immigrée est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France), ce taux est de 9,9% (ne sont donc plus comptées les personnes nées françaises à l’étranger et vivant en France).
La note soulève aussi une idée reçue : « Contrairement à une idée reçue ou véhiculée, l’immigration n’est pas la cause de notre relative dynamique démographique. ». En effet, les immigrés ne contribuent qu’à 0,1 point au total de l’indice de fécondité (1,86) : « On constate un alignement progressif des populations immigrées dans leur comportement, en termes de fécondité. ».
François Bayrou cite notamment le démographe François Héran, professeur au Collège de France et ancien directeur de l’Ined, qui disait le 4 octobre 2019 à Ivanne Trippenbach de "L’Opinion" : « Une erreur fondamentale est de figer ces écarts de fécondité sur le long terme. On obtient alors une croissance exponentielle de la population immigrée. C’est comme si l’on prophétisait à la fin du siècle la domination démographique de la Guyane sur la métropole, au motif que les Guyanaises ont 3,8 enfants en moyenne. D’où vient l’erreur ? Les amateurs de projection oublient d’introduire dans le calcul une tendance observée de longue date : la convergence des comportements de fécondité entre immigrées et natives au fil du temps. (…) En figeant le réel, [ces projections statiques] produisent un résultat irréel. Une minorité n’envahit pas la majorité sur la base de sa natalité. ». Exit la théorie foireuse du "grand remplacement".
C’est pourquoi, malgré son effet d’annonce, l’immigration ne peut être « la solution au ralentissement de notre démographie ». Cette partie est inscrite en gras : « Il faut accepter que [l’immigration] y prenne sa part mais celle-ci ne sera acceptée que si parallèlement, les conditions sont réunies pour maintenir une ambition démographique dans notre pays. Faire un autre choix serait prendre le risque de déséquilibrer notre société en proie à des questionnements, parfois exprimés violemment, quant à son identité et à son avenir. ».
L’autre volet de la redynamisation démographique du pays, c’est le soutien à la natalité par une politique familiale volontaire : congés parentaux, prestations familiales, accompagnement de la petite enfance…
La note précise : « Avoir un enfant ne doit pas être un fardeau. Cela ne doit pas signifier sacrifier sa vie personnelle et professionnelle et tout ce qui favorise l’articulation entre la vie familiale et la vie professionnelle contribue à la hausse de la fécondité. ». Un pays comme l’Italie s’est rendu compte de cette nécessité de revenir à une politique nataliste après la forte mortalité due au covid-19.
Donc, ce que préconise vraiment François Bayrou est moins une politique d’apport migratoire qu’une véritable politique nataliste basée sur quatre piliers : la globalité (dans tous ses aspects, un seul levier est inefficace) ; la cohérence (les mesures doivent avoir pour objet exclusif le soutien à la natalité, et la lutte contre les inégalités sociales doivent faire l’objet d’autres mesures) ; la continuité (les mesures ne doivent pas être supprimées pour réajuster des déséquilibres financiers conjoncturels) ; enfin, la lisibilité (simplifier, clarifier, communiquer sur les dispositifs dont on peut bénéficier en faisant un enfant).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 mai 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Bayrou a 70 ans.
Note de synthèse du 17 mai 2021 du haut-commissaire au Plan sur la relance de la démographie (à télécharger).
François Bayrou et la préservation du modèle sociale français.
Note de synthèse du 23 mars 2021 du haut-commissaire au Plan sur le programme nucléaire français (à télécharger).
François Bayrou relance le programme nucléaire français.
François Bayrou et l'obsession de la proportionnelle.
Marielle de Sarnez.
François Bayrou sera-t-il le Jean Monnet du XXIe siècle ?
Vive la Cinquième République !
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210525-bayrou.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/05/21/38980071.html
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