« Le poids des obligations officielles, c'est vraiment quelque chose de lourd. (…) Quand je pense aux malheureuses souveraines, en Angleterre, aux Pays-Bas ou au Danemark qui ont cela à vie, je ne les envie pas. » (Anne-Aymone Giscard d'Estaing).
Élise, Élisabeth, Coralie, Cécile, Hélène, Berthe, Marie-Louise, Jeanne, Henriette, Germaine... je ne vais pas toutes les citer mais quel est le point commun de toutes ces dames ? Elles étaient les "premières dames" de France, un statut qui n'a rien d'officiel, qui n'a probablement que des conséquences ingrates. Épouse de Président de la République n'est probablement pas un rôle enviable : vous n'existez pas dans les institutions, et pourtant, vous êtes connues, vous êtes adorées, vous êtres parfois détestées, vous ne laissez personne indifférent. Je mets encore au féminin car pour l'instant, il n'y a pas encore eu de Président de la République femme ou homosexuel.
C'était le cas de la très distinguée Anne-Aymone Giscard d'Estaing, femme du Président de la République du 27 mai 1974 au 21 mai 1981, qui fête ses 90 ans ce lundi 10 avril 2023. D'origine grand-bourgeoise voire aristocrate (selon les branches), Anne-Aymone Marie Josèphe Christiane Sauvage de Brantes est la fille d'un officier résistant mort en déportation en 1944 dans le camp de Melk-Mauthausen. Elle s'est mariée avec Valéry Giscard d'Estaing en décembre 1952, alors jeune diplômé de l'ENA (et major de Polytechnique), civilement à Paris et religieusement à Authon, dans le château de la famille de la mariée (c'est là où est mort VGE le 2 décembre 2020 du covid-19).
Discrète, timide, peu intéressée aux choses politiques (beaucoup plus aux choses culturelles), Anne-Aymone Giscard d'Estaing a dû suivre les consignes de son mari pour satisfaire son ambition politique (énorme). Dans les années 1960, VGE se voulait le Kennedy français (il y avait d'autres candidats à ce rôle : Jean Lecanuet, Jean-Jacques Servan-Schreiber, etc.), il voulait se montrer un homme politique dynamique, moderne, simple (!), proche des gens... et ambitieux bien sûr, prêt à assurer les plus hautes responsabilités, crédible dans ce rôle d'autorité.
Pour cela, Anne-Aymone a été la première femme d'homme politique entrée dans la modernité, dans le processus publicitaire des hommes politiques qui se mettent en scène, pas seulement eux mais toute leur famille, leur épouse, leurs enfants, etc. C'est ainsi que pour la campagne présidentielle de 1974 (précipitée par la mort de Georges Pompidou), Valéry a demandé à Anne-Aymone sa contribution qui fut fort utile : présente sur les affiches électorales et les magazines, elle montrait l'image d'une famille classique, stable, rassurante, jeune (elle avait 41 ans, son époux 48 ans), avec également l'image de Jacinte, la plus jeune des quatre enfants, 14 ans à l'époque (et morte le 16 janvier 2018 : Anne-Aymone a été doublement endeuillée ces dernières années, d'abord comme mère et ensuite comme épouse, Valéry Giscard d'Estaing repose d'ailleurs près des restes de leur fille Jacinte), adolescente qui figurait exclusivement sur la première affiche électorale avec le slogan "La paix et la sécurité".
Anne-Aymone Giscard d'Estaing a aussi tenu des meetings dans les Antilles pour représenter son mari pendant la campagne présidentielle. L'élection de VGE a porté un coup fatal à sa tranquillité de mère de famille. La voici première dame de France, avec un bureau à l'Élysée pour répondre aux nombreux courriers qu'elle recevait, et pour participer à de nombreuses cérémonies, réceptions et autres mondanités...
Les Français l'ont probablement découverte à la télévision le 31 décembre 1975 à l'occasion des vœux présidentiels pour 1976. L'exercice était le suivant : VGE se voulait un bon père de famille tranquille, avec la cheminée en arrière-plan, et son épouse à ses côtés pour adresser ses vœux comme le font des amis. Hélas pour Anne-Aymone, le rendu était catastrophique : hyperstressée et crispée, elle a grincé quelques mots comme : « À tous et à toutes, j'exprime mes vœux chaleureux pour cette année. Bonheur, santé et succès. J'ajouterai un souhait, que ceux d'entre nous qui ont la chance d'avoir bonheur et santé n'oublient pas ceux qui sont moins favorisé, que pour eux aussi 1976 soit une année meilleure. ». Le mot "chaleureux" alors que la gestuelle montrait une grande distance et un grand froid a été plutôt l'objet (injuste) de moqueries ultérieures. Elle aurait dû refuser à son époux ce genre de guignoleries qui, d'ailleurs, ne s'est jamais reproduit par la suite, ni pour VGE ni pour ses successeurs bien avertis.
C'est instructif de rappeler que peu avant ces mots, le Président lui-même, dans ses vœux, a prononcé cette phrase : « Le rayonnement de la France, dans le monde où nous vivons, et compte tenu de notre dimension, le rôle qui convient à la France est celui du rayonnement et pour cela, elle doit offrir une image humaine, libérale, mondialiste et moderne. ». On imagine mal qu'un Président de la République évoque aujourd'hui ce mondialisme avec une telle fierté !
Anne-Aymone n'aimait pas vivre à l'Élysée et comme sa prédécesseure, Claude Pompidou, elle habitait à son domicile privé pendant tout le septennat. Elle accompagnait son mari lors de tous ses voyages diplomatiques et réceptions (parfois, elle représentait son mari, comme lors de l'intronisation du pape Jean-Paul Ier le 3 septembre 1978). Elle a pu étonner certains, par exemple, lors d'une réception en Espagne par le roi Juan Carlos, elle a spontanément proposé de traduire (excellemment) le discours de son mari en espagnol. Il faut dire qu'enfant, elle avait séjourné à Londres puis à Lisbonne en raison des affectations successives de son père militaire, ce qui lui a permis de parler couramment l'anglais, l'espagnol et le portugais (elle a par ailleurs commencé des études à l'École du Louvre, qu'elle n'a pas semblé avoir achevées).
La présence de la première dame a été permanente durant le septennat et bien malgré elle. Si ce n'est pas la première fois qu'une première dame a créé une fondation caritative (elle a créé la Fondation pour l'enfance en 1977 grâce aux droits d'auteur du livre de son époux, "Démocratie française", afin de venir en aide aux enfants qui cherchent une famille d'accueil), déjà Élise Thiers avait créé la Fondation Thiers, c'était la première fois qu'une première dame agissait très directement comme représentante de son mari, et cela sans statut ni constitutionnel ni même formel. Elle participait bien sûr aux fameux déjeuners de son mari chez les Français, qui avaient une allure un peu artificielle (VGE n'a jamais fait peuple mais voulait faire peuple, ça se voyait un peu trop).
L'échec électoral de Valéry Giscard d'Estaing le 10 mai 1981 a été un soulagement pour Anne-Aymone : « Certaines activités ne sont pas très drôles tous les jours. L'idée de refaire la même chose pendant encore sept ans, c'est éprouvant. ». Elle était ravie de retourner hors des projecteurs médiatiques.
Néanmoins, elle fut la première dame à s'est présentée à une élection (et à être élue) ; après le septennat, elle fut élue conseillère municipale de Chanonat de mars 1983 à juin 1995 (pour deux mandats). Après elle (en fait, avant elle), seule Bernadette Chirac a eu aussi des activités électives, conseillère générale de Corrèze (de mars 1979 à mars 2015) et conseillère municipale de Sarran (de mars 1971 à mars 2020 ; adjointe au maire à partir de mars 1977).
Si Anne-Aymone Giscard d'Estaing n'a pas marqué de sa personnalité cette fonction pourtant inexistante, une fonction fantôme, elle a pourtant défriché ce qui est devenu un personnage indispensable à la Présidence de la République au point qu'il existe souvent un lien particulier entre les Français et cette première dame au statut si incertain. Elle est ainsi la première à exercer cette fonction de manière moderne, celle de meilleure représentante du Président. Celles qui lui ont succédé, chacune à sa manière, ont suivi son exemple, sans doute avec plus d'assurance.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (02 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Anne-Aymone Giscard d'Estaing.
Valéry Giscard d’Estaing et son problème, le peuple !
Michel Poniatowski, le bras droit sacrifié de Giscard.
Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
Hommage européen à Valéry Giscard d’Estaing le 2 décembre 2021 au Parlement Européen à Strasbourg (texte intégral et vidéos).
VGE en mai (1968).
Michel Debré aurait-il pu succéder à VGE ?
Le fantôme du Louvre.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron d’hommage à VGE le 3 décembre 2020 (texte intégral et vidéo).
Le Destin de Giscard.
Giscard l’enchanteur.
Valéry Giscard d’Estaing et les diamants de Bokassa.
Valéry Giscard d’Estaing et sa pratique des institutions républicaines.
VGE, splendeur de l’excellence française.
Propositions de VGE pour l’Europe.
Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (1).
Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (2).
Loi n°73-7 du 3 janvier 1973.
La Cinquième République.
Bouleverser les institutions ?
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230410-anne-aymone-giscard-d-estaing.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/anne-aymone-giscard-d-estaing-et-l-247623
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