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16 octobre 2009 5 16 /10 /octobre /2009 09:20

Présomption d’innocence, secret de l’instruction, protection des personnes, respect des victimes, déroulement de l’autopsie, conservation des pièces à conviction, reconstitution du meurtre… L’affaire Grégory a violé tous les principes d’un bon fonctionnement de la justice.


Aujourd’hui, il aurait eu presque trente ans, le petit Grégory. Joueur, rieur, bon vivant. Fils encore unique d’une famille qui aurait dû être sans histoire. Une famille rattrapée par la jalousie, la méchanceté, l’aigreur d’un certain entourage… puis par les excès de la presse, les maladresses de la justice, la passion de l’opinion publique.
 
C’était il y a vingt-cinq ans. Ceux qui étaient en âge de comprendre à l’époque ne peuvent pas l’avoir oublié. Le 16 octobre 1984 à vingt et une heure quinze, on retrouvait le corps d’un gamin de quatre ans et demi ligoté dans une rivière, la Vologne. C’est le début de l’affaire Grégory, une terrible, horrible histoire judiciaire.
 
 
Le contexte
 
Tout s’est passé près de Bruyères, dans les Vosges, dans un petit triangle entre Épinal, Saint-Dié et Gérardmer. Depuis 1981, un agent de maîtrise, Jean-Marie Villemin, suscitait des jalousies. Il avait vingt-trois ans, marié à une femme de vingt et un ans, et il avait mieux réussi que d’autres, qui étaient restés ouvriers. Oncles, beaux-frères, belle-famille… bref, beaucoup de monde n’acceptait pas qu’il pouvait avoir un train de vie confortable (mais pas ostentatoire ni arrogant) qui lui avait permis d’acheter une maison, d’avoir un prêt etc.
 
Depuis 1981 donc, un couple de corbeaux, un homme et une femme qui n’ont toujours pas été identifiés en 2009, ne cessaient de harceler et de menacer Jean-Marie ainsi que son père.
 
La catastrophe arriva le 16 octobre 1984. Une vengeance motivée sans aucun doute par cette jalousie.
 
L’affaire fut alors très mal traitée par toutes les parties impliquées : la justice qui fit n’importe quoi par l’intermédiaire d’un jeune juge peu expérimenté d’Épinal, Jean-Michel Lambert (32 ans et quatre ans d’expérience) ; la police de Nancy chargée de l’enquête sous la direction du commissaire Jacques Corazzi après le dessaisissement de la gendarmerie qui avait fait pourtant du bon boulot sous la direction du capitaine Étienne Sesmat, une police qui s’acharna contre des innocents ; des avocats qui faisaient courir des informations sans fondement ; enfin, la presse qui était devenue comme des "rats" devant un bout de lard, n’hésitant pas pour certains journalistes (pas tous) à colporter les rumeurs, à défaire des réputations pour faire du sensationnel d’autant plus attendu que l’affaire a passionné les gens.
 
Sur la base du témoignage de sa belle sœur, un cousin de Jean-Marie Villemin, Bernard Laroche fut suspecté. La belle sœur se rétracta une fois l’emprisonnement de Bernard le 5 novembre 1984. Mais c’était trop tard, la mécanique arriva.
 
 
Un deuxième meurtre qui aurait pu être évité
 
Le juge le libéra le 4 février 1985 en pensant que le procureur l’en aurait empêché (il restait sous contrôle judiciaire) et refusa toute protection malgré des menaces précises. Quelques jours après, le 29 mars, après avoir hésité déjà à plusieurs reprises, le père de l’enfant assassiné tua à bout portant celui qu’il croyait être l’assassin de son fils.
 
Il le regretta dès les minutes qui suivirent et se constitua prisonnier. Il n’avait pas accepté que les rumeurs se portassent dès le 12 mars sur sa propre épouse, Christine, inculpée le 5 juillet 1985 mais suspectée d’être le corbeau par de prétendus experts en graphologie dès le 25 mars, soit quatre jours avant le meurtre.
 
Parmi les documents intéressants à consulter, il y a l’arrêt de la requête en réhabilitation qui explique en détail l’état d’esprit de Jean-Marie Villemin au moment du meurtre de son cousin Bernard Laroche : « Il (…) disait avoir été poussé à passer à l’acte "par les journalistes qui s’acharnaient sur son épouse et par le fait qu’il ne faisait plus confiance à la Justice" ». Par ailleurs, « un examen médico-psychologique mentionnait que le requérant [i.e. Jean-Marie Villemin], malgré une intelligence et une personnalité normales, présentait une immaturité affective, une impulsivité et une vulnérabilité aux blessures narcissiques. Ces dispositions et son profond désarroi consécutifs à la perte de son enfant et à la mise en cause de son épouse expliquaient, pour les experts, sa conduite homicide ».
 
On lira aussi avec intérêt les deux articles relatifs à la presse (le couple Bezzina à Nancy qui touchait douze millions de lecteurs et d’auditeurs chaque jour) et à la justice (le juge Jean-Michel Lambert qui reste encore très réservé sur cette affaire).
 
Parmi les éléments majeurs qui auraient pu guider correctement l’enquête, il y a aussi le rapport sur les corbeaux qui sévissaient dès 1981 et le témoignage d’une experte de l’analyse graphologique qui aurait dû mener aux corbeaux.
 
 
Une mère injustement accusée d’avoir tué son enfant
 
Après avoir été emprisonnée pendant onze jours alors qu’elle était enceinte de deux jumeaux (l’un d’eux est mort en cours de grossesse), Christine Villemin a dû attendre le 3 février 1993 pour être totalement lavée de tout soupçon (non-lieu pour absence totale de charge, ce qui est sans précédent : « La cour dit et juge qu’en l’état il n’y a pas de charges contre Christine Villemin d’avoir assassiné son fils Grégory Villemin. »). Il n’y a donc pas eu de procès pour elle.
 
Christine Villemin a été innocentée surtout parce qu’un routier l’avait aperçue dans sa voiture derrière lui lorsque le corbeau avait appelé au téléphone. En 1984, on ne pouvait pas conduire et téléphoner à la fois : autre temps, autre époque.
 
 
Des carences pas inutiles
 
Tout a été mauvais dans cette affaire qui fut trop médiatisée.
 
Beaucoup de choses ont été améliorées par la suite, notamment la présomption d’innocence dans la législation (trois lois ont été votées : loi n°93-2 du 4 janvier 1993, loi n°2000-516 du 15 juin 2000 et loi n°2002-307 du 4 mars 2002) et la prise de conscience des journalistes de leurs propres responsabilités vis-à-vis des protagonistes des affaires criminelles.
 
L’affaire Grégory a eu aussi des conséquences sur les enquêtes criminelles puisque selon Laurence Lacour, alors journaliste à Europe 1 qui a rédigé le livre référence sur le sujet "Le Bûcher des innocents" (éd. Les Arènes) publié en 1993, les égarements de l’affaire auraient encouragé la création de l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN).
 
Une experte en graphologie expliquait par exemple qu’il y avait une machine en Allemagne qui aurait pu conclure à l’époque sur les comparaisons d’écritures grâce aux traits qui n’étaient pas visibles mais appuyés. Hélas, elle ne savait pas que cette observation n’était plus possible une fois passée la poudre servant à détecter les empreintes digitales. On est loin des "Experts" de Miami.
 
 
La vie a continué
 
En février 2004, les époux Villemin ont fait discrètement exhumer puis incinérer le corps de leur enfant pour emporter ses restes près d’eux en région parisienne où ils résident maintenant. Leur maison dans les Vosges a été revendue deux fois depuis.
 
Condamné à cinq ans de prison, Jean-Marie Villemin a demandé une réhabilitation (c’est-à-dire l’effacement de son crime sur son casier judiciaire). Il avait montré ses regrets, payé ce qu’il devait, n’a été à l’origine d’aucun autre incident, mais la cour d’appel de Paris a rejeté sa demande le 3 juillet 2007 considérant que la médiatisation à laquelle il avait lui-même participé en publiant un livre choquerait la famille de Bernard Laroche en cas de réhabilitation de son meurtrier.
 
 
On ne connaîtra jamais le(s) coupable(s) ?
 
Le 11 avril 2001, la cour d’appel de Dijon a clos définitivement l’instruction de l’affaire Grégory en raison d’analyses ADN impossibles à conclure. La prescription fut donc fixée au 11 avril 2011.
 
Sauf que le 3 décembre 2008, cette même cour d’appel a rouvert l’instruction pour profiter des nouvelles technologies de reconnaissance ADN. À deux ans près, ça aurait été trop tard.
 
Des analyses sont maintenant en cours pour tenter d’exploiter le peu de salive sous le timbre de l’enveloppe du corbeau ou des restes de peau retrouvés dans l’enveloppe. Le 7 mai 2009, les pièces à conviction (à Dijon) ont en effet été transférées au laboratoire Biomnis ("leader français de la biologie spécialisée", ex-labo. Mérieux) à Lyon.
 
Rien n’est encore perdu donc pour connaître un jour les véritables coupables de l’assassinat du petit Grégory.
 
 
 
Sylvain Rakotoarison (16 octobre 2009)
 
 
Pour aller plus loin :
 
 
 
(Crédit photo : www.gregoryvillemin.free.fr)
 

 
 
 
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