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22 juin 2007 5 22 /06 /juin /2007 10:49
Pour la première fois dans l'Histoire de France, une femme est nommée Ministre de l'Économie et des Finances, Christine Lagarde. Retour sur la longue série de ses prédécesseurs.

Peut-être est-ce parce qu’en France, on privilégie toujours le politique sur l’économique, que certains Présidents de la République étaient très incompétents en économie (Michel Rocard le disait ainsi de François Mitterrand), mais le choix des Ministres des Finances a toujours été difficile parce qu'il est un élément stratégique dans la composition d’un gouvernement.

Je me propose d’évoquer le choix de ces ministres depuis la dernière guerre.

Il ne s’agit bien sûr pas d’énoncer des règles, la seule étant la cohérence interne d’un gouvernement ponctuellement, mais il est curieux de constater que beaucoup de Ministres des Finances n’ont pas duré longtemps à leur poste.


Sous la IVe République, le Ministre des Finances était systématiquement un leader politique de premier plan, à stature de chef du gouvernement : René Pleven, André Philip, Robert Schuman, Jules Moch, René Mayer, Paul Reynaud, Christian Pineau (qui fut chargé de former le gouvernement en 1955 sans succès), Henri Queuille, Maurice Petsche (qui fut chargé deux fois de former un gouvernement sans succès), Edgar Faure, Robert Buron, Antoine Pinay, Maurice Bourgès-Maunoury, Pierre Pflimlin, Robert Lacoste, Paul Ramadier, Félix Gaillard… bref, tous sont passé rue de Rivoli (à l’époque), y compris Pierre Mendès France que De Gaulle avait nommé en 1943 dans le gouvernement provisoire.

(André Philip, Moch, Pineau, Petsche, Buron, Lacoste n’ont pas dirigé de gouvernement mais étaient des hommes politiques importants).

La reconstruction d’après-guerre, la croissance économique, l’inflation… tous ces sujets étaient effectivement les points brûlants d’une politique intérieure dominée encore par la lutte des classes, des mouvements sociaux contrôlés par des syndicats mobilisateurs et un parti communiste français puissant.

De tous ces responsables, sans doute ne reste plus dans l’Histoire que Monsieur Pinay qui permit à De Gaulle (de 1958 à 1960) de préserver la confiance des milieux économiques pendant qu’il se préoccupait d’autres sujets plus chauds, comme le changement des institutions et l’Algérie.

Cependant, De Gaulle à l’évidence, rompant avec les habitudes républicaines traditionnelles, préférait s’entourer de ce qu’on appelle aujourd’hui de façon péjorative des technocrates. Souvent des hauts fonctionnaires très compétents qui connaissaient bien les rouages de l’administration.

Sous la Ve République, trois grandes catégories de titulaires peuvent être ainsi citées à cette fonction qui semble, depuis trente ans, essentielle dans le détermination de la politique générale du pays :

1. les politiques purs, élus, leaders ou futurs leaders,
2. les hauts fonctionnaires et experts, et
3. les chefs d’entreprises, ce qu’on appelle indûment, la ‘société civile’ (comme si un homme politique était un militaire).

Certes, certains ont été à la fois des politiques purs et durs mais d’origine technocratique prononcée comme Valéry Giscard d’Estaing (énarque, inspecteur des finances), ce dernier ayant utilisé ce ministère comme Nicolas Sarkozy le ministère de l’Intérieur, à savoir comme tremplin pour forger une réputation et atteindre l’Élysée. En effet, Giscard d’Estaing a été LE Ministre des Finances des deux premiers Présidents de la Ve République : de 1962 à 1966 et de 1969 à 1974, soit presque neuf ans.

Parmi les hauts fonctionnaires, nous pouvons citer Wilfrid Baumgartner, qui fut choisi par De Gaulle pour remplacer Antoine Pinay démissionnaire en raison de nombreux désaccords avec De Gaulle (Pinay ne reviendra d’ailleurs plus au pouvoir). Baumgartner était inspecteur des finances, directeur du cabinet de Paul Reynaud, lui-même Ministre des Finances en 1930, puis directeur du Trésor en 1935, puis Gouverneur de la Banque de France pendant onze ans. Il a aussi présidé le Crédit National et deviendra en 1964 le patron de Rhône-Poulenc.

Il y a les hauts fonctionnaires qui sont devenus des politiques.

Est-ce le cas de François-Xavier Ortoli ? Ortoli a été quatre fois ministre sous De Gaulle et Pompidou, qui était avant tout le directeur de cabinet de Pompidou à Matignon, puis Commissaire général au Plan avant de se lancer dans une carrière ministérielle. Il deviendra par la suite le patron de Total en 1984, et est aujourd’hui encore le président d’honneur du Medef International.

Ou celui de Maurice Couve de Murville ? Inspecteur des finances, directeur des Finances extérieures sous Vichy, en 1940, mais a rejoint De Gaulle en 1943 et devient membre du gouvernement provisoire chargé des Finances. Ensuite, il entame un carrière dans la diplomatie (quatre fois ambassadeur, notamment en Allemagne, et dix ans Ministre des Affaires Étrangères) pour revenir aux Finances après la démission de Giscard d’Estaing.

Ortoli haut fonctionnaire et Couve de Murville politique : ce dernier ayant en effet eu aussi une carrière de parlementaire. À part Ortoli, les hauts fonctionnaires se sont en effet prêté aux délices politiques et électoraux après leur passage rue de Rivoli.

Jean-Pierre Fourcade également, inspecteur des finances, il devient à 44 ans Ministre des Finances lorsque Giscard d’Estaing arrive à l’Élysée. Il devient ensuite un homme politique classique, élu maire à Saint-Cloud puis de Boulogne-Billancourt, et sénateur.

Jacques Delors aussi vient de la ‘société civile’, comme expert économique à la CFTC, travaillant à la Banque de France puis au Commissariat Général au Plan. Ce n’est qu’en 1969 auprès de Jacques Chaban-Delmas puis en 1981 auprès de François Mitterrand qu’il fait de la politique active jusqu’à devenir premier ministrable en 1983 et même présidentiable en 1994.

Pierre Bérégovoy et Édouard Balladur ont commencé leur carrière publique comme secrétaire général de l’Élysée (respectivement de François Mitterrand et de Georges Pompidou). Édouard Balladur cumule les catégories puisqu’il vient de la haute fonction publique (énarque, conseiller d’État), de la politique (élu député en 1986), mais aussi chef d’entreprise (patron de la société du Tunnel sous le Mont-Blanc, de GSI, filiale de la CGE…).

Raymond Barre, considéré comme « le meilleur économiste de France », était alors agrégé d’économie, professeur à Science Po, directeur de cabinet du ministre Jean-Marcel Jeanneney, responsable des Finances à la Commission Européenne en 1967, quand il est nommé à Matignon après quelques mois d’expérience ministérielle, suite à une crise politique (démission de Jacques Chirac) et dans une situation économique très difficile. Il cumule Matignon et rue de Rivoli, ce qui est unique sous la Ve République.

Beaucoup de Ministres des Finances ont poursuivi leur carrière en devenant Premier Ministre voire Président de la République. C’est le cas ainsi de Valéry Giscard d’Estaing et Nicolas Sarkozy pour l’Élysée et de Maurice Couve de Murville, Pierre Bérégovoy et d’Édouard Balladur pour Matignon. François-Xavier Ortoli et Jacques Delors seront ensuite Présidents de la Commission Européenne (respectivement, en 1973 et en 1985). Quant à René Monory, il deviendra Président du Sénat en 1992.

À l’inverse, sous cette République, plusieurs anciens Premiers Ministres (ou ancien Président du Conseil) sont revenus au gouvernement avec ce ministère : Antoine Pinay en 1958, mais aussi Michel Debré en 1966, et Laurent Fabius en 2000.

Michel Sapin, normalien et énarque, fait partie aussi de ces hauts fonctionnaires qui sont devenus très vite hommes politiques et parlementaires.

Alors que Christian Sautter est resté très longtemps haut fonctionnaire, secrétaire général adjoint de l’Élysée sous Mitterrand, préfet de Paris, inspecteur des finances. Il devient Secrétaire d’État au Budget de Dominique Strauss-Kahn qu’il remplace lors de la démission de ce dernier. À partir de ce moment, Sautter évolue comme homme politique, se faisant élire adjoint à la municipalité de Bertrand Delanoë.

Parlementaires chevronnés, Edmond Alphandéry, Alain Madelin, Jean Arthuis Dominique Strauss-Kahn, Hervé Gaymard et Jean-Louis Borloo se sont également hissés à Bercy dans le cadre de leur carrière politique. Edmond Alphandéry évolue ensuite dans une carrière de patron (EDF).

Et depuis quelques années, le pouvoir nomme à Bercy des patrons de grandes entreprises, pensant que les praticiens de l’économie sont les plus aptes à prendre des décisions (en contradiction avec un vieil adage de Clemenceau).

Francis Mer en 2002, Thierry Breton en 2005 et maintenant, Christine Lagarde, patronne du plus grand cabinet d’avocats américain et à ce titre considérée comme l’une des dix femmes les plus importantes du monde.

Le risque de telles nominations, c’est un franc-parler qui convient mal au monde politique. Comme Francis Mer qui oublie sa nomination en déclarant en plein conseil des ministres : « nous, les patrons… », ou encore Thierry Breton parlant du grave état de la dette publique (alors qu’en général, les politiques dédramatisent, excepté François Bayrou), ou encore Christine Lagarde qui évoquait brutalement la refonte totale du code du Travail…

Vingt-cinq Ministres des Finances pour 49 années de Cinquième République, c’est beaucoup dans un régime aussi stable. Cette instabilité est plus forte encore quand on constate que Giscard d’Estaing, Monory, Delors et Bérégovoy ont duré, à eux quatre, vingt et un ans (entre trois et neuf ans chacun).

Bercy, un poste souvent éphémère donc : Alain Madelin fait une gaffe et est renvoyé après seulement trois mois de fonction, Dominique Strauss-Kahn doit quitter Bercy en 1999, après deux ans, car il est mis en examen pour l’affaire de la MNEF, Christian Sautter ne dure même pas cinq mois, emporté par la grève des fonctionnaires des Finances, Nicolas Sarkozy doit quitter Bercy après huit mois car il se fait élire président de l’UMP (cela ne l’empêchera cependant pas de revenir au gouvernement en juin 2005), Hervé Gaymard ne peut même pas résister trois mois à la campagne contre son immense appartement parisien, et enfin, Jean-Louis Borloo est remercié après un mois pour avoir balancé la TVA sociale avant le second tour des législatives (remercié en étant promu Ministre d’État).

Lors de sa passation des pouvoirs le 19 juin 2007, Christine Lagarde était émue de mettre son portrait à la suite de celui de Jean-Louis Borloo et surtout, était heureuse qu’une femme enfin accède à un poste généralement très exposé et politiquement crucial.

Après Matignon avec Édith Cresson, la Justice avec Élisabeth Guigou, Marylise Lebranchu et Rachida Dati, la Défense et l’Intérieur avec Michèle Alliot-Marie, voici un nouveau ministère essentiel qui se féminise. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Sylvain Rakotoarison




La liste chronologique.


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