L'ancien Premier Ministre Raymond Barre est mort cette nuit, à l’aube du 25 août 2007.
Évidemment, cette nouvelle, qui suit plein d’autres mauvaises nouvelles du même genre, m’a profondément ému.
Son aura, sa stature, son intelligence, son courage politique… tout a fait pour que l’homme qui aurait pu présider la République Française de 1988 à 1995 soit regretté.
Surtout en comparaison avec la classe politique actuelle.
J’avais écrit déjà un article sur sa personnalité lors de son hospitalisation, en avril dernier, qui avait d’ailleurs été repris par Agoravox.
Certains rappellent des propos qui étaient inacceptables (sur le ‘lobby juif’), mais en oubliant toutes ses qualités, d’autres regrettent ses quelques phrases malheureuses tout en soulignant ses compétences et ses valeurs… mais tous lui rendent un hommage appuyé.
Et je crois rêver… tant d’hommages rendus par tant d’hommes politiques. La plupart étaient d’ailleurs pour lui de redoutables adversaires qui ne lui avaient fait aucun cadeau. Il y a presque de l’indécence dans ce bouquet d’éloges.
Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac pour ne citer qu’eux… Anciens Présidents de la République.
Pendant le premier septennat de François Mitterrand, les trois hommes, Barre, Chirac et Giscard, se disputaient le leadership de l’opposition : le premier était très populaire, le second avait un parti devenu véritable machine de guerre (Sarkozy l’utilisera à son avantage par la suite) et le troisième se croyait irremplaçable.
Un peu à la manière de ces luttes de rivalité qui opposaient dans le camp républicains, au début de la IIIe République, Jules Grévy, Jules Ferry et Léon Gambetta.
Aujourd’hui, beaucoup d’eau a coulé.
Comme si cette excessive compétition électorale de 1988 n’avait jamais existé. Tant mieux peut-être… mais toutes ces qualités, tous ces regrets… pourquoi ne pas l’avoir soutenu à l’époque ?
Par la suite, la guerre de succession à ces trois ‘grands’ n’aura réussi ni à Édouard Balladur (de la même génération), ni à Alain Juppé, ni à Philippe Séguin, ni même à François Léotard, et c’est finalement l’enfant terrible, plus jeune, Nicolas Sarkozy qui se montra le plus habile de tous (de son camp, je ne parle pas de la gauche).
Je n’insisterai jamais assez sur le fait que le maintien pendant plus d’une décennie de cette concurrence entre Giscard d’Estaing, Chirac et (dans une moindre mesure, jusqu’en 1988) Barre aura sacrifié justement cette génération des jeunes ‘quadra’ des années 1980 (Alain Juppé, François Léotard, Philippe Séguin, mais aussi Dominique Baudis, Bernard Bosson, Alain Madelin…) au bénéfice de la suivante (Nicolas Sarkozy, François Fillon, Jean-Louis Borloo, François Bayrou, Dominique De Villepin, Jean-Pierre Raffarin, et même Philippe Douste-Blazy…).
Et ce Jack Lang qui regrette maintenant en Raymond Barre un continuateur de Pierre Mendès France.
De ce dernier, Raymond Barre a eu certainement ce méchant pêché, celui de refuser de s’insérer dans les normes du jeu politique, voire politicien, celui d’être un extra-terrestre au microcosme parisien.
Comme son premier maître, membre de son jury d’agrégation, qui, en 1959, l’appela pour diriger son cabinet lorsqu’il fut nommé ministre : Jean-Marcel Jeanneney (fils de Jules, père de Jean-Noël), universitaire entré en politique par la grande porte, penseur et acteur, mais jamais vraiment inséré dans le sérail.
Raymond Barre avait écrit dans son dernier livre d’entretiens qu’il ne considérait pas comme incohérent le fait de gouverner avec des socialistes, car la France a besoin d‘être gouvernée au Centre. Un discours passionnément tenu par François Bayrou pendant la dernière campagne présidentielle (là, ou encore là).
Franchissant même le pas, Jean-Marcel Jeanneney, le gaulliste historique, du haut de ses 96 ans, n’a pas hésité à soutenir (le jour même de l’hospitalisation de Raymond Barre) la candidature de Ségolène Royal.
Aujourd’hui, ce concert de louanges est la juste reconnaissance d’une vie intègre et honnête au service de l’État. Il va être honoré à la fois par la ville de Lyon et l’évêque de Lyon.
Comme une coïncidence, la disparition de Raymond Barre survient moins de trois semaines avec celle de son principal biographe, Henri Amouroux (ce lien, ou celui-ci).
La France est orpheline.
Article publié sur Agoravox.
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