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27 juin 2016 1 27 /06 /juin /2016 06:42

« On ne laissera personne nous prendre notre Europe ! » (Frank-Walter Steinmeier, Ministre allemand des Affaires étrangères, le 25 juin 2016, au cours d’une réunion des chefs de la diplomatie des six pays fondateurs de l’Union Européenne). Première partie.


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La décision du Brexit que les Britanniques ont prise lors du référendum du 23 juin 2016 va rester un sujet d’actualité majeur pour les au moins deux prochaines années. Voici quelques réflexions complémentaires sur le Brexit.

Un journaliste sur une chaîne info a eu la maladresse de dire le 25 juin 2016 que « le référendum n’avait aucune valeur juridique » pour les institutions européennes et que les négociations de sortie ne pourraient démarrer que si le Royaume-Uni saisissait l’article 50 du Traité de Lisbonne (un traité pas si mauvais que ce que certains voudraient l'affirmer puisqu'il organise le retrait d'un pays). Il avait raison même si l’expression est malheureuse et peu respectueuse des électeurs britanniques.

Or, David Cameron, qui voudrait laisser à ses collègues conservateurs le temps de lui choisir un successeur, jusqu’en octobre 2016, ne voudrait pas initier la procédure du Brexit. Et beaucoup de conservateurs d’ailleurs voudraient faire traîner en longueur la procédure pour être en meilleure posture de négociation.


Beaucoup d’énergies mobilisées pour un divorce

La bataille qui commence va être rude. Les représentants de l’Union Européenne et des vingt-sept pays restants, au contraire, voudraient aller vite. Il y a 200 accords commerciaux à renégocier, 80 000 pages de lois communautaires à réécrire… Cela va être un travail de titan, qui va mobiliser les énergies pour de nombreuses années dans une période où il y avait sans doute mieux à faire pour préparer l’avenir.

L’Institut Montaigne, dirigé par Laurent Bigorgne, a même préconisé le 24 juin 2016 que les 74 députés européens britanniques quittent immédiatement le Parlement Européen (ce qui va mettre au chômage des pourfendeurs de l’Europe comme Nigel Farage qui vit aux crochets du budget européen depuis juin 1999), considérant qu’il n’est pas possible qu’ils puissent se prononcer sur des décisions qui engagent un avenir qui n’est plus le leur. Les divorcés ne vivent plus sous le même toit.

De même, il n’est plus question de laisser aux Britanniques le soin de présider l’Union Européenne, comme c’était prévu, du 1er juillet 2017 au 31 décembre 2017. Assez logiquement dans l’évolution des événements, Jonathan Hill, l’unique commissaire européen britannique, a donné sa démission le 25 juin 2016.

Au fait, certaines personnalités politiques françaises très mal inspirées ont réclamé, peu après l’annonce du Brexit, la démission …du Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker. C’est assez fort d’imaginer de telles confusions mentales. D’une part, Jean-Claude Juncker et plus généralement la Commission Européenne n’y sont pour rien sur le principe du référendum qui n’est qu’une décision nationale annoncée le 23 janvier 2013 par David Cameron dans un seul but de politique politicienne (une arme qu’il a brandie un peu rapidement et qui lui a brûlé les doigts). D’autre part, Jean-Claude Juncker est justement le PREMIER Président de Commission Européenne qui a reçu une légitimité personnelle pour ce mandat de cinq ans lors de l’élection du Parlement Européen au scrutin universel direct du 25 mai 2014. Il est donc à ce poste directement par la volonté populaire des 500 millions de citoyens européens !

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Il y a aussi une raison politique à faire le moins longtemps traîner ces négociations : c’est de montrer rapidement ce qu’un pays peut perdre à vouloir quitter l’Union Européenne, et pas seulement économiquement, mais aussi politiquement. Il n’y a aucune raison que les autres pays européens fassent des fleurs au pays qui veut les quitter. D’ailleurs, il y a un réel fossé entre ceux qui voudraient "changer d’Europe" et ceux qui voudraient la quitter. Toutes les énergies auraient dû se focaliser sur comment changer l’Europe, et pour quels objectifs communs.

Mais les négociations pour de nouvelles relations entre l’Union Européenne et le Royaume pourraient durer au moins une décennie, c’est ce qu’il a fallu pour négocier une relations particulière entre l’Union Européenne et la Suisse et aussi entre l’Union Européenne et le Canada.


La gifle

Pour rappel, la surprise a été grande car la plupart des experts misaient sur le "Bremain" (maintien au sein de l’Union Européenne). Le jour même du référendum, Wall Street évoluait à la hausse, sur la base des tout derniers sondages favorables au Bremain. Encore dans la soirée, même le leader d’extrême droite Nigel Farage reconnaissait à mi-mots sa défaite…

Pour donner un exemple d’expertise, le bulletin "Perspectives" qui présente officiellement l’analyse économique et sectorielle du groupe Crédit Agricole expliquait dans une note rédigée le 2 mars 2016 : « Nous continuons de penser que la probabilité d’un Brexit est de moins de 50%. Tout d’abord, nous croyons que les indécis auront une propension élevée à voter pour le statu quo (…). Le deuxième point est qu’être eurosceptique ne signifie pas nécessairement être favorable à la sortie de l’UE. (…) Notre scénario central continue de tabler sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE après le référendum du 23 juin prochain. » (n°16/065 du 11 mars 2016). Cela ne vaut pas mieux que la voyance et l’astrologie mais ça a l’air plus sérieux…

La gifle va se décliner de différentes manières dans les deux partis traditionnels britanniques.

Chez les travaillistes officiellement pour le Bremain, le leader Jeremy Corbyn, qui a fait un campagne pour le maintien du bout des lèvres (il avait voté contre l’Europe au référendum du 5 juin 1975), est contesté, d’autant plus qu’il avait dit qu’il se retirerait si le Brexit l’emportait. Le 26 juin 2016, ce fut Hilary Benn, ancien ministre de Gordon Brown et responsable pour les affaires étrangères dans le shadow cabinet du parti travailliste depuis le 11 mai 2015, qui a été limogé pour avoir réclamé la tête de Jeremy Corbyn, soulevant une vague d’indignation et de démissions au sein de ce parti.

Chez les conservateurs, la situation n’est guère plus claire. David Cameron a annoncé le 24 juin 2016 sa démission avant octobre 2016. Le choix de son successeur risque d’être difficile. Partisan du Bremain, Dominic Grieve, député conservateur de Beaconsfield, interrogé par France 24, a déjà expliqué qu’il n’était pas question de choisir Boris Johnson qui avait trahi certaines amitiés au profit de son ambition.


Le Brexit pour rebondir, politique de la terre brûlée

Une telle "douche écossaise" va peut-être encourager les pays restants à réagir. Je l’espère mais c’est un peu tard et il aurait mieux fallu que cela se fît en dehors de ce contexte de gifle monumentale qu’est devenu ce référendum du 23 juin 2016.

Certaines personnes favorables à la construction européenne étaient d’ailleurs favorables au Brexit pour cette raison, considérant que le Royaume-Uni coupait court à toutes les tentatives de renforcer l’intégration européenne.

Le plus emblématique en France est sans doute le journaliste Jean Quatremer, correspond à Bruxelles. Dans un article daté du 24 juin 2016, il ne mâchait pas ses mots : « Les réformes de l’Union ont toujours abouti, à cause de vous [vous, Britanniques], à la rendre de plus en plus illisible aux yeux des citoyens et donc à les en éloigner. En dépit de tous nos efforts, vous continuez à trouver cette Europe ultra-réglementaire et dirigiste, alors que la majorité des Européens la trouvent bien trop libérale (…). Aussi, nous avons dû accepter d’affadir le projet des pères fondateurs et pratiquer une politique du moyen terme qui, au final, déplaît à tout le monde : l’Europe a réussi l’exploit d’inventer l’ultralibéralisme réglementaire ! » ("Libération").

Jean Quatremer disait déjà le 2 février 2016 : « L’Union d’aujourd’hui est largement "made in Britain". Pourtant, cela ne suffit pas à une classe politique et à une "opinion publique" hystérisée par une presse europhobe qui fait feu de tout bois contre ce monstre continental, toujours trop bureaucratique et pas assez libéral. (…) Plus personne ne se fait d’illusions, parmi les partenaires de Londres, sur le fameux pragmatisme britannique : chantre de la mondialisation heureuse, il persiste à rêver de l’Europe telle qu’elle était au XIXe siècle. (…) Le cœur du projet communautaire, c’est la zone euro (…). C’est elle qu’il faut intégrer et démocratiser d’urgence, sa survie en dépend (…). Si l’Allemagne y est prête, la France, elle, est ailleurs. Et c’est cette absence qui est dangereuse, bien plus qu’un Brexit. » ("Libération").

Et le 31 mai 2016, dans un article traduit le lendemain en anglais, il était encore plus clair en s’adressant aux Britanniques : « Si vous restez, vous allez nous pourrir la vie comme jamais auparavant (…). [Vous négocierez] alors concession sur concession pour enterrer totalement le rêve fédéraliste des pères de l’Europe et achever la transformation du Vieux Continent en une zone de libre-échange de plus en plus molle. Tout espoir d’un rebond sera alors définitivement enterré (…). Autant dire, amis Anglais, que votre maintien dans l’Union évitera une crise immédiate, mais plombera durablement le projet européen jusqu’au délitement final. L’Europe, qui voulait peser dans un monde où "l’Occident" deviendra inexorablement quantité négligeable, ne sera plus qu’un "failed project" qui fera sourire les dirigeants chinois, indiens ou même américains. Seul votre départ en fanfare pourrait lui permettre de rebondir. » ("Libération").

C’est aussi ce que pense la centriste Nicole Fontaine, ancienne Présidente du Parlement Européen du 20 juillet 1999 au 15 janvier 2002. Elle disait le 25 juin 2016 notamment ceci : « Le résultat du référendum peut être un choc salutaire. (…) Le Royaume-Uni ne pourra plus empêcher les avancées de l’Union. (…) Pour sa conception ultralibérale, la concurrence est une vache sacrée. Le droit de regard sur la zone euro [obtenu par l’accord du 20 février 2016] (…) lui aurait donné le pouvoir d’empêcher toute intégration plus forte (…). La tentation du statu quo est mortelle pour l’Europe. Elle risquait la dislocation. (…) Rien n’est perdu si on se retrousse les manches. » ("L’Express" et i-Télé).

Je pense que cette idée de vouloir le Brexit pour faire enfin l’Europe "entre soi" n’a pas beaucoup de sens. J’ai quatre raisons pour penser que les partisans de la construction européenne auraient dû au contraire redouter le Brexit.

Premièrement, virer les empêcheurs de tourner en rond n’est pas très malin, car c’est la seule vraie problématique de la construction européenne. Après les Britanniques, il y aura toujours d’autres empêcheurs de tourner en rond, les Danois par exemple, ou alors les Hongrois, les Polonais, etc. Avec cette logique, on en arriverait rapidement à ne rester plus qu’un seul pays. Et encore ! nous ne sommes pas d’accord entre nous !

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Deuxièmement, le Brexit pourrait lancer un mouvement irréversible de "détricotage" de l’Union Européenne. Déjà, des irresponsables populistes des Pays-Bas et de la France réclament à grands cris un référendum sur le maintien de leur pays à l’Union Européenne, à l’instar des Britanniques. Inutile de dire que voir Marine Le Pen, sur le perron de l’Élysée, parce qu’elle venait d’être reçue par François Hollande ce 25 juin 2016, répéter à s’en époumoner, qu’il fallait un référendum sur le maintien de la France dans l’Union Européenne est une image désolante de la vie politique tant française qu’européenne. Un référendum n’a jamais résolu les grands problèmes qui se posent dans une nation, comme le chômage, la désindustrialisation, l’insécurité, etc. Il permet de départager sur des projets concrets, ponctuellement, pas de mener une politique volontariste qui est du ressort avant tout de la responsabilité des gouvernants démocratiquement élus, justement.

Troisièmement, et cela s’est illustré avec la montée de la notoriété de Nigel Farage au Royaume-Uni, le Brexit a donné un écho inconsidéré dans les autres pays aux populismes de toutes sortes. Il n’est donc pas sûr que les peuples restants s’en remettront de ce choc politique et économique si terrifiant.

Quatrièmement, enfin, les capacités de renforcement de l’Union Européenne vont être limitées avec le départ du Royaume-Uni. L’un des axes essentiels de renforcement aurait dû être l’Europe de la Défense. Sans les Britanniques, cette Europe de la Défense serait déséquilibré et sans efficacité puisque les deux pays européens essentiels de la défense, ce sont la France et le Royaume-Uni en raison de leur capacités de dissuasion nucléaire.

D’autres Européens convaincus s’en prennent maintenant à David Cameron, à son irresponsabilité, à son inconséquence, voulant utiliser l’arme du référendum comme un moyen très électoraliste de consolider son pouvoir au sein du parti conservateur mais qui s’est retournée contre lui. C’est vrai, mais cela ne sert à rien de le dire car c’est du passé et qu’il est surtout important d’envisager l’avenir. Ces Cassandre tardives s’étaient d’ailleurs bien gardées de contester cette irresponsabilité avant le référendum car elles jouaient autant que David Cameron à ce jeu de poker : en cas de victoire du Bremain, ces europhiles auraient été bien entendu très heureux de montrer que l’Europe avait l’adhésion du peuple britannique.

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Ce "génie politique" de David Cameron est pointé aussi du doigt par Daniel Schneidermann dans sa chronique du 27 juin 2016, en expliquant que les plus jeunes Britanniques, plutôt opposés au Brexit, sont très peu allés voter : « Ce n’est d’ailleurs pas entièrement de [leur] faute, mais aussi celle du gouvernement Cameron qui, pour lutter contre la fraude, avait durci les conditions de participation au scrutin (…). Ce qui constitue encore un indice du génie politique de Cameron, seul enseignement à peu près indiscutable de ce scrutin. » ("Arrêt sur images").

Dans un prochain article, j’évoquerai la profonde division du peuple britannique et la réalité que l’Union Européenne est un pôle de stabilité mondiale.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 juin 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L’Union Européenne, élément majeur de stabilité mondiale.
Terre brûlée ?
Brexitquake.
Boris Johnson.
To Brexit or not to Brexit ?
L’euro.
Le conflit syrien.
Les réfugiés syriens.
La construction européenne.
Jo Cox.
Élisabeth II.
Un règne plus long que celui de Victoria.
Philip Mountbatten.
Vive la République !
David Cameron.
Margaret Thatcher.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160625-brexit-C.html

http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/brexit-le-continent-europeen-isole-182343

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/06/27/34018064.html

 

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