« Si nous voulons gagner, il faut s'extraire du brouhaha et du tumulte. » (Laurent Wauquiez, le 1er octobre 2023 à Valence).
Le président du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes (LR) Laurent Wauquiez a fait sa rentrée politique le dimanche 1er octobre 2023 à Valence devant les Jeunes républicains (jeunes de LR) réunis en campus (une sorte d'université d'été, mais en automne). Son discours était attendu parce qu'il reste, à cette heure, le candidat potentiel le plus probable de LR à l'élection présidentielle de 2027. En tout cas, c'est ce que voudrait le président de LR actuel, Éric Ciotti.
Pendant très longtemps, Laurent Wauquiez était un p'tit jeune de la vie politique française, benjamin à l'Assemblée Nationale, élu à 29 ans pour son premier mandat de député. Et au lieu de considérer cela comme un avantage, une force pour montrer dynamisme et renouvellement, il se serait plutôt teint les cheveux en gris pour paraître plus vieux que ses artères (c'est sans doute sans précédent !). Plus vieux et plus crédible. Malheureusement pour lui, un p'tit jeune à l'Élysée, c'est Emmanuel Macron qui l'a doublé il y a six ans.
Pourtant, Laurent Wauquiez était un meilleur fort en thème que l'actuel locataire de l'Élysée : lui est normalien, reçu premier à l'agrégation d'histoire, IEP Paris service public, DEA de droit public et bien sûr, ENA, sorti là aussi major et auditeur au Conseil d'État. Il a bossé particulièrement à la commission Stasi qui a abouti à la loi qui interdit tous les signes ostentatoires à l'école (notamment le voile).
Sous-ministre et ministre pendant tout le quinquennat de Nicolas Sarkozy, grand élu local depuis 2016 (il préside le conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes, la deuxième région de France, grâce à la réforme territoriale de François Hollande car sans elle, il serait resté seulement en Auvergne). Cette région (qui n'est pas "sa" région comme les journalistes l'écrivent un peu trop facilement, il n'est que le président du conseil régional pour un temps donné), c'est un peu la base de repli du grand fauve politique qui attend son heure.
Mais attendre son heure ? François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy attendaient-ils leur heure quand la situation ne leur était pas favorable ? Non, ils étaient en campagne permanente parce qu'ils étaient tenaces, persévérants, ils tenaient à aller jusqu'au bout de leur ambition. Après une défaite, ils se relevaient immédiatement et repartaient à l'attaque. Ils avaient ainsi une visibilité politique et surtout, à force, ils avaient acquis une certaine crédibilité.
Maintenant, à 48 ans, l'âge qu'avait Valéry Giscard d'Estaing quand il a été élu Président de la République en 1974, Laurent Wauquiez est plutôt en panne. Depuis au moins 2019 et l'échec désastreux de LR aux élections européennes, ce qui l'a conduit à démissionner de la présidence de ce parti. Le score ridiculement bas de Valérie Pécresse à l'élection présidentielle de 2022 n'a pas dû non plus le réjouir car le parti Les Républicains est en passe, suivant le PS d'une élection, d'aller à la disparition nationale complète. Grâce à leur bonne implantation territoriale, seules, les élections locales restent encore gagnables pour ces deux anciens grands partis de gouvernement que sont LR et le PS.
Sur le papier, Laurent Wauquiez est sans doute le candidat le plus capable de faire la meilleure performance de LR. Mais sur le papier seulement. Car concrètement, il ne met pas les moyens de son ambition. Si l'investiture de LR paraît relativement facile à obtenir pour l'élection présidentielle de 2027, l'idée qu'il fasse partie des candidats de la cour des grands n'est pas évidente. LR n'a même pas atteint 5% en 2022.
L'impossibilité de se représenter d'Emmanuel Macron pourrait certes ouvrir une fenêtre d'opportunités nouvelles. Mais Laurent Wauquiez oublie que LR n'est plus un parti hégémonique. Pour revenir en première division, il va falloir travailler dur. Un peu comme l'a fait François Bayrou pendant la campagne présidentielle de 2007 alors que l'UDF ne représentait qu'un parti de moins de 10% d'audience électorale.
Or, le candidat putatif ne travaille pas pour être qualifié parmi les grands candidats de 2027. Il suffit de relire son discours de Valence sur le sujet : « En 2027, cela fera vingt ans que notre famille politique n'aura pas remporté d'élection présidentielle. Vingt ans. Il est peut-être temps de prendre en compte avec humilité ce qui nous a éloigné des Français. Et si nous préparons cette élection comme les autres, nous la perdrons exactement comme les autres. Si nous voulons gagner, il faut s'extraire du brouhaha et du tumulte. Il faut le faire car 2027 ne sera pas une élection présidentielle comme les autres. Ce ne sera pas, j'en suis convaincu, une énième conquête individuelle ou la satisfaction d'une ambition personnelle. Ce sera pour un pays épuisé par autant d'années qui l'ont amené à commettre tant d'erreurs, l'heure du grand choix. Glisser définitivement dans le déclin ou y mettre un coup d'arrêt et remonter la pente. Alors, il faut se réinventer. Il faut oser dire ce qui bloque et abîme notre nation. Il faut oser imaginer un nouveau modèle. Il faut prendre le temps, ce que nous ne faisons plus, d'écouter les attentes et les aspirations des Français, des attentes et des aspirations parfois contradictoires. Il faut renverser la table. Il ne faut pas emprunter les mêmes chemins et les mêmes travers. Et ne vous y trompez pas. C'est à cela que je vais consacrer toute mon énergie, vous conduire à nouveau vers un grand succès collectif. » (1er octobre 2023).
Blabla creux. Si on analyse ces quelques mots, finalement beaucoup trop succincts pour faire confiance à un candidat à la Présidence de la République, on s'aperçoit que d'une part, il y a une part de pleurnicherie (nous avons perdu depuis vingt ans, m'ouin !), ce dont les Français se moquent. D'autre part, il y a l'affirmation que cette élection de 2027 ne sera pas une élection ordinaire ni personnelle et qu'elle sera collective : toutes les élections présidentielles sont particulières et, non, elles sont aussi des aventures individuelles, c'est justement l'osmose entre l'ambition collective et l'individu qui l'incarne le mieux qui permet la victoire.
Il y a également un décalage flagrant entre le sens des mots et la manière de les dire. Lorsqu'il a expliqué qu'il fallait renverser la table, le plus calmement possible, bien propre sur lui, comme un technocrate, qui l'a cru ? La crédibilité est proche de zéro, on croirait plus facilement un Jean-Luc Mélenchon en sueur qui hurlerait les mêmes mots, assurément ! En outre, il y a cette ultraprétention du responsable politique qui dit en gros : ou c'est le déclin, ou c'est moi ! Peu éloigné du jour et la nuit de Jack Lang. Mâtiné du "bon choix" (version 1978) de Valéry Giscard d'Estaing.
Enfin, et c'est le plus important, ce qu'on constate, et c'est à mon sens le plus troublant chez Laurent Wauquiez, c'est sa grande vacuité politique. Une vacuité constante d'ailleurs depuis qu'il fait de la politique. De toutes ces phrases, pas une seule conviction politique exprimée, pas même une seule valeur (ni valeur ajoutée). Du creux. Juste un contenant en attendant d'y mettre la sauce ou le plat !
Il faut rappeler la candidature de François Fillon qui, malgré son "affaire", avait quand même atteint le seuil des 20% en 2017, insuffisant pour participer au second tour mais il faisait partie des grands candidats. François Fillon était un grand bosseur et sans doute a-t-il été le candidat à l'élection présidentielle à avoir présenté le meilleur projet politique, le plus construit, le plus abouti, depuis le début de la Cinquième République. Ce n'était pas une surprise : il a commencé à bâtir son programme en février 2013 ! Laurent Wauquiez est déjà en retard avec cet agenda. François Fillon, pendant quatre ans, n'a fait que rencontrer toutes les forces vives du pays, les entrepreneurs, les syndicats, les artistes, les associations, les juges, les avocats, les médecins, les infirmières, etc. pour comprendre la France, comprendre le peuple français, comprendre les blocages, ce qui manquait, ce qu'il fallait changer. Lui, François Fillon, il ne disait pas qu'il allait écouter les Français, il allait les écouter, tout simplement.
Le discours de Laurent Wauquiez à Valence, n'importe quel leader politique de n'importe quel parti aurait pu le prononcer, puisqu'il n'a avancé aucune idée ! À croire qu'il s'est fait aider du site pipotron ! (lui, le moderne, qui aurait reconnu fréquenter le site yourporn). C'est amusant de voir les lecteurs du HuffingtonPost (par exemple) réagir à ce discours. L'un : « Je suis persuadé que même lui ne croit pas ce qu'il raconte. ». Un autre : « Il s'était caché où depuis toutes ces années ? Qu'il y retourne : on n'en veut pas. ». Un troisième : « Au moins il sait aligner les phrases en ne disant strictement rien. Si il continue comme ça jusqu’en 2027 au moins il ne s’embrouillera avec personne. Mais pas sûr qu’il arrive à convaincre quiconque non plus. ». Ou encore : « Le souci majeur de ce discours est qu'au lieu d'évoquer l'importance de devenir une figure emblématique française et de servir l'intérêt de la nation, il met l'accent sur la victoire de sa famille politique... Cela en dit long... ». À la décharge de Laurent Wauquiez, il s'exprimait devant les jeunes adhérents de son parti, c'était donc normal qu'il évoquât surtout la victoire de son parti (au même titre que devant des agriculteurs, on dira qu'on aime les champs de bettraves).
Alors, Laurent Wauquiez n'a-t-il aucun fond ? Certainement pas. Il est déjà une belle mécanique intellectuelle, dans la grande tradition française des grands fauves politiques, il lui manque juste du carburant : les carburants sont chers, en ce moment. Il n'est assurément pas un homme à conviction. Qui pourrait dire ses principales convictions, alors que cela fait près de vingt ans qu'il hante la vie politique nationale ?
Toutes ses envolées programmatiques ont des origines démagogiques. La première était contre l'assistanat (ce qui était fort de café : il se prétendait de la "droite sociale", lui, l'héritier de Jacques Barrot en Haute-Loire, et il voudrait casser le système de solidarité sociale). À l'époque, jeune sous-ministre, il fallait faire parler de lui. Le meilleur moyen (méthode Sarkozy), c'était transgresser. Rappelons du reste que l'une de ses premières réalisations au gouvernement (on le dit trop peu souvent), c'était de réunir l'ANPE et les Assédic en Pôle Emploi avec le succès qu'on sait.
Aujourd'hui, vouloir faire parler de lui, c'est toujours le cas, et l'éditorialiste Renaud Dély l'a bien compris dans sa chronique du 2 octobre 2023 sur France Info : « Il veut que "l’État laisse respirer les Français". Un discours aussi vieux que la droite. Illustré par le fameux cri du cœur de Georges Pompidou dans les années 60 : "Il faut arrêter d’emmerder les Français !". La tonalité anti-écologiste est néanmoins plus récente. Elle colle à l’air du temps politique. Depuis quelques années, Laurent Wauquiez est d’ailleurs l’un des thermomètres des oscillations du populisme dans le débat politique. ». Cette dernière phrase est essentielle pour comprendre Laurent Wauquiez.
Tonalité anti-écologique ? Effectivement, la veille de son discours de Valence, le 30 septembre 2023, au cours du congrès de l'Association des maires ruraux de France réunis à l'Alpe d'Huez, en bon voisin, Laurent Wauquiez a fustigé la loi Climat et Résilience n°2021-1104 du 22 août 2021 en annonçant la sortie de la région Auvergne-Rhône-Alpes du Zéro artificialisation nette (ZAN), une disposition qui empêche toute nouvelle bétonisation des sols à partir de 2050 : « Je refuse qu'on mette sous cloche les décisions des élus de construire dans la ruralité. Les décisions prises par la technocratie, je dis stop. Notre région se retire donc du processus et on demande à la ministre de revoir sa copie. ».
C'était une déclaration plus démagogique que politique. Il était devant les maires ruraux et il a affirmé que cette loi Climat et Résilience était "ruralicide" ! Il a été forcément applaudi. Renaud Dély expliquait bien l'idée : « Pourquoi Laurent Wauquiez adopte-t-il ce positionnement ? Parce que c’est un créneau qui lui semble porteur en ces temps d’inflation où les Français sont plus inquiets pour leur porte-monnaie que pour l’environnement. (…) En matière de démagogie anti-écologique, Laurent Wauquiez va surtout avoir fort à faire avec la concurrence de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour. Une surenchère qui devrait peser sur la campagne des élections européennes. Elle fait déjà le bonheur de partis populistes hors de nos frontières, aux Pays-Bas, en Allemagne et ailleurs. Pour l’heure, les records battus par les prix des carburants préoccupent davantage les électeurs que les records battus par les températures. ».
Au-delà du positionnement, la réalité concrète d'une sortie de la région du dispositif ZAN est absolument impossible et c'est pourquoi ses déclarations ont provoqué à la fois indignation et moqueries. En effet, une région n'est pas au-dessus des lois ! Spécialiste du droit de l'environnement, l'avocat Arnaud Gossement sur France Info le 8 octobre 2023 : « Cette déclaration [de Laurent Wauquiez] n'a aucun sens juridiquement. Il doit se soumettre à la loi de la République. ». Son confrère David Dokhan disait la même chose : « Le président d'un conseil régional n'a pas la compétence pour intervenir, modifier, ni amender la loi. ».
C'est d'ailleurs le problème constitutionnel pour donner plus d'autonomie à la Corse, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française. L'article 72 de la Constitution est très clair à cet égard : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. ». Les régions ne peuvent donc pas aller contre la loi de la République ! Si une région refuse d'aller au bout de la modification de son schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) pour fixer un objectif intermédiaire de la bétonisation des sols, c'est le préfet de région qui s'en chargera...
Pour autant, le dispositif ZAN est très compliqué pour les élus locaux, et il leur est aussi très contraignant, j'y reviendrai peut-être ultérieurement. L'idée d'empêcher toute nouvelle bétonisation des sols à partir de 2050 est très ambitieuse (cela pour favoriser la biodiversité) et surtout, très contraignante pour les communes. La loi fixe une étape intermédiaire, 2030, avec la réduction de 50% de la bétonisation, mais cela signifie une fois encore (comme avec la suppression de la taxe d'habitation) une pénalité pour les plus vertueux (une commune très bétoneuse aura un objectif moins contraignant en 2030 qu'une commune peu bétoneuse). Et pour les petites collectivités territoriales, c'est une catastrophe financière car elles n'ont pas les moyens en interne de modifier ou de rédiger tous les documents de planification obligatoires (pas d'ingénieur, pas d'avocat, etc.) et doivent donc passer par des cabinets de consultants très onéreux.
On comprend donc que la sortie de Laurent Wauquiez sur le ZAN est au mieux creuse et au pire démagogique, mais ne constitue pas un semblant de début de programme politique. Cette vacuité programmatique sera fatale pour LR. C'était contre elle que le député Aurélien Pradié s'était présenté à la présidence de LR l'an dernier. Laurent Wauquiez n'a aucune colonne vertébrale sur les convictions, sur ce qu'il aurait à présenter comme projet national s'il devait mener son parti aux élections (au contraire de François Fillon). Et peut-être aurait-il dû privilégier son mandat de député (un mandat national) à celui de président de conseil régional si un jour il voudrait se présenter pour présider aux destinées du pays.
Laurent Wauquiez revient ? En fait, non, il n'est jamais parti, mais on ne s'en était pas aperçu.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (08 octobre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Laurent Wauquiez.
Gérard Larcher.
François Fillon.
Vincent Jeanbrun
Nicolas Sarkozy.
Valéry Giscard d’Estaing.
Jacques Chirac.
Bernadette Chirac.
Édouard Philippe.
Claude Malhuret.
Éric Ciotti.
Présidence de LR : Ciotti vs Retailleau au cœur du système.
Présidence de LR : trois têtes pour un fauteuil.
Trois candidats et un enterrement ?
Lucien Neuwirth.
Bruno Le Maire.
Patrick Balkany.
Xavier Bertrand.
Bruno Retailleau.
Caroline Cayeux.
Christophe Béchu.
Aurélien Pradié.
Jean-François Copé.
Yvon Bourges.
Christian Poncelet.
René Capitant.
Patrick Devedjian.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20231001-wauquiez.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/et-voici-que-laurent-wauquiez-250723
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/10/08/40067437.html
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