Il y a quelques jours, ce mardi 4 août 2009 très ensoleillé, comme tous les 4 août, on fêtait les Jean-Marie. Mais avec une petite particularité cette année, on fêtait aussi les cent cinquante ans de la mort du saint qui les rattache,
Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars, petite commune dans le diocèse de Belley, dans l’Ain, à la grande longévité (quarante et un ans).
Réfractaire à l’autorité politique durant sa jeunesse
Né le 8 mai 1786 dans la banlieue lyonnaise (à Dardilly), il fut un
enfant de la Révolution, au sein d’une famille rurale peu éduquée et très catholique.
Pendant la Terreur en 1793, puis en 1796, sa famille allait rarement à la messe pour éviter la répression et la première communion du garçon eut lieu dans la clandestinité.
Jean-Marie Vianney choisit d’entrer au séminaire de Lyon, mais sa nullité en latin et donc en philosophie enseignée en latin (il est jugé
debilissimus) lui fit échouer ses études. Oublié des registres du séminaire (les futurs prêtres étaient exemptés de l’armée), il fut mobilisé le 28 octobre 1809 pour renforcer les troupes napoléoniennes contre l’Allemagne et l’Autriche. Comme il était hospitalisé à Roanne, il décida de
déserter pour persévérer dans sa vocation sacerdotale. Une fuite qui pouvait aussi se justifier car Napoléon I
er avait été implicitement excommunié par le pape Pie VII en raison de l’invasion de Rome par ses troupes.
Finalement, il finit laborieusement par devenir prêtre en août 1815 au séminaire de Grenoble et devint vicaire du curé d’Écully (dans la banlieue de Lyon), Charles Balley, prêtre réfractaire qui eut un rôle déterminant dans la trajectoire du jeune Jean-Marie Vianney, puis, à la mort de Charles Balley en 1818, il fut envoyé comme curé dans le petit village d’Ars, dans l’Ain, à quarante kilomètres de Lyon.
Ce fut durant son très long ministère dans ce village que ses qualités humaines et sociales se révélèrent.
Pauvreté et charité
Le père Vianney en effet montra très rapidement auprès ses fidèles qu’il menait une vie très austère et contemplative. Le moindre argent ou objet de richesse qu’il recevait était immédiatement donné à des plus pauvres que lui. On racontait ainsi qu’un ami aisé lui offrit de nombreuses montres que le curé s’empressait systématiquement à redonner à des miséreux, si bien que l’ami eut l’idée de ne plus lui donner mais de lui prêter une nouvelle montre afin qu’il la portât enfin au poignée. Dans sa maison, le curé logeait une dizaine de pauvres de passage. Son grand-père Pierre Vianney, déjà, avait accueilli saint Benoît-Joseph Labre, mendiant (saint patron des célibataires et des sans-logis, béatifié en 1860 et canonisé en 1881 par Léon XIII).
Œuvres sociales
Une vie contemplative car il restait de très longues heures seul dans son église à prier. Mais pas seulement contemplative. Aussi une vie très sociale et très active. Il se mettait d’accord avec les maires successifs du village, il allait voir chaque villageois comme le lui avait recommandé son évêque, et il devint rapidement un véritable homme d’écoute de la population. On disait qu’il lisait les âmes mais avant tout, il était fin psychologue et rendit à bien des personnes sérénité, comme à cette veuve de suicidé : « Si, il est sauvé ; il est en purgatoire et il faut prier pour lui. Entre le parapet du pont et l’eau, il a eu le temps de se repentir. ».
Le curé était capable de mobiliser les énergies et les moyens matériels et humains considérables autour de lui pour faire aboutir ses projets. Le sous-préfet Trévoux écrivait notamment au sujet de Jean-Marie Vianney : « Au seul point de vue matériel, c’est donc un homme éminemment utile. ». Un spécialiste du personnage, Philippe Boutry, estima que Jean-Marie Vianney était parvenu à faire financer presque une centaine de projets entre 1849 et 1859 pour un total équivalent à presque deux fois les gains de la loterie nationale de 1862.
Homme de joie, il considérait qu’il fallait organiser des fêtes pour faire vivre le village et renforcer le bonheur et la piété tout en faisant fermer les cabarets dont l’existence engendrait de nombreux drames humains (alcoolisme des pères de famille surtout : « Le cabaret, c’est le lieu où les ménages se ruinent, où les santés s’altèrent, où les disputent commencent et où les meurtres se commettent. »). Il lutta aussi très fermement contre le travail le dimanche, demandant notamment aux pères de famille de laisser leur épouse s’occuper d’autre chose que du travail domestique pour s’instruire et s’éveiller l’esprit.
Il ouvrit une école pour les jeunes filles qui devaient selon lui être instruites autant que les garçons et il encouragea le maire du village à diriger l’école des garçons.
Une notoriété croissante
Petit à petit, par le bouche à oreille, le curé d’Ars commença à être connu au-delà des frontières de son diocèse et se transforma à partir des années 1830 en « missionnaire immobile » recherché par tout le monde. Ses journées devenaient épuisantes jusqu’à dix-sept heures par jour de confessions, plusieurs dizaines de milliers de personnes voulaient lui parler, avec de longues files d’attente, ce qui favorisa dans le village la construction d’hôtels et de restaurants et de diverses activités annexes qui faisaient la joie des profiteurs sans scrupule (qu’on peut retrouver encore à Lourdes ou dans d’autres lieux de nos jours). Par exemple, cinq hôtels ont été construits entre 1847 et 1858, et soixante-quinze commerçants et artisans supplémentaires s’installèrent à Ars entre 1836 et 1846.
Parmi les pèlerins qui venaient le visiter, il y avait eu Henri-Dominique Lacordaire, célèbre prêtre dominicain, homme politique et futur académicien né en 1802, qui arriva à Ars incognito (mais fut tout de suite reconnu).
Canonisé presque de son vivant
Ses journées étaient si épuisantes que Jean-Marie Vianney voulait démissionner à plusieurs reprises (en 1843 et en 1853) pour se reposer et se retirer dans un monastère, mais il n’en avait jamais eu l’autorisation de l’évêque. Il ne mangeait qu’une fois par jour et ne prenait que deux ou trois heures de sommeil pour pouvoir s’occuper des gens qui venaient à sa rencontre. Il chercha parfois à s’extraire de la foule, se réfugiant en vain à Dardilly par exemple mais les pèlerins le surent et vinrent le rejoindre.
Ce fut l’un des rares saints à l’avoir été considéré de son vivant (un peu comme Mère Teresa qui n’est pas encore sainte mais qui le sera sans doute bientôt). Ce qui n’atteignait toutefois pas sa grande humilité : refus de la légion d’honneur proposée par Napoléon III en 1855 ou grincement de dents à l’annonce épiscopale de sa nomination de chanoine honoraire (« La comtesse des Garets le décrivit ainsi : « On eut dit un supplicié que l’on mène à l’échafaud, la corde à cou. »).
À sa mort le 4 août 1859 à deux heures du matin, à l’âge de 73 ans (« Qu’il fait bon de mourir quand on a vécu sur la croix. »), Jean-Marie Vianney fut rapidement reconnu par l’Église catholique comme saint patron des prêtres de France en 1905, puis saint patron de tous les curés du monde en 1929 et enfin en juin 2009 (par Benoît XVI), comme saint patron de tous les prêtres du monde. Béatifié en 1905 par Pie X, canonisé en 1925 par Pie XI (devant 70 000 personnes), le saint curé d’Ars fut célébré à Ars par le futur pape Jean XXIII en 1945 (Jean XXIII rédigea une encyclique sur son parcours en 1959), puis par le pape Jean-Paul II le 6 octobre 1986 lors d’une visite pontificale où il évoqua son « modèle extraordinaire de vie et de service sacerdotal ».
Depuis plus d’un siècle, une basilique a été construite à Ars et présente à la vue de tous les restes du sain curé, un corps qui ne s’est pas décomposé et un cœur séparé dans une châsse secondaire (mais comme pour tous les reliquaires, je trouve ce type d’exposition assez morbide et peu respectueux du disparu). La commune d’Ars est de nos jours un haut lieu de pèlerinage avec près d’un demi million de visiteurs chaque année.
Sans visage
Les représentations du curé d’Ars (très nombreuses dans les églises françaises) lui donnent une allure très maigre, longiligne au visage osseux un peu à la Voltaire. Cependant, aucune photographie ni portrait de lui n’a été réalisé de son vivant par refus d’utiliser son image. « Qui a fait cela ? » s’interrogea le curé auprès de quelqu’un qui voulait faire son portrait : « Vous m’avez désobéi. Dois-je vous pardonner ? ». Ce ne fut qu’un siècle après sa mort, en septembre 1959, qu’une équipe de la police scientifique (sous la direction du commissaire divisionnaire Chabot) établit le portrait robot de Jean-Marie Vianney.
Une commémoration républicaine méritée
Cette année, tant l’Église catholique que la République française ont voulu saluer en saint Jean-Marie Vianney l’homme de foi et l’homme d’action qui répandit bonté et espoir auprès d’une population sujette aux peurs de leur époque…
Ces peurs demeurent, d’une autre nature mais restent avant tout sociales. En revanche, on manque cruellement de nouveaux Jean-Marie Vianney…
Pour aller plus loin :