Alors que Mélenchon confirme sa percée comme troisième homme, Poutou commence à décoller et dépasse même Eva Joly. Analyse du dernier sondage et rappel de la situation du candidat du NPA.
La situation des intentions de vote semble un peu évoluer après presque deux semaines de campagne officielle pendant lesquelles les dix candidats, y compris les "petits", ont accès à tous les médias.
Bien sûr, les deux grandes tendances restent une montée de Jean-Luc Mélenchon et une bonne endurance relative de Nicolas Sarkozy, mais un sondage de l’IFOP pour "Le Journal du dimanche", réalisé les 29 et 30 mars par téléphone auprès d’un échantillon de 961 personnes représentatives et publié ce dimanche, a apporté une petite surprise qui devra être évidemment confirmée par d’autres instituts de sondages.
Un bond spectaculaire
En effet, même si cela n’aura pas beaucoup d’incidence dans les prévisions de second tour, c’est un petit candidat, de ceux qui n’ont jamais réussi à percer au-delà de 1%, qui a fait un bond spectaculaire de +4%. Philippe Poutou, candidat du NPA, obtient en effet 4,5% d’intentions de vote dans ce dernier sondage, frisant la barre des 5% nécessaire pour un meilleur remboursement de frais de campagne.
Ce score est d’ailleurs assez proche de celui d’Olivier Besancenot réalisé le 22 avril 2007, à l’époque où il se présentait pour le compte de la LCR.
Si les autres petits candidats n’ont pas la même chance que lui et ne font guère qu’entre 0% et 1% (il est difficile de préciser plus), Philippe Poutou pourrait avoir déjà une source de satisfaction en dépassant le score de la candidate écologiste Eva Joly qui n’arrive qu’à 3,5% (en hausse de +1,5% pourtant).
Autre motif de satisfaction pour le candidat d’extrême gauche, il ne prend pas ses électeurs auprès de ceux de Jean-Luc Mélenchon qui progresse même à 13,5% (+1%) et s’installe à la troisième place. Nul doute qu’au contraire, Philippe Poutou profite paradoxalement de l’effet Mélenchon (l’effet du 18 mars).
Les intentions de vote pour François Bayrou sont relativement stables avec une très légère progression, à 12,0% (+0,5%) alors que ce sont les trois (anciens) premiers candidats qui chutent de plusieurs points : Marine Le Pen s’effondre à 13,0% (-2,5%) et François Hollande aussi s’effondre d’autant pour atteindre 25,5% (-2,5%), ce qui permet à Nicolas Sarkozy, lui aussi en nette diminution, de prendre de justesse la première place que d’autres instituts de sondage avaient déjà confirmée, avec 26,0% (-2%).
Premières réactions
Pour la candidat du NPA, ce sondage est inespéré. Philippe Poutou, de retour de son meeting du Mans de vendredi soir, a pris note avec satisfaction et simplicité de ce frémissement mais n’a pas insisté : « L’important, c’est que notre message passe. Plus nous serons nombreux, moins l’austérité pourra passer après l’élection. Il faut le répéter, ce qu’il faut, c’est que ce gouvernement soit chassé ! ».
Jeudi soir, Olivier Besancenot avait dit dans un meeting dans le 13e arrondissement de Paris : « Avec le Front de gauche, et moi, je vais mettre les pieds dans le plat, il y a une dynamique, c’est clair. (…) Moi, je ne la vois même pas d’un mauvais œil, je vous le dis franchement. (…) Je pense tout d’abord qu’en tant que tel, c’est pas forcément contradictoire avec un score honorable du NPA. (...) Et si ça donne confiance à des militants, alors tant mieux, si ça permet de populariser des solutions qu’on était pratiquement les seuls à défendre, alors tant mieux ! (…) Il faut voir la suite de l’épisode ! ».
En somme, avant de connaître ce sondage, Olivier Besancenot rappelait déjà qu’il valait mieux faire confiance à l’original qu’à la copie…
Faisant une brève apparition aux Folies Bergères samedi soir, dans le cadre du meeting LGBT, Jean-Luc Mélenchon n’a d’ailleurs pas caché sa joie de se savoir devant Marine Le Pen et surtout, de voir la gauche du PS s’enflammer à 18,5% et n’a pas manqué de sourire à l’évocation d’un véritable vote utile en sa faveur à gauche, car en comptabilisant les votes d’Eva Joly, sa candidature pourrait recueillir 22%, ce qui n’est pas loin des 25,5% de François Hollande : « Nous venons d’amorcer un mouvement nouveau et original, une sorte d’insurrection par les urnes qui va tout emporter les soir des 22 avril et 6 mai. Ce sera un tsunami à deux vagues démocratiques ! ».
Pour le leader du Front de gauche, les tendances sont là et irrépressibles : il est maintenant convaincu qu’il sera présent au second tour et qu’il saura enfin engager un véritable débat sur les enjeux nationaux et européens. C’est ce qu’il compte dire au stade Bélier à Grigny ce dimanche après-midi.
Divine surprise pour le NPA
Ce bond dans les sondages du candidat du NPA est une divine surprise alors que l’humeur était plutôt morose.
Encore ce 30 mars 2012, Olivier Besancenot ruminait devant les micros de RFI et de France Inter les risques d’une victoire de la droite : « Moi, ce que je trouve tristounet, c’est de se dire que Sarkozy peut repasser, ça, oui, je trouve ça super tristounet ! ». Un sentiment qu’il avait déjà évoqué la veille dans le 13e arrondissement : « À l’heure où on parle, on n’est même pas sûrs que [Sarkozy] ne sera pas réélu ! ».
La candidature de Philippe Poutou semblait en effet plombée par ses propres troupes.
Vase communiquant avec le Front de gauche
Dans une tribune à "Libération" parue le 22 mars 2012, des dirigeants unitaires, Myriam Martin, l’une des deus porte-parole du NPA, désormais démissionnaire, Pierre-François Grond, un proche d’Olivier Besancenot, et Hélène Adam, ancienne dirigeante historique de la LCR, avaient annoncé qu’ils apportaient leur soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon parce qu’ils jugeaient que leur candidat prenait « le chemin de la marginalité » et qu’il fallait « former un bloc contre la crise pour défendre une alternative sociale et démocratique en toute indépendance vis-à-vis du Parti socialiste ». Les trois dirigeants avaient alors souhaité un soutien massif : « Il importe alors qu’existe au premier tour, un vote, le plus massif et dynamique possible, pour donner force à un programme d’urgence basé sur une autre répartition des richesses, la transition énergétique, des transformations démocratiques radicales. ».
Éric Coquerel, proche de Jean-Luc Mélenchon, s’était bien sûr félicité de ces ralliements : « Tout ce qui va dans la dynamique du Front de gauche et dans l’unité de cette gauche de transformation est positif. » tandis que la dernière porte-parole du NPA Christine Poupin voulait minimiser l’initiative en parlant de « prise de position individuelle de ces camarades-là ».
Cette hémorragie des cadres du NPA a cependant continué le 29 mars 2012 avec la défection de seize autres dirigeants et militants qui ont expliqué dans une tribune à "Mediapart" : « Dans un moment politique menaçant, où les promesses d’austérité le disputent à l’hystérie sécuritaire et au racisme légitimé, l’unité est indispensable pour imposer un autre futur que celui auquel ils nous condamnent. C’est donc avec tristesse que nous constatons que l’organisation que nous avons construite tourne le dos avec constance à toute tentative de rassembler politiquement notre camp social et ses organisations face à Sarkozy et à l’austérité qui s’annonce. (…) Les dizaines de milliers de personnes rassemblées à la Bastille ou dans les meetings du FdG ne disent pas autre chose. Il faut que la gauche de gauche s’unisse et dise d’une seule voix : Sarkozy dégage ! Assez d’austérité ! ».
Divisions internes et bataille autour du pactole
Mais au-delà de la dispersion de ses militants, le NPA subit une véritable crise d’existentialisme. Fondé en février 2009 sur les bases de la LCR, il avait pour but de rassembler tous ceux qui souhaitaient une autre mondialisation, une autre politique plus axée à gauche. Mais ce mouvement n’a pas pris et en juin 2009, ce sont les listes Europe Écologie qui ont fait jeu égal avec le Parti socialiste, autour de 16%.
Le renoncement du très médiatique et très populaire Olivier Besancenot à se présenter à l’élection présidentielle n’a pas non plus aidé le NPA dans la campagne.
Le conseil politique national du 24 mars 2012 a aussi vu se développer une autre querelle d’appareil qui a une importance stratégique, comme le raconte "Le Monde" du 30 mars 2012.
Olivier Besancenot a perdu la majorité au comité chargé de récupérer l’argent public que la LCR reçoit encore de l’État à partir de sa participation aux législatives de juin 2007, soit 2 millions d’euros par an jusqu’à cette année. Certains voulaient que chaque courant (il en existe trois) reçoive la dotation de 2011 proportionnellement à leur représentativité au sein de l’appareil. Le comité a accepté cette idée mais son président, Alain Krivine, s’y est opposé fermement au point de demander à la banque le contrôle complet du compte et de déposer un référé au tribunal administratif pour détournement de l’aide publique et fraude à la loi.
La situation s’est finalement calmée par l’annulation conjointe des ordres de virements du comité et du référé de son président mais l’un des responsable est resté prudent : « Il faut à tout prix éviter des procédures judiciaires qui ajouterait du sordide à la décomposition politique du NPA. » d’autant plus que la discussion sur les investitures aux législatives de juin 2012 n’ont pas été encore entamées et il faudra satisfaire tous les courants.
Malgré donc des deux éléments très défavorables (divisions internes et soutiens à Jean-Luc Mélenchon de nombreux cadres) mais peu médiatisés, Philippe Poutou vient de réussir à percer dans les sondages à trois semaines exactement du premier tour de l’élection présidentielle.
Il le doit probablement à plusieurs causes, dont celle d’entraînement qu’indiquait Olivier Besancenot jeudi dernier, mais aussi et surtout à la personnalité de Philippe Poutou qui peut enfin se faire connaître auprès du grand public grâce à l’ouverture (imposée) des médias.
Car qui est Philippe Poutou ?
À 45 ans, fils d’un facteur et d’une mère au foyer, Philippe Poutou se définit avant tout comme un ouvrier, et même mieux, le seul candidat ouvrier, et aussi, le seul candidat qui connaît le monde ouvrier. Il a d’ailleurs dit (au moment où Nicolas Sarkozy envisageait de quitter la politique s’il perdait) qu’après l’élection présidentielle, il reprendrait son travail d’ouvrier à l’usine de Ford à Blanquefort, près de Bordeaux.
Ni Nathalie Arthaud, enseignante, ni Jean-Luc Mélenchon, qui n’a jamais fait vraiment autre chose que de la politique (avec un mandat parlementaire depuis plus de vingt-cinq ans), ni surtout Marine Le Pen, avocate et élue depuis une dizaine d’années, ne peuvent en dire autant : « En tant qu’ouvrier, on a de suite envie de dénoncer l’usurpation du FN qui se présente comme le premier parti ouvrier de France. (…) Ce qui est insupportable, c’est que toute l’idéologie de l’extrême droite va clairement à l’encontre des intérêts de l’ensemble des salariés. ».
Un ouvrier qui a connu des emplois précaires en début de vie active mais aussi qui a su sauver mille emplois dans son entreprise (et le sien avec) grâce à une action militante et syndicaliste (il est responsable CGT). La première manifestation a eu lieu le 24 février 2007 et cela s’est finalement terminé par le rachat par Ford de l’usine vendue à un repreneur d’usines en décembre 2010 et par de nouveaux investissements en mai 2011 : « Alors, sauvés ? Rien n’est jamais gagné complètement. On le sait, notre avenir dépendra encore de notre capacité à exercer la pression mais en attendant, on repousse sérieusement les échéances (l’usine devait fermer en avril 2010). On sauve pour l’instant mille emplois. Nous n’avons pas réussi à empêcher les 336 suppressions d’emploi prévus par le plan social (préretraites et volontaires). Et on est un peu usés. Mais le résultat est énorme au regard de tout ce qui se passe ailleurs. ».
Il a commencé à militer à l’extrême gauche d’abord au sein de Lutte ouvrière entre 1984 et 1997 en se définissant ainsi : « On se disait à l’époque anarchistes, contre la société qu’on trouvait violente, on était anti-Pinochet, pour Mandela, contre l’apartheid, antinucléaire, baba-cool… » (selon le numéro 23 de "Tout est à nous !" de l’été 2011). Après un exclusion de LO, il a rejoint la LCR en 2000 puis NPA en 2009.
Candidat aux élections législatives de juin 2007 dans la 5e circonscription de la Gironde (il a eu 2,7%), il était tête de liste aux élections régionales en Aquitaine en mars 2010 (il a obtenu 2,5%).
Avec 67% des mandats, il a été désigné par la conférence nationale du NPA du 26 juin 2011 comme candidat à l’élection présidentielle. Il a eu du mal à recueillir les 572 parrainages qui lui ont permis d’être candidat et surtout d’être crédible auprès des médias.
Bonne humeur et simplicité
Dans ses prestations télévisées, Philippe Poutou inspire une certaine empathie et surtout sympathie, un sorte de bonne humeur qui contraste avec l’époque difficile : sa spontanéité est réelle même s’il essaie de développer son programme avec un ton un peu scolaire. Il inspire surtout le respect et le bon sens avec, certes, un discours très simpliste et réducteur mais qui peut être entendu par beaucoup de monde : la crise est celle du capitalisme, aux riches de payer ! D’où son slogan.
Le lundi 2 avril 2012 à 20h00, Philippe Poutou participera à un meeting à Rennes. Nul doute qu’il va être reçu comme un héros. Il a déjà annoncé qu’il souhaiterait un meeting commun avec Jean-Luc Mélenchon dans la dernière semaine de campagne. L’équipe du Front de gauche ne l’aurait pas exclu, car l’unité doit prévaloir.
Pour plus de détails sur l’enquête d’opinion, vous pouvez télécharger l’étude dans son intégralité à ce lien.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (1er avril 2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les petits candidats.
L’effet Mélenchon.
Programme présidentiel de Jean-Luc Mélenchon (à télécharger).
Les dix candidats pour 2012.
Sondage IFOP pour "Le Journal du dimanche" publié ce dimanche.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/poutou-bondit-113699
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