Que ne ferait pas l’actuel locataire de l’Élysée pour placer une plaisanterie ? Cette légèreté est plutôt bienvenue mais elle peut aussi avoir des effets diplomatiques aux conséquences incontrôlables.
Le Président de la République François Hollande est un homme qui a le sens de l’humour et c’est peut-être l’une des raisons de son impopularité. C’est évidemment un avantage, on préfère toujours rire à pleurer, mais son humour est jovial. En fait, François Hollande est un homme heureux. Il jubile. Il profite de ses années au sommet. Il est heureux d’être au plus haut niveau. Alors, c’est sûr, face à un jovial, quand on est au chômage, dans des difficultés majeures pour réussir à survivre un peu, cela peut agacer et mettre en colère.
La boulette algérienne
Ces derniers jours, une polémique s’est enflée sur des propos présidentiels tenus plus ou moins publiquement mais en tout cas rapportés, lors d’un dîner avec les responsables du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) le 16 décembre 2013, pour en célébrer le 70e anniversaire.
À cette occasion, François Hollande avait lancé, en parlant de son Ministre de l’Intérieur Manuel Valls, qui revenait d’un voyage officiel en Algérie avec le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault : « Il en revient sain et sauf, c’est déjà beaucoup ! ».
Mais la boutade qui se voulait plaisanterie (sur les relations entre Matignon et Place Beauvau) a eu un effet papillon très négatif tant en Algérie qu’en France.
Le Ministre algérien des Affaires étrangères Ramtane Lamamra a ainsi réagi très vivement sur cet « incident regrettable » : « Le sens de l’humour peut apporter une valeur ajoutée au sens des responsabilités lorsqu’il s’exprime avec élégance et mesure. [Il est ici] générateur d’une moins-value.(…) L’année 2012 s’est terminée avec le succès éclatant de la visite d’État du Président Hollande en Algérie. L’année 2013 n’est pas encore terminée, et nous ne souhaitons pas la terminer sur une mauvaise note. ».
La porte-parole du Rassemblement national démocratique (RND), deuxième force parlementaire, Nouara Saadia Djaafar a été même plus véhémente sur ces propos présidentiels qui « dénotaient la haine vouée par les Français aux Algériens. (…) De tels propos, qui n’affectent nullement le peuple algérien (…) attentent par contre aux relations algéro-françaises qui connaissent une nette amélioration ces dernières années. ».
En France, les opposants à François Hollande n’ont pas été en reste, notamment Jean-François Copé, le président de l’UMP, qui a tweeté ainsi : « Je regrette le dernier dérapage verbal du Président de la République. Sur le thème aussi important que la relation de la France avec l’Algérie, l’exigence de la fonction présidentielle n’autorise pas une formule aussi déplacée. ». L’ancien candidat Jean-Luc Mélenchon en a lui aussi rajouté en parlant de « nausée ».
L’Élysée a donc dû réagir ce dimanche 22 décembre 2013 en assurant que François Hollande « exprime ses sincères regrets pour l’interprétation qui est faite de ses propos [sur l’Algérie et] en fera directement part [au Président Bouteflika]. Les quelques mots prononcés lundi par le Président de la République dans le cadre du 70e anniversaire du CRIF, concernant un déplacement de Manuel Valls en Algérie, font l’objet d’une polémique sans fondement. (…) Chacun connaît les sentiments d’amitié que François Hollande porte à l’Algérie et le grand respect qu’il a pour son peuple, comme l’ont prouvé la visite d’État qu’il a effectuée en décembre dernier et les discours qu’il a prononcés. ».
L’affaire semble donc close avec l’acceptation algérienne de ces regrets, par la voix du porte-parole de la diplomatie algérienne, Amar Belani, qui a : « pris connaissance avec satisfaction du communiqué rendu public par M. Hollande, en particulier les sentiments d’amitiés qu’il porte à l’Algérie et le grand respect qu’il a pour son peuple ».
La maladresse algérienne devrait se conclure par une conversation téléphonique prochaine entre François Hollande et le Président algérien Abdelaziz Bouteflika.
Retour à la Maison de la Radio
François Hollande n’en ai pas à sa première maladresse. En 2010, dans la perspective de la campagne présidentielle et au grand dam des journalistes, François Hollande avait tenté de se limiter avec son humour très réputé. Finalement, depuis qu’il est à l’Élysée, il s’est relâché et a débridé ses penchants naturels pour le bon mot. On serait même tenté de dire qu’il serait prêt à beaucoup pour placer ses plaisanterie.
Même si cela peut occasionner quelques incompréhensions diplomatiques, un tel humour est toutefois rafraîchissant et permet un peu de détente. Il n’en reste pas moins qu’il peut crisper ceux qui en sont les "victimes". La spontanéité présidentielle peut ici prendre des allures d’irresponsabilité et d’inconséquence.
Revenons à la célébration des 50 ans de la Maison de la Radio le 17 décembre 2013, sur les traces de De Gaulle qui avait inauguré les bâtiments ronds le 14 décembre 1963.
Dans son discours, François Hollande avait lancé pour s’amuser l’idée d’un regroupement de France Télévisions et de Radio France, propos immédiatement démentis par sa Ministre de la Culture Aurélie Filippetti qui a juste parlé d’humour. En fait, sur le papier, il était question d’un regroupement des contenus numériques, mais comme il n’avait pas fait dans le détail, l’Exécutif a donc dû rétropédaler globalement pour éteindre tout début de polémique.
Mais le discours présidentiel du 17 décembre 2013 a aussi placé deux stations de radio du groupe Radio France dans un inconfortable éclairage.
FIP et France Bleu
Ainsi, à propos de la radio FIP, François Hollande avait déclaré avec beaucoup de légèreté : « À FIP, la musique sans discontinuer que l’on peut entendre partout, chez le coiffeur, dans les ascenseurs et que l’on est content de retrouver. ». Parler de "musique d’ascenseur" n’est en effet pas très respectueux des salariés de cette station.
Mais il avait fait encore "mieux" avec le réseau France Bleu qui quadrille la France avec des stations locales qui misent sur la proximité. François Hollande, qui a été un élu local, sait à quel point avoir une station de France Bleu dans sa ville est un élément important de communication.
Alors, il a lâché que les stations qui se créent (récemment, Saint-Étienne et Toulouse) l’ont été grâce à des subventions en investissement de ces exécutifs locaux. Et d’ajouter que ces élus croient pouvoir contrôler ainsi la station locale alors que les pauvres, ils ne le savent pas, mais elles gardent leur indépendance.
C’est presque dire que les subventions pour les stations France Bleu sont basées sur un malentendu : les élus paient car croient qu’ils vont avoir une influence sur la radio locale tandis que celle-ci, laissant le faire croire, n’en restera pas moins avec une rédaction totalement libre. Pas très respectueux des élus qui sont brossés comme des magouilleurs qui veulent verrouiller tous les médias de leur fief ni des radios France Bleu qui veulent "tromper" les élus sur ce "deal".
Évidemment, toutes ces boutades décrivent peut-être, certainement, une réalité, mais sont pourtant très maladroites vis-à-vis de ceux qui sont concernés, qui y ont consacré parfois leur vie.
L’humour, oui, mais pas seulement
Pour autant, avoir un Président de la République qui a le sens de l’humour et aussi de l’autodérision, c’est un atout dans cette période trouble de tensions et d’incertitudes.
Cela ne remplace pas le contenu d’une politique véritablement offensive sur le plan économique (qui manque cruellement à la France) mais cela permet de désacraliser la fonction présidentielle dans le bon sens : un homme reste un homme.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 décembre 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Hollande fête les 50 ans de la Maison de la Radio (17 décembre 2013).
Abdelaziz Bouteflika.
Jean-Luc Hees.
Philippe Val.
Jean-Paul Cluzel.
Jacqueline Baudrier.
Stéphane Guillon.
François Hollande.
Aurélie Filippetti.
http://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/l-humour-presidentiel-et-la-maison-145413