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16 mars 2023 4 16 /03 /mars /2023 16:04

« Aujourd’hui, sur le texte du Parlement, l’incertitude plane, à quelques voix près. » (Élisabeth Borne, le 16 mars 2023 à l'Assemblée Nationale).




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La fin de l'examen au Parlement de la réforme des retraites a été particulièrement chaotique. Après l'adoption du texte amendé par les sénateurs le 11 mars 2023, une commission mixte paritaire (CMP) a été formée pour tenter de trouver un texte commun acceptable par les deux assemblées. Cette commission est composée de sept députés (3 Renaissance, 1 MoDem, 1 LR, 1 FI et 1 RN) et de sept sénateurs (3 LR, 1 Union centriste, 1 Renaissance, 2 PS). Après de longues négociations durant toute la journée du mercredi 15 mars 2023, la CMP a abouti à un texte commun. Il restait donc à le faire adopter le lendemain par les deux assemblées.

Le matin de ce jeudi 16 mars 2023, le Sénat a adopté le projet commun par 193 voix pour et 114 voix contre sur 345 votants (scrutin n°251). L'après-midi, le vote était prévu à 16 heures à l'Assemblée Nationale.

Le Président Emmanuel Macron a réuni les responsables de la majorité le 15 mars 2023 au soir, puis le 16 mars 2023 dans la matinée. Finalement, un conseil des ministres exceptionnel a été convoqué en début d'après-midi pour autoriser le gouvernement à engager sa responsabilité selon l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Ce qui a entraîné le retard de quelques minutes du gouvernement à la séance de 15 heures.

Pendant ce temps, devant le Palais-Bourbon, des manifestants faisaient le siège de l'Assemblée, une manière probablement contre-productive pour les députés LR qui, ne voulant pas être sous pression, pourraient être encouragés à, au contraire, voter le projet de loi. Cette manifestation s'est transformée à un rassemblement à la Concorde (qui n'avait donc rien de spontané, contrairement à ce qui a été dit !).

Cette séance dans l'hémicycle fut un véritable cirque : les députés de FI ont chanté la Marseillaise pour empêcher la Première Ministre de parler, ont enfreint le règlement de l'Assemblée en montrant des pancartes politiques, comme des agitateurs gauchistes, en présence de Jean-Luc Mélenchon au balcon des visiteurs ; les députés RN n'ont cessé, de leur côté, de crier à la démission de la chef du gouvernement tout en faisant claquer très fort leur pupitre. Notons que les députés communistes, sérieux et focalisés sur le fond, n'ont pas fait du tout comme leurs collègues de FI, sont restés assis à écouter.

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Élisabeth Borne, de plus en plus politique, a eu bien du mérite à prononcer son discours (en criant) où elle reconnaissait l'incertitude d'un vote positif : « On ne peut pas prendre le risque de voir 175 heures de débats parlementaires anéanties. On ne peut pas prendre le risque de voir le compromis, bâti par les deux assemblées, écarté. On ne peut pas faire de pari sur l’avenir de nos retraites. Cette réforme est nécessaire. Aussi, parce que je suis attachée à notre modèle social et parce que je crois en la démocratie parlementaire, c’est sur votre réforme, sur le texte du Parlement, fruit d’un compromis entre les deux assemblées, que je suis prête à engager ma responsabilité. Sur le fondement de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, j’engage la responsabilité de mon gouvernement sur l’ensemble du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, modifié par l’amendement de coordination communiqué à l’Assemblée Nationale. Dans quelques jours, je n’en doute pas, à l’engagement de la responsabilité du gouvernement répondront une ou plusieurs motions de censure. Un vote aura donc bien lieu, comme il se doit. C’est donc la démocratie parlementaire qui aura le dernier mot ! ».

En clair, la séance a été interrompue et les débats arrêtés avec cette disposition constitutionnelle. D'ici à vendredi 15 heures, des motions de censures pourront être déposées et elles seront discutées avant mardi prochain. Le chef du PCF Fabien Roussel a encouragé le dépôt d'une motion de censure par le petit groupe LIOT (par exemple, défendue par Charles de Courson, très remonté contre le gouvernement) qui permettrait une convergence des oppositions : Nupes, centre droit et droite et RN. Quatre ou cinq députés LR, eux aussi très en colère contre le gouvernement, n'excluent effectivement pas de voter une motion de censure.

Alors que le gouvernement souhaitait aller au vote, Emmanuel Macron n'a pas voulu prendre le risque d'un échec, considérant qu'il manquait 5 voix pour assurer la majorité du texte. On parle du groupe LR et de ses divisions (j'y reviendrai plus loin), mais le président du groupe LR Olivier Marleix a revendiqué une quarantaine de députés LR prêts à voter le texte (le texte issu de la CMP est essentiellement celui des sénateurs LR, au point qu'Élisabeth Borne a notamment dit : « Ce compromis n’est pas le projet du gouvernement, mais le texte du Parlement. Ce compromis, je n’en partage pas tous les points, mais c’est le vôtre, enrichi de propositions de la majorité et des oppositions des deux assemblées, et adopté au Sénat ce matin. »).

La majorité absolue est 289. Les trois groupes de la majorité peuvent apporter 250 voix (170 Renaissance, 51 MoDem et 29 Horizons). Comme on le voit, une quarantaine de députés LR pouvaient faire pencher la balance du côté gouvernemental, mais aucun de ces votes n'était assuré. À la défection du moindre député, cela aurait été l'échec. Au conseil des ministres exceptionnel, Emmanuel Macron a affirmé que son intérêt politique était d'amener au vote du texte, mais son esprit de responsabilité l'a emporté : cette réforme est selon lui indispensable et il ne voulait pas prendre le risque d'échouer.

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Pourtant, la situation politique aurait été plus claire. Élisabeth Borne a déjà réussi à convaincre le Président de la République d'attendre janvier 2023 pour faire cette réforme alors qu'il imaginait l'amorcer dès septembre 2022. Elle n'a pas réussi à le convaincre de ne pas utiliser l'article 49 alinéa 3. Arme redoutable, constitutionnelle et légitime, mais politiquement incertaine. En faisant voter les députés, le gouvernement aurait mis chaque député le dos au mur face à ses responsabilités : en cas d'adoption, cela aurait été une victoire avec une légitimité politique indiscutable ; en cas d'échec, certes, la réforme se verrait recalée, mais ce serait aussi l'occasion d'une grande clarification par une dissolution de l'Assemblée. Emmanuel Macron n'a pas voulu prendre ce risque.

Je m'insurge quand toutes ces oppositions populistes, promotrices du cirque parlementaire permanent depuis juin 2022, fustigent la non-légitimité et du gouvernement et de l'utilisation d'outils institutionnels. Remettre en cause la Constitution est très grave et justement, si Michel Debré avait voulu introduire ces outils dans la Constitution, c'était parce qu'il ne voulait pas rester sous la Quatrième République et sa paralysie politique et voulait permettre au gouvernement de gouverner.

L'article 49 alinéa 3 a été utilisé 100 fois, dont 28 fois par Michel Rocard, notamment pour la CSG et le RMI, on fait mieux comme dictateur. Dans d'autres démocraties, des outils similaires existent. Ainsi, en Allemagne, une motion de censure ne peut aboutir que si une majorité absolue de députés est capable de donner le nom du futur Chancelier. Cela s'est passé en octobre 1982 quand Helmut Kohl a pris le pouvoir à l'occasion du changement de position d'un petit groupe politique charnière (FDP).

Ceux-là même qui remettent en cause la règle du jeu institutionnelle ne se privent pourtant pas d'utiliser au maximum tous les outils mis à leur disposition (dans la Constitution ou dans le règlement de l'Assemblée) pour s'opposer à un projet de loi du gouvernement jusqu'à produire de l'obstruction : motion préalable, motion référendaire, rappels au règlement, droit d'amendement jusqu'à plus soif, et cela dans les deux assemblées (9 000 amendements finalement au Sénat), et même le référendum d'initiative partagée. Ceux qui remettent en cause les institutions quand ils perdent mais en gardent certaines dispositions quand cela les arrange, sont ce qu'on appelle des mauvais joueurs.

Mais la démocratie n'est pas un jeu. Le pays est en crise. En crise économique et en crise géopolitique. Aussi en crise politique parce qu'il y a 88 députés RN d'un côté et 74 députés FI de l'autre, jamais l'extrême droite et l'extrême gauche n'ont été si présentes dans l'hémicycle, hystérisant systématiquement les discussions parlementaires. Leurs invectives, leurs excès de langage, leurs moqueries, leurs abus de procédure ont complètement dénaturé le débat démocratique. Il faut qu'ils se rappellent qu'ils ont perdu les élections, tant présidentielle que législatives en 2022. Ils ne s'en sont toujours pas remis. Quant à la mobilisation syndicale, depuis janvier 2023, les syndicats n'ont jamais su mobiliser que les mêmes et le blocage annoncé du pays à partir du 7 mars 2023 n'a pas eu lieu (même si les transports parisiens deviennent problématiques pour les travailleurs les moins aisés).

Les députés de la majorité ont été eux-mêmes estomaqués que le gouvernement ait décidé d'utiliser le 49 alinéa 3. Eux auraient voulu aller au vote, mettre tous les députés devant leurs responsabilités. Ils vont avoir un week-end difficile dans leur circonscription. Élisabeth Borne est venue discuter avec eux avant d'être l'invitée du journal de 20 heures sur TF1 le soir même.

Elle se moque d'être un fusible, elle sautera s'il le faut (c'est le destin de chaque Premier Ministre) mais plus le RN demande sa démission, plus elle est assurée de rester à Matignon, d'autant plus qu'Emmanuel Macron ne voudrait pas battre le record de brièveté à Matignon détenu par Édith Cresson en 1992 (hors Bernard Cazeneuve en 2017) ; actuellement, Élisabeth Borne a 17 jours de moins qu'Édith Cresson. Il serait logique d'attendre au moins les élections européennes de mai 2024 avant un changement de gouvernement. Sur cette prérogative élyséenne essentielle (le choix du Premier Ministre), Emmanuel Macron entend bien rester le maître des horloges.

Du reste, Élisabeth Borne n'a pas démérité. Certes, on pourrait parler d'un problème de présentation et de communication de la réforme des retraites, mais c'est bien le fond que rejettent les oppositions et les syndicats. La Première Ministre, en revanche, n'est pas responsable de la déliquescence des députés LR. De leur absence d'esprit de responsabilité.

Je termine par eux : en n'affichant pas, à l'Assemblée, la même volonté que celle des sénateurs de leur propre parti, les députés LR ont montré qu'il n'existait plus de parti en tant que tel. La retraite à 65 ans était pourtant l'une des mesures proposées dans le programme tant de François Fillon en 2017 que de Valérie Pécresse en 2022. Certains refusent par posture d'opposition d'approuver le gouvernement même par intérêt général. D'autres le refusent sur le fond, c'est le cas d'Aurélien Pradié. C'est plus grave sur le plan de l'unité idéologique.

Chez LR, ils ne sont d'accord sur rien, pas même sur l'essentiel. Ils n'ont plus aucune discipline de parti, les consignes tant du président du parti Éric Ciotti que du président de groupe Olivier Marleix sont lettres mortes (seul Bruno Retailleau au Sénat réussit à garder une structure viable). Chaque député LR est à son compte. Pire, aucun des supposés présidentiables de LR n'a fait de déclaration (audible) sur le thème des retraites, pourtant important, ni Laurent Wauquiez, ni Xavier Bertrand, ni... qui d'autre, qui pourrait bien devenir un candidat LR à l'élection présidentielle ? Ils sont tous partis ! Ce parti n'existe plus sur le plan national, il reste un syndicat d'élus locaux encore efficace et puissant (comme le PS), mais sur le plan national, il n'existe politiquement plus à partir de ce jeudi 16 mars 2023. C'est, je pense, la conséquence politique la plus durable de ce cirque parlementaire actuel : l'irresponsabilité de quelques députés LR se retournera contre leur parti de manière durable et profonde.

Il reste enfin l'hypothèse de l'adoption d'une motion de censure. Nul doute que dans ce cas, des élections législatives anticipées auraient lieu. Avec l'idée, à garder en tête, que dans tous les cas, le mandat du Président de la République se termine en mai 2027. Pas avant. Les Français préfèrent-ils les gens sérieux ou les gens du cirque ? En novembre 1962 et en juin 1968, ils avaient déjà répondu. Aussi en mai 2002, mai 2017 et avril 2022. La démocratie doit être respectée. Et cela commence par respecter la Constitution. Des révolutionnaires en culotte courte croient encore au grand soir. Qu'ils respectent d'abord les Français, leur travail, leur liberté. Et leur foi en l'avenir.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (16 mars 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les gens sérieux et les gens du cirque.
Séance à l'Assemblée Nationale du jeudi 16 mars 2023 à 15 heures (vidéo et texte intégral).

Jeudi, l'heure de vérité !
Sénat : mission remplie pour la réforme des retraites 2023.
Le choix du vote bloqué (article 44 alinéa 3 de la Constitution).
La retraire de Philippe Martinez.
Réforme des retraites 2023 : le Sénat évitera-t-il l'obstruction ?
Réforme des retraites 2023 : après les enfants terribles, les sages.
Discours de la Première Ministre Élisabeth Borne dans la nuit du 17 au 18 février 2023 à l'Assemblée Nationale (texte intégral).

Réforme des retraites 2023 : chemin de Croix à l'Assemblée.
Olivier Dussopt.
Aurore Bergé.

Assemblée Nationale : méthode de voyou !
Sauver nos retraites par répartition.
Réforme des retraites 2023 : le projet du gouvernement est-il amendable ?
Dossier des retraites du gouvernement publié le 10 janvier 2023 (document à télécharger).
Conférence de presse de la Première Ministre Élisabeth Borne le 10 janvier 2023 à Matignon (texte intégral et vidéo).
Comprendre la réforme des retraites présentée par Élisabeth Borne ce mardi 10 janvier 2023.
Le non-totem d'Élisabeth Borne sur les retraites.
Le coronavirus supplante la réforme des retraites de 2019-2020.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230316-retraites.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-gens-serieux-et-les-gens-du-247358

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/03/16/39846403.html






 

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