« C’est un meeting ou une déclaration de politique générale ? » (Guy Teissier, député LR, 13 décembre 2016 au Palais-Bourbon).
Cette interrogation d’un député de l’opposition pourrait paraître polémique, mais elle est pourtant bien réelle et sincère. Le nouveau Premier Ministre Bernard Cazeneuve a voulu faire son baptême de feu malgré la grande brièveté de son mandat (cinq mois). Il a ainsi fait une déclaration de politique générale devant les députés, laissé venir le débat (essentiellement avec les présidents des groupes parlementaires), leur a répondu et a ensuite engagé la responsabilité de son gouvernement ce mardi 13 décembre 2016.
Ce fut peu avant 18 heures 30 que le résultat du vote fut annoncé, clair et sans ambiguïté : 305 députés ont voté pour la confiance, dont le groupe des frondeurs qui avaient refusé de voter la confiance au second gouvernement de Manuel Valls, et 239 députés (LR et UDI) ont voté contre.
Dernier grognard d’une Présidence à la dérive, Bernard Cazeneuve va peut-être devenir le bras armé qui donnera à la fin du mandat catastrophique de François Hollande un aspect un peu plus embelli. Dans la bataille de chiffonniers qui se préfigure pour savoir qui prendra l’appareil du PS à l’issue de la primaire socialiste de janvier 2017, Bernard Cazeneuve est là pour refaire l’histoire du quinquennat hollandien. Et ce n’est pas un hasard si c’est lui qui a été choisi, car c’est sans doute la meilleure personnalité qui a pu se révéler ces dernières années.
Car Bernard Cazeneuve est très ambivalent. Durant ses interventions au Palais-Bourbon du 13 décembre 2016, il a insisté en effet sur le respect qui devait régner dans les échanges politiques, sur le besoin d’éviter les vaines polémiques, les petites querelles qui exaspèrent les citoyens : « Je me présente (…) devant vous aujourd’hui avec un engagement (…), celui (…) de placer au cœur de mon action (…) la notion de respect : le respect qui proscrit le cynisme, qui proscrit le mensonge, qui proscrit les postures, la violence, les outrances ; le respect que l’on doit à l’enseignant, à l’infirmière, au policier, aux acteurs et aux serviteurs du bien commun ; le respect que l’on doit à l’ouvrier, à l’artisan, au commerçant, au paysan, à tous ceux qui produisent et qui entreprennent : le respect que l’on doit aussi (…) à ceux qui ne sont pas nés ici mais qui ont choisi la France, respectent ses lois et contribuent, par leur travail, par leur talent, à sa prospérité. » (cette dernière tirade faisant nettement allusion à Manuel Valls).
Et de poursuivre : « L’engagement que je fais devant vous, c’est d’être à chaque instant dans le respect de l’opposition, de ne jamais chercher les vaines querelles, de ne jamais convoquer les basses polémiques, et d’être dans un comportement qui rehausse la politique, car les Français, qui nous voient, sont aussi les Français qui nous jugent. L’engagement que je prends, c’est de chercher à nous montrer chaque jour à la hauteur des ambitions de nos concitoyens, en s’adressant à leur intelligence, et non, comme vous le faites, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, à leurs instincts, en leur proposant des débats dignes et des choix clairs. ».
Dans la même phrase, il dit vouloir respecter l’opposition et rejeter la vaine polémique et il accuse l’opposition de ne faire appel qu’aux bas instincts de leurs électeurs. Phrase oxymore, donc. Tout un art.
Plus clairement, pour des raisons purement électoralistes, Bernard Cazeneuve n’a pas cessé de faire de la vaine polémique. Il a ainsi rappelé une énième fois que la dette publique avait crû plus rapidement sous Nicolas Sarkozy que sous François Hollande, mais en oubliant, par mauvaise foi politicienne, qu’il y avait la crise financière de septembre 2008 et en oubliant surtout de remettre en perspective le contexte, de comparer la France avec d’autres pays de même poids, et là, la comparaison n’est plus vraiment flatteuse.
Comme le député LR Guy Tessier laissait entendre, la déclaration de politique générale fut un long monologue pour fustiger le programme de François Fillon, un programme connu pourtant de longue date mais qui n’est devenu scandaleux que depuis sa désignation à la primaire LR.
Ainsi, les fonctionnaires : « Proposer de supprimer des centaines de milliers de postes de fonctionnaires en quelques mois, c’est remettre tout simplement en cause la capacité de l’État à assumer ses missions les plus élémentaires. Ce n’est pas moderniser le service public, c’est le condamner. ».
Le principal objectif de l’action de Bernard Cazeneuve va donc de donner des arguments à ses amis socialistes dans la bataille présidentielle qui démarre. De restaurer le clivage entre la gauche et la droite, d’insister sur les mesures du quinquennat sortant en faveur de la solidarité, en particulier le tiers payant généralisé pour les consultations médicales (applicable au 30 novembre 2017 !) et le compte de prévention de la pénibilité (une véritable usine à gaz qui se transforme en calvaire pour les petites entreprises) : « C’est là une avancée fondamentale pour ceux qui ont exercé les métiers les plus durs. ».
Cet objectif a été clairement affiché : « Notre majorité a des valeurs et un bilan. Elle croit au beau mot de solidarité. ». Le bilan de ce quinquennat est pour lui élogieux : « Depuis 2012, l’économie française se redresse. Nos entreprises sont plus compétitives. » ce qui a fait dire à un député de l’opposition : « Mais alors, pourquoi François Hollande ne se représente-t-il pas ? ».
Cette ambivalence, Bernard Cazeneuve sait donc en jouer à merveille, avec son air policé et courtois, posé, calme, d’honnête père de famille, loin de l’agitation quasi-agressive d’un Manuel Valls, mais cela n’en reste pas, sur le fond, l’un des derniers grognards du hollandisme finissant.
Dans son tableau idyllique, oublié, le matraquage fiscal de 2012 et 2013, à une époque où, il faut le rappeler, il fut le Ministre du Budget (remplaçant au pied levé Jérôme Cahuzac) !
Au contraire, il a eu le toupet de dire : « Nous avons agi pour la justice sociale en baissant à quatre reprises les impôts des classes moyennes et des retraités modestes. En 2017, ce sont plus de 5 millions de ménages qui bénéficieront d’une baisse supplémentaire de 1 milliard d’euros de leur impôt sur le revenu, notamment les retraités les plus modestes. ». Quel hypocrisie pour celui qui a augmenté en 2013 de 30 milliards d’euros les impôts et taxes qui ont justement touché de plein fouet les classes moyennes ! C’est méthode Coué : je t’augmente de 30 milliards d’euros l’impôt et je te baisse cinq fois de 1 milliard d’euros, cherchez l’erreur !
C’est le même oubli qui fait qu’Emmanuel Macron conteste la politique économique qu’il avait lui-même définie à l’Élysée quand il était l’un des conseillers les plus écoutés du prince, puis l’un des ministres les plus médiatiques du gouvernement. Une véritable schizophrénie généralisée au PS, qui frappe également Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, deux autres anciens ministres de premier plan de François Hollande.
Bref, pendant ses cinq mois à Matignon, Bernard Cazeneuve va devenir le spécialiste de la thanatopraxie du quinquennat Hollande, à savoir, le spécialiste en "soins de conservation" …à usage des historiens, à défaut des électeurs.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (14 décembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Bernard Cazeneuve, le thanatopracteur du hollandisme.
Bernard Cazeneuve nommé Premier Ministre.
Bernard Cazeneuve et les valeurs chrétiennes de la France.
Discours de Bernard Cazeneuve le 3 octobre 2015 à Strasbourg (texte intégral).
Bernard Cazeneuve et la sécurité routière.
La loi sur le renseignement.
La suppression des professions de foi à l’élection présidentielle ?
Le fichier centralisé des 60 millions de visages des Français.
François Hollande.
Manuel Valls.
Emmanuel Macron.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161213-cazeneuve.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/bernard-cazeneuve-le-187502
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/12/14/34684682.html