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26 mars 2023 7 26 /03 /mars /2023 05:26

« Je suis si mince, si maigre, que quand il pleut je passe entre les gouttes ! » (Sarah Bernhardt).



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Considérée comme l'une des plus grandes tragédiennes, l'actrice française Sarah Bernhardt est morte à Paris il y a cent ans, le 26 mars 1923 à Paris. Elle avait alors 78 ans, née également à Paris le 22 octobre 1844 (date officielle, probablement réelle si l'on en juge par une copie datant de 1857 de l'extrait de l'acte de naissance qui a été détruit un peu plus tard par un incendie à l'hôtel de ville de Paris). Elle est morte d'une insuffisance rénale aiguë pendant qu'elle tournait pour un film de Sacha Guitry. Elle est enterrée au Père-Lachaise. Quelques années auparavant, en 1915, on lui avait amputé une jambe atteinte de gangrène (provenant d'une blessure de 1887 mal soignée et d'une tuberculose osseuse), mais elle continuait quand même à jouer sur scène, assise (sans jambe de bois). "Quand même" était d'ailleurs sa devise durant toute son existence exceptionnelle, celle de l'audace !

D'un caractère d'acier et créant sa propre légende (notamment en publiant ses mémoires en 1907, "Ma double vie"), Sarah Bernhardt a été la première véritable star de la scène, au théâtre mais aussi au cinéma (elle a tourné quelques films à partir de 1900). Elle était considérée comme un "monstre sacré", une expression pour la première fois employée par Cocteau à son propos, assez tardivement.

Sarah Bernhardt se décrivait comme Française, fière de l'être et patriote, mais elle devait parfois se justifier, comme par cette lettre au critique dramatique Benoît Jouvin, l'un de ses plus ardents détracteurs, qui insinuait qu'elle était d'origine allemande dans son article sur la reprise de "Dalila" le 28 mars 1873 à la Comédie-Française (elle avait le rôle de Léonora) : « Je suis Française, Monsieur, absolument Française. Je l'ai prouvé pendant le siège de Paris, et la Société d'encouragement au bien m'a décerné une médaille d'honneur. L'eût-elle fait à une Allemande ? Toute ma famille est originaire de la Hollande [Sa mère était originaire des Pays-Bas]. Amsterdam est le berceau de mes modestes aïeux. Si j'ai de l'accent, Monsieur (et je le regrette beaucoup), mon accent est cosmopolite, et non tudesque. Je suis une fille de la grande race juive, et mon langage un peu rude se ressent de nos pérégrinations forcées. Enfin, Monsieur, je réclame de votre justice la rectification d'une erreur préjudiciable à l'avenir de mon fils et douloureuse à mon cœur de Française ». Bref, on l'a compris, elle n'était pas une Allemande. Elle n'aura pas été la dernière à devoir justifier son amour de la France en raison de ses origines...

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De la prestation de la divine actrice comme Léonora, le très influent critique dramatique Francisque Sarcey indiquait assez crûment : « Il lui manque de l'ampleur, la force et l'autorité. Admirable dans les personnages tendres, son insuffisance éclate quand on charge ses frêles épaules d'un rôle qui porte tout le drame. (…) Mlle Sarah Bernhardt n'a guère excité qu'une curiosité bienveillante. Mauvaise, elle ne saurait l'être, car elle est artiste dans l'âme et jusqu'au bout des ongles. Sa voix manque de mordant, d'ironie ; elle est dure et martelée. Elle-même est raide dans tout l'ensemble de sa personne. Elle n'a rien de la pieuvre, elle est rude plutôt que sèche et sèche plutôt que féline. ».

Francisque Sarcey fut, quelques mois plus tard, beaucoup plus élogieux, lorsque Sarah Bernhardt joua Aricie de "Phèdre" le 17 septembre 1873 : « Toutes les mauvaises humeurs qu'avait éveillées sa fortune ont dû céder devant l'évidence. Mlle Sarah Bernhardt a ravi tout le public. On n'a jamais mieux dit les jolis vers du rôle d'Aricie. C'est proprement une musique que la voix de cette femme. Un frémissement ininterrompu de plaisir a passé dans tout l'auditoire. ».

Cette voix, peut-être qu'aujourd'hui, Sarah Bernhardt serait peu appréciée. Wikipédia écrit sommairement que sa performance théâtrale est « empathique tant dans la pantomine que dans la déclamation. Les modulations de la voix s'éloignent délibérément du naturel ; les émotions sont rendues, tant par le geste que par l'intonation, plus grand que nature. Ce style hérité de la déclamation baroque se démode avant la fin de sa carrière. ».

Un exemple avec "Prière pour nos ennemies" interprétée en 1903 (du Fonds Jean-Marie Poilvé, à la Médiatèque Musicale de Paris).


 




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De condition modeste, Sarah Bernhardt a commencé à gagner sa vie de manière "galante". Dans sa rapide présentation, Jean-Claude Yon, spécialiste de l'historie des spectacles, l'écrit délicatement : « La jeune femme, mince et rousse, doit mener une vie de femme galante pour subsister. ». Parmi ses clients (en 1874), un certain... Léon Gambetta !

Maigrichonne, elle l'était assurément, comme le montrent les caricatures de l'époque, ou cette description de cet autre critique littéraire Auguste Vitu : « Mlle Sarah Bernhardt est charmante dans sa robe de gaze lamée d'or. On dirait d'une aiguille tirée à quatre épingle. Elle avait pourtant plu dans l'acte de la loge, mais elle a paru faible et dépourvue de grâce aristocratiques dans les scènes poignantes de l'avant-dernier tableau. De la sorcière aux philtres enivrants, elle n'a que la baguette, et la baguette, c'est elle-même. ». Toujours à propos de sa prestation dans le rôle de Léonora.

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Théâtre, escrime, sculpture, peinture... Sarah Bernhardt s'est révélée comme une artiste hors pair et généraliste. Dès 1869, Sara Bernhardt a rayonné de son aura de comédienne. Elle a été découverte au grand public avec une pièce de François Coppée ("Le Passant") après trois ans de représentation à l'Odéon. Son interprétation magistrale de "Ruy Blas" en 1872 (juste après la guerre) lui a valu de se faire appeler "Voix d'or" par son célèbre auteur, Victor Hugo, et d'intégrer la Comédie-Française (dont elle avait été virée en 1866), mais, nommée sociétaire en 1875, elle n'y resta que jusqu'en 1880, jamais vraiment acceptée dans cet enceinte trop académique et préférant reprendre sa liberté (pendant ces années, elle jouait du classique comme "Phèdre" en 1874, du romantique comme "Hernani" en 1877 et du contemporain). Octave Feuillet, Oscar Wilde, Victorien Sardou et Edmond Rostand allaient devenir ses auteurs fétiches.

Sarah Bernhardt a créé sa propre troupe et a accumulé les succès en France et sur les cinq continents (où elle a exporté l'excellence française pour « planter le verbe français au cœur de la littérature étrangère »), et comme elle voulait contrôler toute la chaîne, elle a pris par la suite également la direction des théâtres où elle officiait (puis la laissait à son fils Maurice). Elle a même fait appel au peintre tchèque Alphonse Mucha pour confectionner ses affiches de spectacle. Elle a aussi utilisée son image très connue à des fins publicitaires (comme quoi, la notoriété paie depuis plus d'un siècle).

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La liberté, c'était en effet aussi de faire des tours du monde. Première star internationale, elle a fait plusieurs tournées triomphales, dont une aux États-Unis en 1880-1881, jouant 156 fois dans 50 villes, puis en Europe en 1881-1882, jouant 186 fois (jusqu'en Russie où elle envoûta Tchekhov). Elle allait revenir plusieurs fois en Amérique tout au long de sa carrière. Elle hantait les trains qui était son moyen de transport habituel... et moderne (il n'existait pas encore de ligne aérienne !).

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Comme on peut le comprendre à la lecture d'un album de Luky Luke (dessin de Morris, scénario de Xavier Fauche et Jean Léturgie), bande dessinée sortie en 1982 chez Dargaud, Sarah Bernhardt ne laissait jamais personne indifférent, ou elle était admirée pour ne pas dire adulée, ou elle faisait des mécontents, notamment auprès des milieux conservateurs qui critiquaient la femme émancipée qu'elle était (d'autant plus qu'elle n'hésitait pas à prendre des rôles masculins).

N'hésitant pas à choquer, elle se faisait prendre en photo dormant dans un cercueil, pour montrer sa santé fragile, faisant référence à la tuberculose, qui avait déjà emporté sa sœur. Bien que transgressive et ne cherchant pas à ne pas se montrer telle qu'elle était, Sarah Bernhardt fut paradoxalement l'une des premières personnalités à s'être fait un "lifting" en 1912, prémices d'une industrie très fructueuse de la chirurgie esthétique qui allait conquérir un très large marché.

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La journée du 9 décembre 1896 a été peut-être le sommet de la gloire de Sarah Bernhardt avec un déjeuner en son honneur où le Tout-Paris, tout ce qui comptait des arts et de la culture, se pressait pour honorer la grande actrice.

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Profitant de sa grande popularité, elle n'hésitait pas à prendre des positions très clivantes à l'époque, comme sa lettre de soutien à Émile Zola après son réquisitoire "J'accuse", son soutien à Louise Michel et son opposition à la peine de mort (au début du XXe siècle, les parlementaires français n'étaient d'ailleurs pas loin d'abolir la peine de mort ; ils ne l'ont pas fait à cause d'un fait-divers qui a profondément ému la population et la presse très influente et a rendu impossible l'absence de punition capitale).


Dans la préface de la biographie de Sarah Bernhardt par Jules Huret (publiée en 1899 aux éditions F. Juven, à Paris), Edmond Rostand écrivait : « Et quelle façon elle a d'être légendaire et moderne ! C'est au Contes de fées qu'elle se rattache par sa chevelure de belle aux cheveux d'or ; ne deviennent-elles pas perles et diamants, les paroles, sur ses lèvres ? N'a-t-elle pas porté les robes couleur du temps ? N'est-ce pas, dans sa voix, l'immortel Oiseau bleu qui chante ? (…) L'existence de Mme Sarah Bernhardt constituera peut-être le merveilleux du XIXe siècle. Elle deviendra de la Fable. Ah ! Lorsqu'on écrira le poème de ces Tours du Monde, pour en dire tous les décors, tous les personnages, les beautés et les cocasseries, pour faire dialoguer les locomotives et les paquebots, pour faire onduler tant de mers et tant de robes, pour faire parler, chanter et hurler des chœurs et de sauvages, de rois et d'animaux exotiques, il faudra je ne sais quel Homère composé d'un Théophile Gautier, d'un Jules Verne et d'un Ruydard Kipling ! ».

Et de terminer sa préface par une énumération à la Prévert de la folle vie de l'actrice : « (…) Donne une audition en faisant des bouquets ; se fait lire cent lettres, s'attendrit à des demandes... ouvre souvent le petit sac tintant où il y a de tout ; confère avec un perruquier anglais ; retourne sur la scène pour régler l'éclairage d'un décor, injurie les appareils, met l'électricien sur les dents ; se souvient, en voyant passer un accessoiriste, d'une faute qu'il commit la veille, et le foudroie de son indignation ; rentre dans sa loge pour dîner ; s'attable, magnifiquement blême de fatigue, en faisant des projets ; mange, avec des rires bohémiens ; n'a pas le temps de finir ; s'habille pour la représentation du soir, pendant qu'à travers un rideau le régisseur lui raconte des choses ; joue éperdûment ; traite mille affaires pendant les entr'actes ; reste au théâtre, le spectacle terminé, pour prendre des décisions jusqu'à trois heures du matin ; ne se résigne à partir qu'en voyant tout le personnel dormir respectueusement debout ; remonte dans son cab ; s'étire dans ses fourrures en pensant à la volupté de s'étendre, de se reposer enfin ; pouffe de rire en se rappelant qu'on l'attend chez elle pour lui lire une pièce en cinq actes ; rentre, écoute la pièce, s'emballe, pleure, la reçoit, ne peut plus dormir, en profite pour étudier un rôle... (…) Voilà la Sarah que j'ai connue. Je n'ai pas connu l'autre, celle des cercueils et des alligators. Je n'ai pas connu d'autre Sarah que celle-là. C'est la Sarah qui travaille. C'est la plus grande. » (Source : gallica.bnf.fr / BnF).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 mars 2023)
http://www.rakotoarison.eu


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Sarah Bernhardt.
Marion Game.
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Charlie Chaplin.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230326-sarah-bernhardt.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/sarah-bernhardt-premiere-star-247336

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/03/25/39856947.html







 

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