Le nouveau gouvernement reste encore assez imprécis sur sa méthode pour rééquilibrer le budget de l’État, élections législatives obligent, mais on comprend assez vite que la politique d’orthodoxie financière qui a prévalu sous Nicolas Sarkozy prévaudra sous François Hollande, et c’est tant mieux.
L’état de grâce n’existera pas pour le Président François Hollande, c’est devenu une évidence, d’autant plus que son élection, assez serrée, a été surtout voulue par défaut. L’heure n’est pas à l’enthousiasme mais à la raison. C’est d’ailleurs peut-être mieux que les passions déraisonnables.
Des premiers pas sages et prudents
Il faut reconnaître un presque sans faute depuis le 15 mai 2012, à part une ou deux boulettes, comme une probable erreur du protocole à la passation des pouvoirs (François Hollande ne raccompagnant pas Nicolas Sarkozy jusqu’au perron de l’Élysée ; il faut imaginer que tout est ajusté par des règles très strictes et que l’erreur ne provient certainement pas du Président lui-même, même si l’on pouvait imaginer son impatience à diriger le pays).
Entre théorie et pratique…
La condamnation (surtout symbolique) du nouveau ministre Arnaud Montebourg pour avoir insulté les anciens dirigeants d’une entreprise en difficulté n’est pas, en soi, une catastrophe politique (après tout, la vie politique doit être aussi faite d’engagements avec des risques calculés, et Arnaud Montebourg, dans sa grande intelligence, vient même présenter ses excuses pour son excès de langage).
Ce qui fait fausse note, c’est la partition écrite par François Hollande lui-même, celle de refuser des ministres ayant été condamnés. Personne ne lui a demandé cette restriction et le maintien au sein du gouvernement du ministre condamné est à la fois tout à fait légale et tout à fait constitutionnelle, mais donne un accroc à des promesses de gouvernance qui vont s’avérer de plus en plus difficiles à tenir.
Cela m’a fait penser à cette promesse de François Mitterrand de publier tous les six mois un bulletin de santé. Cela partait d’une bonne intention, sincère d’ailleurs, à la suite de la maladie terrible de Georges Pompidou qui avait impressionné toute la classe politique du moment. Hélas pour lui, dès son premier examen médical, on a décelé un cancer (je me souviens parfaitement des rumeurs en novembre 1981, que décri très bien Michèle Cotta dans ses "cahiers secrets", et je ne les avais pas du tout crues à l’époque en raison du climat politique très conflictuelle : l’opposition proclamant sans arrêt que l’expérience socialiste ne durerait pas plus de quelques mois… François Mitterrand aura duré quatorze ans !) et donc, il s’est résolu à ne publier que des faux bulletins de santé alors que personne ne lui avait rien demandé.
De la même manière, le mode de transport du Président Hollande allant tranquillement à la gare du Nord prendre le TGV pour Bruxelles, le 23 mai 2012, est à la fois plaisant et sympathique. Rien n’assure cependant qu’il dépense moins d’argent de l’État qu’avec un avion. Rien n’assure non plus que sa sécurité est assurée à 100%. Rien n’assure enfin qu’il ne perde pas de temps inutile par rapport à un vol aérien (on n’élit pas un passager des chemins de fer, on élit un Président de la République et tant qu’à faire, autant minimiser son temps de transports).
Cela a un petit goût de province (ça rappelle le Président Paul Deschanel) mais surtout, de démagogie fondatrice d’un mandat présidentiel : qui se souvient encore qu’au début du premier mandat de Jacques Chirac, il n’était plus question que les ministres utilisassent inconsidérément les avions du GLAM ? Petit à petit, le principe de réalité l’avait emporté sur la règle morale, probablement avec quelques abus qu’il s’agit simplement de limiter pour éviter des frais excessifs.
Il sera temps de voir comment cette règle sera appliquée lorsque l’impopularité viendra (forcément) après une série de mesures pas très sympathiques pour les Français. Osera-t-il alors se montrer si près des gens ? Peut-être. J’attends de voir.
Où va le gouvernement Hollande ?
Car ne l’oublions pas, François Hollande a réaffirmé sa volonté de réduire à 3% le déficit public en 2013 (dans un an !) et à 0% en 2017, sans dire comment mais il n’y a pas trente-six solutions : des recettes en plus (taxes, impôts, cotisations etc.) et des dépenses en moins (moins de service public, donc).
En cela, c’est plutôt rassurant et dans ces premiers pas du Président Hollande, je dois avouer que la raison l’a emporté sur le programme socialiste. J’étais angoissé par le fait que, lors de la campagne présidentielle, le candidat socialiste ait obstinément ignoré l’existence de la grave crise mondiale mais maintenant qu’il est élu, la crise est désormais reconnue, "actée".
L’excellent journaliste de "Libération", Jean Quatremer, a même raconté sur France 2 le 21 mai 2012 que l’ancien président de la banque centrale européenne Jean-Claude Trichet estimait que la croissance telle que le monde l’avait connue entre 1945 et 2008 ne pouvait plus continuer. Cette croissance globale a eu des effets extrêmement positifs sur les populations les plus pauvres (fin des grandes famines etc.) mais maintenant, le jeu serait plutôt à somme nulle, si les uns ont une forte croissance, ce serait plutôt au détriment des autres.
Qu’on ne vienne pas dire aux Français que la croissance va être plus faible que prévue : cette étape de communication gouvernementale était déjà anticipée il y a plusieurs mois (Jacques Attali, qui a voté Hollande, l’a même pronostiquée). La surprise comme prétexte pour faire avaler les méchantes pilules… J’aime bien cette métaphore car un médicament peut être douloureux à prendre mais il a toujours pour but la guérison.
Politique économique, la bonne voie ?
Donc, oui, je suis rassuré pour l’intérêt du pays mais ce n’est sans doute pas rassurant pour certains de ses électeurs qui se sont laissés berner par les grands mots (comme "réenchanter le rêve français"). On pourrait même imaginer que la vague des déçus du hollandisme va arriver précipitamment car, sans doute sous la pression de la situation actuelle, François Hollande a finalement décidé, ce qui me réjouit, de poursuivre la politique mise en œuvre par le gouvernement précédent, à savoir :
1. Maintenir à tout prix la Grèce dans la zone euro. Certes, le fait de l’avoir intégrée en 2001 (à l’époque des gouvernements Jospin et Schröder) était une ineptie financière (mais peut-être pas politique, ça se discute), mais maintenant que la Grèce est dans la zone euro, il faut qu’elle y reste. Pourquoi ? Parce que sa sortie de l’euro provoquerait un cataclysme financier d’une envergure impossible à décrire aujourd’hui. Ce serait un véritable jeu de dominos, et les spéculateurs se reporteraient ensuite sur d’autres pays de la zone euro, l’Espagne, l’Irlande, l’Italie et pourquoi pas, la France. En fait, s’il y a un pays qui aurait intérêt à sortir de la zone euro, ce serait plutôt l’Allemagne, mais certainement pas la Grèce qui ne survit que grâce à son lien de solidarité européenne.
2. Pas de relance de la consommation. C’est un point essentiel dont je me réjouis, même s’il y aura un "coup de pouce" (comme on dit !) sur le SMIC (on a annoncé le coup de pouce le 24 mai 2012 mais on décidera de son ampleur après les législatives !). En cela, cela va se différencier d’une gouvernance de gauche traditionnelle.
3. Renforcement de l’investissement des entreprises et baisses des charges pour augmenter la compétitivité dans un monde globalisé. Cette évolution est nécessaire dans une économie ouverte. C’est donc la solution opposée à celle préconisée par Arnaud Montebourg pendant la primaire socialiste qui est adoptée. Curieux en revanche que c’est lui va en être l’un des principaux artisans (avec Pierre Moscovici).
Ces trois points, je le répète, je m’en réjouis, ont été confirmés par Michel Sapin, l’influent Ministre du Travail (et ancien responsable du projet présidentiel) sur France 2 le 21 mai 2012 (dans l’émission "Mots croisés"). Cela montre que ce gouvernement, dans sa grande sagesse, marche sur les mêmes pas que ceux du quinquennat précédent, celui de protéger la France des intempéries financières internationales en continuant ses réformes de structure.
Brouillard épais sur les futures restrictions budgétaires
Bon, c’est vrai, il reste encore l’essentiel, comment revenir à l’équilibre budgétaire et plus particulièrement, où le gouvernement socialiste va-t-il faire des économies ? L’honnêteté politique aurait dû lui faire préciser avant les élections législatives.
J’aurais alors tendance à dire : tout cela pour ça ? J’imagine les cohortes de déçus, du côté gauche de l’électorat de François Hollande, qui vont se sentir …flouer. Car le programme socialiste défendu pendant la campagne présidentielle ne menait qu’à deux possibilités : soit une catastrophe nationale (avec augmentation des dépenses publiques), soit une duperie sur sa sincérité. Je me réjouis que la solution la moins pire pour la France ait été choisie par les nouveaux dirigeants.
Réformer les rythmes scolaires
Je dois même dire que sur les rares occasions de prendre des décisions ou de faire des annonces (comme sous Nicolas Sarkozy, on ne sais jamais si les annonces sont des actes), en particulier dans le domaine de l’éducation.
Certes, le recrutement de 60 000 fonctionnaires reste sur les tablettes (nous sommes toujours en campagne électorale pour les législatives) mais le retour à la semaine des cinq jours pour les élèves, annoncée par le ministre Vincent Peillon, me paraît une bonne mesure même si cela a été dit hâtivement, sans concertation (contrairement à la "déontologie" signée lors du premier conseil des ministres le 17 mai 2012). Mais il m’a toutefois surpris de savoir que sur les rythmes scolaires, certains voudraient également écouter… les professionnels du tourisme ! Les mesures dans l’Éducation nationale ne doivent être prises que pour le bien des seuls enfants, pas selon les besoins économiques du tourisme ni selon le confort des parents.
Ménager et honorer les troupes en Afghanistan
D’un point de vue diplomatique, François Hollande a réussi à Chicago à préserver l’unité de l’OTAN sur la question du désengagement militaire en Afghanistan et j’approuve pleinement sa venue inattendue dans ce pays ce vendredi 25 mai 2012 dans la matinée pour apporter le soutien de la France aux troupes encore engagées. Cela rappelle d’ailleurs la visite surprise de François Mitterrand à Beyrouth le 24 octobre 1983 ou à Sarajevo le 28 juin 1992, ou encore la visite de Nicolas Sarkozy à Tripoli le 14 septembre 2011.
Flou entretenu encore jusqu’aux législatives…
En revanche, sur le plan européen et plus particulièrement des relations franco-allemandes, il va y avoir un dialogue de sourds avec des subtilités sémantiques qui annoncent déjà quelques concessions du côté français, entre "eurobonds" et "project bonds".
C’est vrai, jusqu’aux élections législatives, le gouvernement ne peut pas faire grand chose à part signer quelques décrets. Tout reste donc dans la posture. Les socialistes ne veulent surtout pas annoncer le contenu du collectif budgétaire qui sera discuté probablement en juillet : tout doit rester dans la pureté du flou, de l’inconnu, de la surprise, et François Hollande semble y exceller.
Au lendemain des législatives, si elles étaient gagnées à gauche, ce serait la surprise du chef …et peut-être déjà la gueule de bois !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 mai 2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le gouvernement Ayrault I.
Une ministre odieusement contestée.
Pas d’état de grâce pour Hollande.
Hollande élu.
La croissance en Europe ?
Qu’en pense Bayrou ?
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-flou-hollandais-se-dissipe-117434