« L’appartenance à la famille humaine confère à toute personne une sorte de citoyenneté mondiale, lui donnant des droits et des devoirs, les hommes étant unis par une communauté d’origine et de destinée suprême. La condamnation du racisme, la protection des minorités, l’assistance aux réfugiés, la mobilisation de la solidarité internationale envers les plus nécessiteux, ne sont que des applications cohérentes du principe de citoyenneté mondiale. » (Jean-Paul II, le 1er janvier 2005, trois mois avant sa mort).
Huit des dix condamnés à mort pour trafic de drogue en Indonésie ont été exécutés dans la nuit du 28 au 29 avril 2015 par un peloton d’exécution composé de douze hommes : deux Australiens, Myuran Sukumaran (33 ans) et Andrew Chan (31 ans) ; trois Nigérians, Sylvester Obiekwe Nwolise alias Mustafa (49 ans), Okwudili Oyatanze (45 ans) et Raheem Agbaje Salami (42 ans) ; un Ghanéen, Martin Anderson alias Belo (50 ans) ; un Brésilien, Rodrigo Muxfeldt Gularte (42 ans) ; et un Indonésien, Zainal Abidin bin Mahmud Badarudin (49 ans). Aucun n’a voulu porter de bandeau aux yeux. Petit miracle de courte durée, la condamnée philippine, Mary Jane Veloso (30 ans), a obtenu au dernier moment quelques jours de sursis comme le Français Serge Atlaoui (51 ans). Mais leur situation est toujours jugée "préoccupante".
Le 18 janvier 2015, une autre série d’exécutions contre les trafiquants de drogue a eu lieu pour six condamnés à mort : un Néerlandais (Ang Kiem Soei), un Brésilien (Marco Archer Cardoso Moreira), un Nigérian (Daniel Enemuo), un Malawien (Namaona Denis), un Vietnamien (Tran Bich Hanh) et un Indonésien (Rani Andriani). Selon Amnesty International, il y a au moins 130 personnes qui ont été condamnées à mort en Indonésie à ce jour.
À 77 kilomètres au nord-ouest de Katmandou, la capitale du Népal, a eu lieu, le samedi 25 avril 2015 un séisme de magnitude 7,8 (suivi de plusieurs dizaines de répliques dont une le lendemain de magnitude 6,7), provoquant au moins 5 238 morts, 10 348 blessés et 8 millions de sinistrés (statistiques au 29 avril 2015).
Chaque semaine, chaque jour même, l’actualité déverse son lot effroyable de drames humains. Ils peuvent être d’origine naturelle, ce sont les plus meurtriers où les victimes se comptent par centaines de milliers, des tremblements de terre (Haïti le 12 janvier 2010 ; Katmandou le 25 avril 2015), des tsunamis (Sumatra le 26 décembre 2004 de magnitude 9,3 ; Fukushima le 11 mars 2011 de magnitude 9,0), ou avoir une cause humaine, plus ou moins volontaire, des accidents automobiles, des accidents d’avion, ou d’hélicoptère, des attentats (Paris, Copenhague, Tunis, Nigeria, Afghanistan, Pakistan, Irak, etc.), des guerres (Ukraine, Syrie, Irak, Yémen, Libye, Gaza, etc.), des naufrages en mer (Méditerranée), des catastrophes industrielles (Bangladesh, etc.), des exécutions sommaires (Daech), des assassinats…
Mon propos, ici, est de faire porter l’attention sur deux remarques.
La première, c’est que tout drame humain mérite émotion et indignation. Chaque vie humaine compte, qu’elle soit célèbre ou anonyme, qu’elle soit nationale ou étrangère, qu’elle soit riche ou pauvre, qu’elle soit instruite ou pas, qu’elle soit influente ou exclue, qu’elle soit petite ou grande… L’émotion et l’indignation sont des moteurs indispensables aux changements du monde et à la solidarité, des ressorts de l’amélioration et du progrès. Elles ne sont évidemment pas suffisantes, mais elles sont absolument nécessaires.
L’année 2015 est déjà bien chargée en drames humains dès la fin de son quatrième mois et il est difficile de faire une comptabilité macabre qui pourrait simplement reprendre les titres des journaux depuis janvier, même si parfois, certaines informations sont plus discrètes que d’autres. Des dizaines de vies perdues par des assassinats, des dizaines voire des centaines de vies perdues par des attentats terroristes, des centaines voire des milliers de vies perdues par des accidents, crashs, des centaines voire des milliers de vies perdues par des exécutions, des milliers voire des dizaines de milliers de vies perdues par des guerres, des naufrages, des tremblements de terre… Ces lourds tributs sont marquants parce qu’ils sont maintenant immédiatement connus par tous les citoyens du monde.
Le tremblement de terre au Népal double à lui seul le bilan en vies humaines des attentats du World Trade Center du 11 septembre 2001. Numériquement, on est loin des attentats de "Charlie Hebdo" et pourtant, l’émotion populaire très vive suscitée par les assassinats des 7 au 9 janvier 2015 à Paris était légitime et nécessaire.
La nécessité de l’émotion, parce qu’elle est le point de départ de l’action. Le point de départ éventuel, pas forcément systématique. Mais sans émotion, pas d’action, pas de projet d’action, pas même d’idée d’action. L’indifférence. Or, ce projet d’action, il est multiple, en fonction des drames. Pour les catastrophes naturelles de grande ampleur, qu’on pourrait qualifier de "fatalité" planétaire, l’action a pour synonyme la solidarité : la tragédie au Népal n’est pas terminée, il y a encore de nombreux survivants à secourir, des rescapés à soigner, à héberger, à nourrir, à aider. Pour les actes d’origine humaine, il y a aussi ce même "service après-vente" d’aide humanitaire dans les guerres, dans les crashs d’avion etc. mais il peut aussi y avoir des actions en amont, pour éviter ces guerres, pour éviter ces attentats, pour éviter ces exécutions, même si la plupart du temps, cela correspond principalement à une action diplomatique car cela concerne souvent d’autres pays souverains, mais cela signifie aussi que le choix de ceux qui représentent notre pays est essentiel, donc, cette émotion doit aussi faire réfléchir aux choix électoraux futurs.
J’en viens à ma seconde remarque.
Il est souvent constaté qu’on oppose un drame à un autre drame. Comme si l’on ne pouvait pas s’indigner plusieurs fois, comme s’il fallait être exclusif, comme si l’un chassait l’autre (c’est un peu vrai dans le traitement médiatique assez insupportable). Certes, et c’est bien humain, on ne peut pas s’indigner de toutes les misères du monde, parce qu’on n’a qu’un seul cœur et que l’émotion est d’autant plus grande qu’elle touche de près (un drame national plus qu’un drame à l’étranger ; des personnalités connues, que ce fussent Cabu, Wolinski, Charb, Tignous et Honoré ; ou Florence Arthaud, Camille Muffat et Alexis Vastine ; etc.), mais justement, c’est l’intérêt qu’il y ait plusieurs à s’indigner parce que leur émotion sera différente, modulée, pas focalisée sur les mêmes événements, rappelée.
S’émouvoir des attentats de "Charlie Hebdo" de janvier 2015 n’était pas incompatible avec l’émotion suscitée par l’attentat de Peshawar du 16 décembre 2014 ou encore celui du Caire du février 2009 (pris parmi tant d’autres). Les opposer est s’opposer aux valeurs universelles les plus élémentaires.
Certaines personnes qui nourrissent un antiaméricanisme d’autant plus primaire qu’elles ont oublié les leçons du passé (1944 par exemple), aiment parler des États-Unis quand on s’indigne de la peine de mort dans d’autres pays. Oui, évidemment, les États-Unis sont scandaleusement en retrait sur ce sujet, dans un archaïsme qui étonne par rapport au modernisme affiché, notamment démocratique (la démocratie américaine est plus ancienne que la démocratie française). J’avais évoqué la situation de la peine de mort au début du premier mandat de Barack Obama, puis la situation dramatique de Troy Davis, encore plus dramatique de George Stinney qui n’est quasiment pas connu alors qu’il mériterait d’être l’incarnation non pas du mal américain mais du mal de la peine de mort. Mais la Chine, l’Iran, la Corée du Nord, l’Arabie saoudite, même les Maldives (pensez-y quand vous allez prendre vos vacances) et beaucoup trop d’autres pays sont bien plus cruels avec la peine de mort que les États-Unis (voir le dernier rapport d’Amnesty International sur le sujet). Inutile de jouer au classement des cadavres, tous sont indéfendables de pratiquer encore la peine de mort, et d’exécuter ne serait-ce qu’un seul condamné.
Avec un goût certain au glauque, certains autres internautes se plaisent même à balancer l’assassinat (toujours horrible) de la petite Chloé du 15 avril 2015 pour répondre à l’exécution programmée de Serge Atlaoui (et de Mary Jane Veloso). Serge Atlaoui qui, rappelons-le, n’a été qu’un simple ouvrier de maintenance de machines qu’il ne savait pas destinées à la production d’ecstasy (il n’est donc ni un meurtrier, même si, indirectement, il a aidé à contribuer à la diffusion de la drogue dans la population, ni un violeur, ni un pédophile, mais plutôt un fraudeur du fisc assez vénal pour avoir accepté un travail au noir bien rémunéré).
Je passe ici sur l’odieuse instrumentalisation de la petite Chloé qui doit être insupportable pour ses parents (il faudrait d’ailleurs que les journalistes imaginent toujours le point de vue des proches des victimes dont ils parlent dans les médias, pour réduire le niveau de nausée qu’ils alimentent eux-mêmes en permanence dans l’information continue).
Mais récuser l’émotion suscitée par l’exécution probable d’un homme visiblement qui n’est que la victime d’un pouvoir politique qui veut montrer sa fermeté à son opinion publique (rappelons que l’Indonésie n’est pas une dictature mais une démocratie et que son Président de la République a été élu dans les règles démocratiques il y a neuf mois) en affichant une autre émotion, celle suscitée par la mort cruelle de Chloé, ce n’est que de la manipulation politicienne de première puanteur et de grande facilité démagogique.
La question de fond est de savoir quelles sont ses propres valeurs. Il ne s’agit pas ici de les afficher mais de les comprendre, de les connaître, et surtout de les défendre. Entre l’ignorance, l’indifférence, l’égoïsme, le nombrilisme et les drames humains qui dévastent la planète, où sommes-nous ? Où en sommes-nous ? Où nous situons-nous ? Où sont les valeurs humaines ? Où est l’humanisme, la solidarité humaine, simplement humaine, entre humains. Être humain, c’est peut-être cela, la définition, c’est de rester disponible à l’émotion et à l’indignation ; c’est d’être perméable à cette indignation qui ne sera jamais sélective mais parfois négligée, oubliée, ignorée ; c’est de ne pas se refermer égoïstement en se disant : "chacun sa m…", car oui, chacun peut, un jour, je ne le souhaite pas, mais c’est possible, être une victime, innocente, ou proche d’une victime, d’un crash, d’un accident de la circulation, d’un attentat, d’une guerre …et même d’une condamnation à mort dans un pays qui n’a pas encore compris que la peine de mort n’a jamais empêché la criminalité de se développer.
Alors, à défaut de soutien, on peut juste demander un peu de compassion pour Serge Atlaoui ainsi que pour Mary Jane Veloso, une compassion qui n’enlèvera rien à celle qu’on doit aussi avoir pour la petite Chloé et à toutes les victimes des drames humains qui secouent les cœurs, quels qu’ils soient partout dans le monde, et si ce n’est pas pour des valeurs humanistes ou de solidarité humaine, cela peut tout simplement être par pur égoïsme : un jour, ce sera peut-être vous qui serez dans le même cas, par un simple et malheureux concours de circonstances, après avoir commandé vos vacances à Bali, heureux d’avoir fait une bonne affaires avec une compagnie aérienne low cost, sur Internet, chez vous, dans votre fauteuil, aussi tranquillement que vous pourrez rédiger un commentaire à cet article…
« L’inviolabilité de la vie humaine est le droit des droits. »
(Victor Hugo)
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 avril 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La peine de mort, barbarie humaine.
Être républicain.
Valeurs républicaines.
L’esprit du 11 janvier.
Le gaullisme.
La leçon d’ouverture de Jean-Paul II.
Penser d’abord à l’humain.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150430-vie-humaine.html
http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/chaque-vie-humaine-compte-166790
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/04/30/31977935.html
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