« T’as roulé dans l’herbe,
Et nous, tu nous plantes là.
(…) Tu nous laisses avec les chiens,
Avec les méchants, les crétins.
(…) Nous, on a plus notre meilleur copain.
T’étais un clown mais t’étais pas un pantin.
Enfoiré, on t’aimait bien.
Maintenant, on est tous orphelins. »
(Renaud, "P*tain de camion", 1986).
Il y a trente ans, le 19 juin 1986, juste après un 18 juin, a eu lieu l’accident qui a coûté la vie au célèbre humoriste Coluche, à l’âge de 41 ans. Un camion semi-remorque a barré la route au motard sur une route des Alpes-Maritimes, entre Cannes et Grasse. Le motard roulait pourtant à faible allure (55 kilomètres par heure) mais il ne portait pas de casque. Ce fut l’Abbé Pierre qui célébra son enterrement le 24 juin 1986 en rappelant : « Si vous entendez quelqu’un dire qu’il ne respectait rien, dites-leur que ce n’est pas vrai ! Je suis témoin. ».
En fait, tout le monde est témoin. Avec les Restos du cœur dont il a émis l’idée le 26 septembre 1985 sur Europe 1, Coluche a laissé derrière lui une œuvre de charité indispensable on ne peut pas plus respectueuse des personnes humaines : « Quand il y a des excédents de nourriture et qu’on les détruit pour maintenir les prix sur le marché, on pourrait les récupérer et on essaiera de faire une grand cantine pour donner à manger à ceux qui ont faim. ».
Le 14 octobre 1985, Coluche a créé alors l’association et les premiers repas gratuits furent distribués le 21 décembre 1985 dans le 19e arrondissement de Paris. Solution que Coluche envisageait seulement comme provisoire, c’est devenu une véritable institution, qui a distribué en France lors de la saison hivernale 2015-2016 plus de 2 milliards de repas.
Parallèlement, il a contribué aussi à la rédaction des articles 230 et 238 bis du code général des impôts qui octroient une déduction fiscale aux contribuables (particuliers et entreprises) qui ont fait un don à des associations caritatives et humanitaires d’aide aux personnes en difficulté. On a appelé ce dispositif "loi Coluche" car Coluche l’avait proposé le 26 janvier 1986 sur TF1 et il fut voté à l’unanimité le 20 octobre 1988 dans la loi de finances pour 1989. Le dispositif a ensuite été conforté jusqu’à la loi Borloo du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale qui a porté à 75% le taux de déduction fiscale pour les dons (pour 100 euros de dons, celui qui paie l’impôt sur les revenus ne paie réellement que 25 euros). En 2015, les Restos du cœur ont ainsi reçu 95 millions d’euros de dons grâce à ce dispositif fiscal.
La sensibilité de Coluche, on pouvait aussi la percevoir dans son seul film qui n’était pas une comédie de boulevard au cinéma, à savoir "Tchao Pantin" réalisé par Claude Berri et sorti le 21 décembre 1983, qui lui apporta une consécration très inattendue du milieu cinématographique avec le César 1984 du meilleur acteur.
Né le 28 octobre 1944 à Paris, tôt orphelin de père, Coluche a dû démarrer sa vie avec des petits boulots puis a travaillé dans des cafés-théâtres et des cabarets. À partir du début des années 1970, il est devenu un comique symptomatique d’une France industrielle qui était secouée par les premiers chocs pétroliers et le début d’une longue crise de l’emploi qui sévit encore aujourd’hui, quarante ans plus tard.
Si l’artiste employait très souvent des "gros mots" (que j’éviterais de reproduire in extenso ici), il insistait avec raison sur le fait qu’il le faisait toujours sans vulgarité et qu’à l’inverse, on pouvait aussi s’exprimer avec un langage châtié pour dire des vulgarités. Avec tous ses sketchs, il a laissé un grand nombre d’aphorismes, de réflexions et de proverbes dont le néomoralisme pourrait concurrencer aujourd’hui jusqu’au moralisme des maximes de François de La Rochefoucauld (1665).
On regrette l’humour caustique et cynique de Pierre Dac, Coluche, Thierry Le Luron et Pierre Desproges qui n’ont pas atteint la fin des années 1980 pour les trois derniers. Pourtant, à la différence de maintenant, ils étaient certes féroces et ne se contentaient pas de rire sur les travers de surface, les sujets étaient souvent profonds et les flèches visaient souvent juste, mais ils s’exprimaient avec une réelle tendresse, une réelle humanité et pas motivés par simple vénalité ou vanité, dans une course effrénée à la notoriété, à l’audience, aux clics ou à l’argent (comme par exemple Dieudonné dont le talent, réel, est exprimé de manière triste car se prenant au sérieux et égocentré).
En regardant ses sketchs, on ne peut pas imaginer que Coluche n’aime pas ceux qu’il décrit. Il les nargue comme dans des blagues de potache, parce qu’on ne peut se moquer vraiment que des gens qu’on connaît, qu’on aime. Et Coluche connaissait bien ceux qui était dans les difficultés sociales ou culturelles, même si lui s’en était brillamment sorti grâce à son talent et un peu de chance dans ses rencontres.
Alors qu’on pourrait le croire comme un enfant de mai 1968 (il avait alors 26 ans), Coluche au contraire était prêt à en rire : « J’ai pris un pied terrible aux réunions de comédiens à la Sorbonne. J’ai vu des mecs qui sont devenus révolutionnaires en trente secondes. Y avait des spectacles gratuits, pour le peuple, et la caractéristique de ces spectacles, c’était le nombre de ringards, des mecs qui avant la révolution ne chantaient nulle part, on pouvait plus les sortir de scènes. Ils y tenaient des heures et des heures. ».
L’historien Bertrand Lemonnier a évoque en 2008 l’humour de Coluche ainsi : « Il s’agit pour Coluche de faire reculer les frontières de l’humour et de la dérision, dans une attitude de transgression des barrières respectables de l’humour. Tout est possible : on peut rire de tout et sans tabous, y compris bien entendu de la démocratie représentative. » et a considéré qu’après Coluche, avec "Les Guignols de l’Info" et d’autres émissions de dérision, celle-ci s’est institutionnalisée : « C’est le conformisme de l’irrévérence, la banalisation du rire, aussi provocateur soit-il, et d’une certaine façon aussi "l’entrée en dérision" d’une société en plein "vide critique". (…) Les engagements collectifs aussi ont changé de nature : les grandes causes humanitaires, fortement médiatisées, ont remplacé les idéologies. » ("Vingtième Siècle. Revue d’histoire" 2/2008, n°98).
Devenu une icône de la contestation sociale "gentille", Coluche collabora avec des revues satiriques comme "Charlie Hebdo" et s’est même cru capable, le 30 octobre 1980, de défier le monde politique sur son propre terrain, en se présentant à l’élection présidentielle de 1981 avec des sondages à deux chiffres (jusqu’à 16%, devant Jacques Chirac !) au point d’effrayer François Mitterrand qui voyait dans cette élection sa dernière chance pour entrer dans l’histoire : « J’arrêterai de faire de la politique quand les politiciens arrêteront de nous faire rire ! » ("La politique", 1979). Soutenu par Romain Bouteille, Gilles Deleuze, Pierre Bourdieu, Serge July, Jean-Luc Godard et Daniel Cohn-Bendit, il y renonça finalement le 16 mars 1981, sous la pression des deux concurrents principaux, et parce qu’il n’avait obtenu qu’un seul des cinq cents parrainages de maires nécessaires.
Pour rendre hommage à Coluche, et montrer que ses persiflages restent encore en pleine actualité, je propose deux types de citations : les unes retranscrites par écrit selon des thèmes que j’ai sélectionnés (avec les sketchs mis en référence), et les autres visibles sur Internet grâce aux nombreuses vidéos qui s’y trouvent et dont j’ai choisi quelques-unes.
1. L’emploi, le problème numéro un
« Moi, j'ai été remplacé par une machine avec toute l'équipe de mecs qu'on était. Ah, une machine super ! Elle fait tout le travail à notre place ! Elle le fait aussi bien que nous... sinon mieux. Et puis, alors, la machine, ça a pas besoin de salaire, ça a pas besoin de repos, ça a pas besoin de vacances, c'est jamais malade ! Et le pire, ça a même pas besoin de travail ! » ("Le chômeur", 1986).
« Tout le monde gueule : "Ouais, y a 3 millions de personnes qui réclament du travail..." C’est pas vrai !... De l’argent leur suffirait. » ("Le chômeur", 1986).
2. Consommer
« Quand on pense... qu'il suffirait que les gens ne les achètent plus pour que ça se vende pas ! » ("Misère", 1978).
«Les artichauts, c’est un vrai plat de pauvres. C’est le seul plat que quand t’as fini de manger, t’en as plus dans ton assiette que quand t’as commencé. » ("L’étudiant, 1980).
3. Les grèves comme stratégie de gestion des stocks
« Alors, moi, comme je suis délégué, je suis très bien reçu. Je suis reçu par le patron... à la campagne (...). Il m'a demandé, quand c'est qu'on arrête la grève. Alors moi je lui ai répondu : "Ben... C'est quand vous voulez, c'est vous l'patron ! ça dépend du stock !" Parce que moi, j'suis dans une usine où c'est que la grève dépend directement du stock ! Je vais vous expliquer... Y a des usines comme ça, que la grève dépend du stock. (...) Vous prenez des usines, comme Longwy, dans l'Est... C'est des usines qui fabriquent des pièces de fonte qui vont sur des machines à vapeur qu'on a données aux Indes. Alors c'est dur d'en vendre, hein ! Parce que, c'est des usines qui appartenaient à l'État, ça, avant ! En moitié, vous savez ? Ils avaient pris des parts, comme ils disent. Pour renflouer, c'était déjà trop tard ! Puis alors, comme les gens du gouvernement, ils sont pas là pour rester, parce qu'après, ils se barrent, alors ils prennent un peu de... et puis il se cassent ! (...) Quand y a trop de mecs dans la rue [à faire grève], l'État dit aux patrons : "Engagez-moi donc des chômeurs qui font désordre (...). Alors l'autre, il engage les chômeurs. Et puis alors, c'est là que le stock, il intervient, parce que du coup, il fabrique encore plus qu'il ne vend ! Donc, le stock se remplit et quand le stock est plein, le patron, il peut plus bosser ! Il se retourne vers son partenaire social, qu'est le syndicat et lui dit : "Mon pauv'gars, on va débaucher une certaine catégorie de personnel !" Le syndicat appelle à la grève (...). Alors la grève dure des fois trois semaines (...). Pendant les trois semaines, qu'est-ce qu'il fait le patron ? Il vend ce qu'il a dans son stock ! Il a pas besoin des ouvriers qui fabriquent, pour vendre. Alors, au bout de trois semaines, il a tout vendu. Il dit : "Voilà les mecs... vous avez gagné. Je rengage tout le monde :!" Et les mecs retournent bosser (...). Camarades, camarades ! D'aucuns diront que le syndicalisme est à la société moderne ce que le mercurochrome est à la jambe de bois. À ceux-là, je dirai, rappelez-vous l'essentiel : Le capitalisme, c'est l'exploitation de l'homme par l'homme ! Le syndicalisme, c'est le contraire ! » ("Le syndicat, le délégué", 1979).
Cette dernière phrase est un pastiche de la blague qui courrait dans les pays du bloc soviétique : "Le communisme, c’est le contraire !" qu’a retranscrite Arthur Koestler dans "Le Cri d’Archimède" (écrit en 1960). On notera également que l’exemple évoqué ressemble étrangement à Arcelor vendu à Mittal, mais c’était à une époque d’avant Usinor-Sacilor.
4. Anti-communisme primesautier
« Je connais des chômeurs qui ont tellement honte qu'ils votent communiste pour se faire passer pour des travailleurs. » ("Le chômeur", 1986).
« La différence entre le beaujolais et le PC, c'est que le beaujolais est sûr de faire 12%. » ("PC, CGT, Russie, Pologne", 1986).
« Y a la télé en Russie, sauf que c'est elle qui vous regarde. » ("PC, CGT, Russie, Pologne", 1986).
« Le syndicat, c'est fait pour donner raison à des gens qui ont tort. » ("PC, CGT, Russie, Pologne", 1986).
5. La bureaucratie dans toute sa splendeur
« Vous savez, en France, l'administration, c'est très fertile : on y plante des fonctionnaires, il y pousse des impôts. » ("L’administration", 1986).
« Vous savez, les administrations, c'est des endroits où quand on arrive en retard, on croise ceux qui s'en vont en avance. (…) Alors l'autre jour, une copine qui part en avance, le patron lui dit : "Dis donc, vous partez en avance et vous êtes arrivée en retard aujourd'hui déjà ! ". "Ben, elle dit, justement, je voudrais pas être en retard deus fois dans la même journée !". » ("L’administration", 1986).
« Technocrate, c’est des mecs que quand tu leur poses une question, le temps qu’ils ont fini de répondre, tu comprends pas la question que t’as posée. » ("L’étudiant", 1980).
« À la sécurité sociale, tout est assuré, sauf la pendule. Ben, on ne risque pas de la voler, le personnel a les yeux constamment fixés dessus. » ("L’administration", 1986).
6. L’hôpital
« Ah ben, faut être courageux pour avoir ces trucs-là [le cancer] ! Rien que quand on vous les annonce ! Parce que les médecins, eux, ils s'en foutent, ils sont pas malades pour la plupart ! Alors un mec, il s'amène : "Monsieur, il va falloir être fort. Très fort. Très fort. En un mot comme en cent. Je n'irai pas par quatre chemins, j'irai droit au but, je vous parlerai franchement, je vais vous parler franchement, je vais pas tarder à vous parler franchement..." Le mec est déjà mort d'autre chose ! » ("Le cancer du bras droit", 1976).
« Le médecin a dit à mon grand-père : "Vous n’êtes pas malade. L’autopsie prouvera que j’avais raison". » ("Médecins sans diplôme", 1986).
« La médecine est un métier dangereux. Les clients qui ne meurent pas peuvent porter plainte. » ("Médecins sans diplôme", 1986).
7. Université
« J’ai été à la faculté, et tout. J’ai eu comme professeur, j’ai un le doyen de la faculté, moi… qui les avait plus, ses facultés, depuis un moment. "Orangina", on l’appelait : il était complètement secoué ! Ah bah, nous, on l’a remué… mais on lui a jamais décollé la pulpe du fond ! C’était un mec, il nous vendait de l’intelligence, il avait pas un échantillon sur lui ! » ("L’étudiant", 1980).
8. La guerre 1914-1918
« Je regrette pas de l’avoir faite, la guerre ! D’abord parce que j’suis pas mort, et puis parce que j’ai été décoré. Ben oui, puisque je suis pas mort ! À la guerre, on décore ceux qui r’viennent. Ceux qui étaient courageux, c’est ceux qui sont morts. Ben dame ! On peut pas être partout ! » ("L’ancien combattant", 1975).
9. Les policiers
« Y a les gens y disent : "La police, c'est un refuge pour les alcooliques qu'on a pas voulus à la SNCF et aux PTT". Eh ben, j' vais vous dire, franchement c'est exagéré ! (...) Je vois rien qu'au commissariat que j' suis, y en a au moins, que je dise pas de bêtises, y en a au moins quatre qui boivent pas ! Oh bah, c'est comme dans tous les troupeaux, hein ! Y a des brebis galeuses ! » ("Le flic", 1975).
10. Les hommes politiques
« C'est le pot de fer contre le pot de vin. (...) Il y a deux sortes de justice : vous avez l'avocat qui connaît bien la loi… Et vous avez l'avocat qui connaît bien le juge. » ("Le chômeur", 1986).
« De tous ceux qui n’ont rien à dire, les plus agréables sont ceux qui se taisent. » ("Les discours en disent long", 1986).
« Les hommes politiques, j'vais vous faire un aveu, ne sont pas bêtes. Vous vous rendez compte de la gravité ? Ils sont intelligents. Ça veut dire que tout ce qu'ils font, ils le font exprès. Ils y réfléchissent, ils y pensent. » ("Les discours en disent long", 1986).
11. Les étrangers, une xénologie coluchesque
« Un type louche, un peu basané, voyez... Parce qu'on nous apprend à r'connaître les mecs louches, attention ! c'lui-là, si vous voulez, il était pas franchement louche mais il était franchement basané ! » ("Le flic", 1975).
« Ce que je déteste le plus à l'étranger, c'est que les gens parlent pas français. » ("Les vacances", 1980).
« J'ai été en Laponie. J'ai été réveillé un matin : "Police ! Qu'est-ce que vous avez fait dans la nuit du 23 novembre au 27 avril ?". » ("Les vacances", 1980).
« Vous devriez visiter Anvers rien que pour l'endroit. » ("Le Belge", 1979).
A. Spectacle "Qui dit mieux ?"
B. "Quand je serai grand" (1975)
C. "1faux" sur Canal Plus
D. "Le chômeur" (1986)
E. "Le syndicat, le délégué" (1979)
F. "Les journalistes"
G. "L’administration" (1986)
H. "Médecins sans diplôme" (1986)
I. "L’étudiant" (1980)
J. "Les hommes politiques" (1980)
K. "Les papes" (1979)
L. "PC, CGT, Russie, Pologne" (1986)
M. "Votez nul !" (1980)
« Sois fainéant, sois fainéant,
Tu vivras longtemps.
Moins tu en fais, plus tu l’espères,
Plus ta santé déjà précaire
Te libère de ses tourments,
Gagner ta vie ne vaut pas l’coup,
Attendu que tu l’as déjà.
Le boulot, y en a pas beaucoup,
Faut le laisser à ceux qui aiment ça ! »
("Sois fainéant", Coluche et P. Olivier, 1977).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 juin 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L’Abbé Pierre.
Coluche.
Thierry Le Luron.
Pierre Dac.
Christina Grimmie.
Abd Al Malik.
Yves Montand.
Daniel Balavoine.
Édith Piaf.
Jean Cocteau.
Charles Trenet.
Michel Galabru.
Bernard Blier.
Gérard Depardieu.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160619-coluche.html
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/coluche-sois-faineant-l-avenir-t-181984
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/06/18/33930300.html