« Ce soir, je demande pardon devant Dieu et devant tout notre diocèse, de n’avoir pas pris les devants pour enquêter comme il aurait fallu dès qu’un premier témoignage m’était parvenu, pardon de ne pas avoir sanctionné immédiatement un prêtre pour ses actes anciens, très graves et clairement indignes de son ministère, pardon de mes erreurs de gouvernance qui ont occasionné un tel scandale. » (Mgr Barbarin, le 18 novembre 2016 en la primatiale Saint-Jean de Lyon).
Douche froide chez les évêques français. Le jeudi 7 mars 2019, le tribunal correctionnel de Lyon a condamné le cardinal Philippe Barbarin à six mois de prison avec sursis pour non-dénonciation d’agressions sexuelles de mineurs de 15 ans ("mineurs de 15 ans" signifie "enfants de moins de 15 ans").
Le jour même, Mgr Barbarin, qui est l’un des trois prélats français les plus importants de l’Église catholique, a annoncé qu’il allait rencontrer le pape François pour lui remettre sa démission : « Je prends acte de la décision du tribunal, je tiens à redire ma compassion pour les victimes. ». Ses avocats ont cependant exprimé leur intention de faire appel, considérant que les juges étaient influencés par une forte pression médiatique, renforcée par la sortie, le 20 février 2019, du film "Grâce à Dieu" réalisé par François Ozon et qui évoque précisément Mgr Barbarin.
Le 17 mai 2016, le pape François avait rejeté l’hypothèse d’une démission en soutenant Mgr Barbarin (soutenu aussi par Laurent Wauquiez et Gérard Collomb, mais fustigé le 15 mars 2016 sur RMC par Manuel Valls, à l’époque Premier Ministre) devant des journalistes de "La Croix" : « D’après les éléments dont je dispose, je crois qu’à Lyon, le cardinal Barbarin a pris les mesures qui s’imposaient, qu’il a bien pris les choses en main (…). C’est un courageux, un créatif, un missionnaire. Nous devons maintenant attendre la suite de la procédure devant la justice civile. ». Mais maintenant, la condamnation est là. Sa démission pourrait être perçue ou vécue comme injuste, mais elle est désormais inéluctable, et même nécessaire et salutaire pour reconstruire après la déflagration morale qui mine en ce moment l’Église catholique.
Le verdict est certes très sévère, c’est la première condamnation en France, d’autant plus sévère que la procureure n’avait requis aucune peine contre lui après son réquisitoire, mais il n’a pas de conséquence directe (le cardinal ne fera pas de prison), seulement des conséquences indirectes : sa démission (réclamée depuis plusieurs années), et c’est aussi le symbole d’un bouleversement des mentalités que le pape François lui-même entend accompagner.
En ce qui me concerne, je me réjouis de ce verdict, non pas que j’en veuille à Mgr Barbarin dont j’apprécie l’intelligence et la profondeur et qui se trouve plutôt comme une sorte de bouc émissaire de tous les reproches qu’on pourrait faire à l’Église de France sur ce sujet si brûlant et si sensible de la pédophilie des prêtres, mais cela doit être un signal, un symbole que rien ne sera oublié, rien ne sera toléré en ce qui concerne ces actes de torture qu’on appelle pédophilie.
Qui est Mgr Barbarin ?
Philippe Barbarin (68 ans) est l’un des responsables catholiques les plus influents de l’Église catholique en France. Il participe régulièrement aux nombreux débats publics de la société française et est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages. Né le 17 octobre 1950 à Rabat, il a été ordonné prêtre le 17 décembre 1977 à Alfortville après des études de philosophie et de théologie à la Sorbonne et à l’Institut catholique de Paris. Après avoir été curé de Boissy-Saint-Léger de 1991 à 1994, il s’est expatrié à Madagascar de 1994 à 1998 pour enseigner la théologie au grand séminaire de Fianarantsao de 1994 à 1998. Il fut ensuite consacré évêque le 22 novembre 1998 par Mgr Philibert Randriambololona, qui fut archevêque de Fianarantsoa du 17 décembre 1992 au 1er octobre 2002 (après avoir été évêque d’Antsirabe).
Mgr Barbarin fut alors nommé évêque de Moulins le 1er octobre 1998, puis archevêque de Lyon le 16 juillet 2002 qu’il est encore (probablement plus pour longtemps). En tant que primat des Gaules, il fut créé cardinal le 21 octobre 2003 par le pape Jean-Paul II. Il venait d’avoir 53 ans. Son ascension est donc assez rapide.
Quelle est l’affaire judiciaire ?
Rappelons très rapidement de quelle affaire judiciaire il s’agit et pour laquelle Mgr Barbarin vient d’être condamné. Précisons immédiatement qu’il n’est pas coupable lui-même d’abus sexuels mais de non-dénonciation d’abus sexuels commis par des prêtres qui officient au diocèse de Lyon (ici un prêtre, mais il y a d’autres affaires concernant d’autres prêtres du diocèse).
L’article 434-3 du code pénal condamne jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende ceux qui, « ayant connaissance d’agressions ou atteintes sexuelles infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger », n’en ont pas informé les autorités judiciaires. Précisons d’ailleurs que cette obligation de signalement judiciaire concerne toute personne majeure (donc moi, vous). On peut comprendre que si l’agression sexuelle a été commise au-delà de la période de prescription, la personne qui en a connaissance ne se sent plus tenue de la signaler à l’autorité judiciaire.
Pourquoi Mgr Barbarin a-t-il été mis en cause ? Parce qu’un prêtre lyonnais (ancien aumônier scout) est accusé d’avoir abusé sexuellement des dizaines d’enfants dans les années 1980. Son procès aura lieu dans un ou deux ans. Le 14 juillet 2014, bien après les faits, Mgr Barbarin a reçu un email d’une ancienne victime du prêtre en question, maintenant majeure, qui lui a exprimé son étonnement de voir le prêtre encore en contact avec des enfants, et lui a raconté les abus sexuels dont il a été victime lorsqu’il avait entre 9 et 11 ans. En octobre 2014, missionnée par Mgr Barbarin, une personne membre d’une commission épiscopale a rencontré le prêtre auteur d’abus sexuels, mais ce dernier ne fut pas inquiété car il avait assuré qu’il n’avait pas recommencé ces agissements depuis 1991.
En novembre 2014, Mgr Barbarin a reçu la victime qui lui a demandé d’éloigner au plus vite le prêtre des enfants. En mai 2015, la victime a alerté les faits au procureur de la République. En février 2015, le cardinal Luis Francisco Ladaria Ferrer, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait conseillé à Mgr Barbarin d’écarter le prêtre tout en "évitant le scandale public". Le prêtre était l’objet d’un décret de destitution de son ministère dès mars 2015, mais ce ne fut que le 31 août 2015 que le prêtre fut limogé (il était le doyen de plusieurs paroisses dans le Roannais ; "doyen" signifie "curé" de plusieurs paroisses qui sont désormais regroupées en "doyennés" par manque de prêtres), alors que la justice a découvert de nombreuses autres victimes du prêtre qui a été mis en examen le 27 janvier 2016 pour des agressions sexuelles entre 1986 et 1991.
Une seconde enquête judiciaire fut instruite contre Mgr Barbarin pour savoir si son silence était illégal ou pas au regard de l’article 434-3 du code pénal. L’enquête est classée sans suite par le parquet de Lyon en août 2015, mais dix autres victimes du prêtre ont demandé la citation directe de l’archevêque à comparaître, voie pénale très rare qui irait plus vite qu’un recours contre le classement sans suite, mais plus risquée puisque la procédure est fortement accusatoire et la personne accusée peut se retourner contre les accusateurs si elle est jugée non coupable.
Qu’en a dit Mgr Barbarin ?
À l’époque des faits reprochés au prêtre, Mgr Barbarin était vicaire paroissial à Saint-Maur-des-Fossés. Il a reconnu qu’il en avait eu connaissance dès 2007 mais n’a pris aucune décision pour ne pas désavouer son prédécesseur Mgr Louis-Marie Billé (archevêque de Lyon entre 1998 et 2002) qui n’avait pas écarté le prêtre après la consultation d’un avocat. Archevêque pendant les faits (entre 1981 et 1994), Mgr Albert Decourtray avait écarté le prêtre pendant six mois puis l’avait réaffecté dans une paroisse. En 2011, une autre alerte aurait eu lieu provenant d’une autre victime qui a rencontré en juin 2011 l’évêque auxiliaire de Lyon qui lui a dit qu’ils avaient le prêtre à l’œil, mais l’évêque auxiliaire n’a pas confirmé la rencontre, selon "La Vie" du 18 mars 2016.
Au cours d’une conférence de presse le 15 mars 2016 à Lourdes, Mgr Barbarin a déclaré : « Je ne dis pas que je ne me suis pas trompé dans ma gestion pastorale (…). Sur les faits de l’immédiat, j’ai agi avec une extrême clarté. Sur des faits anciens, nous [les évêques de France] voyons bien qu’il y a quelque chose à revoir. ». En fait, comme les faits étaient prescrits, l’archevêque de Lyon avait demandé conseil au Vatican dès 2014 : « Que faire pour les faits anciens ? Peut-être que nous avons à dire que, malgré une prescription juridique du droit français, du point de vue pastoral, ça ne vaut pas, ça ne compte pas. (…) On ne peut pas s’en tenir au fait qu’il y a une prescription juridique ou au fait qu’il n’y ait pas eu de plaintes. Nous en tenir à cela, ça ne va pas. Et nous voyons bien qu’il y a quelque chose à changer de ce côté-là. ».
Mgr Barbarin a voulu rappeler qu’il a toujours été ferme : « Couvrir, ça veut dire "tu savais et tu as laissé faire". Alors, ça, absolument jamais. ». Deux évêques actuels, qui travaillèrent à ses côtés à Lyon pendant de plusieurs années, ont publié une tribune dans "La Croix" du 29 août 2018 pour le soutenir : « Nous sommes témoins que le cardinal Barbarin a rencontré toutes les victimes qui acceptaient ses propositions de rendez-vous, qu’il désirait les écouter toutes et chacune personnellement, et qu’il a entendu du fond du cœur l’immensité de leur souffrance. Nous sommes témoins qu’il a tenu à faire intervenir des victimes dans une formation dispensée aux prêtres du diocèse tout comme dans une messe dite de "réparation". Nous sommes témoins qu’il a fait adopter des mesures les plus répressives. ».
La grâce de Dieu
Le titre du film de François Ozon qui est sorti avant l’annonce du verdict est "Grâce à Dieu". Il a repris une parole très maladroite de Mgr Barbarin à propos de la prescription des faits reprochés au prêtre impliqué. Le primat des Gaules a en effet déclaré le 15 mars 2016 : « La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits, mais certains peut-être pas. ». En disant cela, l’archevêque ne se réjouissait évidemment pas d’une possible impunité du prêtre, mais qu’il n’y avait plus eu d’abus sexuels récents qui, eux, n’étaient pas prescrits. La prescription est en principe de 20 ans après l’âge de la majorité.
Le procès de janvier 2019
Mgr Barbarin a été écouté par la police lyonnaise le 8 juin 2016 pendant dix heures en tant que témoin et n’a pas été placé en garde-à-vue. Le procès a eu lieu au tribunal correctionnel de Lyon du 7 au 10 janvier 2019. Pour Pacale Robert-Diard, du journal "Le Monde" du 9 janvier 2019 : « Ce procès restera dans l’histoire comme le premier face-à-face entre les victimes d’un prêtre pédophile et l’Église en tant qu’institution, symboliquement incarnée par la présence de l’un de ses plus hauts représentants sur le banc des prévenus. ».
Les défenseurs de Mgr Barbarin ont expliqué que l’article 434-3 du code pénal ne devait pas s’appliquer à Mgr Barbarin car la victime qui l’avait informé des dérives du prêtre en cause était majeure et était en état de se protéger. Ils ont affirmé qu’en condamnant le cardinal pour ce motif, toute personne ayant eu la confidence, même très tardive, d’abus sexuels d’une personne mineure pendant les faits pourrait être accusée de la même manière si elle n’avait pas informé les autorités judiciaires.
Les juges ont considéré au contraire qu’il y avait eu un danger à ne pas avoir dénoncé ces abus sexuels à la justice dans la mesure où le prêtre était encore en contact avec des enfants pendant (donc) treize mois (entre juillet 2014 et août 2015). Selon la première victime qui avait contacté l’archevêque, il y avait urgence.
Une condamnation sévère mais symbolique
Symbolique pour réveiller l’Église trop soucieuse du "pas de scandale !" que de la chasse aux dérives malsaines de ses membres. Si les actes de pédophilie sont des actes particulièrement scandaleux et odieux car l’enfant n’a jamais la capacité à se défendre face à un adulte, surtout si celui-ci exerce une autorité d’éducateur sur l’enfant, le fait qu’ils puissent être commis par un prêtre est encore plus scandaleux quand on connaît le message de l’Évangile qui est là pour guider les hommes et les femmes dans l’amour, amour à ne pas prendre dans le sens sexuel du terme (eros), bien sûr, mais dans le sens charité (agapè), et je ne parle même pas du vœu de chasteté du prêtre qui concerne plutôt l’institution religieuse en interne.
En revanche, tout ce qui est en rapport avec les crimes et délits ne concernent pas seulement l’Église en interne, mais toute la société laïque et évidemment la justice civile (à moins de considérer que les principes religieux l’emportent sur les lois républicaines, ce qui rendrait la charia admissible). Fidèle au principe républicain de la laïcité, l’Église catholique n’a d’ailleurs jamais, dans l’époque contemporaine, refusé de reconnaître la priorité des lois républicaines sur ses propres règles, fort heureusement.
L’évêque du Puy-en-Velay, Mgr Luc Crepy, président de la cellule de lutte contre la pédophilie de la Conférence épiscopale française, a d’ailleurs rappelé, dans "La Croix" le 7 janvier 2019 : « Les évêques sont déjà très au clair sur la question de la dénonciation et sur les procédures lorsqu’ils sont contactés par une victime, même quand il s’agit d’un cas ancien. Et ils ont aujourd’hui une conscience plus forte du traumatisme subi par les victimes. ».
En fait, dès novembre 2000 à Lourdes, la Conférence épiscopale française avait déclaré sans ambiguïté : « Les prêtres qui se sont rendus coupables d’actes à caractère pédophile doivent répondre de ces actes devant la justice (…). L’évêque ne peut ni ne veut rester passif, encore moins couvrir des actes délictueux. ». Les évêques français ont même publié un rapport sur la lutte contre la pédophilie qui présente des statistiques sur les signalements et les jugements de prêtres accusés d'abus sexuels (on peut le télécharger ici).
La Congrégation pour la doctrine de la foi est d’ailleurs assez claire sur la procédure à tenir dans l’épiscopat : « Les dispositions de la loi civile sur la dénonciation des crimes aux autorités compétentes doivent toujours être acceptées. ». La prescription éventuelle dans un pays peut même être levée par l’Église lorsque cela concerne l’abus sexuel d’un mineur commis par un prêtre, afin d’avoir un procès romain (selon "Sacramentorum sanctitatis tutela" du 30 avril 2001).
La condamnation de Mgr Barbarin peut être considérée comme exemplaire, en ce sens qu’elle vient de mettre Mgr Barbarin, et avec lui, l’institution catholique, devant son plus gros péché : la négligence. En ne considérant pas que ce sujet était une affaire de la première importance et de la première urgence, le diocèse de Lyon, et plus généralement, l’Église catholique a mis en danger des enfants qui étaient encore au contact avec des prêtres auteurs d’abus sexuels qu’il fallait immédiatement éloigner d’eux, et, sur le plan des valeurs, s’est elle-même mise en danger sur sa cohérence entre les paroles et les actes. Ce à quoi le pape François souhaite rapidement remédier en prônant la tolérance zéro pour ces actes insupportables et abominables.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (08 mars 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
"Affaire Barbarin : ce que l’on sait", article de Sophie Lebrun et Olivia Elkaim publié dans "La Vie" le 18 mars 2016.
Discours du pape François le 24 février 2019 au Vatican (texte intégral).
La protection des mineurs dans l’Église.
Mgr Barbarin : une condamnation qui remet les pendules à l’heure.
Pédophilie dans l’Église : le pape François pour la tolérance zéro.
Document : rapport "Lutter contre la pédophilie" de l'épiscopat français publié en octobre 2018 (à télécharger).
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
Les étiquettes.
Le pape François et la pédophile dans l’Église.
Maurice Bellet.
Sœur Emmanuelle : respecter et aimer.
La "peur" de saint Jean-Paul II.
La canonisation de Jean-Paul II et de Jean XXIII.
La canonisation de Paul VI et de Mgr Romero.
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Concile Vatican II.
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Barbe Acarie.
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Le plus dur est passé.
Le début de la révolution luthérienne.
Saint François de Sales.
Le pape Formose.
Viens m’aider à aider !
Le pape François, une vie d’espérance.
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Les saints enfants de Fatima.
La révocation de l’Édit de Nantes.
La laïcité française depuis 1905.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190307-philippe-barbarin.html
https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/mgr-barbarin-une-condamnation-qui-213318
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/03/07/37158762.html