Bataille de chiffonniers pour la primaire des écologistes, mal préparée tant politiquement que juridiquement. Résultat du premier tour le 29 juin 2011. Déplorable évolution d’un mouvement qui avait pourtant bien commencé il y a deux ans. Première partie.
Rappelez-vous : le 7 juin 2009, les listes Europe Écologie ont réalisé un score historique aux élections européennes avec 16,3%, soit seulement trente-quatre mille voix de moins (au niveau national !) que les listes du Parti socialiste (16,5%). Avec quatorze députés européens élus (parfois avec surprise), les écologistes ont fait jeu égal avec les socialistes en nombre de sièges.
Une recomposition inattendue
Cette victoire n’est pas arrivée par hasard. Elle fut le fruit d’un difficile rassemblement des forces écologistes, avec les Verts menés par Cécile Duflot, et des groupuscules hétéroclites comme celui de José Bové (58 ans ; 1,3% à l’élection présidentielle de 2007). Le véritable ordonnateur de cette union fut Daniel Cohn-Bendit, habitué à ravir la tête de gondole des Verts tous les cinq ans, au moment des européennes, et qui a obtenu en Île-de-France 20,9%, soit largement devant la liste socialiste conduite par le numéro deux du PS, Harlem Désir (13,6%).
À l’époque, l’échec des socialistes étaient d’autant plus terrible que les listes UMP avaient réussi le tour de magie de gagner la bataille avec 27,9% et 29 sièges raflés, soit plus du double du PS.
La recomposition à gauche était alors en marche : exit le MoDem incapable de rassembler électeurs ni élus, et parité électorale exemplaire entre socialistes et écologistes. Bref, la stratégie à la François Mitterrand de François Bayrou, celle de remplacer ou phagocyter le PS dans son rôle de premier opposant, a échoué et celle du rassemblement des Verts a apporté une nouvelle tournure dans le paysage politique français.
Reflux
Deux ans après, les écologistes ont eux aussi échoué à dynamiser la gauche.
Entre temps, Europe Écologie a réalisé un score assez médiocre néanmoins intéressant aux élections régionales du 14 mars 2010 avec 12,2% (le PS a obtenu 29,1%), avec quand même 16,6% pour les listes conduite par Cécile Duflot en Île-de-France. Aux élections cantonales du 20 mars 2011, seulement 8,2% des suffrages ont fait confiance à EELV.
Le rapport des forces entre EELV (Europe Écologie-Les Verts) et le PS est passé de 1/1 en juin 2009, à 1/2 en mars 2010, puis, à 1/3 en mars 2011, et dans les sondages d’aujourd’hui, ce rapport s’effondre à 1/5 environ. L’élection présidentielle serait-elle une chose trop sérieuse pour la laisser aux écologistes ?
Des erreurs stratégiques
Comme dans la réussite de 2009, la chute de EELV n’est pas due au hasard mais à une série d’erreurs stratégiques de première importance.
1. La première erreur stratégique, c’était de ne pas avoir surfé sur la vague écofavorable de juin 2009. Leader incontestée du mouvement écologiste, Cécile Duflot n’aurait jamais dû renoncer à la candidature à l’élection présidentielle. Sous la Ve République, cette élection est déterminante et module tout le reste de l’action politique. Certes, les écologistes sont, comme les socialistes, par nature partisans du régime parlementaire, mais la règle du jeu doit être adoptée pour savoir gagner. Certes (bis), Cécile Duflot est jeune (36 ans), et surtout, est une mère de famille qui ne souhaite pas non plus sacrifier sa vie familiale (elle a raison), et elle sait qu’une ambition présidentielle dévore tout (elle a encore raison), mais elle aurait été la seule candidate cohérente de ce mouvement. Cécile Duflot ne s’était pas non plus présentée aux élections européennes de 2009.
2. Une autre erreur est l’absence de leadership interne de Daniel Cohn-Bendit. À 66 ans, il a toujours expliqué qu’il ne voulait pas être candidat à l’élection présidentielle. S’il ne manque pas de charisme et d’attraits médiatiques, avec son air plutôt bon enfant, Daniel Cohn-Bendit reste trop favorable au régime parlementaire pour s’adonner aux joies d’une république présidentielle. Par ailleurs, de nationalité allemande et ne demandant pas la nationalité française, il s’est juridiquement interdit toute velléité présidentielle. Il a aussi été mis en minorité par les adhérents à EELV le mois dernier, n’obtenant que 26,5% face aux 50,2% de la motion de Cécile Duflot. Le clivage est important et sera sans doute la cause du probable échec présidentiel : face à l’ouverture prônée par Daniel Cohn-Bendit, Cécile Duflot a travaillé pour renforcer la mainmise de l’appareil des Verts sur EELV. Des personnalités comme Corinne Lepage, députée européenne élue sur une liste du MoDem, peuvent donc hésiter à les rejoindre après cette victoire du monolithique sur l’ouverture (la "coopérative").
3. La troisième erreur stratégique, c’est d’avoir délibérément délégué le représentant d’EELV à l’élection présidentielle à une personnalité qui, dans tous les cas, n’est ni écologiste (historiquement) ni expérimentée politiquement. Pourtant, les candidats ne manquaient pas, et notamment Yves Cochet, ancien Vice-Président de l’Assemblée Nationale et ancien ministre, qui a renoncé à sa candidature pour soutenir Nicolas Hulot.
4. Enfin, la quatrième erreur stratégique, c’est de ne pas avoir su "résorber" l’incohérence programmatique existentielle que représente ce regroupement écologiste, ménageant la chèvre et le chou dans un projet illisible entre les partisans de la construction européenne comme Daniel Cohn-Bendit qui se dit libéral-libertaire ou d’autres personnalités proches du centre (Eva Joly voulait à l’origine adhérer au MoDem), et les altermondialistes farouchement antieuropéens et issus des milieux d’extrême gauche à l’instar de José Bové.
Hyperréalisme mou
L’absence de stratégie d’EELV va certainement lui être fatal. Les écologistes avaient eu pourtant le choix entre deux attitudes.
La première était de présenter unanimement à l’élection présidentielle leur secrétaire nationale Cécile Duflot, incarnant une nouvelle génération dans la classe politique, plus directe et plus spontanée, en se hissant comme l’héritière de l’autre gauche, avec la ferme volonté de conquérir majoritairement le pouvoir.
La seconde, plus réaliste, proposée par Daniel Cohn-Bendit, était de capitaliser les bons rapports de force des européennes et des régionales en renonçant à une candidature à l’élection présidentielle (pour éviter l’éviction du candidat socialiste comme le 21 avril 2002) en échange d’une cinquantaine de circonscriptions gagnables aux élections législatives de juin 2012, assurant dans tous les cas aux écologistes l’existence d’un groupe politique autonome à l’Assemblée Nationale, leur permettant éventuellement d’être soit une force d’avenir en cas d’opposition, soit d’être un allié incontournable en cas de majorité de gauche.
Si la première option était très ambitieuse (mais pas impensable), la seconde avait l’avantage d’être très sage et de sceller les fondations d’un mouvement durable dans la vie parlementaire, élément nécessaire pour exister (François Bayrou le sait cruellement bien).
Au lieu de quoi, les écologistes ont décidé de se disputer au sein d’une primaire sans véritable enjeu programmatique ni stratégique pour faire très rapidement ensuite allégeance aux socialistes au second tour ou même (certains le proposent déjà, par peur d’un nouveau 21 avril 2002), dès le premier tour. À l’instar des pastèques, vertes à l’extérieur et roses à l’intérieur.
Dans mon prochain article, je présenterai plus précisément la primaire des écologistes pour l’élection présidentielle de 2012 qui opposent Eva Joly et Nicolas Hulot.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 juin 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Cécile Duflot.
Daniel Cohn-Bendit.
Illustrations : 1° C. Duflot entourée de N. Hulot et E. Joly ; 2° N. Hulot et E. Joly.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/ou-vont-les-ecolo-pasteques-1-96444
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