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19 juillet 2018 4 19 /07 /juillet /2018 05:27

« Car cet homme, après nous savoir donné un chef-d’œuvre incontestable, a multiplié les occasions de se faire haïr. Il a eu des attitudes politiques et philosophiques dont on a pu dire qu’elles relevaient d’un certain délire. Mais (…) il y a du génie chez cet homme redouté, redoutable, et aujourd’hui, au trois quarts abattu. » (Louis Pauwels, sur Céline, pour une émission programmée le 19 juin 1959 mais jamais diffusée).



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L’ancienne danseuse Lucette Destouches, née Lucie Almansor, fête ses 106 ans ce vendredi 20 juillet 2018. Un âge très rare, mais elle a une caractéristique plus rare encore : elle s’est mariée le 15 février 1943 avec Louis-Ferdinand Céline dont elle fut la troisième et dernière compagne (à partir de 1935 jusqu’à la mort de l’écrivain). À ce titre, et malgré les rides, elle reste la seule dépositaire des droits moraux de son époux. C’est justement l’occasion de revenir sur la polémique du début d’année sur la possible réédition des pamphlets de Céline.
 

Rappelons très rapidement les faits.


Les faits

Et d’abord, un bref rappel juridique. L’œuvre littéraire de Céline ne tombera dans le domaine public en France que le 1er janvier 2032. Par conséquent, sans consentement de l’auteur ou des ayant droits, aucune publication ne peut avoir lieu. Notons par ailleurs que les droits moraux sont inaliénables. C’est-à-dire que même deux cents ans après, les héritiers peuvent refuser que l’œuvre de leur aïeul soit dévoyée ou dénaturée. Le droit de la propriété intellectuelle est différent d’un pays à l’autre. Au Canada, la limite n’est pas de soixante-dix ans mais de cinquante ans après la mort de l’auteur. C’est pourquoi il est possible d’y trouver dans le domaine public des œuvres littéraires qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public en France. Je parle d’édition de livres, mais aussi de publication sur Internet.

Après la Libération, Louis-Ferdinand Céline a toujours refusé la réédition de ses pamphlets, qu’il considérait comme n’étant pas conforme à ce qu’il voudrait laisser pour la postérité. On peut comprendre. Après tout, Hergé avait lui aussi refusé la réédition de "Tintin au Pays des Soviets", qu’il trouvait trop simpliste, trop caricatural, et pas assez fini pour les dessins. En revanche, il n’a pas imaginé que d’autres albums ne seraient plus, non plus, politiquement corrects, comme "Tintin au Congo".

L’épouse du pamphlétaire, Lucette, a, elle aussi, toujours refusé ces rééditions. Jusqu’en 2017. Lucette Destouches avait fermement protesté contre la publication d’un extrait des " Beaux Draps" le 18 octobre 1989 par l’hebdomadaire "L’Idiot international" dirigé par Jean-Edern Hallier, et sa lettre fut publiée le 25 octobre 1989 : « Je tiens, Monsieur, à vous faire part de ma profonde irritation à la suite de la parution dans le dernier numéro de votre hebdomadaire, d’un extrait des "Beaux Draps". Vous n’ignorez sûrement pas que mon mari, Louis-Ferdinand Céline, s’est toujours opposé à de nouvelles éditons des pamphlets après les abominations de la dernière guerre mondiale et ses désastreuses conséquences. Il avait à une certaine époque ses raisons pour les écrire et en d’autres temps, ses raisons pour en interdire la réédition. Comme je crois discerner en vous une certaine admiration pour l’œuvre de mon mari, je vous serais reconnaissante, à l’avenir, de respecter sa volonté comme je la respecte moi-même. Croyez, Monsieur, malgré ma vive protestation, à mes meilleurs sentiments. ».

Citée par Véronique Robert-Chovin (dans "Céline secret", éd. Grasset en 2001), Lucette Destouches a également déclaré : « Aujourd’hui, ma position sur les trois pamphlets de Céline : "Bagatelles pour un massacre, "L’École des cadavres" et "Les Beaux Draps", demeure très ferme. J’ai interdit leur réédition et, sans relâche, intenté des procès à tous ceux qui, pour des raisons plus ou moins avouables, les ont clandestinement fait paraître, en France comme à l’étranger. Ces pamphlets ont existé dans un certain contexte historique, à une époque particulière, et ne nous ont apporté à Louis et à moi, que du malheur. Ils n’ont de nos jours plus de raison d’être. Encore maintenant, de par justement leur qualité littéraire, ils peuvent, auprès de certains esprits, détenir un pouvoir maléfique que j’ai, à tout prix, voulu éviter. J’ai conscience à long terme de mon impuissance et je sais que, tôt ou tard, ils vont resurgir en toute légalité, mais je ne serai plus là et ça ne dépendra plus de ma volonté. ».

Pour l’anecdote, à la mort de son mari (1er juillet 1961), Lucette a tout fait pour l’enterrer à Meudon le plus discrètement possible (peu de personnes à son enterrement, dont Claude Gallimard, Roger Nimier et aussi Lucien Rebatet dont les éditions Robert Laffont ont réédité le 7 octobre 2005 le grand succès sous l’Occupation, "Les Décombres", pamphlet antisémite, sans provoquer de grandes polémiques mais avec un beau succès commercial) et a fait mettre sur la pierre tombale une inscription pour elle-même avec ces dates : "1912-19.." (elle n’imaginait pas qu’elle dépasserait 1999 de plus de dix-huit ans).

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Refus de réédition jusqu’en 2017 puisque, après quelques rumeurs, maître François Gibault, biographe et exécuteur testamentaire de Céline, a confirmé le 1er décembre 2017 auprès du site "L’Incorrect" le projet des éditions Gallimard de rééditer les trois pamphlets "Bagatelles pour un massacre" (1937), "L’École des cadavres" (1938) et "Les Beaux Draps" (1941) pour une sortie prévue pour mai 2018, sous le titre "Écrits polémiques" avec des notes de Régis Tettamanzi, professeur de littérature à l’Université de Nantes (les mêmes que l’édition québécoise sortie en 2012, critiquées pour leur légèreté intellectuelle) avec une préface de Pierre Assouline (spécialiste de Céline). Confirmation également obtenue par "L’Express" le 5 décembre 2017 (article du journaliste Jérôme Dupuis).

"L’Express" a fait état le 14 décembre 2017 d’un courrier de Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (dépendant de Matignon), daté du 12 décembre 2017 et adressé à Antoine Gallimard pour lui demander d’accompagner cette réédition avec toutes les précautions possibles. C’était la première fois que les services du Premier Ministre faisaient pression préventivement sur un éditeur.

La polémique n’a pris vraiment de l’ampleur dans les médias grand public qu’au début du mois de janvier 2018 (après les fêtes de fin d’année), ce qui a abouti rapidement au renoncement de l’éditeur le 11 janvier 2018. Antoine Gallimard a en effet annoncé une suspension de son projet éditorial (sans forcément l’abandonner définitivement) en raison des levées de boucliers : « Au nom de ma liberté d’éditeur et de ma sensibilité à mon époque, je suspends ce projet, jugeant que les conditions méthodologiques et mémorielles ne sont pas réunies pour l’envisager sereinement. » (communiqué). Le politiquement correct a gagné. Au dîner annuel du CRIF le 7 mars 2017, le Président de la République Emmanuel Macron a lui-même exprimé son souhait de ne pas voir rééditer ces pamphlets.


Précisément, quels pamphlets ?

Il s’agit des trois principaux pamphlets de Céline.

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"Bagatelles pour un massacre" est sorti en décembre 1937 chez Denoël et réédité en 1942 et en octobre 1943. Ce fut un best-seller sous l’Occupation avec "Les Décombres" de Lucien Rebatet (1903-1972). Georges Bernanos (1888-1948), qui avait écrit en 1931 le pamphlet "La Grande Peur des bien-pensants" (chez Grasset) a commenté ainsi le pamphlet de Céline : « Cette fois-ci, Céline s’est trompé d’urinoir. » (cité par Sébastien Lapaque le 22 octobre 2004 pour parutions.com). Quant à André Gide (1869-1951), plein d’indulgence, dans "La Nouvelle Revue française" n°295 du 1er avril 1938, il a écrit : « Quant à la question même du sémitisme, elle n’est pas effleurée. S’il fallait voir dans "Bagatelles pour un massacre" autre chose qu’un jeu, Céline, en dépit de son génie, serait sans excuse de remuer les passions banales avec ce cynisme et cette désinvolte légèreté. ». Après avoir écrit ceci : « Quand il fait le Juif responsable de sa mévente, il va de soi que c’est une plaisanterie. Et si ce n’était pas une plaisanterie, alors il serait, lui, Céline, complètement maboul. ».

"L’École des cadavres" est sorti en 1938 chez Denoël et réédité en 1941 et 1942.

"Les Beaux Draps" est sorti le 28 février 1941 chez Denoël.


Pourquoi vouloir les rééditer maintenant ?

Il y a deux raisons principalement.

D’une part, des éditions contrefaites (c’est-à-dire illégales) circulent, plus facilement d’ailleurs sur Internet que sur support papier. Certaines profitent d’un dispositif législatif différent (domaine public au Canada mais aussi dans un pays d’Amérique du Sud) pour diffuser illégalement ses œuvres dans des pays pour lesquels elles ne sont pas tombées dans le domaine public (rappelons la loi : si un Français, de son ordinateur en France, télécharge sur un site canadien ces œuvres, c’est considéré comme illégal ; s’il est français, le site lui-même est dans l’illégalité).

D’autre part, la tombée dans le domaine public viendra un jour (le 1er janvier 2032) et les éditions Gallimard se proposent ainsi de diffuser ces pamphlets avec un accompagnement pédagogique et avec un objectif historique tant qu’il peut contrôler ces rééditions, ce qui ne sera plus le cas dans quatorze ans. Certes, Pierre-André Taguieff a rejeté l’argument de l’histoire littéraire : « Lesdits pamphlets appartiennent moins à l’histoire de la littérature, section "parole pamphlétaire" (…), qu’à celle de l’antisémitisme au XXe siècle, à celle du racisme et à celle de l’eugénisme, à celle du nazisme français et du collaborationnisme parisien, et bien sûr, à celle de la propagande à l’âge totalitaire. » (Entretien avec Marc Knobel, le 13 décembre 2017, qu’on peut télécharger ici).

Quant à l’accompagnement critique, dans le même entretien, Pierre-André Taguieff s’est montré sévère contre l’édition québécoise : « Il n’y a rien à objecter, à mon sens, au projet d’une édition critique et historique des pamphlets céliniens, dès lors que celle-ci présente toutes les garanties d’un travail scientifique effectué par des spécialistes des divers domaines requis pour cette redoutable tâche. Car il ne saurait être question de ne confier un tel travail qu’à un spécialiste d’histoire littéraire, aussi sérieux soit-il. Il ne suffit pas de connaître et d’admirer Céline et son œuvre pour pouvoir entreprendre ce travail que seule une équipe pluridisciplinaire, composée notamment d’historiens spécialisés dans l’étude des domaines concernés, peut mener à bien. (…) Il faut (…) inscrire les développements céliniens dans leurs contextes respectifs, où se nouent le politique et le culturel, l’intellectuel et le littéraire, en identifiant les stratégies de l’auteur, qui poursuit certains objectifs, eux-mêmes à définir le plus clairement possible. Ils vont du simple désir de se faire rapidement de l’argent (obsession permanente de Céline) au projet de mobiliser les Français contre les Juifs (…), en passant par la volonté de régler des comptes avec diverses catégories de rivaux littéraires ou d’adversaires, réels ou imaginaires. Il convient aussi de faire un relevé scrupuleux (…) des flots de stéréotypes, de clichés et de poncifs, et bien sûr d’accusations délirantes, que Céline met au service de son entreprise de dénonciation frénétique des méfaits éternels des Juifs. (…) La contextualisation ne suffit pas. Elle doit s’accompagner d’une réfutation des arguments fallacieux et du rétablissement de la vérité factuelle, toujours malmenée par Céline, poussé par la mauvaise foi et ses tendances conspirationnistes. Céline ne cesse de déformer les faits sociohistoriques auxquels il renvoie, et il n’hésite pas à en inventer au gré de ses fantasmes ou selon les besoins de ses démonstrations spécieuses. » (13 décembre 2017).


La polémique

Venons-en maintenant à la polémique (qui n’a d’ailleurs plus lieu d’être depuis le 11 janvier 2018, mais le projet pourrait revenir dans quelques mois). Rappelons avant tout que, tout Président de la République qu’il soit, Emmanuel Macron n’a aucune vocation à décider ce qui doit être réédité ou pas. Ce genre de polémique est bien "française", car elle touche à beaucoup de ressentis de parts et d’autres.

Le sujet ne concerne ni la liberté d’expression ni la censure.

On ne peut pas proclamer "Je suis Charlie" un jour de janvier 2015 et préconiser l’interdiction de la réédition d’un livre non interdit un jour de janvier 2018. Ce n’est pas cohérent. La liberté est de toute façon capable de prendre des voies détournées. Par exemple, en écrivant un roman au lieu d’un pamphlet, avec un personnage qui déclamerait les mêmes horreurs que le pamphlet. Après tout, les livres ou les films au cinéma qui racontent l’histoire du nazisme sont odieux puisqu’ils mettent en scène des personnages odieux. Faudrait-il aussi les interdire ?

Cette censure, elle aurait pu aussi être évoquée avec la loi du 1er juillet 1972 contre la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou appartenance à une religion déterminée, mais les lois ne peuvent jamais être rétroactives. D’ailleurs, des exemplaires des éditions d’origine peuvent toujours être lus, échangés, achetés ou vendus. Ces œuvres ne sont en aucun cas censurées et peuvent être lues également dans certaines bibliothèques.

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En revanche, il est question de deux choses. D’une part, du respect de la volonté de Céline lui-même qui ne voulait plus en entendre parler (les déclarations, anciennes, de son épouse ont bien expliqué cela, que ces pamphlets ne leur ont apporté que du malheur) et le contexte d’après-guerre (la découverte des camps d’extermination) les rendaient particulièrement puants et irrespectueux des millions de victimes juives. D’autre part, à partir du moment où Lucette Destouches a finalement cédé, il est question de la responsabilité de l’éditeur, en sachant qu’un écrit peut toujours continuer à avoir une influence sur les lecteurs, même quatre-vingts ans plus tard.


Revenons à Céline

En début d’article, reprenant une interview censurée de 1959 (vidéo qu’on peut télécharger ici), l’introduction très prudente du (alors) jeune essayiste Louis Pauwels (1920-1997) à propos d’un très grand écrivain encore en vie, Louis-Ferdinand Céline, a de quoi sourire : décidément, la polémique n’en finira plus ! J’avoue moi-même avoir il y a quelques années su remettre une pièce dans le nourrain quand j’ai découvert ces fameux pamphlets dont on a tant parlé ces derniers mois.

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Et puis, j’ai été touché en lisant une sorte de mea culpa (pas son premier pamphlet), jamais vraiment des regrets mais pas une très haute fierté de ces écrits assez nauséeux. En effet, dans un entretien avec Albert Zbinden, en 1957, à la question : « Disons le mot, vous avez été antisémite . », Céline lui a répondu avec une franche sincérité, très émouvante : « Exactement. Dans la mesure où je supposais que les sémites nous poussaient dans la guerre. Sans ça, je n’ai évidemment rien, je ne me trouve nulle part en conflit avec les sémites ; il n’y a pas de raison. Mais autant qu’ils constituaient une secte, comme les Templiers, ou les Jansénistes, j’étais aussi formel que Louis XIV. Il avait des raisons pour révoquer l’Édit de Nantes, et Louis XV pour chasser les Jésuites… Alors, voilà, n’est-ce pas : je me suis pris pour Louis XV ou pour Louis XIV, c’est évidemment une erreur profonde. Alors que je n’avais qu’à rester ce que je suis et tout simplement me taire. Là, j’ai péché par orgueil, je l’avoue, par vanité, par bêtise. Je n’avais qu’à me taire… Ce sont des problèmes qui me dépassaient beaucoup. Je suis né à l’époque où on parlait encore de l’affaire Dreyfus. Tout ça, c’est une vraie bêtise dont je fais les frais. ».

Très émouvante, c’est sans doute le mot qui va. Céline est à fleur de peau. Il est très sensible, très émotif. Et son génie, sans doute, c’est de transporter, transférer cette sensibilité vers ses lecteurs. Il a l’air d’être un petit garçon qui a mis le doigt dans le pot de confiture et qui dit : "oui, elle était bonne la confiture, je m’étais régalé, mais ce n’était pas bien, j’ai le diabète, maintenant".

Pour Céline, c’était l’horreur de la guerre qui a primé dans ses sentiments et réactions. L’horreur de la Première Guerre mondiale qu’il a vécue comme mobilisé. Il avait juste 20 ans quand la guerre a éclaté, cela l’a marqué et traumatisé, évidemment et cela pourrait expliquer en partie son comportement intellectuel de l’entre-deux-guerres et sous la Seconde Guerre mondiale.

Le romancier Jean-Louis Bory (1919-1979) convenait qu’il était difficile de critiquer Céline : « L’outrance dans les thèses, l’impudence dans les arguments me paraissaient haïssables, je les haïssais donc. Avec application, je me fermais les oreilles et le cœur au lyrisme satanique des pamphlets. Devant ce Pierrot-Arlequin à la mesure de notre planète, à la fois athlète et saltimbanque, sanglotant et rageur, pitoyable et grotesque, admirable et odieux, je n’accepterai plus que de me blesser aux éclats de son mauvais rire. Mais que j’ouvre le "Voyage", "Mort à crédit", ou, plus tard, "D’un Château l’autre", ou "Nord", ma rancune s’évanouissait. ».

Même si je suis peu perméable au style célinien (je déteste la noirceur de sa vision et sa haine même exprimée avec talent), il me faut admettre que Céline a laissé ce qu’il désirait laisser pour sa postérité, son style, justement. Un écrivain, n’est-ce qu’un style ? ou ses idées ? ou sa personnalité ? Ou les trois à la fois ? Après tout, Jean-Paul Sartre avait, lui aussi, un style exceptionnel et des engagements épouvantables.

La personnalité de Céline pourrait être attachante. Il était un artisan isolé, pas un militant, peut-être juste un provocateur joueur, comme l’aurait voulu André Gide sans trop en être sûr. Il aimait les animaux, les recueillait, les soigner, il était dans son comportement et dans sa vie un pacifique et un tendre, loin du fasciste guerrier et sans cœur. D’ailleurs, le gouvernement de Pétain aussi a été ciblé par les pamphlets au point que son dernier ("Les Beaux Draps") fut interdit en zone occupée le 4 décembre 1941.

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Il était un bricoleur génial de la langue française, un électron libre de la provocation, seul et autant germanophobe qu’antisémite. Anti-collectif, en fait. Trop particulier pour s’adapter à sa société. Toujours à l’écart. Il faisait sa petite cuisine dans son coin, loin des lumières de la ville. En ce sens, sa personnalité était beaucoup plus attachante que celle de Sartre.


Commentaires personnels

Ma réflexion a peu d’intérêt, mais je la livre quand même ! Car j’ai évolué sur Céline. Je n’apprécie pas son style ("Mort à crédit" par exemple) parce que je n’arrive pas à le lire avec plaisir, ses points de suspension sont comme des barrières à la lecture. Comme je l’ai écrit plus haut, je n’apprécie pas non plus son pessimisme, son défaitisme, son complotisme. Son antisémitisme est odieux, révoltant, abject, mais il n’était pas seul à le penser, il avait juste le talent pour l’exprimer mieux que les autres. Même Bernanos a failli pencher, pêcher dans l’antisémitisme au début des années 1930, mais il s’est heureusement ressaisi quelques années plus tard. Mon évolution, c’est que je trouve sa personnalité très attachante, un peu dans le genre de Michel Houellebecq (dont j’adore le style, en revanche). Difficile de haïr intellectuellement un homme d’une si grande sensibilité.

Pourquoi l’interdire alors qu’il est accessible à tous à la Bibliothèque nationale ? L’incitation à la haine ? Certes, si l’on changeait le contexte et que c’était un brûlot de djihadistes, on serait plus sévère dans l’appréciation. C’est pourquoi il est pertinent d’avoir un accompagnement critique relativement solide d’un point de vue scientifique comme l’a soutenu Pierre-André Taguieff.

Je pense que la polémique a eu au moins l’intérêt d’être un révélateur ; elle a eu l’utilité de faire ressurgir des peurs et des défiances. La principale peur et défiance, c’est de ne pas faire confiance aux citoyens sur leur capacité à prendre du recul dans leurs lectures. C’est pourtant la mission de l’Éducation nationale et de la République plus généralement, de développer l’esprit critique. C’est donc considérer que le peuple n’est pas assez adulte, pas assez mûr, pas assez intelligent pour faire la part des choses (pourtant, on lui laisse quand même le droit de vote). Paradoxalement, Céline est un grand écrivain populaire, il a cherché à intégrer un langage parlé populaire à ses écrits.

Ce n’est pas une affaire d’État mais une affaire privée. Le seul argument pour ne pas rééditer ces pamphlets, et je pense que cela peut aller au-delà de 2032 car les droits moraux sont illimités, c’est de respecter la volonté de Céline de jeter aux oubliettes des écrits qu’il a assumés mais auxquels il ne voudrait pas être réduit dans sa postérité.


Une autre motivation pour la tentative de réédition ?

Jérôme Dupuis a levé un coin du voile sur certaines motivations dans "L’Express" le 5 décembre 2017 : « Des raisons plus matérielles ont aussi pu jouer. À 105 ans, l’ancienne danseuse Lucette Destouches a besoin d’une assistance médicalisée 24 heures sur 24, ce qui nécessite de rémunérer trois personnes à temps plein. Les droits d’auteur générés par l’œuvre de Céline, aujourd’hui surtout vendue en poche, ne suffisent sans doute pas à financer ce personnel. D’autant qu’aucune adaptation au cinéma, source de rentrées conséquentes, n’est annoncée pour l’instant. ».

C’était en tout cas l’un des arguments de Pierre-André Taguieff : « Elle n’aurait plus aujourd’hui que de brefs moments d’éveil. Après avoir refusé jusqu’ici la réédition des pamphlets, conformément à la volonté de son défunt mari, elle aurait brusquement changé d’avis après mûre réflexion. Voilà qui est peu vraisemblable. » (Entretien avec Marc Knobel, le 13 décembre 2017).

La motivation alimentaire, bien loin des préoccupations intellectuelles et morales…
Et si c’était seulement cela ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 juillet 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Interview avec Louis Pauwels en 1959 (vidéo à télécharger).
Interview de Pierre-André Taguieff par Marc Knobel sur Céline le 13 décembre 2017 (à télécharger).
Les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline.
Louis-Ferdinand Céline et les banksters.
Lucette Destouches.
Georges Bernanos.
Jean-Jacques Rousseau.
Daniel Cordier.
Philip Roth.
Voltaire.
Jean d’Alembert.
Victor Hugo.
Karl Marx.
Charles Maurras.
Barbe Acarie.
Maurice Bellet.
Le philosophe Alain.
Marguerite Yourcenar.
Albert Camus.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180108-louis-ferdinand-celine.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/pamphlebite-celinienne-aigue-206203

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/07/19/36571468.html


 

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