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14 avril 2018 6 14 /04 /avril /2018 03:38

« Alors que le nom de son assassin déjà sombrait dans l’oubli, le nom d’Arnaud Beltrame devenait celui de l’héroïsme français, porteur de cet esprit de résistance qui est l’affirmation suprême de ce que nous sommes, de ce pour quoi la France toujours s’est battue, de Jeanne d’Arc au Général De Gaulle : son indépendance, sa liberté, son esprit de tolérance et de paix contre toutes les hégémonies, tous les fanatismes, tous les totalitarismes. » (Emmanuel Macron, le 28 mars 2018 dans la cour d’honneur des Invalides, à Paris).



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Retour sur le colonel Arnaud Beltrame (son grade lui a été attribué à titre posthume). Quelques semaines plus tard, il semble déjà presque oublié dans les médias plus préoccupés par les grèves de la SNCF si ce n’est par les héritiers de Johnny Hallyday.

Je suis fier que ce héros ait reçu l’hommage solennel qu’il a eu aux Invalides le mercredi 28 mars 2018 en présence du Président de la République Emmanuel Macron et de nombreux hauts responsables ou anciens hauts responsables de la vie politique nationale. C’est une unanimité qui, comme le 11 janvier 2015, montre que les Français sont capables de se rassembler quand il le faut, pour défendre des valeurs fondamentales de la République.

Personne ne pourra jamais obliger une seule personne à faire le même geste qu’Arnaud Beltrame, mais ce geste doit être salué à sa juste valeur, celui du sacrifice, celui du don de soi, et évidemment, celui du courage.

Pour la première fois à propos d’un attentat terroriste, on parle plus d’une victime que des terroristes. Je suis souvent en colère quand j’entends évoquer trop souvent, même en mal, forcément en mal, les noms des terroristes, lorsqu’on raconte leur vie, lorsqu’on essaie d’expliquer  leurs actes barbares. Ils doivent être oubliés. La mémoire doit les laisser dans la boue de l’horreur qu’ils ont produite. Ce n’est pas la loi, mais la conscience des journalistes qui devrait guider cette nécessité de ne pas insister sur la personnalité des terroristes, du moins pour le grand public (bien sûr que les enquêteurs ont besoin, eux, d’insister).

Il est des noms qui surgissent de l’âme nationale, au détour d’une actualité soudaine, et qui marquent durablement l’histoire populaire. Je suis persuadé qu’Arnaud Beltrame fera partie de ces légions improbables de héros ou, plutôt, de figures héroïsées a posteriori (c’est un peu comme les saints, on le sait rarement de son vivant).

Dans "Libération" du 29 mars 2018, Laurent Joffrin a voulu mettre un parallèle saisissant entre cet hommage à Arnaud Beltrame et, dans la même cour d’honneur des Invalides (selon l'éditorialiste), la cérémonie de dégradation de Dreyfus, accusé (injustement) d’espionnage et de haute trahison. En fait, le 5 janvier 1895, le capitaine Alfred Dreyfus a été dégradé dans la cour de l'École militaire et pas dans la cour d'honneur des Invalides. Ce fut le début de "l’affaire Dreyfus" pendant plus de dix ans, la France coupée en deux, et l’antisémitisme en toile de fond. Alfred Dreyfus, bien malgré lui, est devenu, lui aussi, un "héros", le symbole d’une injustice d’État qui a marqué les esprits.

Laurent Joffrin a même attribué à cette injustice la cause du sionisme : si, même en France, pays des droits de l’homme, les Juifs ne pouvaient pas vivre tranquillement, il leur faudrait alors une terre spécifique. Je ne sais pas si c’est la cause, car le concept de la Terre promise est bien plus ancien que cela, peut-être la cause "moderne", mais dans le monde de 1895, et jusqu’en 1945 au moins, l’antisémitisme a eu un écho suffisamment important pour gagner même des honnêtes gens.

Est-on revenu à cette époque ? Probablement pas, fort heureusement. L’assassinat de Mireille Knoll à Paris a eu lieu le même jour que l’attentat de Trèbes, le 23 mars 2018, qui pourrait être antisémite (ou crapuleux, l’enquête le dira), et plusieurs assassinats auparavant montrent qu’il faut toujours rester vigilant.

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D’autres noms peuvent surgir des mémoires à l’évocation d’Arnaud Beltrame. Guy Môquet, par exemple, qui ne voulait pas plus être un héros (ni non plus être une station de métro).

Oui, il est sain que la République, unie et rassemblée, ait célébré la France du colonel Beltrame. Ce serait ingratitude de sa part si elle ne l’avait pas fait. Il ne s’agit pas de récupération, ni politique ni religieuse, car son geste a ému trop de personnes pour qu’il soit la "propriété" d’une seule catégorie de la population.

Dans sa belle allocution d’hommage du 28 mars 2018 (lisible dans son intégralité ici), Emmanuel Macron a évidemment fait le rapprochement avec la France résistante. Celle qui refuse la fatalité et qui combat pour ses valeurs.

Emmanuel Macron a d’abord rappelé la recherche de la mort du terroriste : « [Le colonel Beltrame] savait (…) que le terroriste détenait une employée en otage. Qu’il se réclamait de cette hydre islamiste qui avait tant meurtri notre pays. Qu’avide de néant, ce meurtrier cherchait la mort. Cherchait sa mort. Cette mort que d’autres avant lui avaient trouvée. Une mort qu’ils croyaient glorieuse, mais qui était abjecte : une mort qui serait pour longtemps la honte de sa famille, la honte des siens et de nombre de ses coreligionnaires ; une mort lâche, obtenue par l’assassinat d’innocents. L’employée prise en otage était de ces innocents. Pour le terroriste qui la tenait sous la menace de son arme, sa vie ne comptait pas, pas plus que celle des autres victimes. Son sort sans doute allait être le même. ».

En brossant ce tableau d’introduction, ce qu’a trouvé Arnaud Beltrame en entrant dans la supérette, on comprend deux choses : qu’il voulait sauver la vie de l’otage, et que sa propre vie prenait un risque considérable : « Accepter de mourir pour que vivent des innocents, tel est le cœur de l’engagement du soldat. Être prêt à donner sa vie parce que rien n’est plus important que la vie d’un concitoyen, tel est le ressort intime de cette transcendance qui le portait. Là était cette grandeur qui a sidéré la France. ».

Oui, le mot présidentiel est juste, il s’est effectivement agi d’une "sidération" de toute la nation française. Il est en effet stupéfiant de savoir que certains placent les valeurs avant toute autre chose, bien avant des considérations plus matérielles comme on pourrait le croire dans cette société consumériste. Au prix de leur propre vie, au prix de détruire celle de leurs proches qu’ils aiment, qui en seraient forcément affectés. Arnaud Beltrame a agi selon un idéal. En allant jusqu’au bout de son idéal. Qu’importe que cet idéal soit professionnel, républicain, spirituel, religieux. Il est sans doute un mélange de tout cela. Ce qui semble admis, c’est qu’il y avait beaucoup réfléchi tout au long de son existence. Ce geste était mûrement réfléchi, même si la situation avait fait irruption devant lui sans crier gare. Il était déjà moralement prêt.

Il est allé sans hésitation. C’est la différence entre les "héros" et les autres : « À cet instant (…), d’autres, même parmi les braves, auraient peut-être transigé ou hésité. Mais [il] s’est trouvé face à la part la plus profonde et peut-être la plus mystérieuse de son engagement. Il a pris une décision qui n’était pas seulement celle du sacrifice, mais celle d’abord de la fidélité à soi-même, de la fidélité à ses valeurs, de la fidélité à tout ce qu’il avait toujours été et voulu être, à tout ce qui le tenait. ».

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Le rendez-vous avec son destin : « Lucide, déterminé, le lieutenant-colonel Beltrame a pris auprès du terroriste la place de l’otage. (…) Un soldat aussi aguerri, gendarme d’élite, cité au combat en Irak, sentait sûrement qu’il avait rendez-vous avec la mort ; mais il avait rendez-vous avant tout et plus encore avec sa vérité d’homme, de soldat, de chef. Ce fut la source de son immense courage : pour ne pas manquer aux autres, il faut ne pas se manquer à soi-même. [Il] a fait ce choix parce qu’il se serait éternellement reproché de ne pas l’avoir fait. ».

Emmanuel Macron a fait ensuite l’association entre le geste d’Arnaud Beltrame et un acte de résistance : « Droit, lucide, et brave, il faisait face à l’agression islamiste, face à la haine, face à la folie meurtrière, et avec lui surgissait du cœur du pays l’esprit français de résistance, par la bravoure d’un seul entraînant la Nation à sa suite. Cette détermination inflexible face au nihilisme barbare convoqua aussitôt dans nos mémoires les hautes figures de Jean Moulin, de Pierre Brossolette, des Martyrs du Vercors et des combattants du maquis. ».

Et de poursuivre en remontant l’histoire : « Soudain se levèrent obscurément dans l’esprit de tous les Français, les ombres chevaleresques des cavaliers de Reims et de Patay, des héros anonymes de Verdun et des Justes, des compagnons de Jeanne et de ceux de Kieffer, enfin, de toutes ces femmes et de tous ces homme qui, un jour, avaient décidé que la France, la liberté française, la fraternité française, ne survivraient qu’au prix de leur vie, et que cela en valait la peine. ».

Rappelons que le capitaine Philippe Kieffer (1899-1962), fut compagnon de la Libération et le commandant du 1er bataillon de fusiliers marins commandos qui s’illustra pendant la Seconde Guerre mondiale et en particulier lors du Débarquement de Normandie, et dont l’héroïsme ne fut reconnu en France que …le 6 juin 2004 ! Ils avaient été "oubliés" à cause de De Gaulle, mis à l’écart de la préparation du Débarquement, qui les trouvaient "trop" britanniques.

Face aux résistants, « un obscurantisme barbare » qu’Emmanuel Macron a désigné clairement : « Non, ce ne sont pas seulement les organisations terroristes, les armées de Daech, les imams de haine et de mort que nous combattons. Ce que nous combattons, c’est aussi cet islamisme souterrain, qui progresse par les réseaux sociaux, qui accomplit son œuvre de manière invisible, qui agit clandestinement, sur des esprits faibles ou instables (…). C’est un ennemi insidieux, qui exige de chaque citoyen, de chacun d’entre nous, un regain de vigilance et de civisme. ».

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Faire d’un citoyen un héros de la France, cela pourrait paraître de l’instrumentation. Pas l’instrumentation politique au service d’un clan, d’un parti (je l’ai écrit plus haut, l’émotion a été trop largement partagée pour être durablement accaparée), mais l’instrumentation la plus glorieuse qui peut être faite, celle de servir de but à montrer, d’horizon à tendre.

C’est bien sûr à la jeunesse qu’Emmanuel Macron a pensé : « Puisse son engagement [celui du colonel Beltrame] nourrir la vocation de toute notre jeunesse, éveiller ce désir de servir à son tour cette France pour laquelle un de ses meilleurs enfants, après tant d’autres, vient de donner héroïquement sa vie, clamant à la face des assoupis, des sceptiques, des pessimistes : Oui, la France mérite qu’on lui donne le meilleur de soi. Oui, l’engagement de servir et de protéger peut aller jusqu’au sacrifice suprême. Oui, cela a du sens, et donne sens à notre vie. ».

Et d’insister : « Et je dis à cette jeunesse de France, qui cherche sa voie et sa place, qui redoute l’avenir, et se désespère de trouver en notre temps de quoi rassasier la faim d’absolu, qui est celle de toute jeunesse : l’absolu est là, devant nous. ».

Le geste d’Arnaud Beltrame est donc une pierre nouvelle à la morale républicaine : « [L’absolu] n’est pas dans les errances fanatiques, où veulent vous entraîner des adeptes du néant, il n’est pas dans le relativisme morne que certains autres proposent. Il est dans le service, dans le don de soi, dans le secours porté aux autres, dans l’engagement pour autrui, qui rend utile, qui rend meilleur, qui fait grandir et avancer. ».

Et Emmanuel Macron de conclure : « Arnaud Beltrame rejoint aujourd’hui le cortège valeureux des héros qu’il chérissait. (…) Sa mémoire vivra. Son exemple demeurera. J’y veillerai ; je vous le promets. Votre sacrifice, Arnaud Beltrame, nous oblige. (…) Au moment du dernier adieu, je vous apporte la reconnaissance, l’admiration et l’affection de la Nation tout entière. ».

Par antimacronisme primaire, certains opposants au gouvernement actuel (qui ont des raisons tout à fait respectables de s’opposer politiquement) pourraient être tentés de dénigrer ce genre de discours en pensant que le Président de la République voudrait faire de la récupération. Ce serait une erreur.

Je crois, au contraire, qu’Emmanuel Macron était parfaitement dans son rôle, celui du chef des armées, du chef de la Nation, du chef de l’État, pour parler au nom de tous les citoyens et adresser à la famille et aux proches d’Arnaud Beltrame, unanimement, ce petit mot de reconnaissance si précieux : merci, colonel !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La France d’Arnaud Beltrame.
Discours du Président Emmanuel Macron aux Invalides le 28 mars 2018 (texte intégral).
La gendarmerie nationale.
Arnaud Beltrame, la foi et la République.
Que faire des djihadistes français en Syrie ?
L’attentat du Super U de Trèbes le 23 mars 2018.
Les attentats de Barcelone et de Cambrils (17 et 18 août 2017).
Daech : toujours la guerre.
Les attentats du 11 septembre 2001.
L’attentat de Manchester du 22 mai 2017.
L’attentat de Berlin du 19 décembre 2016.
L’unité nationale.
L'assassinat du père Jacques Hamel.
Vous avez dit amalgame ?
L'attentat de Nice du 14 juillet 2016.
L'attentat d'Orlando du 12 juin 2016.
L'assassinat de Christina Grimmie.
Les valeurs républicaines.
Les assassinats de Merah (mars 2012).
Les attentats contre "Charlie-Hebdo" (janvier 2015).
Les attentats de Paris du 13 novembre 2015.
Les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016.
Daech.
La vie humaine.
La laïcité.
Le patriotisme.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180328-arnaud-beltrame-0.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/06/22/36506145.html



 

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