République laïque et Europe fédérale, tel est le double credo du candidat radical de gauche à la primaire socialiste d’octobre 2011.
Il est l’intrus des candidats à la primaire socialiste : Jean-Michel Baylet (prononcer comme pour Bayrou, [baille-let]) n’est pas socialiste mais veut être le candidat des socialistes à l’élection présidentielle. Président du Parti radical de gauche (PRG), à 64 ans, il est le concurrent le plus âgé mais aussi le moins connu de cette compétition.
« Par cette candidature, j’entends défendre le principe de justice qui est au cœur de la pensée radicale, notamment par l’exigence d’une authentique laïcité républicaine, la lutte audacieuse pour l’égalité sociale et fiscale, la marche déterminée vers l’horizon fédéral européen, la moralisation, spécialement monétaire, de l’économie globalisée, la sauvegarde des équilibres naturels de notre pays, de notre continent et de notre planète, le combat incessant pour l’égalité hommes femmes et contre le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme. ». Plus d’un mois après sa déclaration de candidature, son message officiel a été visionné seulement par moins de six cents internautes !
La dernière candidature
Après Arnaud Montebourg (48 ans) le 20 novembre 2010, après Ségolène Royal (58 ans) le 29 novembre 2010, après François Hollande (57 ans) le 31 mars 2011, après Manuel Valls (49 ans) le 7 juin 2011 et après Martine Aubry (61 ans) le 28 juin 2011, Jean-Michel Baylet a été le dernier à déclarer sa candidature à la primaire le 6 juillet 2011 [âges au moment de la primaire les 9 et 16 octobre 2011], avalisée par le comité directeur du PRG, sans qu’il n’ait eu besoin de recueillir les parrainages demandés pour les membres du PS (l’ancien ministre rocardien Christian Pierret, 65 ans, député-maire de Saint-Dié, n’a pas réussi, ainsi, à faire valider sa candidature).
Une candidature qui fut le résultat de bien des hésitations : alors que le 1er septembre 2010, Jean-Michel Baylet envisageait très sérieusement la candidature de Bernard Tapie à l’élection présidentielle de 2012 sous les couleurs radicales de gauche, il voulait quelques semaines après participer à la primaire du PS puis, en décembre 2010, s’était retiré, enfin en juin 2011, revenait en arrière dans l’intention d’impliquer finalement le PRG à la primaire.
Pour le PS, sa candidature semble déranger. Jean-Michel Baylet a critiqué le 16 juillet 2011 le fait que le PS préparait la primaire avec les autres candidats mais sans aucune concertation avec lui : « Quand mes amis sont allés déposer ma candidature, nous avons bien senti que nous étions des empêcheurs de tourner en rond dans une organisation huilée pour des courants socialistes. ».
Pourtant, ce serait plutôt une "divine surprise" pour le PS car grâce à Jean-Michel Baylet, la primaire s’ouvre vers une démarche qui n’est pas seulement socialo-socialiste mais avec une assise plus large : « Le PS devrait être enchanté de tout cela. ».
Baylet en campagne
La première difficulté de Jean-Michel Baylet reste encore de faire accepter sa candidature auprès des instances socialistes. Très énervé par les déclarations d’Harlem Désir, premier secrétaire par intérim du PS, sur la tenue de débats contradictoires entre les cinq seuls candidats socialistes à La Rochelle entre le 26 et le 28 août 2011, Jean-Michel Baylet a menacé le 26 juillet 2011 : « Si les socialistes continuent à ne tenir aucun compte de leurs engagements et à considérer que cette primaire leur appartient pour en faire un simulacre de démocratie, les radicaux en tireront vite toutes les conséquences. ».
Dès sa première journée de campagne, à Iffendic, près de Rennes (dans une terre pourtant très catholique) le 5 août 2011, les supputations restaient nombreuses : Jean-Michel Baylet serait candidat uniquement pour mieux négocier son accord avec le PS pour les législatives de juin 2012. Son objectif serait de faire élire au moins quinze députés PRG, de quoi créer son propre groupe parlementaire (dans l’état des négociations, il n’en serait qu’à onze, en faisant fi de la volonté des électeurs dont le choix serait préconçu).
L’accord avec le PS pour les sénatoriales du 25 septembre 2011 a été validé par le bureau national du PS le 5 juillet 2011. Quant à la participation de ministres PRG dans un éventuel gouvernement socialiste, Jean-Michel Baylet n’est pas très inquiet car son parti a toujours été associé à la gouvernance à gauche.
François Mitterrand avait même pris l’habitude de nommer le président en titre de ce parti au gouvernement : Michel Crépeau, Roger-Gérard Schwartzenberg et… Jean-Michel Baylet.
PRG ?
Rappelons ce que représentent historiquement les radicaux de gauche. Ils ont formé la partie qui s’est séparée du séculaire "Parti radical et radical socialiste" de Clemenceau et de Mendès France en 1972, lors de l’Union de la gauche.
La majorité des radicaux de l’époque avait refusé une alliance avec le Parti communiste français et s’était engagée derrière Jean-Jacques Servan-Schreiber dans une alliance avec le Centre démocrate de Jean Lecanuet au sein du Mouvement réformateur, dernière tentative du regroupement des centres avant l’UDF.
La minorité se constitua quelques mois plus tard en Mouvement des radicaux de gauche (MRG) sous la houlette de Robert Fabre et de Maurice Faure qui négocièrent le programme commun de la gauche avec François Mitterrand et Georges Marchais. Ce mouvement a changé plusieurs fois d’appellation jusqu’au Parti radical de gauche (PRG) en 1998.
En quarante ans, il n’y a eu que deux candidats radicaux de gauche à l’élection présidentielle. En 1981, le député-maire de La Rochelle Michel Crépeau (ancien mentor de l’écologiste Jean-Vincent Placé, nouveau patron des transports franciliens et probable futur sénateur de l’Essonne en septembre) et en 2002, la députée de Guyane Christiane Taubira qui ont totalisé chacun un peu plus de 2% des voix (certains considèrent que la candidature de Christiane Taubira a été l’un des facteurs de l’échec dès le premier tour de Lionel Jospin).
Le MRG s’était également désolidarisé du PS aux élections européennes du 17 juin 1984 en nouant une alliance avec les certains écologistes et en présentant la liste ERE menée par Olivier Stirn, Brice Lalonde et François Doubin (initiative qui avait échoué avec seulement 3,3% légèrement dépassée par la liste officielle des Verts menée par Didier Anger qui avait obtenu 3,4% ; à elles deux réunies, ces listes auraient pu atteindre le seuil de 5% pour avoir des élus).
En pratique, le PRG a toujours été un allié fidèle au PS et n’a pas souvent combattu électoralement sous ses propres ailes en raison de sa faible audience, à l’exception du 12 juin 1994 où la liste dirigée par Bernard Tapie aux élections européennes avait fait quasiment jeu égal (12,0%) avec la liste PS menée par Michel Rocard (14,5%), performance qui n’avait pas pu se renouveler à cause des affaires judiciaires impliquant Bernard Tapie.
Selon certains, ces deux listes soutenues par le MRG (ERE en 1984 et Tapie en 1994) auraient été téléguidées par l’Élysée pour réduire l’influence respectivement des écologistes et de Michel Rocard.
Aujourd’hui, le PRG compte onze députés et onze sénateurs. C’est un petit moins que son parti frère, le Parti radical valoisien, présidé par Jean-Louis Borloo, qui a dix-neuf députés, six sénateurs et trois députés européens.
Depuis plusieurs années, comme un serpent de mer, le thème de la réunification des radicaux est régulièrement abordé avec toujours cette ligne de césure entre, d’une part, ceux qui font partie de la majorité présidentielle et qui ont rejoint l’UMP en 2002 et, d’autre part, ceux qui restent fidèles à l’union de la gauche dans des accords de désistement mutuel avec notamment des candidats communistes. Au "milieu", le MoDem campe dans un refus d’alliance à droite ou à gauche, séparant en deux le courant radical.
Trajectoire du candidat
Jean-Michel Baylet a de nombreuses casquettes depuis le début de sa (longue) carrière politique, ce qui en fait une personnalité politique très habituée des lieux du pouvoir, locaux ou nationaux.
Journaliste par tradition familiale, fils de Jean Baylet, directeur de la "Dépêche du Midi" dont il devient PDG à partir de 1995 (à sa direction générale dès 1975), Jean-Michel Baylet est avant tout un entrepreneur qui connaît les contraintes économiques mais aussi qui se place à la tête d’une véritable fortune (estimée à 50 millions d’euros par le magazine "Challenges", parmi les mille familles les plus riches de France).
Il a été élu maire de Valence-d’Agen en mars 1977 (à 30 ans) succédant à sa mère Évelyne Baylet qui avait elle-même succédé à son mari Jean à la mort de celui-ci en 1959, puis député en mars 1978 (à 31 ans), réélu en juin 1981, et président du Conseil général du Tarn-et-Garonne à partir de mars 1985 (à 38 ans), succédant également à sa mère élue à ce poste en 1970.
En 1983, il succéda à Michel Crépeau à la tête du MRG, ce qui le fit naturellement entrer à 37 ans au gouvernement de Laurent Fabius du 24 juillet 1984 au 20 mars 1986 comme Secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Il fut nommé à nouveau au gouvernement pendant toute la législature socialiste du second septennat de François Mitterrand, d’abord Secrétaire d’État chargé des Collectivités locales du 28 juin 1988 au 17 juillet 1990 puis Ministre délégué au Tourisme du 17 juillet 1990 au 28 mars 1993.
Entre temps, il se fit élire sénateur en septembre 1986, député en juin 1988, réélu sénateur en septembre 1995, septembre 2004 et est candidat à sa succession le 25 septembre 2011.
Après avoir quitté la présidence du MRG en 1985, il l’a retrouvée en 1995 jusqu’à aujourd’hui, totalisant pour l’instant dix-huit années de direction du parti.
N’hésitant pas à cumuler, Jean-Michel Baylet est donc une personne très influente dans la région de Toulouse, à tel point que Dominique Baudis lui a reproché d’avoir véhiculé des rumeurs à son encontre à propos de l’affaire Alègre. Le patron de la "Dépêche du Midi" a également eu une condamnation judiciaire en 2003 pour abus de bien sociaux pour avoir confondu ses dépenses personnelles avec les comptes de son groupe.
En quelques sortes, en bon "rad soc cassoulet" de Midi-Pyrénées, héritier familial, Jean-Michel Baylet fait encore de la politique à l’ancienne, gardant tous les mandats qu’il peut : mandats électoraux (siège de sénateur, présidence de conseil général, mairie de petite ville) et mandats politiques et professionnels (présidence de parti, , ministère, présidence de groupe de presse).
Programme de Jean-Michel Baylet
Si le programme du candidat Baylet n’est pas encore rigoureusement finalisé (cela devrait être le cas à la fin du mois), ses idées sont déjà bien connues.
Tout son projet s’articule autour de deux points majeurs : renforcer la République laïque, c’est-à-dire, en bon successeur d’Émile Combes, réaffirmer avec force les valeurs républicaines de laïcité et de neutralité de l’État dans la gestion des religions ; construire l’Europe fédérale afin de définir une politique économique commune.
Comme Daniel Cohn-Bendit en juin 2009, comme Bernard Tapie en juin 1994, Jean-Michel Baylet est l’une des rares personnalités politiques françaises à prôner ouvertement une Europe fédérale, au contraire d’un François Bayrou ou d’une Martine Aubry, eux aussi favorables à une telle évolution européenne mais plus prudents dans leurs prises de position en raison d’un électorat parfois réticent.
À propos de la crise financière depuis 2008, Jean-Michel Baylet expliquait clairement, en septembre 2009, son approche économique : « Las, au-delà des déclarations d’intentions et des "réformes d’affichage", on constate que le renversement de paradigme n’a pas eu lieu, faute d’une réelle gouvernance économique mondiale. La crise, si elle a ébranlé l’édifice capitaliste, nous a confortés dans notre conception d’une économie libérale mais fermement régulée. Pour les radicaux, l’économie doit être au service de l’Homme. Ni tout État, ni tout marché, nous devons rechercher une synthèse entre l’individu et le collectif. » en ajoutant : « Humaniste, solidaire, laïque, garante des libertés, juste, voilà la République telle que nous ambitionnons de la construire. C’est au confluent de ses valeurs que naît le radicalisme. ».
En outre, le 16 juillet 2011, Jean-Michel Baylet a prévenu Nicolas Sarkozy que ses parlementaires ne voteraient pas la règle d’or budgétaire : « L’encadrement des déficits dans la Constitution est une fausse solution, comme le montre par ailleurs la crise du plafond de la dette aux États-Unis. » tout en confirmant que « la lutte contre les déficits est une priorité sociale » et qu’il est « favorable à un retour, dès 2013, à un déficit public de 3% du PIB » (comme le gouvernement actuel s’y est engagé !).
Jean-Michel Baylet l’a redit le 5 août 2011 : « La crise économique et financière que nous traversons est liée à l’incapacité des pays européens d’avoir une politique budgétaire commune et d’avoir une vision commune quant au rôle de la Banque centrale européenne. (…) Il faut un gouvernement économique européen pour ajuster les politiques budgétaires des États. (…) L’Europe fédérale est la seule réponse qui puisse s’inscrire dans la durée et traiter au fond les difficultés que l’on connaît aujourd’hui. ».
Critiquant le projet socialiste, Jean-Michel Baylet a par ailleurs affirmé le 16 juillet 2011 : « Par principe, je ne suis pas favorable à une généralisation des emplois aidés, qui sont des emplois à court terme. Ce qu’il faut, ce sont des emplois durables. Pour cela, la priorité est de faire redémarrer l’économie. ». Il est également opposé à la proposition de Bertrand Delanoë de créer un impôt exceptionnel sur les hauts revenus : « Je me méfie des impôts "exceptionnels", qui ont en fait la fâcheuse tendance à devenir pérennes. ».
Éléments moins importants qui dressent une plaisante devanture pour montrer l'esprit progressiste des radicaux de gauche, Jean-Michel Baylet est favorable aux mariages homosexuels et à l’euthanasie, ce qui, à mon sens, n’est en rien une preuve de modernité mais plutôt un surf sur une vague sociétale à la mode dans les "milieux branchés".
Audace et bon sens
N’ayant que deux mots à l’esprit, audace et bon sens, malgré ses 1 à 2% d’intentions de vote dans les sondages, Jean-Michel Baylet a pour ambition de gagner cette primaire afin de porter haut son programme d’alternance.
Mais il n’a pas rejeté non plus l’idée du témoignage : « Le fait de présenter un candidat à nous, comme nous l’avons fait en 2002, représente un risque, d’autant plus que Marine Le Pen est haut dans les sondages. À l’inverse, ne pas être du tout présent à un moment aussi important de notre vie politique n’aurait aucun sens. D’où l’idée de la primaire, que nous défendons depuis des années. ».
Des déclarations qui devraient d’autant plus rassurer le futur candidat socialiste que Jean-Michel Baylet sera beau joueur : « Je prends l’engagement ferme, sans hésitation aucune, [à soutenir le vainqueur de la primaire]. » dit-il le 13 juillet 2011 ou encore le 16 juillet 2011 : « Nous nous rangerons sans barguigner derrière le vainqueur. ».
Que le meilleur gagne !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 août 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Programme du PRG de septembre 2009 (à télécharger).
Primaire socialiste.
Jean-Louis Borloo.
Les trois visages du PS.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-michel-baylet-le-sixieme-98835
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