Une Martine Aubry très combative face à un François Hollande toujours faux fuyant. Serait-ce suffisant pour changer la donne ? Retranscription du duel télévisé.
Le quatrième (et dernier) débat de la primaire du PS a eu lieu ce mercredi 12 octobre 2011 sur France 2. Malgré la courtoisie et l’amitié réciproque des deux candidats, cela a été l’occasion d’exprimer de la rancœur jusqu’à sortir ce joli verbe "empapaouter" à l’adresse du candidat "normal".
Un peu de vivacité qui penche à gauche
Alors que Jean-François Copé en était encore à remarquer que les 2 661 284 votants du premier tour ne valaient pas les trois millions de visiteurs à la grande braderie de Lille, les deux candidats de la primaire et leurs supporters n’ont pas hésité à montrer leurs dents pour séduire le "peuple de gauche".
La conséquence toute mécanique est un déplacement vers la gauche de la posture des deux postulants avec une communauté de vue sur la nationalisation de facto du secteur bancaire, une mesure archaïque aberrante dans un monde ouvert. L’idée protectionniste semble avoir fait bon chemin.
Martine Aubry a marqué beaucoup de points durant ce débat. Est-ce à dire qu’elle pourra changer les lignes ? Pas sûr, car ce qui compte à la fin d’un débat, c’est le souvenir des postures, et en cela, il n’y aura pas eu beaucoup de changement.
J’ai retenu quelques points intéressants de ce débat…
Qui nommer aux autres postes ?
Martine Aubry a affirmé qu’elle nommerait un Premier Ministre plus jeune qu’elle, excluant ainsi François Hollande qui a cependant indiqué qu’il était plus jeune qu’elle. Mais ce dernier n’a rien voulu dire sur Matignon, pour ne pas être prisonnier de promesses et en rappelant que le choix d’un Premier Ministre se fait au cours de la campagne présidentielle.
Martine Aubry a semblé vouloir récupérer Ségolène Royal dont elle envisage un rôle futur important, mais c’est trop tard puisque cette dernière venait de déclarer son soutien à François Hollande. Il y a fort à parier que Ségolène Royal serait, en cas de victoire de la gauche, la prochaine Présidente de l’Assemblée Nationale, poste qu’elle convoitait déjà en 1997.
Politique fiscale : l’austérité sans le dire
Montrant son dynamisme, Martine Aubry en faisait même des vers : « Face à une droite dure, face à une crise qui dure… » pour en déduire la nécessité d’une "gauche forte".
En parlant des niches fiscales à supprimer, il y a une véritable arnaque dans le nombre communiqué de 50 milliards d’euros d’économie puisqu’il s’agit en fait d’une économie sur cinq ans et pas par an, ce qui réduit l’importance (le déficit étant probablement supérieur à 100 milliards d’euros en 2011).
Comme dans la plupart des mesures, François Hollande est resté très flou sur la refonte du système fiscal à laquelle il aspire alors que Martine Aubry a clairement proposé une baisse de l’impôt sur les sociétés lorsque les entreprises réinvestissent en fonds propres leurs bénéfices et une hausse à 40% de l’IS pour ceux qui veulent verser des dividendes.
Martine Aubry n’a pas été toutefois très claire sur les fonctionnaires qu’elle voudrait transférer à la fonction territoriale (en somme, continuer à transférer les charges de l’État aux collectivités locales).
Refusant de parler de déficit zéro à horizon 2017 (comme le fait François Hollande), Martine Aubry voudrait se laisser un peu de marge de manœuvre pour accompagner la croissance.
Reprenant une proposition de Ségolène Royal, Martine Aubry souhaiterait la création d’une banque d’investissement dans les PME, oubliant qu’elle existe depuis longtemps avec Oséo-Financement (ex-BDPME).
Le vrai intérêt de ce débat a été que Martine Aubry a réussi à démontrer l’inconsistance de deux propositions phares de François Hollande.
Contrats génération : ça ne marche pas !
La première consisterait à proposer des contrats génération avec avantages sociaux pour l’embauche d’un jeune avec un senior. Il a évalué à 8 milliards d’euros le coût d’une telle mesure qu’il financerait par la suppression des avantages sociaux antérieurs.
Or, outre l’effet d’aubaine dénoncé à juste titre par Martine Aubry, qui, comme ancienne Ministre du Travail, a déjà compris que cela ne fonctionnait pas, le fait de financer ces mesures par la suppression d’autres identiques montre à l’évidence l’escroquerie intellectuelle de François Hollande.
Effectivement, une entreprise pourrait toujours trouver un senior à associer à l’embauche d’un jeune. Donc, concrètement, ces 8 milliards d’euros resteraient à peu près au même endroit.
Seniors et retraites…
Pire, François Hollande voudrait même taxer le licenciement des seniors en oubliant que depuis 2009, la loi autorise n’importe quel salarié à rester en poste jusqu’à 70 ans, ce qui va coûter cher aux entreprises (et au service public) puisque si l’employeur voulait s’en séparer, il devrait alors le licencier.
Quant à Martine Aubry, comme dans le premier débat, elle a encore considéré qu’on est senior à partir de 45 ans (elle en a 61 !), ce qui fait quand même… 25 ans possibles avant la retraite !
Aucun des deux candidats n’a répondu au journaliste de France Inter Patrick Cohen, d’habitude plus perspicace dans ses interviews matinales, sur le coût du retour à la retraite à 60 ans, en sachant qu’il faudrait quand même cotiser 41 ans pour avoir le taux plein.
Que cela vienne de la droite ou de la gauche, il y a une véritable arnaque à parler de l’âge de la retraite alors qu’il ne faut se concentrer que sur le nombre d’annuités pour avoir un taux plein. Le reste n’est que posture assez stérile qui sert à mobiliser idéologiquement ses troupes.
L’embauche de 60 000 postes d’enseignants supplémentaires
L’autre lièvre soulevé par Martine Aubry concerne l’autre mesure phare de François Hollande, à savoir le recrutement de soixante mille enseignants supplémentaires en cinq ans. Ce qui signifie (il a été très explicite) que les profs n’auraient aucune revalorisation avant la fin de son éventuel mandat.
Cette embauche coûterait 2,5 milliards d’euros (à comparer aux 50 milliards d’euros du budget de l’Éducation nationale) et Martine Aubry lui a alors demandé comment il allait les trouver. Solution miracle : dans les redoublements. En supprimant les redoublements, souvent inutiles selon lui (c’est un autre débat), François Hollande trouverait ces 2,5 milliards d’euros.
Martine Aubry a alors compris la vacuité de la proposition : en supprimant le budget alloué pour les redoublements, il supprimerait donc des postes d’enseignants. Qu’il réembaucherait avec l’appel d’air des soixante mille. Bref, concrètement, en absolu, il y aurait autant de postes, pas plus ! François Hollande en est devenu muet.
Martine Aubry a été au moins honnête. Elle est favorable à un pacte éducatif à discuter avec les partenaires où elle ferait des classes moins chargées dans les zones difficiles… et plus chargées dans les zones faciles (mais y a-t-il encore des zones faciles).
Une certaine idée de l’Europe…
Martine Aubry a été également très convaincante sur la démondialisation en préférant l’expression "justes échanges". Mais surtout, elle s’est montrée la meilleure rassembleuse sur la question européenne : « J’ai réconcilié les oui et les non ! » en sortant une belle petite phrase : « L’Europe, c’est la Vénus de Milo ! ».
Le PS serait-il le parti de l’étranger ? C’est un peu l’impression que j’ai pu avoir à entendre Martine Aubry citer une bonne dizaine de fois Poul Rasmussen, 68 ans, ancien Premier Ministre danois (1993-2001) et président du Parti socialiste européen (PSE) auquel est rattaché le PS.
Sur sa vision de l’Europe, Martine Aubry a rappelé sa filiation directe avec Jacques Delors : « À l’Europe fédérale, je préfère le terme de mon père : "confédération des États-nations". » tandis que François Hollande a semblé renoncer à l’ambition européenne en assénant : « Ce modèle de construction européenne est achevée. ». Bravo la pirouette !
Des différences perceptibles ont pu être émises à propos du projet d’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne. Exclu pour François Hollande d’autant plus que la Chypre va bientôt présider l’Union Européenne tandis que Martine Aubry voudrait que la Turquie continue son processus de démocratisation (reconnaissance des minorités, du génocide arménien, place de la femme etc.) : « Ne fermons pas la porte ! » en tablant sur un agenda de dix à quinze ans.
Martin Aubry a d’ailleurs constaté que c’étaient surtout les partis islamistes qui revendiquaient l’adhésion à l’Europe. Il faut rappeler qu’avec ses 9% de croissance (en 2010), la Turquie pourrait être un bon moteur économique pour l’Europe de demain.
0 à 0 pour les deux chefs du PS
Concernant leur propre capacité de rassemblement, il y a eu échange de quelques amabilités. Ayant le soutien de Manuel Valls, Jean-Michel Baylet et Ségolène Royal, François Hollande s’est considéré comme le candidat du rassemblement.
Mais Martine Aubry le lui a contesté en se souvenant de sa première année difficile à la tête du PS : « J’ai trouvé un PS qui n’était pas rassemblé. » (après onze années de François Hollande !). Du coup, François Hollande lui a balancé dans les gencives qu’il n’était pas un protagoniste au congrès de Reims qui a si mal terminé.
Expérience et clarté d’Aubry
Martine Aubry a également avancé ses pions en estimant que l’expérience serait un atout majeur dans les temps difficiles de crise : expérience auprès d’une grande entreprise (Péchiney), comme ministre plusieurs fois (numéro deux du gouvernement de Lionel Jospin), capacité à rassembler la gauche en renouant avec les écologistes et les communistes à partir de 2009, clarté des options : « Je suis claire, je ne change pas de position ; la solidité, c’est la clarté… » en critiquant le flou de son concurrent et en lâchant ce verbe "empapaouter" qui va faire école !
Ténacité et neuf de Hollande
Face à cette grande expérience, François Hollande n’a rien trouvé de mieux à dire qu’il était tenace et qu’il proposait du "neuf", ce qui, venant de lui, est d’autant plus cocasse qu’il s’est affiché quelques minutes après le débat aux côtés de… Jack Lang ! Manuel Valls et Arnaud Montebourg sont du "neuf", mais François Hollande ?
Chiffon rouge
Il n’y a eu aucune divergence sur le vote des étrangers aux élections locales, plus facile à faire adopter avec un Sénat à gauche, mesure qui est affligeante puisqu’elle remettrait en cause le principe de souveraineté nationale (les élus locaux votant pour l’élection des sénateurs). À quoi servirait la nationalité si ce n’est d’abord pour être citoyen français ?
Cette mesure déjà proposée par François Mitterrand en avril 1988 n’a qu’un seul but : agiter un chiffon rouge à l’adresse du FN. Provocation dangereuse à mon sens. Tout comme la remise en cause des détentions de sûreté et des peines plancher.
Institutions
Martine Aubry n’a pas été bien convaincante quand elle a parlé de « redonner la voix de la France » à l’étranger, comme si le pays n’était pas déjà écouté (Nicolas Sarkozy, avec ses initiatives internationales depuis quatre ans, a largement assumé le rôle avec qualité). Elle a même été très confuse sur le conflit israélo-palestinien (je n’ai pas bien compris ce qu’elle reprochait vaguement à la diplomatie française).
Elle a aussi évoqué de nouveaux pouvoirs du Parlement en oubliant ceux déjà votés par la révision du 23 juillet 2008 ainsi qu’une nouvelle étape de la décentralisation comme si la réforme des collectivités territoriales n’avait pas été adoptée.
À cela, François Hollande a répondu "république exemplaire" et statut pénal du chef de l’État, réforme de la nomination des membres du Conseil Constitutionnel à faire contrôler par le Parlement (c’est déjà fait avec la révision du 23 juillet 2008 !), réforme du mode de scrutin, et il a évoqué aussi le principe d’une "république contractuelle", avec les collectivités locales (ça existe déjà avec les plans État-régions !) et avec les syndicats.
Dans leur conclusion, Martine Aubry a terminé maladroitement sur le fait d’être une femme tandis que François Hollande s’est maintenu sur son olympe présidentiel.
Archaïsme et lassitude
En résumé, ce débat fut une nouvelle occasion de montrer qu’aucun des deux candidats ne semble véritablement connaître la situation actuelle, faisant comme si le monde n’avait pas bougé depuis au moins cinq ans (omettant les réformes des institutions, des collectivités territoriales etc.).
Sur le plan des idées, Martine Aubry, très combative, a réussi à démontrer la vacuité des propositions de François Hollande (tant sur le recrutement de nouveaux enseignants que sur les contrats génération) mais doit faire face à une déferlante médiatique en faveur de son rival, encore favori des sondages.
Il serait d’ailleurs assez intéressant d’analyser l’aveuglément des analystes politiques trop influencés par les sondages plaçant certaines personnalités au top (l’exemple d’Édouard Balladur en 1994 ou celui de Ségolène Royal en 2006 en sont deux bons précédents).
Dans quatre jours, le second tour de la primaire socialiste départagera enfin ces deux candidats. Là encore, la participation va être l’élément politique principal de l’opération. Une moindre participation serait à l’évidence un échec pour les organisateurs, car elle traduirait au mieux une lassitude, au pire un désaveu pour les candidats restants.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (13 octobre 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Y a-t-il un pilote au PS ?
Le match ultime.
François Hollande.
Martine Aubry.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/aubry-s-inquiete-la-france-va-t-102354
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