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Allocution de M. le Président de la République - Installation du comité pour la réforme des collectivités locales
ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
INSTALLATION DU COMITÉ POUR LA RÉFORME
DES COLLECTIVITES LOCALES
Palais de l’Elysée – Mercredi 22 octobre 2008
Monsieur le Président du Comité pour la réforme des collectivités locales,
Messieurs les Premiers ministres,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Il y a quelques minutes à peine, le Conseil des ministres a adopté le décret portant création du Comité pour la réforme des collectivités locales.
J’attache à cette réforme une importance particulière.
Depuis 20 ans, on a beaucoup approfondi la décentralisation, on a transféré beaucoup de compétences, on a créé de nouveaux échelons d’administration ; mais on a peu réfléchi aux structures profondes de notre organisation locale, presque rien changé à la fiscalité locale, laissé dériver les finances locales.
Cette situation ne peut plus durer.
Le chantier est d’une grande difficulté, mais personne ne peut en contester ni la nécessité impérieuse, ni l’urgence manifeste.
C’est pourquoi je remercie chacun des membres du Comité d’avoir accepté de prendre part à ces travaux. Ces remerciements s’adressent plus particulièrement, chacun le comprendra, au Président du Comité, M. Edouard Balladur, sur lequel pèse une lourde responsabilité, et aux personnalités politiques qui n’appartiennent pas à la majorité présidentielle, mais qui ont mis l’intérêt général audessus de leurs appartenances partisanes et ont accepté de nous rejoindre.
De quoi s’agit-il ?
La décentralisation décidée par François Mitterrand et mise en oeuvre par Pierre Mauroy, dont la présence au sein du Comité me réjouit profondément, a été une véritable révolution dans notre pays.
La vie quotidienne de nos concitoyens en a été fortement modifiée et améliorée. La tradition centralisatrice de notre pays s’en est trouvée pour la première fois entamée, pour le plus grand bien de la démocratie, du dynamisme de la vie locale, de la prise en compte de la diversité de nos territoires.
Cette révolution juridique, qui s’est faite sans même modifier à l’époque la Constitution, mais aussi culturelle, pas un seul gouvernement ne l’a remise en cause. Au contraire, tous les gouvernements ont voulu l’approfondir, depuis la loi de 1992 relative à l’administration territoriale de la République jusqu’à la réforme constitutionnelle de 2003, en passant par la loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, cher Edouard Balladur, ou encore celle relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale de 1999. Et c’est un fait que, tout au long de cette période, la décentralisation a été plébiscitée par les Français.
Aujourd’hui, les Français ont de notre organisation locale une vision plus nuancée. Ils continuent de critiquer la centralisation jacobine, ils persistent à percevoir l’administration d’Etat comme trop lointaine, insuffisamment proche de leurs préoccupations. Mais ils sont également de plus en plus critiques à l’égard de la décentralisation et de l’organisation des collectivités locales.
Ils trouvent d’abord que le nombre d’échelons de collectivités locales est excessif. Ils sont exaspérés par l’augmentation de la fiscalité locale et le coût croissant du fonctionnement des collectivités. Ils critiquent l’enchevêtrement des compétences, leurs multiples redondances, et regrettent l’absence de responsabilités claires.
La vérité, c’est que ces éléments de diagnostic, nous les partageons tous.
Tous nous savons que nos collectivités sont trop nombreuses et trop petites, que le succès réel de l’intercommunalité n’a pas mis fin au nombre particulièrement élevé de communes. Tous nous regrettons la confusion des compétences, les gaspillages et les dysfonctionnements qui en résultent.
Tous nous pensons que la fiscalité locale est devenue archaïque et injuste, que la taxe professionnelle nuit à l’attractivité économique de la France. Mais nous sommes impuissants à lui substituer un autre système de financement, dynamique, responsabilisant et vertueux, garantissant l’autonomie financière des collectivités. Le financement des collectivités locales ne distingue pas assez les dotations de l’Etat et les impôts locaux. Aujourd’hui, l’Etat prend en charge un quart de la fiscalité locale. La responsabilité fiscale des collectivités locales en est profondément brouillée.
Tous enfin nous savons que le rétablissement de nos équilibres financiers est impossible sans maîtrise des finances locales. Entre 2000 et 2006, chaque année, 48 000 emplois ont été créés dans l’ensemble des collectivités locales, hors transferts de compétences et de personnels. En 2007, l’augmentation des dépenses des collectivités locales a représenté 14 Milliards d’euros. Tout cela n’est pas raisonnable.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, il est temps de regarder ces questions en face.
L’exercice n’est pas facile et chacun dans cette pièce le sait.
Les conservatismes et les intérêts particuliers sont multiples ; la peur du changement est réelle.
Les Français ont sur le sujet des points de vue ambivalents, sinon contradictoires. Ils regrettent les gaspillages induits par un trop grand nombre d’échelons administratifs, mais ils sont attachés à leur commune, à leur département, à leur région, comme ils le sont souvent aussi à leur « pays », ces « pays » qui correspondent parfois si profondément aux divisions de l’Ancien Régime.
Ils veulent, les Français, que nos politiques publiques soient plus proches du terrain, qu’elles prennent davantage en compte les spécificités locales. Mais ils sont également fortement attachés au principe d’égalité, ce qui nous a conduits, depuis plusieurs années, à transférer aux collectivités locales des compétences de gestion beaucoup plus que de réelles politiques publiques.
De fait, les dispositions de la loi constitutionnelle de 2003 relative aux collectivités locales, qui permettent des expérimentations locales, des fusions de collectivités et la désignation de chefs de file, sont restées quasiment inappliquées. A cet égard, vous devrez vous interroger sur cet écart entre les attentes placées dans ce texte et ses réalisations concrètes.
Moi-même j’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, de relever que la France n’était pas une page blanche, que notre organisation locale était le reflet d’une longue histoire, qu’il n’était ni souhaitable, ni même envisageable de la balayer d’un revers de main.
Pour autant, nous ne pouvons plus continuer à faire comme si notre administration locale ne posait aucun problème, comme si la France pouvait, seule en Europe, conserver une organisation aussi complexe, aussi enchevêtrée, et qui ne correspond pas, en vérité, à l’esprit de la décentralisation, qui est un esprit de liberté locale et de responsabilité.
Le sujet n’est pas de décider de nouveaux transferts de compétence de l’Etat vers les collectivités territoriales. De nombreux transferts ont été décidés ces dernières années, il importe désormais de les mettre en oeuvre et de les évaluer.
Le sujet est de réfléchir aux structures. Dans ce cadre, des questions essentielles doivent être abordées :
- la clarification des compétences, entre collectivités bien sûr, mais également entre l’Etat et les collectivités ;
- la simplification des structures, au niveau communal et intercommunal, comme au niveau des départements et des régions ;
- les ressources financières des collectivités locales, et en particulier la spécialisation fiscale éventuelle des différents niveaux de collectivités afin de garantir une réelle responsabilisation de chaque acteur ;
- la taille de nos collectivités, dans le contexte d’une compétition européenne croissante, ainsi que la question des grandes métropoles, chère à Pierre Mauroy et à Gérard Longuet ;
- la diversification des solutions selon les territoires, je pense notamment à l’Ile-de-France ; vous savez le prix que j’attache au développement de la région capitale ;
- enfin la question des élus locaux et de l’écart entre les responsabilités qu’ils assument et la gratification, pas seulement financière, qu’ils en retirent, dans un contexte où l’on trouve hélas de moins en moins d’hommes et de femmes pour s’engager au service de la collectivité.
La sensibilité et la complexité de ces questions, la nécessité de proposer des solutions innovantes, volontaristes et audacieuses, imposaient la constitution d’un Comité de réflexion et de propositions de haute envergure, composé de manière pluraliste, avec des personnalités aux expériences et aux profils différents.
C’est pourquoi j’ai décidé, Monsieur le Président, la création de ce Comité. C’est pourquoi j’ai souhaité vous en confier la présidence. C’est pourquoi j’ai veillé attentivement avec vous à sa composition.
Aux côtés de parlementaires, j’ai souhaité que la réflexion associe des hauts fonctionnaires, des juristes et des intellectuels, car les questions posées à votre comité sont tout à la fois politiques, techniques, engagent l’organisation de l’Etat lui-même et plongent dans les racines historiques et sociologiques de notre pays.
Le Comité procèdera naturellement à des auditions, en particulier celles des associations d’élus. Il sera assisté dans son travail par les grandes directions centrales de l’Etat, plus particulièrement la DGCL, la direction du budget, la direction de la législation fiscale, et les services du secrétariat d’Etat à l’outremer.
Les parlementaires se sont organisés pour contribuer au plus près à votre réflexion. Souvent élus locaux eux-mêmes, cet apport ne pourra qu’être utile et précieux aux travaux du Comité. Il est d’autant plus déterminant qu’une bonne partie des propositions formulées par le Comité devra recevoir l’aval de la représentation nationale pour être mise en oeuvre – à l’Assemblée nationale bien sûr, ainsi qu’au Sénat, notamment au titre de sa vocation à assurer la représentation des collectivités territoriales et dont je n’oublie pas qu’il lui reviendra, en vertu de l’article 39 de la Constitution, d’examiner en premier lieu certains des textes qui pourraient être pris à l’issue de ce chantier.
En aucun cas, le foisonnement des réflexions n’est un danger.
A condition toutefois, que ces réflexions viennent en appui des travaux du Comité, et non en concurrence, et que les débats au sein du Comité soient réellement ouverts et libres, faute de quoi la recherche d’une synthèse profitable à tous serait impossible.
Permettez-moi d’insister : les Français, nos entreprises, nos fonctionnaires territoriaux comme nos fonctionnaires d’Etat, notre pays dans son ensemble, attendent une réforme profonde de notre organisation locale. Ils veulent que les structures soient simplifiées, que les compétences soient clarifiées, que les responsabilités soient identifiées, que les dépenses locales soient maîtrisées.
C’est une question d’efficacité, mais aussi de démocratie. Celle-ci exige que les citoyens sachent de quoi leurs élus sont réellement comptables, tant sur le plan financier que sur le plan des politiques publiques. Votre mission est de remettre le citoyen et le contribuable local au coeur des préoccupations.
Une telle réforme ne peut aboutir si la bonne foi, l’analyse objective des faits, la volonté de réforme et un sens aigu de l’intérêt général ne l’emportent pas sur les intérêts particuliers. C’est dans cet esprit que je demande à chacun des membres de votre Comité de travailler. Et je me considère, pour ma part, comme le garant du désir profond de réforme manifesté par les Français.
Monsieur le Président, le 23 juillet 2008, la France s’est dotée d’une Constitution profondément révisée. Le rôle que vous avez joué dans cette réforme a été majeur.
Il est temps d’étendre à notre organisation locale les principes qui ont présidé à la réforme du 23 juillet : ceux d’une démocratie exemplaire, d’une République irréprochable, d’une vie publique placée sous le signe de la clarté et de la responsabilité, et gouvernée par l’intérêt général.
La crise financière que nous traversons ne doit en rien retarder les réformes. Elle doit au contraire les accélérer. Plus que jamais, nous devons moderniser notre pays. Nous avons besoin de réponses ambitieuses et novatrices. Je veux croire que le pays y est prêt. Je suis convaincu que l’évolution des esprits, tant dans l’opinion que parmi les élus, quelle que soit d’ailleurs la famille politique à laquelle ils appartiennent, peut nous y aider.
Chacun à notre place, nous nous efforcerons, je le dis sans emphase, d’être au rendez-vous de l’histoire et à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Je ne doute pas, Monsieur le Président du Comité pour la réforme des collectivités locales, que vous nous montrerez le chemin, comme vous l’avez toujours fait.