« La démence, chez l’individu, est quelque chose de rare. Chez les groupes, les partis, les peuples, les époques, c’est la règle. » (Nietzsche, 1886).
Le troisième vote encore négatif de ce vendredi 29 mars 2019 à Westminster interroge sur la capacité des Britanniques à réaliser leur Brexit. Le mur est toujours là, plus au 29 mars 2019 mais au 12 avril 2019, dernier délai pour organiser des élections européennes au Royaume-Uni. Le pays fonce encore et le risque du Brexit sans Deal (sans accord), c’est-à-dire, le risque d’un trou juridique de près d’une cinquantaine d’années dans les relations non seulement entre le Royaume-Uni et les pays de l’Union Européenne mais aussi de l’ensemble des pays du monde (puisque toutes les relations commerciales du Royaume-Uni étaient régulées par l’Union Européennes), est donc grand, avec les conséquences tant économiques et sociales que politiques.
À l’évidence, il y a une véritable carence de la classe politique britannique dans son ensemble, tant les conservateurs, hyper divisés sur la question, que les travaillistes, pas plus responsables, chacun préférant jouer une partie de poker menteur à prendre ses responsabilités et choisir l’intérêt général (et national). Je propose ici, très modestement, une petite chronologie forcément inachevée de ce chaos annoncé dont l’intérêt est le détail, avec des prises de décisions dignes d’un théâtre de l’absurde de Ionesco, avec un effondrement historique de toute autorité gouvernementale, avec des jeux d’ombre pour devenir calife à la place de la calife.
On s’attardera donc plus précisément sur les trois derniers mois qui sont très riches en rebondissements de toutes sortes. Un véritable scénario d’un film catastrophe avec une suspense interminable, mais malheureusement, comme l’a rappelé une députée britannique le 29 mars 2019, il y a des emplois et surtout des vies humaines en jeu dans cette bataille de cour de récréation. Comme le pire n’est jamais sûr, même contre tous les pronostics, le pire pourrait être évité de justesse…
23 juin 2016.
Référendum organisé par David Cameron sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union Européenne : 51,9% des électeurs choisissent le Brexit.
13 juillet 2016.
Nomination du gouvernement de Theresa May après la démission de David Cameron : Boris Johnson aux Affaires étrangères et David Davis au Brexit.
27 juillet 2016.
Nomination par Jean-Claude Juncker de Michel Barnier comme négociateur en chef de l’Union Européenne sur le Brexit. Complétée le 8 septembre 2016 par la désignation de Guy Verhofstadt comme coordinateur du Parlement Européen sur le Brexit.
24 juillet 2017.
Décision de la Cour suprême du Royaume-Uni qui impose que le Parlement britannique soit consulté pour définir les modalités du Brexit.
29 mars 2017.
Theresa May déclenche officiellement la procédure de l’article 50 du Traité sur l’Union Européenne (TUE) de retrait de l’Union Européenne. Une période de deux ans est fixée avant le retrait effectif (prévu donc le 29 mars 2019).
08 juin 2017.
Élections législatives anticipées au Royaume-Uni voulues par Theresa May qui perd sa majorité absolue à la Chambre des Communes. Pari perdu. Un parti nord-irlandais unioniste est nécessaire pour avoir la majorité.
19 juin 2017.
Début officiel des négociations du Brexit à Bruxelles.
09 juillet 2018.
Démission de Boris Johnson et de David Davis du gouvernement de Theresa May, remplacés respectivement par Jeremy Hunt et Dominic Raab.
09 novembre 2018.
Démission de Jo Johnson, Ministre des Transports, du gouvernement (frère de Boris Johnson), qui réclame un nouveau référendum.
15 novembre 2018.
Démission de Dominic Raab et de Suella Braverman du gouvernement (ministre et sous-ministre du Brexit), remplacés le lendemain par Stephen Barclay.
25 novembre 2018.
Accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne (le "Deal") signé au Conseil Européen. Le Deal doit être ratifié par le Parlement britannique et par le Parlement Européen.
10 décembre 2018.
Réunie exceptionnellement en assemblée plénière, la Cour de Justice de l’Union Européenne estime : « Un pays est habilité à revenir unilatéralement sur sa décision de quitter l’Union Européenne, et ce sans même consulter les autres pays membres. ». Cela signifie que Theresa May peut mettre fin unilatéralement au processus du Brexit (c’est-à-dire, "révoquer" l’article 50). La Commission Européenne et le Conseil Européen souhaitaient au contraire que cette révocation fût soumise à l’unanimité du Conseil Européen pour éviter une pratique abusive (un État qui veut quitter l’Union Européenne et qui interrompt le processus si les négociations se déroulent à son désavantage).
11 décembre 2018.
Après les premiers décomptes pessimistes, Theresa May reporte le vote du Deal (initialement prévu le 11 décembre 2018) au 15 janvier 2019. Le principal problème du Deal concerne la frontière de l’Irlande du Nord, ce qu’on appelle le "backstop".
12 décembre 2018.
Vote de défiance contre Theresa May au sein de sa majorité conservatrice. 200 députés conservateurs votent pour son maintien comme Premier Ministre, 117 pour son éviction. L’Union Européenne refuse toute renégociation du Deal.
15 janvier 2019.
Premier vote des députés britanniques sur le Deal : rejet par 432 voix contre 202. C’est la défaite d’un Premier Ministre la plus humiliante de toute l’histoire britannique. Le leader de l’opposition travailliste Jeremy Corbyn dépose une motion de censure contre le gouvernement.
16 janvier 2019.
Rejet de la motion de censure contre Theresa May : la motion de censure ne recueille que 306 voix et est repoussée par 325 voix.
29 janvier 2019.
Vote des députés britanniques en faveur d’une renégociation du Brexit (refusée par l’Union Européenne).
04 mars 2019.
Grève du zèle des douaniers français à la frontière britannique, pour protester contre les incertitudes du Brexit : pendant plusieurs jours (jusqu’au 07 mars 2019), bouchons et retards des TGV (3 200 camions sont bloqués sous le tunnel de la Manche ou à Calais).
11 mars 2019.
Theresa May rencontre Jean-Claude Juncker et Michel Barnier à Strasbourg. Le Vice-Premier Ministre britannique David Lidington devant les députés britanniques : « La Premier Ministre a obtenu des changements légalement contraignants qui renforcent et améliorent l’accord de retrait et la déclaration politique. ».
12 mars 2019.
Deuxième vote des députés britanniques sur le Deal : nouveau rejet par 391 voix contre 242. Parmi les 314 députés conservateurs, 75 ont défié Theresa May.
13 mars 2019.
Vote indicatif des députés britanniques : 312 voix contre le Brexit sans Deal, 308 voix pour le Brexit sans Deal. Vote final des députés britanniques sur le Brexit sans Deal : 321 voix excluent l’hypothèse d’une sortie non négociée contre 278 (amendement déposé par Caroline Spellman, conservatrice, et par Jack Dromey et Yvette Cooper, travaillistes). L’amendement déposé par Jacob Rees-Mogg, brexiter influent, visant à contourner le "backstop", a été rejeté par 374 voix (mais soutenu par plusieurs ministres). Le Chancelier de l’Échiquier (Ministre des Finances) Philip Hammond a envisagé le pire, le Brexit sans Deal : « Sortir sans accord impliquerait un choc significatif à court et moyen termes ainsi qu’une économie moins prospère à long terme que si l’on sort avec un accord (…) Un chômage plus élevé, des salaires plus faibles, des prix plus élevés. Ce n’est pas pour cela que le peuple britannique a voté en 2016. ». Quant à Michel Barnier, il déclare à Strasbourg devant les députés européens : « Nous sommes allés au bout de ce que nous pouvions faire. ». "Le chaos règne" à Londres (selon le Daily Mail) où les députés ne veulent ni le Brexit avec Deal, ni le Brexit sans Deal, ni remettre en cause le Brexit. Catherine MacGuiness, une dirigeante de la City, déclare : « Le pays est au bord du précipice ! » (cité par "Le Figaro"). Mark Rutte, le Premier Ministre néerlandais, affirme : « C’est un peu comme si le Titanic votait pour écarter l’iceberg. ».
14 mars 2019.
Vote des députés britanniques de la motion de Theresa May en faveur d’un report du Brexit après la date du 29 mars 2019, par 412 voix contre 202.
16 mars 2019.
Theresa May publie une tribune dans "The Telegraph" : « L’acte patriotique à faire pour les députés est de voter en faveur de mon accord sur le Brexit. (…) L’idée que les Britanniques se rendent aux urnes pour élire des députés européens trois ans après avoir voté pour quitter l’Union Européenne est à peine supportable. Il ne saurait y avoir de symbole plus fort de l’échec politique collectif du Parlement. ».
18 mars 2019.
Joe Bercow, Speaker (Président) de la Chambre des Communes, refuse l’organisation d’un troisième vote parlementaire sur le Deal s’il n’y a pas de "changements substantiels" (le troisième vote était prévu le 20 mars 2019).
20 mars 2019.
Theresa May demande officiellement à l’Union Européenne un report du Brexit au 30 juin 2019.
21 mars 2019.
Au Conseil Européen de Bruxelles, l’Union Européenne propose de reporter la date du Brexit du 29 mars 2019 au 12 avril 2019, avec plusieurs options : 1/ report au 12 avril 2019 sans condition ; 2/ report au 22 mai 2019 s’il y a un vote des députés britanniques favorables au Deal avant le 12 avril 2019 ; 3/ report plus long si les députés britanniques le votent avant le 12 avril 2019 et dans ce cas, participation du Royaume-Uni aux élections européennes des 23 au 26 mai 2019.
23 mars 2019.
Manifestation à Londres de plus d’un million de participants opposés au Brexit et réclamant un second référendum.
24 mars 2019.
En quelques jours, plus de cinq millions de signataires réclament dans une pétition de révoquer l’article 50 et de rester dans l’Union Européenne. Le site Internet du Parlement indique que 100 000 signataires suffisent pour obliger les parlementaires à débattre du sujet de la pétition. La femme à l’origine de la pétition a reçu de nombreuses menaces de mort et a dû fermer son compte Facebook.
25 mars 2019.
Démission de trois ministres britanniques. Il était en fait question d’un "putsch" de onze ministres contre Theresa May, "putsch" qui a donc dû échouer. Dans la soirée, vote des députés britanniques, par 329 voix contre 302, d’un amendement (déposé par le conservateur Olivier Letwin et la travailliste Hilary Benn) qui donne au Parlement le pouvoir de l’ordre du jour au détriment du gouvernement (cet amendement avait été rejeté de justesse, avec deux voix de retard, le 14 mars 2019). Le gouvernement perd le contrôle de l’ordre du jour, et les parlementaires vont faire une série de huit votes indicatifs le 27 mars 2019 et une autre série le 1er avril 2019 reprenant les propositions ayant reçu le plus de votes le 27 mars 2019 (votes qui n’engagent pas le gouvernement). C’est une nouvelle humiliation pour Theresa May.
26 mars 2019.
Graham Brady, le chef du groupe parlementaire des Tories, conseille à Theresa May d’annoncer son départ du pouvoir pour l’été 2019 afin de faire voter le Deal. David Davis, ancien ministre du Brexit et opposé au Deal, déclare sur la BBC : « Ce n’est pas un bon accord mais l’alternative est une cascade de chaos. ». Dans le blog ConservativeHome, Jacob Rees-Mogg annonce qu’il soutiendra le Deal si Theresa May annonce sa prochaine démission : « Un no-deal est mieux que l’accord de Mme May, mais l’accord de Mme May est mieux que de ne pas sortir du tout. » (cité par "Le Point"). Boris Johnson : « Si nous rejetons à nouveau l’accord, il y a un risque pour que nous ne quittions pas du tout [l’Union Européenne]. » (cité par le Daily Mail).
27 mars 2019.
Les huit séries de questions posées par les députés britanniques (contre la volonté du gouvernement) reçoivent systématiquement des rejets. Le "Guardian" titre : « Le Parlement a finalement son mot à dire : non, non, non, non, non, non, non, non. ». Deux propositions reviendront le 1er avril 2019 car sont rejetées à moins de 30 voix près : la négociation d’une union douanière (retard de 8 voix) et un nouveau référendum (retard de 30 voix). Theresa May annonce qu’elle démissionnerait en cas de vote des députés britanniques en faveur du Deal : « J’ai entendu très clairement l’humeur du groupe parlementaire. Je sais qu’il y a un désir pour une nouvelle approche, et un nouveau leadership, dans la deuxième phase des négociations sur le Brexit, et je ne m’y opposerai pas. » (cité par la BBC). Elle rejette la pétition ayant atteint six millions de signataires et demandant le maintien dans l’Union Européenne : « Ce gouvernement ne révoquera pas l’article 50. Nous honorerons le résultat du référendum de 2016 et travaillerons avec le Parlement pour parvenir à un accord garantissant que nous quittons l’Union Européenne. ».
29 mars 2019.
À 15 heurs 40, troisième vote des députés britanniques sur le Deal : rejet par 344 voix contre 286. Theresa May a réussi à convaincre plus de députés qu’aux deux premiers votes, mais pas suffisamment. Des députés (notamment Jeremy Corbyn) réclament la démission de Theresa May et de nouvelles élections législatives, d’autres un nouveau référendum. Conséquence du nouveau rejet du Deal par le Parlement britannique, le Président du Conseil Européen, Donald Tusk, convoque un nouveau Conseil Européen pour le 10 avril 2019.
Et demain ? La grande inconnue !
Même les scénaristes les plus déjantés ont renoncé à imaginer ce qui va surgir dans les prochains jours à Westminster…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 mars 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Brexit : chronologie inachevée d’un chaos annoncé.
Michael Heseltine.
Les élections législatives britanniques du 8 juin 2017.
L’attentat de Manchester du 22 mai 2017.
Theresa May nommée Premier Ministre le 13 juillet 2016.
Peuple et populismes.
Intervention de Bruno Le Maire sur le Brexit le 28 juin 2016.
Le Brexit en débat chez les députés français.
L’Europe n’est pas un marché.
L’Union Européenne, élément majeur de stabilité mondiale.
Terre brûlée ?
Brexitquake.
Boris Johnson.
To Brexit or not to Brexit ?
L’émigration irlandaise.
L’euro.
Le conflit syrien.
Les réfugiés syriens.
La construction européenne.
Jo Cox.
David Cameron.
Margaret Thatcher.
Les Accords de Munich.
Les 70 ans d’Israël.
La partition des Indes.
Karl Marx.
Jane Austen.
William Shakespeare.
David Bohm.
Stephen Hawking.
Alfie Evans, tragédie humaine.
Charlie Chaplin.
Le Prince Charles.
Winston Churchill.
Lord Louis Mountbatten.
Harry, un mari qui vous veut du bien.
Philip Mountbatten.
Lady Di.
Édouard VIII et George VI.
Élisabeth II.
Un règne plus long que celui de Victoria.
Vive la République !
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190329-brexit-chronology.html
https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/brexit-chronologie-inachevee-d-un-213899
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/03/29/37215944.html