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10 mars 2020 2 10 /03 /mars /2020 03:05

« C’est un autre avenir qu’il faut qu’on réinvente
Sans idole ou modèle, pas à pas, humblement
Sans vérité tracée, sans lendemains qui chantent
Un bonheur inventé définitivement. »
(Jean Ferrat, "Le Bilan", 1980).



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Si l’épidémie de coronavirus SARS-CoV-2 s’était déclenchée il y a dix ans, le chanteur Jean Ferrat, qui est mort à Aubenas le 13 mars 2010 à l’âge de 79 ans de la suite d’une maladie attrapée à l’hôpital (il est né à Vaucresson le 26 décembre 1930), aurait été enterré dans l’intimité familiale. Mais ce ne fut pas le cas. Car le 16 mars 2010 à Antraigues-sur-Volane, il y a eu plus de cinq mille personnes venues lui rendre hommage, à l’instar d’Isabelle Aubret. La foule a même chanté "La Montagne", sa chanson la plus connue.

Auteur, compositeur, interprète, Jean Ferrat faisait partie de ces chanteurs qui faisaient "tout". Il n’a pas composé ni écrit toutes les chansons qu’il a interprétées mais une grande partie. Il était une voix extraordinaire mais aussi une plume de poète exceptionnelle.

Pourquoi ai-je apprécié Jean Ferrat alors qu’on l’a associé en permanence au parti communiste français ? La première réponse est assez simple : si on devait se préoccuper des opinions politiques des artistes pour apprécier leurs œuvres, on ne verrait, lirait, écouterait plus aucune œuvre. Après tout, qu’est-ce qu’un art communiste ? un art libéral ? un art de gauche ? de droite ? du centre ? Cela n’a pas beaucoup de sens. Je reste sur l’idée du mérite républicain individuel : l’art est avant tout personnel, et la personnalité de Jean Ferrat est très attachante, ses œuvres émouvantes.

Au même titre, faut-il détester les excellents livres de Jean-Paul Sartre au style si efficace et subtil alors qu’il s’est trompé systématiquement dans ses combats politiques et qu’on adore également Boris Vian qui tournait en ridicule les fétichistes du sartrisme ? Ou détester les œuvres si éclairantes et vivifiantes de Louis Aragon par anticommunisme forcené ? Bien évidemment non, et d’ailleurs, Jean Ferrat a chanté beaucoup de ses poèmes, les a faits parfois mieux connaître. J’ai même évolué sur l’œuvre magistrale de Céline, dont l’antisémitisme des pamphlets m’incommodait trop pour l’apprécier. Peut-être une idée de la maturité : faire la part des choses. Sans rien oublier pour autant. Encore moins excuser.

La seconde réponse à la question (inutile de continuer ensuite), c’est de dire que Jean Ferrat a toujours été un électron libre. D’ailleurs, il n’a jamais pris sa carte et surtout, il a toujours été lucide sur les manquements du communisme. Et même sur ses horreurs staliniennes. Il est toujours resté fidèle (il a voté Georges Marchais en 1981) mais il l’a toujours été avec des réserves qui lui font honneur, plus honneur en tout cas que Sartre qui acceptait tout des horreurs du communisme sous prétexte qu’il ne fallait pas "désespérer Billancourt". On sait ce qu’il advint de Billancourt : désormais se niche la troisième grande salle de concert moderne de la région parisienne sur l’Île Seguin. Il ne reste plus que la façade d’entrée de Renault. Pas de "bilan globalement positif", pas de soutien à l’invasion de Prague par les chars soviétiques. Fidélité mais lucidité aussi.

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Alors, c’est vrai, Jean Ferrat était bien incapable de débattre comme un homme politique, sur un plateau de télévision à coup d’arguments et de contre-arguments. Mais à sa façon, il diffusait ses idées, souvent généreuses, pacifiques, parfois même écologiques avant l’heure, par le moyen qui était le sien, là où il s’épanouissait, par la chanson. Ces chansons orientées (engagées dit-on) lui ont joué d’ailleurs des tours, puis que dans l’ORTF de pépé, il fut régulièrement censuré, mais le public le suivait, c’était l’essentiel.

L’exemple le plus frappant fut un éditorial de Jean d’Ormesson, à l’époque influent directeur du journal "Le Figaro", qui avait parlé d’un "air de liberté" qui flottait avant la prise de Saïgon par les communistes. Cela avait mis en colère le chanteur qui en a fait une chanson où il a cité le nom de l’éditorialiste qui, par la suite, a apprécié la chanson et était même honoré d’avoir été ainsi immortalisé dans une œuvre musicale.

Les chansons de Jean Ferrat n’étaient pas toujours des manifestes engagés. Elles étaient également sentimentales. Amour, nostalgie, beauté de la nature, espérance… Comme la magie de la technologie permet de préserver au-delà de la mort les enregistrements et que l’Internet permet de les diffuser chez soi, voici, pour lui rendre hommage, dix chansons très connues qui ont placé Jean Ferrat dans la même légende que Charles Trenet, Georges Brassens, Jacques Brel, Léo Ferré, Guy Béart, et quelques autres…

Sans indication particulière, les chansons sont de Jean Ferrat (paroles et composition).


1. "Nuit et brouillard" (décembre 1963)

Grand Prix du disque de la prestigieuse Académie Charles-Cros, cette chanson a fait connaître et apprécier Jean Ferrat du grand public. Elle évoque la Shoah avec des mots très émouvants.


« Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent.

Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe, il ne reste qu’une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été. »






2. "La Montagne" (12 novembre 1964)

La chanson la plus connue de Jean Ferrat qui évoque la nostalgie et le déracinement. Dans "Témoignage chrétien" du 8 mai 1969, il a expliqué : « ["La Montagne"] évoque quelque chose qui touche énormément les gens : l’abandon de la terre natale. (…) Presque tous les Parisiens sont fils ou petit-fils de paysans, alors, il y a un pincement au cœur. ».

« De quoi attendre sans s’en faire
Que l’heure de la retraite sonne
Il faut savoir ce que l’on aime
Et rentrer dans son HLM
Manger du poulet aux hormones.

Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s’imaginer
En voyant un vol d’hirondelles
Que l’automne vient d’arriver ? »






3. "Que serais-je sans toi ?" (novembre 1964)

Jean Ferrat a repris un poème de Louis Aragon, "Prose du bonheur et d’Elsa" publié dans "Le Roman inachevé" (1956).

« J’ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j’ai vu désormais le monde à ta façon
J’ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines. »






4. "Ma France" (mars 1969)

Il est sûr que la chanson "Ma France" était une chanson très orientée politiquement, mais Jean Vasca (chanteur) ne la considérait pas comme de la propagande : « Les chansons politiques, quand elles ne sont pas réussies, ont l’air de tracts, mais quand elles sont réussies, comme celle-là, elles sont pleines de vérité humaine. ». Elle ne manquait pas de provoquer des polémiques, en honorant Robespierre et les vendeurs de "L’Huma" le dimanche matin, tout en fustigeant Thiers et De Gaulle. Il honorait aussi Victor Hugo, Paul Éluard et Picasso.

« Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France. »






5. "Camarade" (janvier 1970)

Cette chanson très politisée pourrait être considérée comme anticommuniste à tel point Jean Ferrat a fustigé la fin, par l’arrivée des chars soviétiques le 21 août 1968, du Printemps de Prague, ce "socialisme au visage humain" selon Alexander Dubcek. Le chanteur avait presque honte d’être communiste.

« C’est un nom terrible Camarade
C’est un nom terrible à dire
Quand, le temps d’une mascarade
Il ne fait plus que frémir
Que venez-vous faire Camarade
Que venez-vous faire ici
Ce fut à cinq heures dans Prague
Que le mois d’août s’obscurcit. »






6. "Aimer à perdre la raison" (avril 1971)

Jean Ferrat a chanté le poème de Louis Aragon "La Croix pour l’ombre" de son recueil "Le Fou d’Elsa" (1963).

« Aimer à perdre la raison
Aimer à n’en savoir que dire
À n’avoir que toi d’horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur du partir
Aimer à perdre la raison. »






7. "La Femme est l’avenir de l’homme" (novembre 1975)

En reprenant et retournant la formule de Louis Aragon issue de son recueil "Le Fou d’Elsa" : « L’avenir de l’homme est la femme. », Jean Ferrat a contribué à faire de son titre un proverbe désormais très connu.

« Le poète a toujours raison
Qui annonce la floraison
D’autres amours en son royaume
Remets à l’endroit la chanson
Et déclare avec Aragon :
La femme est l’avenir de l’homme ! »






8. "Un Air de liberté" (décembre 1975)

Cité dans cette chanson qui condamnait les guerres coloniales, Jean d’Ormesson avait réussi à en interdire la diffusion dans une émission consacrée à Jean Ferrat par Jacques Chancel le 14 novembre 1975 sur Antenne 2. Néanmoins, il n’a pas réussi à la faire supprimer dans l’album, et plus tard, il a admis avoir finalement apprécié la chanson. Jean Ferrat avait réagi à l’éditorial de l’écrivain, publié dans "Le Figaro" le 2 mai 1975, sur la chute de Saïgon le 30 avril 1975 : « Seulement sur tous les excès et sur toutes les bavures soufflait encore un air de liberté. Une liberté viciée, sans doute, mais une liberté. ».

Jean Ferrat y allait fort car il mettait Jean d’Ormesson dans le même lot que les "autres" : « C’est vous et vos pareils qui en êtes tuteurs » [des guerres coloniale], « Pour vous et vos pareils nous étions la vermine », « Oui vous avez un peu de ce sang sur les mains »

« La terre n’aime pas le sang ni les ordures
Agrippa d’Aubigné le disait en son temps
Votre cause déjà sentait la pourriture
Et c’est ce fumet-là que vous trouvez plaisant.

(…)

Ah monsieur d’Ormesson
Vous osez déclarer
Qu’un air de liberté
Flottait sur Saïgon
Avant que cette ville s’appelle Ville Ho-Chi-Minh
Après trente ans de feu de souffrance et de larmes
Un génocide vain perpétré au Viêt-Nam
Quand le canon se tait vous vous continuez.

Mais regardez-vous donc un matin dans la glace
Patron du Figaro songez à Beaumarchais
Il saute de sa tombe en faisant la grimace
Les maîtres ont encore une âme de valet. »

En fait de génocide, c’est bien au Cambodge qu’il a eu lieu quelques mois plus tard avec Pol Pot






9. "Le Bilan" (1980)

Avec cette chanson, Jean Ferrat a réagi aux propos de Georges Marchais prononcés le 23 avril 1979 pour parler du "bilan globalement positif" de l’Union Soviétique, et a dénoncé les crimes de Staline.

« Ah ! Ils nous en ont fait avaler des couleuvres
De Prague à Budapest, de Sofia à Moscou
Les staliniens zélés qui mettaient tout en œuvre
Pour vous faire signer les aveux les plus fous

(…)

Au nom de l’idéal qui vous faisait combattre
Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui

(…)

Mais quand j’entends parler de bilan positif
Je ne peux m’empêcher de penser à quel prix ?
Et ces millions de morts qui forment le passif
C’est à eux qu’il faudrait demander leur avis. »






10. "Les Cerisiers" (novembre 1985)

Avec les paroles de Guy Thomas, parolier qui est mort récemment (le 19 janvier 2020), Jean Ferrat réaffirmait (malgré la chanson précédente) sa fidélité au communisme.

« Bien sûr on me dira que c’est des sottises
Que mon utopie n’est plus de saison
Que d’autres ont chanté le temps des cerises
Mais qu’ils ont depuis changé d’opinion.

Moi si j’ai connu des années funestes
Et mes cerisiers des printemps pourris
Je n’ai pas voulu retourner ma veste
Ni me résigner comme un homme aigri. »





Et dans la dernière strophe des Cérisiers, Jean Ferrat envisager sa fin prochaine :

« Ah qu’il vienne au moins le temps des cerises
Avant de claquer sur mon tambourin
Avant que j’aie dû boucler mes valises
Et qu’on m’ait poussé dans le dernier train. »

Chapeau, l’artiste !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 mars 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jean Ferrat.
Juliette Gréco.

_yartiFerratJean03


http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200313-jean-ferrat.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/le-grand-jean-ferrat-au-dela-du-222199

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/03/09/38088290.html


 

 


 

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commentaires

M
Comment défendre cette politique communistes qui fit des millions de morts ? La seule réponse immédiate qui peut leur venir à l’esprit: ils ont stoppés Hitler avec l’hiver comme précieux allié, mais il convient de rappeler la famine ukrainienne et les pogromes institutionnalisés etc. etc. La liste sera toujours trop longue.
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