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14 mars 2019 4 14 /03 /mars /2019 03:02

« En avant donc, dans l’union de tous les Français rassemblés autour du Comité français de libération nationale et de son Président le général De Gaulle ! En avant pour le combat, en avant pour la victoire afin que Vive la France ! » (Programme du CNR, le 15 mars 1944).


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Il y a soixante-quinze ans, le 15 mars 1944, après plusieurs mois de difficiles négociations et de compromis, le Conseil National de la Résistance (CNR) a adopté clandestinement et à l’unanimité son "programme d’action de la Résistance". Ce programme a été un point essentiel de consensus dans la classe politique pendant la Résistance et la Libération.

En fait, il y avait deux programmes en un. Le plus important fut le "programme d’action immédiate" qui concernait les actions de résistance intérieure et de la libération, en ce sens qu’il fallait gagner la guerre et reconquérir les territoires occupés. La seconde partie était un programme de gouvernement "classique" que le CNR avait prévu d’appliquer une fois le territoire libéré. C’est évidemment ce second programme ("mesures à appliquer dès la libération du territoire") que l’histoire a retenu dans la mesure où il était plus politique que militaire.

C’est seulement à partir des années 1990 voire 2000 que ce programme fut parfois "récupéré" politiquement par des forces politiques situés à l’ultra-gauche, en particulier les communistes, pour s’opposer aux mesures économiques prises par les différents gouvernements (de droite, de gauche ou du centre) depuis une trentaine d’années. J’y reviendrai plus loin.


Qu’est-ce que le CNR ?

Avant d’évoquer ce programme, rappelons ce qu’est le CNR. Le Conseil National de la Résistance a été créé le 27 mai 1943 à Paris sous la supervision de Jean Moulin, délégué spécial du Général De Gaulle en France depuis le 1er janvier 1942, qui était chargé, par De Gaulle, d’unifier l’ensemble des mouvements de résistance intérieure qui s’étaient formés depuis le début de l’Occupation nazie. C’était une tâche particulièrement rude et difficile car au-delà des divergences politiques, il y avait les hommes, avec leur susceptibilité et orgueil, et il y avait aussi leur vision stratégique, qui pouvait être différente. Mais, selon l’historienne Claire Andrieu, grande spécialiste du programme du CNR depuis trente-cinq ans (et fille du résistant André Postel-Vinay, très bref sous-ministre de Jacques Chirac) : « La "chance" de la Résistance française fut d‘avoir à s’opposer à la fois à l’occupant, à un gouvernement d’usurpateurs, et même aux Alliés dans une certaine mesure : situation qui a entraîné sa radicalisation "souverainiste" et renforcé son processus d’unification. ».

La première réunion le 27 mai 1943 s’est préparée avec la plus grande sécurité (adresse tenue secrète, etc.) mais Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, témoigna dans son livre "Alias Caracalla" (éd. Gallimard, 2009), à propos de l’appartement lieu de la réunion : « La cuisine ouvrait sur le toit d’une cour intérieure d’où l’on pouvait s’enfuir. Mais il n’y a pas d’issue sur l’autre rue. Comme toujours, nos mesures de sécurité sont en trompe-l’œil. » (Cité par la "Lettre de la Fondation de la Résistance" n°73).

De Gaulle tenait absolument à ce que, au-delà des mouvements de résistance, toutes les forces politiques issues de la IIIe République (et résistantes) fussent représentées au CNR pour obliger les Américains à reconnaître la légitimité politique de De Gaulle. Ce fut pour cette raison que le CNR, présidé par Jean Moulin jusqu’à son arrestation le 21 juin 1943, c’est-à-dire, moins d’un mois après sa création, devait s’entendre sur un plan d’action après la guerre. Le CNR fut ensuite présidé par le démocrate-chrétien Georges Bidault qui a eu un rôle politique très important sous la Quatrième République (mais ensuite, ses positions sur l’Algérie l’a fait retirer complètement du jeu politique sous la Cinquième République). Georges Bidault, nommé Ministre des Affaires étrangères le 10 septembre 1944, fut remplacé à la tête du CNR le 15 septembre 1944 par le syndicaliste Louis Saillant.

Ainsi, le CNR était composé de représentants de deux grands syndicats (la CGT et la CFTC), de six partis politiques (le PCF, la SFIO, les radicaux, les démocrates-chrétiens du PDP, l’Alliance démocratique, c’est-à-dire la droite modérée, et la Fédération républicaine, c’est-à-dire la droite conservatrice). Parmi les représentants des huit grands mouvements de résistance, il y avait aussi des politiques, surtout que certains mouvements ont été créés par des partis politiques clandestins, on peut citer, entre autres, Pierre Villon (PCF) et Eugène Claudius-Petit (futur MRP). Parmi les représentants politiques, on peut citer aussi André Le Troqeur, Georges Bidault (qui est devenu le président du CNR après Jean Moulin), Joseph Laniel (futur chef du gouvernement), André Mercier et Jacques Debû-Bridel.

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Après l’arrestation de Jean Moulin, le CNR ne s’est réuni complètement que deux fois avant la Libération le 25 août 1944, et préféra faire des réunions très restreintes pour éviter l’arrestation de tous ses membres en même temps. D’autres personnalités importantes ont complété ou remplacé les membres fondateurs, dont certains avaient été tués ou déportés ou d’autres désignés pour l’Assemblée consultative à Alger, notamment Alexandre Parodi (en fait délégué général du Comité de français de libération nationale auprès du CNR), André Colin et Daniel Mayer.


Les dures négociations du programme du CNR

Le programme avait un intérêt politique essentiel : impliquer toutes les forces politiques qui se retrouveraient présentes à la Libération (donc, celles qui n’ont pas collaboré avec l’ennemi) dans un projet politique commun afin de savoir rapidement quoi faire à un moment clef de l’Histoire de France : administrer les territoires libérés mais aussi poursuivre la guerre. Cependant, De Gaulle le pensait plutôt pour la première partie (insurrection contre l’occupant) et imaginait mal l’intérêt pour la seconde partie, d’autant plus que le concept de programme était assez novateur depuis le début de la République en 1870 (il y en a eu précédemment mais dans un autre contexte), seul le Front populaire s’était présenté à ses électeurs en 1936 avec un programme politique précis.

Dans les négociations, le clivage était plutôt la SFIO contre le PCF, selon Claire Andrieu. Les socialistes, réformistes, craignaient un programme d’action immédiate trop insurrectionnel voulu par les communistes.

Ainsi, les mesures du premier programme (action immédiate) furent plus "pluralistes" (De Gaulle lui-même expliquait dans ses "Mémoires de guerre", à la page 291, que les communistes, en se servant du CNR, voulaient le garder à la tête d’un gouvernement "populaire" « jusqu’au jour où serait établie la dictature du prolétariat »). En contrepartie, le second programme (après la Libération) fut "gauchisé" dans son réformisme à l’avantage des communistes (« un tour réformiste plus radical pour satisfaire le centre de gravité de l’opinion résistante qui évoluait rapidement vers la gauche » selon Claire Andrieu).

Les socialistes avaient aussi proposé une construction européenne, l’idée dès juin 1943, d’un "Super-État" auquel « les nations remettront une partie de leur souveraineté », mais le projet a été abandonné rapidement car l’Europe nazie du moment avait refroidi beaucoup d’ardeurs européennes d’avant-guerre (qui n'avaient rien à voir avec le nazisme, évidemment).

Claire Andrieu a beaucoup travaillé sur l’historiographie du CNR après la Libération. Ainsi, elle a constaté par un ouvrage de référence rédigé par l’historien Adrien Dansette ("Histoire de la libération de Paris" en 1946) que sous la Quatrième République, le consensus obtenu au CNR avait éclaté : les gaullistes de l’époque (dont Jacques Soustelle et Passy) trouvaient que le CNR était trop influencé par les communistes, d’où ce programme à l’économie dirigiste. Passy a même publié une lettre d’Henri Frenay qui accusait (à tort) Jean Moulin d’être un agent du parti communiste (ce qui n’était pas l’avis de De Gaulle qui, au contraire, a estimé que les communistes avaient été favorisés par la disparition de Jean Moulin).

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Un jeune résistant gaulliste, René Hostache, a soutenu en 1956 une thèse de doctorat qui a expliqué que les communistes n’étaient pas majoritaires au CNR (thèse de droit publiée en 1958 avant le retour de De Gaulle et très largement saluée par les universitaires) : « Il n’impute pas les tensions survenues au sein du CNR aux menées du Parti communiste, mais au fait que le CNR ait reproduit les défauts de la IIIe République. Selon l’auteur, alors que toutes les tendances de la Résistance, sauf le PCF, disaient vouloir réformer le régime républicain dans le sens du renforcement du pouvoir exécutif, elles se comportaient de manière opposée : le CNR a "largement débordé le rôle consultatif qui lui était dévolu à l’origine, et, plus encore qu’un contrôle parlementaire, c’est comme les Assemblées de la IIIe République, une emprise qu’il cherche paradoxalement à exercer sur un exécutif dont le renforcement est cependant souhaité" (p. 451). Et l’auteur d’enchaîner : "Cette mauvaise habitude ainsi réintroduite dans nos mœurs politiques se transmettra par l’intermédiaire de la Consultative aux deux Constituantes et aux Assemblées de la IVe République". » (Claire Andrieu).


Le contenu et la diffusion du programme du CNR

Le programme du CNR contenait quatre mesures principales : des nationalisations, le plan, la sécurité sociale pour tous (santé, chômage, retraite) et enfin, les comité d’entreprises.

Je le cite dans deux domaines cruciaux.

Sur le plan économique : « Instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, avec une organisation au service de l’intérêt général. Retour à la nation des grands moyens de production, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques. Droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie. ».

Sur le plan social : « Droit au travail et droit au repos. Rajustement important des salaires et garantie d’un niveau de salaire qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine. Plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existences, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État. Sécurité de l’emploi, réglementation des conditions d’embauche et de licenciement, rétablissement des délégués d’atelier. Retrait permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours (…). ».

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Ce programme fut très rarement diffusé avant la Libération, seulement par le journal "Libération" en mai 1944, par "Combat" en mai 1944 et par "Franc-Tireur" en avril 1944, mais ni "L’Humanité", ni "Le Populaire", ni "Témoignage Chrétien", ni le "Courrier français", ni "Résistance", etc. La première édition du programme sous forme d’une brochure de quelques pages fut publiée avec le titre volontairement trompeur "Les Jours Heureux". Bruno Leroux a donné des explications de Claire Andrieu, en ces termes : « Cette faible diffusion peut s’expliquer de deux manières : la persistance de dissensions derrière l’accord apparent sur le renforcement de l’action immédiate (…) ou un scrupule démocratique à afficher avant toute reprise de la vie politique normale un programme pour l’après-Libération. ».

Soulignons en effet que ce programme a été débattu par au mieux une vingtaine de personnes, certes représentatives des mouvements de résistance, syndicats et partis politiques, mais qui n’ont été ni élus ni mandatés par le peuple pour rédiger un programme d’action après la guerre.

Précisons enfin que le titre "Les Jours Heureux" (pour tromper l’occupant) pouvait faire référence à une chanson américaine emblématique de la première campagne présidentielle de Franklin Roosevelt et pouvait donc associer ce programme du CNR au New Deal d’avant-guerre : « Les projets français pour l’après-guerre participaient d’une aspiration commune aux nations du monde libre. Et c’était Roosevelt qui l’avait formulée lui-même dès 1941 (…) : la victoire devait déboucher sur un nouvel ordre international favorisant le progrès économique et social. » (Bruno Leroux).

En revanche, juste après la Libération de Paris, ce programme du CNR fut massivement diffusé et remis très officiellement à De Gaulle le 28 août 1944.


L’application du programme du CNR

Le programme du CNR fut en partie appliqué par De Gaulle à partir de décembre 1944 et jusqu’aux élections législatives du 2 juin 1946, en particulier, par ordonnances, avec la création de la sécurité sociale (4 octobre 1945, complétée le 28 avril 1946), la nationalisation de Renault (16 janvier 1945), de la Société des Moteurs Gnomes et Rhône (29 mai 1945), d’Air France (26 juin 1945), de la Banque de France et de quatre banques de dépôt (2 décembre 1945), la création des comités d’entreprise (22 février 1945), et évidemment, le rétablissement du suffrage universel et même le droit de vote accordé aux femmes (21 octobre 1945), mesure qui n’était pas incluse dans le programme du CNR. Une autre création provenant du programme du CNR fut l’institution du Plan.

Mais De Gaulle n’en a jamais explicitement fait référence : « Tout en assurant à tous le maximum de liberté, et tout en favorisant en toute matière l’esprit d’entreprise, [la France] veut faire en sorte que l’intérêt particulier soit toujours contraint de céder à l’intérêt général, que les grandes sources de la richesse commune soient exploitées et dirigées (…) pour l’avantage de tous, que les coalitions d’intérêt (…) soient abolies une fois pour toutes, et qu’enfin, chacun de ses fils, chacune de ses filles puisse vivre, travailler, élever ses enfants dans la sécurité et la dignité. » (12 septembre 1944 au Palais de Chaillot, à Paris).

Après les élections du 21 octobre 1945, De Gaulle fut réélu Président du gouvernement provisoire le 21 novembre 1945, mais finalement démissionna le 20 janvier 1946 après de nombreuses dissensions institutionnelles (et aussi économiques, il a refusé par exemple la nationalisation de Paribas et de la Banque de l’Union parisienne). Son successeur socialiste Félix Gouin continua avec la nationalisation de l’électricité et du gaz (28 mars 1946), des compagnies d’assurances (24 avril 1946) et le retour aux quarante heures de travail par semaine (21 février 1946).

Élodie Dervaux-Desbiens, professeure d’histoire-géographie à l’académie de Lille, a expliqué ainsi : « L’instauration d’une sécurité sociale, les nationalisations, la planification sont des idées qui, bien avant 1944, influencent les débats politiques de l’ensemble des nations du monde libre. C’est leur rassemblement en un même texte, faisant l’unanimité, recevant un réel soutien populaire et dont les principes sont adoptés par le Général De Gaulle, ainsi que la volonté d’appliquer le programme rapidement qui ont constitué la force des réformateurs lors de la Libération. Ainsi, ce texte a influencé durablement les structures économiques et sociales de la nation. ».


Le programme du CNR entre les années 1950 et les années 2010

Émeline Vanthuyne a expliqué de son côté que l’application du programme du CNR s’est arrêtée à partir de 1946, d’abord parce que les élections législatives redonnaient une plus grande légitimité aux nouveaux parlementaires qu’aux anciens membres du CNR, mais ensuite parce que le départ des communistes du gouvernement et le début de la guerre froide allaient cliver durablement la France dans sa vision économique : « Dans une Europe divisée en deux blocs et deux économies radicalement différentes, le compromis mis en œuvre en France à travers les réformes de structures de 1944-1946 devient difficile à revendiquer. Il faudra attendre la chute des régimes communistes et la généralisation des conceptions économiques libérales dans les années 1990 pour que le programme du CNR redevienne un texte de référence, par son inspiration dirigiste, pour les défenseurs d’une organisation économique et sociale fondée sur le service public et la solidarité nationale. ».

C’est peut-être là le problème actuel de la France : depuis une trentaine d’années, les gouvernements français cherchent à maintenir coûte que coûte, et avec raison, le modèle social français, qui fait que les Français sont mieux capables d’encaisser le choc des éventuelles crises financières (c’était palpable pour la crise de 2008), mais cela paradoxalement dans un environnement globalisé qui nécessite parallèlement la libéralisation des échanges de biens et services.

Soixante années plus tard, certains ont voulu faire resurgir l’emblématique (et devenu légendaire) programme du CNR. Ainsi, un appel a été lancé le 10 mars 2004 pour fustiger le libéralisme économique, signé par d’anciens résistants, notamment Lucie et Raymond Aubrac, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Séguy, Maurice Kriegel-Valrimont, Germaine Tillion, Georges Guingouin, Jean-Pierre Vernant et Stéphane Hessel, lequel a publié ensuite, le 21 octobre 2010, un petit fascicule "Indignez-vous !" qui a eu beaucoup d’échos dans "l’opinion publique" (sans forcément apporter de propositions concrètes) : « C’est tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance qui est aujourd’hui remis en cause. ».


Le programme du CNR est-il encore d’actualité ?

Depuis une dizaine d’années, des candidats en mal d’audience essaient également de reprendre à leur compte le programme du CNR. Est-ce pertinent ? Peut-être électoralement si cela rend plus grand et honorable leur projet politique, mais ce n’est certainement pas à partir d’un texte vieux de trois quarts de siècle qu’on résoudra les problèmes du troisième millénaire. C’est comme si à la Libération, pour anticiper l’avenir, on voulait prendre un programme politique datant de la chute de Napoléon III, ou encore, à la proclamation de la IIIe République, prendre le programme politique de Napolon Ier au sortir de la Révolution française.

Si ce texte a été un utile programme servant à montrer l’unité politique des résistants à l’intérieur et à l’extérieur de la France et à engager à l’époque quelques réformes audacieuses dont les historiens pourront juger la pertinence (ou pas), il ne répondait qu’à des préoccupations de 1944 et certainement pas de 2019. Il ne peut être considéré comme parole d’Évangile pas plus que les textes religieux dont on doit peser la part des circonstances sociologiques ou culturelles (par exemple, la place faite aux femmes) du "dogme" religieux permanent. Un exemple très simple est la nationalisation de Renault qui fut confiscatoire : ce n’était pas une stratégie financière, encore moins industrielle, ni idéologique, c’était simplement une mesure punitive envers les propriétaires. Rien à voir avec une politique économique. Aujourd’hui, le programme du CNR est un programme anachronique hors-sol qui n’a d’intérêt que culturel et historique, mais certainement pas politique ou économique, car la France et le monde ont beaucoup évolué depuis soixante-quinze ans.

En 1944, l’État-providence était nettement moins avancé qu’en 2019. C’est d’ailleurs en partie grâce au programme du CNR qu’il a évolué ainsi. Mais il n’y avait que trois semaines de congé payé (alors que nous en sommes à cinq), quarante heures de travail par semaine (alors que nous en sommes à trente-cinq), etc. Sur de très nombreux domaines, la France de 2019 est dans une situation sociale beaucoup plus avancée que ce que projetait le programme du CNR. On oublie un peu trop souvent ce constat.

Il suffit de voir l’évolution de la dépense publique et aussi sa part dans la redistribution sociale. La dépense publique était de 33,3% du PIB en 1950 (elle était à 56,4% en 2016, la plus élevée de l’Union Européenne). Les prestations sociales étaient de 11,9% du PIB en 1950 (25,9% en 2016). Sans compter que les prélèvements obligatoires étaient également sans rapport de comparaison : de l’ordre de 28% du PIB en 1950 et 44,4% en 2016 ! Cela signifie que la France d’aujourd’hui est au moins deux fois plus redistributrice que la France du programme du CNR.

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De plus, le programme du CNR pouvait être applicable financièrement grâce à la reconstruction et aux Trente glorieuses qui ont assuré une période de forte croissance et d’enrichissement durable, prospérité qu’il était nécessaire et juste de faire partager à tous. La France d’aujourd’hui est à la limite de la stagnation, en tout cas, sans croissance susceptible de faire baisser le chômage. L’enjeu d’aujourd’hui, ce n’est pas de redistribuer la richesse, mais de créer de la richesse. C’est pour cela qu’il faut encourager l’initiative économique créatrice d’emplois, ce que les gouvernements ont tenté de faire depuis environ 1983 avec une efficacité assez faible, il faut le reconnaître.

La solution ne viendra donc certainement pas d’un regard nostalgique sur un passé presque centenaire, mais sur de nouveaux schémas à inventer, à imaginer pour l’avenir, avec deux considérations qu’on n’avait pas beaucoup à l’esprit en 1944 : l’exigence écologique et environnementale, et l’attention portée aux personnes, notamment dans leur hygiène, santé et sécurité physique et psychologique.

Le programme économique du CNR était à l’évidence dirigiste. Était-il communiste ? Peut-être pas vraiment. L’article de Claire Andrieu dans "La Lettre de la Fondation de la Résistance" (n°73) se conclut en effet ainsi : « Cette revue des positions historiennes relatives au CNR et à son programme (…) vise à donner le sens de débats historiographiques parfois complexes et souvent vifs, même soixante-dix ans après les faits. Le panorama montre que le débat se poursuit depuis l’origine, et que l’idée que l’histoire de la Résistance ait pu faire l’objet d’une récupération durable par une mémoire hégémonique, gaulliste ou communiste, n’est pas vérifiée. » (juin 2013).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 mars 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Document : la Lettre de la Fondation de la Résistance n°73 de juin 2013 (à télécharger).
Le programme du Conseil National de la Résistance (CNR).
De Gaulle.
Jean Moulin.
Daniel Cordier.
André Malraux.
Maurice Druon.
Edmond Michelet.
Loïc Bouvard.
Germaine Tillion.
Alain Savary.
Être patriote.
L’appel du 18 juin.
Antisémitisme.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Stéphane Hessel.
Daniel Mayer.
Georges Séguy.
Roland Leroy.
Raymond Sabot.
François Jacob.
Pierre Messmer.
Maurice Schumann.
Jacques Chaban-Delmas.
Yves Guéna.
Général Leclerc.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190315-conseil-national-resistance.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-programme-du-conseil-national-213455

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/03/10/37165788.html


 

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