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21 juin 2018 4 21 /06 /juin /2018 05:14

« Cet homme, jeune encore, mais dont la carrière avait déjà formé l’expérience, était pétri de la même pâte que les meilleurs de mes compagnons. Rempli jusqu’aux bords de l’âme, de la passion de la France, convaincu que le "gaullisme" devait être, non seulement l’instrument du combat, mais encore le moteur de toute une rénovation, pénétré du sentiment que l’État s’incorporait à la France Libre, il aspirait aux grandes entreprises. Mais aussi, plein de jugement, voyant choses et gens comme ils étaient, c’est à pas comptés qu’il marcherait sur une route minée par les pièges des adversaires et encombrée des obstacles élevés par les amis. Homme de foi et de calcul, ne doutant de rien et se défiant de tout, apôtre en même temps que ministre, Moulin devait, en dix-huit mois, accomplir une tâche capitale. La Résistance en Métropole (…), il allait l’amener à l’unité pratique. Ensuite, trahi, fait prisonnier, affreusement torturé par un ennemi sans honneur, Jean Moulin mourrait pour la France, comme tant de bons soldats qui, sous le soleil ou dans l’ombre, sacrifièrent un long soir vide pour mieux "remplir leur matin". » (De Gaulle, "Mémoire de guerre ; tome 1, L’Appel 1940-1942", publié en 1954 chez Plon).



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Ce lundi 18 juin 2018, un vieux monsieur a été décoré par le Président de la République Emmanuel Macron. Il s’agit de Daniel Cordier, l’un des cinq survivants des compagnons de la Libération. Grand-croix de la Légion d’honneur, le plus haut grade, à bientôt 98 ans, Daniel Cordier s’en moquerait presque. Pour lui qui a toujours refusé d’être réduit à un "ancien combattant" au point d’avoir complètement tourné la page après la guerre, reparler du passé n’avait qu’un seul sens, respecter la mémoire de son patron pendant onze mois, Jean Moulin, dont il n’a connu le véritable patronyme qu’à la Libération. C’est pour cela qu’il est devenu un historien sur le tas, très recommandé, sur l’histoire de Jean Moulin, celle de la France libre, celle de la Résistance.

Jean Moulin, fait compagnon de la Libération le 17 octobre 1942 sous le nom du caporal Joseph Mercier (passeport délivré le 9 septembre 1941), il est né le 20 juin 1899 à Béziers, il y a cent dix-neuf ans. Mais surtout, il a été arrêté par les nazis à Caluire-et-Cuire, dans la banlieue de Lyon, il y a juste soixante-quinze ans, le 21 juin 1943.

Personne n’a vraiment su ce qu’il était précisément advenu de Jean Moulin par la suite. Il a été détenu par la Gestapo de Lyon, torturé par Klaus Barbie, puis détenu à Paris, toujours torturé, il n’a pas parlé, il n’a rien lâché, et il serait mort des suites de ses blessures dans le train Paris-Berlin, du côté de Metz, le 8 juillet 1943, à l’âge de 44 ans. On voulait l’interroger à Berlin. Le corps d’un homme français sans identité a été renvoyé à Paris le 9 juillet 1943 et a été immédiatement incinéré, et ce furent ces cendres, inhumées au Père-Lachaise, qu’on a transférées au Panthéon le 19 décembre 1964. Personne n’est capable de dire si ce sont bien celles de Jean Moulin. C’est possible, c’est probable, mais ce n’est pas sûr et de toute façon, ce n’est pas l’essentiel.

Jean Moulin est devenu un héros après sa mort. Avant aussi, mais peu de personnes le savaient déjà. Sa mission était périlleuse à plus d’un titre. Il était le représentant de De Gaulle, donc, de la France libre, à l’intérieur de la France, et il était chargé d’unifier tous les mouvements de résistance intérieure, des réseaux créés de manière plus ou moins organisée ou spontanée, et il fallait compter sur la susceptibilité des uns et des autres, et en plus, il fallait rassembler tout le spectre de la vie politique de l’époque, de la Cagoule aux communistes. De Gaulle voulait retrouver la France victorieuse. Toute la France sauf celle de Pétain et Pierre Laval.

Il n’y a pas de doute à cela : le silence de Jean Moulin sous la torture a sauvé les résistants français. Ce n’était pas la première fois qu’il s’était tu sous la torture : déjà à Chartres le 17 juin 1940, les nazis l’avaient torturé puis relâché. Il s’est sacrifié en conscience. Mais ce sacrifice, il l’était déjà pour toute personne qui s’était engagée dans la Résistance, quelle que fû sa fonction dans celle-ci. En s’y engageant, on savait qu’on risquait sa vie. S’il y a eu beaucoup de jeunes, c’était par idéal, peut-être par imprudence, inconscience, romantisme même. Ce n’était pas le cas de Jean Moulin, haut fonctionnaire et personnalité qui avait devant lui une grande carrière politique.

En relisant le journal de bord d’Edmond Michelet sous l’Occupation, on peut se rendre compte à quel point tous les résistants qui ont essayé de mettre en place le Conseil national de la Résistance, qui était une sorte de préparation d’action du futur gouvernement provisoire de la République française, étaient évidemment sincères (ils risquaient leur peau) mais également très ambitieux et réfléchissaient au-delà de la victoire, sur les places à prendre. Parfois même en vendant déjà la peau de l’ours avant de l’avoir tué.

On imagine très bien que Jean Moulin aurait trouvé une place de choix au sein des institutions républicaines, probablement ministre, peut-être même chef du gouvernement, et même, qui sait ? en opposition politique au Général De Gaulle comme ce fut le cas pour certains résistants comme Georges Bidault (le successeur de Jean Moulin à la tête du CNR), ou encore Maurice Schumann, etc. Jean Moulin est devenu la figure historique de la Résistance par excellence, illustrée par la fameuse photographie prise par son ami d’enfance Marcel Bernard (en hiver 1939 à Montpellier). Il est entré dans la légende gaulliste dès la création du CNR.

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Fils d’un professeur d’histoire géographie qui fut élu conseiller général radical-socialiste de 1913 à 1932, Jean Moulin fut avant tout un républicain. Étudiant en droit à Montpellier, il travailla au cabinet du préfet de l’Hérault en 1917 avant d’être mobilisé le 17 avril 1918 et fut envoyé dans les Vosges. Il fut démobilisé le 1er novembre 1919. Reprenant ses études de droit (il est sorti avec une licence en 1921), il continua à travailler pour le préfet de l’Hérault en montant rapidement en grade (chef adjoint de cabinet en 1920).

Ce qu’il faut retenir de sa jeunesse, c’est qu’il n’était pas forcément dans l’élite intellectuelle, ses études n’étaient pas "brillantes" et il n’a pas fait une école exceptionnelle, mais il a bénéficié de réseaux politiques (il a travaillé auprès du préfet grâce à son père vice-président du conseil général, et il a pris des responsabilités comme responsable à l’UNEF et aux Jeunesses laïques et républicaines). Ses convictions républicaines et radicales étaient donc plutôt axées à gauche (il s’est réjoui de la victoire du Cartel des gauches en mai 1924).

Sa vie professionnelle a démarré réellement le 6 février 1922 comme chef de cabinet du préfet de Savoie, à Chambéry. Il n’avait que 22 ans, ce qui était très jeune pour la fonction. Sa carrière s’envola rapidement : sous-préfet d’Albertville (Savoie) entre 1925 et 1930 (il n’avait que 26 ans), puis sous-préfet de Châteaulin (Finistère) de 1930 à 1932. Le Secrétaire d’État aux Affaires étrangères Pierre Cot, député radical-socialiste de Savoie, l’a nommé chef adjoint de cabinet du 18 décembre 1932 au 28 janvier 1933.

Pierre Cot avait alors 37 ans et ce fut son premier poste ministériel, ce dernier fut ensuite le Ministre de l’Air d’Édouard Daladier, Albert Sarraut, Camille Chautemps et Léon Blum du 21 janvier 1933 au 7 février 1934 et du 4 juin 1936 au 14 janvier 1938. Jean Moulin y fut alors son chef de cabinet tout en poursuivant sa carrière préfectorale comme sous-préfet de Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) en 1933, puis sous-préfet de Montargis en janvier 1934, enfin rattaché à la préfecture de Paris en avril 1934 pour rester auprès de son ministre savoyard Pierre Cot. Entre juillet 1934 et juin 1936, il fut nommé secrétaire général de la préfecture de la Somme à Amiens, avant de revenir aux côtés de Pierre Cot au même ministère et à la même fonction de chef de cabinet lors de la victoire du Front populaire.

Jean Moulin a eu sa première expérience de la clandestinité lorsque son ministre Pierre Cot lui a demandé d’aider les républicains espagnols en les approvisionnant en armement et avions, pour résister aux troupes de Franco. Le jeune fonctionnaire aimait la vie, aimait séduire, aimait le sport, les voitures de course et l’art moderne.

Après avoir été le plus jeune sous-préfet de France, Jean Moulin fut le plus jeune préfet de France en janvier 1937 avec sa nomination à Rodez, dans l’Aveyron, à l’âge de 38 ans, puis il fut nommé préfet d’Eure-et-Loir à Chartres en janvier 1939. Une fois la guerre déclarée, il voulut combattre mais le gouvernement l’a obligé à rester à son poste de préfet.

Les habitants d’Eure-et-Loir ont pu se rendre compte de son caractère résistant dès le 11 juin 1940 sur une affiche où il proclamait, en utilisant la première personne, sa foi en la victoire, contre toute apparence, alors que les troupes nazies étaient à quelques jours d’occuper Chartres : « Vos fils résistent victorieusement à la ruée allemande. Soyez dignes d’eux en restant calmes. Aucun ordre d’évacuation du département n’a été donné parce que rien ne le justifie. N’écoutez pas les paniquards qui seront d’ailleurs châtiés. Déjà des sanctions ont été prises. D’autres suivront. Il faut que chacun soit à son poste. Il faut que la vie économique continue. Les élus et les fonctionnaires se doivent de donner l’exemple. Aucune défaillance ne saurait être tolérée. Je connais les qualités de sagesse et de patriotisme des populations de ce département. J’ai confiance. Nous vaincrons. ».

Jean Moulin fut arrêté le 17 juin 1940 par les nazis et fut torturé, car il refusa de dénoncer des innocents d’avoir commis de meurtres et des viols. Il chercha même à se suicider en se tranchant la gorge avec un morceau de verre, mais n’y est pas parvenu. Il fut alors soigné puis réintégra la préfecture de Chartres d’où il fut révoqué par Pétain le 2 novembre 1940. Jean Moulin s’est alors engagé dans la Résistance et entra dans la clandestinité.

L’écriture de son journal permet aujourd’hui de comprendre ce qu’il pensait à l’époque. Entre novembre 1940 et septembre 1941, installé à Marseille, il rencontra beaucoup de résistants (dont Henri Frenay et Antoinette Sachs) pour avoir une vision d’ensemble de la résistance intérieure. Homme de réseaux, assurément.

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En septembre 1941, Jean Moulin commença son voyage vers l’Angleterre, en passant par l’Espagne et le Portugal, pour rencontrer De Gaulle le 25 octobre 1941 à Londres. Ils parlèrent de la situation de la résistance intérieure et des besoins de son financement. Séduit par ses talents d’organisation et ses motivations (le quadragénaire était très ambitieux), De Gaulle fit de Jean Moulin son délégué exclusif en zone libre. En quelques sortes, Jean Moulin était Dieu-le-fils, de De Gaulle, Dieu-le-père, descendu sur la terre française.

Deux missions très délicates d’organisation furent confiées Jean Moulin : la création de l’Armée secrète sous commandement de De Gaulle dirigeant les Forces françaises libres (ordre du 4 novembre 1941) et l’unification de tous les mouvements de résistance intérieure afin de renforcer l’efficacité des actions de résistance par une étroite coordination (ordre du 24 décembre 1941). L’ancien préfet fut parachuté en métropole le 1er janvier 1942 à Saint-Andiol.

L’Armée secrète fut créée le 28 août 1942 sous le commandement du général Charles Delestraint (officiellement le 11 novembre 1942). Quant à l’unification, beaucoup plus difficile en raison de la personnalité des chefs des différents mouvements, une première unification a eu lieu le 26 janvier 1943 avec la création des Mouvements unis de la Résistance (MUR) qui ont regroupé les grands mouvements de la zone sud (zone libre occupée par les nazis à partir du 10 novembre 1942) : "Combat" dirigé par l’encombrant Henri Frenay (soupçonné d’être "de droite"), "Franc-Tireur" dirigé par Jean-Pierre Lévy et "Libération-Sud" dirigé par Emmanuel d’Astier de La Vigerie (soupçonné d’être "proche des communistes"). Les MUR se sont élargis à des mouvements de la zone nord en décembre 1943, notamment Libération-Nord de Pierre Brossolette (parmi les personnalités marquantes des MUR, on peut citer Jacques Baumel, René Char et François Verdier).

Jean Moulin a rendu compte de son action auprès de De Gaulle le 14 février 1943 à Londres. Le colonel Passy témoigna ainsi : « Je revois Moulin, blême, saisi par l’émotion qui nous étreignait tous, se tenant à quelques pas devant le Général et celui-ci disant, presque à voix basse : "Mettez-vous au garde-à-vous", puis "Nous vous reconnaissons comme notre compagnon, pour la Libération de la France, dans l’honneur et par la victoire". Et pendant que De Gaulle lui donnait l’accolade, une larme lourde de reconnaissance, de fierté, de farouche volonté coulait doucement le long de la joue pâle de notre camarade Moulin. Comme il avait la tête levée, nous pouvions voir encore, au travers de sa gorge, les traces du coup de rasoir qu’il s’était donné en 40, pour éviter de céder sous les tortures de l’ennemi. » (cité par André Malraux le 19 décembre 1964).

De Gaulle nomma Jean Moulin membre du Conseil national français (équivalent de ministre) le 20 mars 1943. Le CNF faisait office de gouvernement en exil entre le 24 septembre 1941 et le 3 juin 1943 (en étaient membres notamment René Pleven à l’Économie, René Cassin à la Justice, André Philip à l’Intérieur, Jacques Soustelle à l’Information, le vice-amiral Émile Muselier à la Marine, ainsi que le général Georges Catroux et le contre-amiral Thierry d’Argenlieu).

Jean Moulin a réussi l’exploit de finalement rassembler toutes les forces vives de la France résistante, politiques mais aussi syndicales, culturelles, etc. au sein du Conseil National de la Résistance (CNR) qu’il créa et présida. La première réunion a eu lieu le 27 mai 1943 à Paris (rue du Four dans le sixième arrondissement) et a contribué à rendre crédible la voix de la France parmi les Alliés dans l’optique de l’après-guerre. Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin et son futur biographe, n’assista pas à cette réunion mais surveilla les passages dans la rue pour prévenir en cas d’arrivée de la police.

Furent ainsi réunis les représentants de huit mouvements de résistance (dont Eugène Claudius-Petit, pour Franc-Tireur, et Claude Bourdet pour Combat), des représentants syndicaux (CGT et CFTC) et les représentants des six formations politiques sous la IIIe République (dont André Mercier pour le PCF, Georges Bidault, pour les démocrates-chrétiens, André Le Troquer pour la SFIO et Joseph Laniel pour la droite modérée).

Contrairement à l’union des mouvements de résistance, le CNR a pour charge la politique après la Libération. Ce n’était pas un gouvernement (CNF) mais une instance politique chargée de faire mettre en place, par un gouvernement provisoire, un programme politique défini au préalable (adopté le 15 mars 1944). La difficulté de la création du CNR fut l’antagonisme entre les dirigeants des mouvements de résistance (principalement des quadragénaires), voulant n’intégrer au CNR que leurs représentants, et "l’ancien monde", le paysage politique d’avant-guerre. De Gaulle voulait absolument réunir tout le spectre politique d’avant 1940 afin d’avoir une légitimité nationale incontestable. L’auteur de cet exploit fut Jean Moulin, très habile politique.

L’Armée secrète fut très secouée au printemps 1943 par l’arrestation de son chef Charles Delestraint le 9 juin 1943, quelques mois après l’arrestation d’un chef régional à Lyon, le capitaine Claudius Pillon le 1er février 1943. Les deux sont morts des suites de leur arrestation, Charles Delestraint fut dépoté au Struthof puis Dachau où il est mort le 19 avril 1945, et Claudius Pillon est mort le 18 février 1943 à Vichy.

Une réunion fut organisée par Jean Moulin dans une maison louée à Caluire-et-Cuire le 21 juin 1943 avec sept dirigeants de l’Armée secrète pour se concerter dans la désignation du successeur du général Charles Delestraint arrêté. Y assistèrent notamment Raymond Aubrac et bien sûr Jean Moulin. Également le résistant René Hardy qui n’était pourtant pas convoqué. Tous les présents furent arrêtés par la Gestapo, visiblement alertée, et René Hardy a pu s’échapper rapidement. Il a été par la suite prouvé que René Hardy avait été arrêté puis relâché par la Gestapo dans la nuit du 7 au 8 juin 1943, dans le train de Paris, juste avant l’arrestation de Charles Delestraint.

Arrêté le 12 décembre 1944, René Hardy a été acquitté deux fois après la Libération (les 24 janvier 1947 et 8 mai 1950) sur son éventuelle implication dans l’arrestation de Jean Moulin. Daniel Cordier reste convaincu de cette implication. D’autres ont évoqué l’action d’une maîtresse de René Hardy qui était également celle de l’adjoint de Klaus Barbie qui aurait pu le faire parler imprudemment. L’affaire restera une controverse irrésolue qui a peu de chance de rebondir plus de soixante-quinze ans après les faits.

Quant à son tortionnaire nazi, Klaus Barbie, il a été retrouvé en Bolivie le 3 février 1972 grâce au journaliste Ladislas de Hoyos, fut arrêté à La Paz le 25 janvier 1983 (après la fin de la dictature) et fut extradé vers la France le 5 février 1983. Son procès a eu lieu à Lyon du 11 mai 1987 au 9 juillet 1987. Il fut condamné à la réclusion à perpétuité "pour la déportation de Juifs de France et notamment l’arrestation, le 6 avril 1944, de 44 enfants juifs et de 7 adultes à la maison d’enfants d’Izieu et leur déportation à Auschwitz". Pour l’unique fois en France, ce procès fut filmé comme pièce à conserver pour l’histoire. Klaus Barbie a fini ses jours en prison à Lyon, le 25 septembre 1991, après huit ans de détention, lui qui avait envoyé le dernier convoi de 650 personnes pour Auschwitz le 11 août 1944.

Dans ses mémoires, le futur Ministre SFIO des Affaires étrangères Christian Pineau, qui était détenu dans la même prison que Jean Moulin pendant quelques jours, a ainsi témoigné : « À la promenade, j’éprouve, ce matin-là, une violente émotion. Parmi les nouveaux détenus qui tournent autour de la cour, je reconnais Jean Moulin qu’à Londres, nous appelions Max. (…) [Le lendemain], quelles ne sont pas ma stupéfaction, mon horreur, lorsque je m’aperçois que l’homme étendu n’est autre que Max. Celui-ci a perdu connaissance, ses yeux sont creusés comme si on les avait enfoncés dans la tête. Il porte à la tempe une vilaine plaie bleuâtre. Un râle léger s’échappe de ses lèvres gonflées. Aucun doute, il a été torturé par la Gestapo. (…) Je ne l’ai jamais revu. » ("La Simple Vérité", 1960).

La mort de Jean Moulin a traumatisé beaucoup de résistants, mais pas la Résistance car Jean Moulin n’a pas parlé. Les nazis n’ont donc pas pu éliminer le CNR ni les autres chefs de l’Armée secrète. Le 1er septembre 1943, Georges Bidault a été élu Président du CNR pour succéder à Jean Moulin. Georges Bidault fut par la suite le Président du Gouvernement provisoire du 24 juin 1946 au 16 décembre 1946, plusieurs fois ministre sous la IVe République (Affaire étrangères, Défense) et deux fois Président du Conseil du 28 octobre 1949 au 24 juin 1950.

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Les noms de Jean Moulin dans la clandestinité furent nombreux : Joseph Mercier, Rex (le nom connu de Daniel Cordier), Max, Richelieu, etc. Il a eu aussi un autre nom, Romanin, qui fut son nom d’artiste. En effet, dès le début des années 1930, il a réalisé plusieurs dessins et eaux-fortes intéressants, transformant l’image que l’histoire pouvait porter sur lui. Notamment des dessins humoristiques, dont on peut télécharger quelques échantillons ici. Sa couverture était l’art contemporain, et sa grande connaissance des arts (dont il a transmis la passion à Daniel Cordier) fut complétée par ses rencontres avec des artistes, comme Max Jacob.

Jean Moulin a reçu de nombreux honneurs après sa mort et il a même été promu général de division en novembre 1946 à titre posthume. S’il y a peu de rues qui portent le nom de Jean Moulin, il y a en revanche de très nombreux établissements scolaires à son nom (plus de quatre cents, plus que Victor Hugo, Jean Jaurès et Marie Curie !).

Le plus grand honneur fut évidemment le transfert de ses cendres présumées au Panthéon le 19 décembre 1964, en présence du Général De Gaulle (Président de la République), Georges Pompidou (Premier Ministre), Pierre Messmer (Ministre des Armées) et Jacques Chaban-Delmas (Président de l’Assemblée Nationale). Et en l’absence de Daniel Cordier qui n’avait même pas été invité.

Le discours très émouvant du Ministre de la Culture André Malraux fut sans doute le plus grand discours français du XXe siècle, tant sur le fond que sur la forme. Les cendres d’André Malraux furent ensuite, à leur tour, transférées de Verrières-le-Buisson au Panthéon le 23 novembre 1996, vingt ans après sa mort, sur décision du Président Jacques Chirac et à la demande de Pierre Messmer et avec un discours de Maurice Schumann.





J’en propose quatre extraits ici.

Le sentiment de résistance : « Après vingt ans, la Résistance est devenue un monde de limbes où la légende se mêle à l’organisation. Le sentiment profond, organique, millénaire, qui a pris depuis son accent légendaire (…). Ce sentiment qui appelle la légende, sans lequel la Résistance n’eût jamais existé, et qui nous réunit aujourd’hui, c’est peut-être simplement l’accent invincible de la fraternité. Comment organiser cette fraternité pour en faire un combat ? ».

La torture et le salut des camarades : « Le jour où, au Fort Montluc à Lyon, après l’avoir fait torturer, l’agent de la Gestapo lui tend de quoi écrire puisqu’il ne peut plus parler, Jean Moulin dessine la caricature de son bourreau. Pour la terrible suite, écoutons seulement les mots si simples de sa sœur : "Son rôle est joué, et son calvaire commence. Bafoué, sauvagement frappé, la tête en sang, les organes éclatés, il atteint les limites de la souffrance humaine sans jamais trahir un seul secret, lui qui les savait tous". Comprenons bien que pendant les quelques jours où il pouvait encore parler ou écrire, le destin de la Résistance est suspendu au courage de cet homme. Comme le dit Mademoiselle Moulin, il savait tout ! ».

"Le destin de la Résistance est suspendu au courage de cet homme", il était exactement là, à la fois l’acte du héros et la légende qui s’édifia par la suite sur son rôle fondateur.

La fameuse phrase d’André Malraux qui a fait tant vibrer le cœur des patriotes : « Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d’exaltation dans le soleil d’Afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi, et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé. Avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuits et Brouillard, enfin tombé sous les crosses. Avec ses huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle, nos frères dans l’ordre de la Nuit… ».

Enfin, la leçon pour la jeunesse d’aujourd’hui (ou plutôt celle d’avant-hier, c’était en 1964) : « Écoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le chant du Malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici. À côté de celles de Carnot avec les soldats de l’an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu’elles reposent avec leur long cortège d’ombres défigurées. Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé. Ce jours-là, elle était le visage de la France. ».





"Le Chant des Partisans", l’hymne de la Résistance française, écrit en russe et mis en musique par Anna Marly et écrit en français par Joseph Kessel et Maurice Druon, fut ensuite interprété à l’issue de ce discours historique. Jean Moulin, consacré le héros suprême de la République française, le saint des saints de la liturgie gaullienne.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 juin 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Discours d’André Malraux le 19 décembre 1964 lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon.
L’artiste Jean Moulin, dessinateur.
Jean Moulin.
Premier de Cordier.
André Malraux.
Maurice Druon.
Edmond Michelet.
Loïc Bouvard.
Germaine Tillion.
Alain Savary.
Être patriote.
Daniel Cordier, ni juge ni flic.
La collection Cordier.
Charles Maurras.
Philippe Pétain.
Charles De Gaulle.
L’appel du 18 juin.
Antisémitisme.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Raymond Sabot.
François Jacob.
Pierre Messmer.
Maurice Schumann.
Jacques Chaban-Delmas.
Yves Guéna.
Général Leclerc.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180621-jean-moulin.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/jean-moulin-le-supreme-heros-205393

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/06/21/36501224.html



 

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