« Accessoirement, se vérifie aussi la théorie bien connue de la "boule de neige des fautes". Si la faute initiale n’est pas rapidement circonscrite et réparée, elle agrège autour d’elle des fautes secondaires, qui finissent par former une monstrueuse boule de neige, impossible à arrêter. » (Daniel Schneidermann, 14 février 2017).
Jamais une élection présidentielle française n’a été aussi ouverte que celle de 2017, à seulement deux mois du premier tour. À part, évidemment, les deux élections présidentielles organisées précipitamment à la suite de la démission de De Gaulle et de la mort de Georges Pompidou.
D’ailleurs, le système de la primaire, qui ne sera peut-être pas durable, serait matériellement impossible à organiser en cas de vacance présidentielle, sauf à réviser la Constitution pour prolonger l’intérim présidentiel à six mois, le temps de mettre en place une campagne présidentielle. On comprend tout l’intérêt d’un Vice-Président élu dans le système américain.
Généralement, quand il n’y a pas de sortant parmi les candidats (Président de la République ou/et Premier Ministre), l’élection présidentielle est déjà très ouverte, comme celles de 1969, 1974 et 2007, car il ne peut pas y avoir d’élection "par défaut", pour battre le gouvernement sortant (comme c’était le cas en 1981, en 1988, en 1995, en 2002 et en 2012).
Mais cette élection est d’autant plus ouverte que des affaires judiciaires planent sur la tête de deux candidats, et pas les moindres puisque c’étaient les deux principaux des sondages en janvier 2017. Ces deux candidats sont néanmoins tous les deux catégoriques : ils le resteront quoi qu’il arrive sur le plan judiciaire. Si cela n’étonne pas de la part de Marine Le Pen, cela rompt complètement l’image de François Fillon qui avait misé pendant plusieurs années sur la perception d’un responsable irréprochable.
La dernière incertitude de candidature concerne François Bayrou, en pleine "irrésolution française". Il a envie de se lancer dans la bataille, mais les intentions de vote le concernant sont très basses. Dans "Questions d’info", sur LCP le 15 février 2017, François Bayrou a expliqué que sa décision dépendrait de ce qu’il serait bon pour son pays et pas pour lui. Le 21 avril 2002, François Bayrou a été le 4e homme de la présidentielle. Le 22 avril 2007, il a été le 3e homme. Le 22 avril 2012, il a été le 5e homme. Le 23 avril 2017, il aimerait être le 2e homme mais les sondages lui laisseraient entendre qu’il ne serait que le 6e homme…
Comme l’a fait remarquer Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI, sur BFM-TV le 17 février 2017, la candidature de François Bayrou serait "neutre" en ce sens qu’il prendrait à peu près la même part aux principaux candidats et donc, elle ne changerait pas la donne, notamment l’ordre d’arrivée.
Le dernier délai pour le dépôt des présentations de candidature (les fameux "parrainages") est le vendredi 17 mars 2017 à 18 heures. La liste officielle des candidats à l’élection présidentielle sera publiée le mardi 21 mars 2017. Mais en fait, ce n’est pas cette date qui compte. Celle qui compte, en terme de candidature, c’est ce jeudi 23 février 2017. C’est en effet l’ouverture des envois de ces parrainages.
Depuis 1976, pour être candidat, il faut en effet convaincre 500 des actuels 42 000 élus (surtout, les maires, les membres des conseils départementaux et régionaux et les parlementaires). Or, lorsqu’un élu donne sa signature, il ne peut plus la reprendre. Cela veut dire qu’un parti, par exemple, ne peut pas changer de candidat pendant cette période de collecte des signatures sous peine de perdre beaucoup de parrainages et de temps.
La bataille est donc double dans cette fin de précampagne présidentielle : celle des "grands candidats" assurés d’obtenir leurs 500 signatures, qui doivent présenter leur programme, et celle des "petits candidats" qui n’ont pas l’objectif de gagner mais seulement de témoigner, considérant qu’une campagne présidentielle est une formidable caisse de résonance à l’expression publique.
Quels sont les "grands candidats" ? On peut en citer cinq voire six. L’élu ne devrait provenir que de ce groupe restreint, à moins d’un (nouveau) coup de théâtre qui bouleverserait encore les choses : François Fillon, Benoît Hamon, Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, et éventuellement François Bayrou, s’il se présente.
Les deux premiers peuvent bénéficier d’un maillage local sans comparaison grâce à leur deux grands partis respectifs (LR et PS). En cas de retrait de François Fillon, on pourrait même imaginer que les signatures pour le nouveau candidat seraient obtenues assez rapidement pour que cette nouvelle candidature puisse être validée. On pourrait penser à Alain Juppé dont la notoriété et la modération pourraient convaincre de nombreux maires, mais aussi à François Baroin, régulièrement cité, qui est l’actuel président de la très influente Association des maires de France ; on peut donc imaginer que ce dernier n’aurait aucun mal non plus à convaincre 1,4% des maires.
Emmanuel Macron non plus n’aura aucun mal à obtenir ses signatures, parce qu’il a réussi à convaincre de nombreux élus locaux, essentiellement socialistes, à venir le rejoindre. Marine Le Pen ne pourra pas, comme la famille Le Pen a l’habitude de faire à chaque présidentielle, faire peser un supposé suspens car le nombre de ses élus régionaux lui apportera la plupart des signatures nécessaires. François Bayrou, déjà trois fois candidat, a suffisamment de relais locaux pour avoir également ses signatures.
La seule réelle inconnue pourrait concerner Jean-Luc Mélenchon qui dépend surtout du bon maillage local du parti communiste français dont le soutien est donc indispensable. Il y a même une hypothèse qui pourrait germer dans certains cerveaux. Comme le total Hamon et Mélenchon pourrait atteindre 24-25%, et donc permettre la présence d’un candidat de l’ultra-gauche au second tour, l’idée d’une seule candidature paraît non seulement raisonnable mais stratégiquement très maligne. Le problème, c’est qu’il faut pour cela qu’un des deux candidats s’efface au profit de l’autre.
Benoît Hamon, choisi par 2 millions de votants lors de la primaire du PS, ne peut pas se désister sans se moquer de ses électeurs. Mais l’ego de Jean-Luc Mélenchon, son âge aussi (sa dernière présidentielle ?), sa propre dynamique (la "France insoumise") l’empêcherait de lâcher prise de lui-même… sauf si, par malchance, il ne réussissait pas à réunir ses 500 signatures. L’honneur serait alors sauf, il n’aurait pas perdu la face en se désistant et Benoît Hamon aurait alors carte blanche sans la reddition de son rival de gauche.
Cette stratégie d’effacement sans perdre la face a déjà été utilisée par un ancien Ministre de l’Intérieur et des Collectivités territoriales (Aménagement du territoire), trop futé et affûté politiquement pour ne pas pouvoir réunir les 500 signatures : ce fut pourtant ainsi que Charles Pasqua s’est effacé en 2002, avec la promesse salutaire d’être soutenu par l’UMP aux élections sénatoriales suivantes, celles du 26 septembre 2004 (notons qu’avec une candidature de Charles Pasqua, même ne recueillant que 3 ou 4%, aurait sans doute fait élire Lionel Jospin face à Jean-Marie Le Pen en mai 2002 ; le marchandage avec l’UMP a donc été gagnant/gagnant).
Et les "petits candidats" ? Aucun n’est assuré d’obtenir sa qualification de candidat, mais certains sont plus sereins que d’autres. Nicolas Dupont-Aignan, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud peuvent bénéficier de leur expérience de 2012, Jacques Cheminade aussi, de 1995 et 2012.
En revanche, Yannick Jadot semblerait ramer dans cet exercice difficile, ce qui expliquerait aussi son possible retrait en faveur de Benoît Hamon, déjà ratifié par avance le 16 février 2017 par les mêmes électeurs que la primaire EELV.
Parmi ceux qui labourent les territoires et les mairies, on peut citer en particulier Rama Yade, Michèle Alliot-Marie (surtout dans le but de faire pression sur LR pour avoir l’investiture aux législatives qu’elle avait perdues en 2012), Henri Guaino, Jean Lassalle (député et ancien vice-président du MoDem, soutenu par l’ancien candidat trotskiste Gérard Schivardi), Antoine Waechter (déjà candidat écologiste en 1988), mais aussi Carl Lang, Alexandre Jardin, Oscar Temaru, Bastien Faudot, Pierre Larrouturou, etc.
Comme d’autres instituts de sondages, l’IFOP-Fiducial réalise depuis le 1er février 2017 ce qu’on appelle un "rolling", c’est-à-dire un sondage en temps réel des intentions de vote. Chaque jour, un nouveau "rolling" est publié, reprenant les données des trois derniers jours. Chaque jour, environ 500 personnes sont sondées (différentes), ce qui constitue un échantillon d’environ 1 500 personnes. Encore une fois, répétons que les sondages ne sont intéressants que dans la tendance qu’ils observent, jamais dans l’absolu, et qu’ils ne restent de toute façon que de simples photos (ici, presque un film, une photo par jour) et n’ont donc aucune valeur prédictive.
Dans le "rolling" du 17 février 2017 (téléchargeable ici), les intentions de vote pour François Fillon et pour Emmanuel Macron seraient à égalité, en raison d’une chute progressive d’Emmanuel Macron. Il serait évidemment trop tôt pour annoncer que la candidature d’Emmanuel Macron dévisserait mais apparemment, ses déclarations ambiguës ou contradictoires (sur le mariage gay, sur la colonisation, etc.) feraient douter certains de ses électeurs potentiels. Tandis que la chute de François Fillon semblerait enrayée. Cette tendance semble aussi se confirmer avec d’autres instituts de sondages (notamment OpinionWay).
Une autre tendance intéressante, c’est que l’écart des intentions de vote entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, se réduirait nettement, passant de 9% à 2,5% en deux semaines ! Actuellement, Benoît Hamon ne bénéficierait plus d’un état de grâce et serait rattrapé par son rival ex-socialiste.
Si le PenelopeGate a considérablement réduit les chances d’élection de François Fillon, il paraît aussi certain que cette affaire ne les a pas totalement supprimées. Le jeu reste très ouvert, et c’est très important de prendre en compte le "socle" électoral des intentions de vote. Par "socle", j’entends celles, des personnes sondées, qui sont certaines de voter pour le candidat indiqué.
Or, le candidat qui a le meilleur "socle" est Marine Le Pen qui caracolerait en tête : avec 26%, elle bénéficierait d’un "socle" très confortable de 78% des personnes sûres de voter pour elle, soit une base minimale de 20% dans l’électorat. François Fillon, certes avec seulement 18,5% d’intentons de vote, aurait un "socle" de 61%, soit une base de 11%.
Emmanuel Macron, avec le même niveau d’intentions de vote, aurait un "socle" bien plus restreint, de seulement 44%, soit une base de seulement 8%. Il faut se rappeler en 2002 la candidature de Jean-Pierre Chevènement qui était monté jusqu’à environ 15% dans les intentions de vote avant d’atterrir médiocrement à seulement 5% ! Ces 8%, c’est à peine plus que les bases électorales de Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, tous les deux à 7% (avec un "socle" respectivement de 50% et 60%).
C’est donc une situation très étrange à deux mois du premier tour : le candidat qui a le plus "cristallisé" est celle qui aurait le moins de chance de remporter un second tour (44% face à François Fillon et 38% face à Emmanuel Macron).
Mais il ne faudrait surtout pas croire à la "théorie du plafond de verre". Avec l’incertitude des mesures du sondage, 44% d’intentions de vote face à François Fillon pourraient être en fait environ 47% (exactement 46,6%), ce qui signifierait qu’en deux mois, le retard ne serait pas impossible à rattraper, d’autant plus qu’au second tour, Marine Le Pen jouirait d’une base électorale de 20% minimum, qui voteraient pour elle quels que soient le contexte, les affaires dans lesquelles elle serait impliquée et la campagne de ses concurrents.
De plus, Marine Le Pen jouit d’un avantage tactique formidable : personne ne la critique (ou alors, extrêmement mollement !), surtout pas les candidats susceptibles de se retrouver face à elle au second tour. Cela signifie que ses idées peuvent facilement être diffusées sans beaucoup de contre-attaque dans "l’opinion publique".
On peut comprendre l’intérêt de ces absences d’attaque : François Fillon gagnerait plus facilement face à Marine Le Pen que face à Emmanuel Macron et réciproquement pour Emmanuel Macron. Sauf qu’à oublier que Marine Le Pen est justement la principale adversaire de tous les autres candidats, elle voit sa légitimité renforcée, au point qu’elle se trouverait désormais en tête des "souhaits de victoire" avec 20%, devant Emmanuel Macron (18%) et François Fillon (17%).
Je reste toujours dubitatif sur la différence entre intentions de vote et "souhaits de victoire" (je croyais qu’on votait généralement pour le candidat qu’on souhaiterait voir gagner). Les faits sont là : Marine Le Pen est celle qui a le plus de chance de gagner car c’est elle qui a le moins d’obstacles sur la route de l’Élysée. Que les autres candidats s’en rendent compte assez tôt pour modifier leur campagne en conséquence, avant de venir pleurer le soir du 7 mai 2017…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (19 février 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Sondages rolling IFOP de février 2017.
Comptes à débours.
Et si… ?
L’élection présidentielle en début janvier 2017.
François Fillon.
François Bayrou.
Emmanuel Macron.
Benoît Hamon.
Jean-Luc Mélenchon.
Marine Le Pen.
François Hollande.
Manuel Valls.
Nicolas Sarkozy.
Alain Juppé.
Primaire de la droite et du centre (novembre 2016).
Primaire des socialistes (janvier 2017).
Primaire des écologistes (novembre 2016).
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170223-presidentielle2017-aj.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/presidentielle-2017-comptes-a-189899
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/02/20/34954707.html
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