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22 décembre 2014 1 22 /12 /décembre /2014 07:46

Profitant de l’émotion provoquée par l’attentat de Peshawar, le gouvernement pakistanais de Nawaz Sharif a remis en route la machine infernale des pendaisons dans son pays.


yartiPeshawar01Le mardi 16 décembre 2014, un attentat-suicide particulièrement horrible (ils le sont tous) a eu lieu dans un lycée militaire à Peshawar, au nord-ouest du Pakistan, commis par six islamistes kamikazes talibans (revendiqué par le Tehrik-e-Taliban). En tout, 149 personnes sont mortes, dont 133 écoliers entre 10 et 18 ans qui étaient présents. Ce fut l’attentat le plus meurtrier de toute l’histoire du Pakistan, plus que l’attentat-suicide du 18 octobre 2007 qui a tué 139 personnes à Karachi.

Dès le lendemain, le gouvernement du Premier Ministre Nawaz Sharif a annoncé que pour les actes de terrorisme, il levait le moratoire sur la peine de mort qui avait été décidé par l’un de ses prédécesseurs le 3 juillet 2008 (annoncé le 21 juin 2008). Dès le vendredi 19 décembre 2014, deux talibans qui avaient déjà été condamnés à mort (pour d’autres assassinats) ont été exécutés, et la machine va s’emballer, puisque dix autres pendaisons au moins ont déjà été programmées pour ces jours-ci.

Cette réponse au terrorisme est tout aussi horrible que les attentats eux-mêmes. Elle consacre presque la victoire des terroristes sur les droits humains. L’exemplarité et l’efficacité d’une telle mesure n’ont aucun sens puisqu’il s’agit d’attentats-suicides, ce qui est un caractère commun pour tous les actes de terrorismes islamistes, que ce soit au Pakistan, en Afghanistan, en Israël et même aux États-Unis et dans tout autre pays touché par cette vague sordide.

Leader de la Ligue musulmane du Pakistan depuis 1993, Nawaz Sharif avait déjà été le Premier Ministre du Pakistan du 6 novembre 1990 au 18 juillet 1993 et du 17 février 1997 au 12 octobre 1999 (victime du coup d’État "non-violent" du général Pervez Musharraf). Emprisonné puis exilé, il a pu retourner au Pakistan en novembre 2007 où il a fait alliance avec Benazir Bhutto pour les élections législatives du 18 février 2008. Intégré d’abord dans la coalition gouvernementale (son parti est arrivé en deuxième position), il l’a quittée juste après l’éviction de Pervez Musharraf de la Présidence le 18 août 2008 pour devenir le chef de l’opposition. Il a finalement repris le pouvoir le 5 juin 2013 à la suite des dernières élections législatives du 11 mai 2013, à l’issue d’une campagne où il avait promis la levée du moratoire.

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Ce moratoire avait été décidé le 3 juillet 2008 pour les crimes de droit commun par le gouvernement de Youssouf Raza Gilani qui venait d’être installé le 25 mars 2008 (après les élections législatives du 18 février 2008). Le rôle du Premier Ministre a été renforcé par la réforme constitutionnelle du 19 avril 2010 pour devenir le véritable chef de l’Exécutif (au détriment du Président de la République).

Ce moratoire apportait au Pakistan quelques avantages internationaux, et avait été un élément majeur pour lui permettre d’exporter vers l’Union Européenne, son premier partenaire commercial, de nombreux produits (dont le textile) sans barrière tarifaire.

Il n’a cependant pas empêché certaines exécutions puisque Mohammad Hussein, un soldat, avait été exécuté par pendaison le 15 novembre 2012 à la prison de Mianwali, condamné à mort en février 2008 par un tribunal militaire pour avoir assassiné son supérieur hiérarchique. La dernière exécution avait eu lieu en novembre 2008.

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De même, ce moratoire n’a pas empêché la condamnation à mort le 8 novembre 2010 de la chrétienne pakistanaise Asia Bibi (45 ans), accusée d’avoir commis un blasphème en juin 2009. La condamnation à mort d’Asia Bibi a été confirmée par la Haute Cour de Lahore le 16 octobre 2014 malgré la forte mobilisation et l’émotion de la "communauté internationale". Ce jugement avait créé de nombreux troubles politiques au Pakistan avec notamment l’assassinat de Salman Taseer, gouverneur du Pendjab, le 4 janvier 2011, et celui du ministre catholique Shahbaz Bhatti, le 2 mars 2011, qui avaient tous les deux défendu Asia Bibi (Shahbaz Bhatti fera peut-être l’objet d’un procès en béatification).

La peine de mort pour blasphème avait été introduite par le général Zia ul-Haq en 1986 dans le cadre de l’islamisation de son pays mais n’avait encore jamais été appliquée car les personnes condamnées avaient toutes été acquittées ou graciées : « Toute remarque désobligeante (…) vis-à-vis du Prophète à l’écrit ou à l’oral, ou par représentation visible, ou toute imputation ou insinuation, directe ou indirecte (…) sera punie de la mort, ou de l’emprisonnement à vie, et aussi passible d’une amende. ». Près d’un millier de personnes ont été inculpées de blasphème et plus d’une trentaine sont mortes assassinées après avoir été soit acquittées, soit graciées de ces accusations.

En conformité avec les déclarations de campagne de Nawaz Sharif, son nouveau gouvernement avait refusé le 4 juillet 2013 de prolonger le moratoire qui avait expiré le 30 juin 2013. Cependant, le 3 octobre 2013, il était revenu sur cette décision et l’avait finalement reconduit (probablement sur pressions économiques) après avoir suspendu temporairement son projet de reprise des exécutions le 18 août 2013. Jusqu'à ce 17 décembre 2014 où le moratoire a été levé pour les actes terroristes.

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Ce vendredi 19 décembre 2014, deux condamnés à mort ont donc été exécutés par pendaison à la prison de Faisalabad, au Pendjab : Aqi alias le docteur Usman, condamné à mort pour avoir planifié l’attentat meurtrier à Rawalpindi ayant provoqué plus de 41 morts le 4 décembre 2009, et Arshad Mehmood, condamné à mort pour avoir participé le 25 décembre 2003 à une tentative d’assassinat contre le Président Musharraf, attentat qui avait tué 16 personnes.

Six autres condamnés à mort devraient être exécutés très prochainement dans le Pendjab et quatre autres dans la province du Sind, dont deux dont l’exécution est prévue le 23 décembre 2014.

Selon Amnesty International, 8 000 personnes sont en prison au Pakistan parce qu’elles ont été condamnées à mort, dont 500 pour raison de terrorisme, mais certains ont été condamnés par des tribunaux antiterroristes en raison de leur efficacité et sans lien avec des faits de terrorisme.

Cette reprise rapide des exécutions est une véritable honte, surtout en profitant de la violence et de l’indignation suscitées par l’attentat de Peshawar. Cette réponse est aussi absurde que la guerre en Irak pour répondre aux attentats du 11 septembre 2001 puisque cela concerne des événements très différents.

La plupart des attentats commis par les talibans sont suicidaires, la peine de mort n’aura donc aucune influence sur la sécurité des populations civiles ou militaires du pays. En revanche, la fin du moratoire permet de surfer sur une "opinion publique" émue par les nombreux attentats talibans qui ensanglantent le Pakistan.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 décembre 2014)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le Pakistan dans le chaos du terrorisme.
Un gamin exécuté aux USA.
Flou blues.
Pas seulement otage.
Pas seulement joggeuse.
Nouveau monde.
Le 11 septembre 2001.
Chaos vs complot

Pourquoi parler des Maldives ?
Maldives : la peine de mort pour les enfants de 7 ans.
Pour ou contre la peine de mort ?
La peine de mort selon François Mitterrand.
La peine de mort selon Barack Obama.
La peine de mort selon Kim  III.
La peine de mort selon Ali le Chimique.
Troy Davis.
Les 1234 exécutés aux États-Unis entre 1976 et 2010.

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http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/peshawar-rajouter-de-l-horreur-a-l-161069






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18 décembre 2014 4 18 /12 /décembre /2014 07:13

Sujet politiquement incorrect à l’approche des fêtes de Noël et du Nouvel an, est-il possible à l’humain d’aimer les animaux …autrement que dans les deux sens du verbe ?


yartiAmeDesAnimaux01Le buzz s’est répandu sur le Web dès le 27 novembre 2014, date de la publication d’un article du journal italien "Corriere della Sera" qui a annoncé la nouvelle : « Il Papa e gli animali : "Il Paradiso è aperto a tutte le creature". ». Le "New York Times" a rediffusé cette information le 11 décembre 2014 et elle semblerait être arrivée en France le lendemain par le "Huffington Post" grâce à son édition américaine. Lors d’une audition au Vatican, le pape François aurait consolé un enfant attristé par la mort de son chien en lui disant : « Un jour, nous reverrons nos animaux dans l’éternité du Christ. Le Paradis est ouvert à toutes les créatures de Dieu. ».

Ces déclarations, qui ne seraient que des paroles d’apaisement auprès d’un enfant et n’auraient donc aucune valeur officielle, paraissaient en effet de bon sens. Toute personne qui a un animal domestique, quel qu’il soit d’ailleurs, chat, chien, etc., se rend bien compte que l’affection mutuelle qu’elle peut échanger avec son animal n’est pas seulement "matérielle" et qu’il y a un petit plus qu’on retrouve bien sûr dans les relations entre les humains. Une communication spécifique peut facilement s’établir entre un humain et un animal (aussi différent soit-il, j’ai déjà eu l’occasion de m’en apercevoir avec des animaux même sauvages), et ainsi, créer des liens qui peuvent être très forts et solides (qui ont inspiré d’ailleurs de très nombreux romans, films et séries télévisées).

Logique aussi si l’on s’en tient à l’Évolution, l’être humain n’étant qu’une créature parmi les autres, un animal avec un peu plus de finitions que les autres, mais sans doute appelé aussi à évoluer dans la longue chaîne de l’Évolution. À ce compte-là, les végétaux, les champignons, et même les bactéries sont aussi des êtres vivants et devraient bénéficier, eux aussi, du respect bienveillant des autres vivants.

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D’ailleurs, le pape François l’avait déjà évoqué lors de sa venue au Parlement Européen le 25 novembre 2014 : « Notre Terre a en effet besoin de soins continus et d’attentions. Chacun a une responsabilité personnelle dans la protection de la création, don précieux que Dieu a mis entre les mains des hommes. Cela signifie, d’une part, que la Nature est à notre disposition, que nous pouvons en jouir et en faire un bon usage. Mais, d’autre part, cela signifie que nous n’en sommes pas propriétaires. Gardiens, mais pas propriétaires. Par conséquent, nous devons l’aimer et la respecter, tandis qu’au contraire, nous sommes souvent guidés par l’orgueil de dominer, de posséder, de manipuler, d’exploiter. ».

Même les États commencent d’ailleurs à "s’y mettre". Alors que l’animal en France est juridiquement considéré comme un bien meuble (comme une chose, un objet), les législateurs français ont cependant apporté quelques jalons juridiques pour mieux le respecter.

Ainsi, le 30 octobre 2014, les députés ont adopté un projet de loi qui insère dans le code civil la reconnaissance de la sensibilité des animaux avant le titre Ier du livre II en tant qu’article 515-14 : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels. ».

Évidemment, toutes ces considérations vont assez mal avec le caractère carnivore de beaucoup d’humains (dont moi hélas), qui pourraient toujours garder bonne conscience en portant attention sur la souffrance des animaux, sur la manière de les abattre pour que cela se fasse avec le plus de "respect" possible, mais tout le monde conviendra que le premier respect, c’est bien sûr de ne pas les massacrer, de ne pas les chasser, de ne pas s’en nourrir.

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En ce qui me concerne, je m’en tiens à ne jamais tuer personnellement un animal par caprice (pourquoi écraser une araignée alors qu’elle mérite autant que moi de vivre ?) mais j’ai bien conscience que je continue bien sûr à nager dans l’hypocrisie la plus totale dès que j’avale de la viande ou du poisson, ou dès que je me chausse avec des chaussures en cuir, ou avec plein d’autres habitudes de vie qui sacrifient les animaux.

C’est d’ailleurs un vrai problème philosophique, cornélien. Bien sûr que la viande est bonne, est même nécessaire, mais en quantités modérées, que sans les élevages, certaines espèces disparaîtraient, que si ce n’est pas l’homme, ce seraient d’autres prédateurs qui s’en nourriraient, que la priorité essentielle, c’est d’abord que tous les êtres humains aient de quoi manger, que la chaîne alimentaire n’est qu’un immense carnage dans la Nature dont l’humain n’est pas responsable (les documentaires animaliers se résument souvent à un lupanar généralisé et à une illustration terrible de la lutte classique entre prédateurs et proies).

On peut imaginer les conséquences qu’il pourrait y avoir d’un point de vue légal (pour la législation française) et d’un point de vue moral (en particulier pour les croyants) si la religion ou l’État mettaient les animaux au même niveau d’exigence de respectabilité que les humains. Surtout à une semaine de Noël où il est de coutume de se "bâfrer" avant de s’imaginer quelques bonnes résolutions après les fêtes.

En fait, l’information était erronée. "Slate" en a d’ailleurs fait un article le 15 décembre 2014. Tout l'historique de la rumeur est expliquée ici. Ce n’était pas le pape François qui s’était ainsi exprimé, et pas le 26 novembre 2014, mais son prédécesseur Paul VI mort en 1978 ! Il est d’ailleurs probable que le Vatican soit beaucoup moins ouvert que le pape François sur cette question.

Dans son allocution place Saint-Pierre de Rome du 26 novembre 2014, le pape François avait cependant bien exprimé des propos assez proches, mais sans citer explicitement les animaux, en évoquant « tout ce qui nous entoure et a émergé de la pensé et du cœur de Dieu ». Le porte-parole du Vatican, qui avait tenu à démentir les propos prêtés au pape François, a cependant affirmé : « Il est clair que [le pape] est en harmonie spirituelle avec la création toute entière. ». Cela fera d’ailleurs l’objet de sa prochaine encyclique sur le thème de l’écologie, sujet "moderne" s’il en est.

Après Paul VI, le pape Jean-Paul II aussi croyait en l’âme des animaux et pensait qu’ils pouvaient être « aussi proches de Dieu que les hommes peuvent l’être ». Le 10 janvier 1990, il disait ainsi : « Non seulement les humains mais aussi les animaux ont un souffle divin. ».

Parions que le respect vis-à-vis des animaux se renforcera au fil du temps. Ce sera sûrement un point positif même si cela n’empêchera pas les humains (dont moi) d’être d’affreux carnivores. Et parions que des publicités comme j’ai pu en voir récemment, par exemple cet été à la télévision, qui vantaient les mérites de tel insecticide sur le fait de tuer efficacement des moustiques, tuer étant le maître mot du slogan, seront vite oubliées dans les décennies prochaines et choqueront même nos arrière-petits-enfants comme nous pourrions être choqués par certains messages publicitaires des années 1950.

Le sujet sur les animaux est important dans la société humaine car de plus en plus de traitements faits sur les animaux sont désormais inacceptables par un nombre croissant de personnes. L’évolution de la morale urbaine ne s’accommode plus d’un discours lénifiant sur l’affection portée aux animaux de compagnie sans prendre en compte les horreurs commises pour manger de la viande.

Une sorte de schizophrénie du double sens d’aimer, de laquelle j’aurais du mal à sortir moi-même. Cela ne m’empêche donc pas de souhaiter à tous un bon réveillon !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 décembre 2014)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La sensibilité des animaux reconnue par le code civil.
Les chasseurs…
La vie dans tous ses états.
Le pape François.
Le pape Paul VI.
Le pape Benoît XVI.
Le pape Jean-Paul II.

yartiAmeDesAnimaux04 

 


http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/les-animaux-ont-ils-une-ame-160914

 

 

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17 décembre 2014 3 17 /12 /décembre /2014 07:35

Manque de souffle, tentation irrésistible de retomber dans la politique politicienne en évoquant le droit de vote des étrangers, le Président de la République n’a pas su réduire les passions et les polémiques sur l’immigration, même s’il a raison quand il conclut : « La réussite de l’intégration déterminera la réussite de notre destin. ».


yartiFH2014121501Le lundi 15 décembre 2014 en fin d’après-midi, le Président de la République François Hollande est venu à la Cité nationale de l’Histoire de l’immigration, à la Porte Dorée à Paris, pour inaugurer ce musée ouvert pourtant il y a sept ans. Initialement amorcé par le Premier Ministre Lionel Jospin et repris à son compte par le Président Jacques Chirac, ce lieu présidé jusqu’à nomination comme Défenseur des droits par Jacques Toubon n’avait encore jamais été officiellement inauguré.

François Hollande était accompagné entre autres du Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, de la Ministre de la Culture Fleur Pellerin, de la maire de Paris Anne Hidalgo, de Mercedes Erra, présidente du conseil d’administration du musée et de Benjamin Stora, président du conseil d’orientation du musée.

C’était la première fois depuis deux ans et demi que François Hollande a parlé d’immigration et les attentes étaient grandes. Un discours raisonnable et d’envergure sur l’immigration prononcé par un Président de la République française était attendu depuis au moins sept voire quinze ans. Qui puisse rappeler quelques fondamentaux sur les valeurs humanistes et républicaines de la France mais qui puisse aussi reconnaître qu’il existe des problèmes liés à l’immigration et notamment sur l’intégration dans la communauté nationale. On aurait pu ainsi imaginer un discours qui fasse date, référence, sur lequel aurait pu se cristalliser le débat public pour rehausser le niveau actuel.

Hélas, il n’en a rien été. François Hollande n’a fait de ce discours qu’une simple marque pour montrer qu’il était de gauche, pour diluer les critiques de droitisation que ses propres troupes lui font à longueur de journées sur sa politique économique et budgétaire. Pire, au lieu d’être le garant de l’unité nationale, celui qui apaise, celui qui calme, il a, au contraire, attisé les clivages, renforcé les oppositions en évoquant une fois encore le droit de vote des étrangers.

Ce marqueur "à gauche" ne cesse de faire des dégâts dans la classe politique. François Mitterrand l’avait bien compris puisqu’il l’avait utilisé en avril 1988, juste avant le premier tour de l’élection présidentielle, pour renforcer le vote Le Pen. Cette même ficelle a été par la suite réutilisée par le PS, notamment par Martine Aubry lors de ses vœux pour 2010, et enfin, depuis deux ans, François Hollande ne cesse de l’évoquer sans efficacité, puisque, comme il faut réviser la Constitution, il sait qu’il ne pourra jamais obtenir de majorité des trois cinquièmes sur ce sujet.

Pourquoi remettre dans le débat public inutilement un sujet qui remettrait en cause profondément l’idée de citoyenneté qui, à mon sens, doit être intrinsèquement liée à la nationalité ? Même le droit de vote donné aux ressortissants de l’Union Européenne procède de la même philosophie, celle de définir une sorte de citoyenneté européenne particulière.

Non seulement le droit de vote aux étrangers paraît à la fois destructeur de l’idée nationale mais aussi accélérateur de la montée du populisme par réaction, exactement comme l’adoption du mariage gay avait encouragé les (odieux) actes d’homophobie, mais en plus, les arguments donnés par ses thuriféraires ont de quoi choquer.

Comme par exemple le Parti radical de gauche (PRG) qui explique que ce serait normal que des étrangers résidant en France depuis longtemps …et qui paient des impôts puissent voter : sans s’en rendre compte, avec ce parti, on en revient à la Monarchie de Juillet et au suffrage censitaire, où seul le père de famille payant un minimum (important) d’impôt pouvait voter. Se rend-il compte de l’horreur philosophique de l’argumentation ? Cela reviendrait à dire qu’on tolérerait le droit de vote des pauvres, des non imposables, des "sans dents", même s’ils sont nationaux, puisque, étrangers, il ne le mériteraient pas.

Pourtant, comme pour le mariage gay, il n’y a pas de demande nationale. Moins que le mariage gay même. Qui revendique ce vote ? Le pire, c’est surtout qu’il n’y a aucune raison qu’il n’y ait pas de réciprocité avec des ressortissants français dans des pays hors d’Europe, mais même avec réciprocité, c’est remettre en cause profondément le principe de souveraineté nationale et de citoyenneté intimement liée.

Non seulement il n’y a pas de problème sur ce sujet, mais il y a même déjà la solution ! Le résident étranger, vivant depuis longtemps en France, qui voudrait participer aux élections sait très bien quoi faire : il suffit de demander la nationalité française et il n’y aurait aucune raison que la France le lui refuse.

J’ai connu une personne qui est venue jeune en France pour y travailler. Cette personne s’est mariée en France avec une personne française, elle a toujours vécu en France, y a eu des enfants, des petits-enfants et même des arrière-petits-enfants, tous français. Il est mort à 91 ans après avoir vécu au moins soixante-cinq voire soixante-dix ans en France, en payant beaucoup d’impôts, en étant irréprochable sur le plan civique, en ayant enrichi la France, en bénéficiant des protections sociales françaises. Comme un Français. Il n’avait jamais voulu prendre la nationalité française. Pour des raisons d’identité personnelle. Pourquoi aurait-il voulu voter ?

Car on a envie de participer au destin d’un groupe, d’un pays, seulement si l’on s’y sent partie prenante, seulement si sa propre identité s’y réfère. Pourquoi vouloir choisir le destin des autres si on ne se sent pas appartenir à la même entité, à la même destinée, comme un étranger ? Le meilleur moyen de contribuer au destin d’un groupe, c’est d’abord d’y entrer, d’y adhérer, en prenant la nationalité française.

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Alors, oui, bien sûr, François Hollande a eu raison de rappeler quelques faits concernant l’immigration. Que la France comme tous les autres pays est une terre d’immigration, et qu’elle s’est enrichie au contact de la diversité humaine. Les Américains sont les premiers à l’avoir compris, pour eux, l’uniformité aboutit à la sclérose et la différence renforce une société à l’affût de toute innovation. Une France repliée sur elle-même n’est plus réaliste d’ailleurs, car aujourd’hui, dans la globalisation des échanges, de la circulation des biens et des personnes, la France ne peut plus grand chose seule. Il suffit de voir les habitudes de consommation et de s’intéresser à l’origine de la plupart des produits consommés. Tout n’est plus qu’interconnexion. L’essentiel, c’est de rendre le vivre ensemble supportable pour tout le monde, sans se réduire à des slogans simplificateurs.

Ainsi, François Hollande a rappelé : « L’instrumentalisation n’est en rien une nouveauté. (…) Dois-je parler de la période noire de la Collaboration ? (…) des années 1960 avec les ratonnades, des années 1970 avec des attentats racistes ? On pourrait se dire que c’est du passé. Mais il y a toujours une récurrence. (…) Les étrangers sont toujours accusés des mêmes maux, qu’ils viennent chercher le travail des Français. Ce sont toujours les mêmes préjugés, les mêmes suspicions (…) dans une période de crise. ».

Ce qui manque, c’est un homme d’État, si possible Président de la République, qui puisse redonner du souffle à la fierté d’être français. On n’a jamais aussi peur des autres que lorsqu’on manque de confiance en soi. Si l’on était confiant en ses propres capacités, en son avenir, en sa force, on ne craindrait jamais l’autre, on se sentirait de taille si jamais l’autre venait à avoir des pensées agressives ou expansionnistes. Le repli sur soi n’est que la traduction d’un véritable mal être d’être français. Parce que depuis une trentaine d’années (au moins), aucun dirigeant n’a vraiment su redonner à la France une vision et une grandeur. Parce que la France n’a cessé d’être plongée dans une crise économique qui accroît les inégalités et qui sécrètent des millions de personnes précaires. Et cette fierté nationale ne reviendra certainement pas dans la dilution du principe de citoyenneté proposée par le chef de l’État.

François Hollande a certes évoqué en quelques phrases ces sujets : « Il y a des doutes sur notre vivre ensemble. (…) Ces vents mauvais soufflent de plus en plus, pas seulement en France, partout en Europe. C’est pourquoi il faut reprendre le combat pour répondre, en montrant la force de l’intégration. (…) Avoir confiance en notre histoire (…) pour ne pas nous laisser nous emporter là où nous ne voulons pas. ». Mais en évoquant de manière très politicienne le droit de vote des étrangers, il s’est rendu inaudible, sans crédit, sans authenticité. Des phrases sont devenues presque des incantations abstraites : « La France doit avoir confiance en la France ! ». Il ne sert à rien de faire des incantations, il faut agir concrètement pour redonner la confiance, et cela ne peut porter que sur l’emploi et les impôts.

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Cette post-inauguration de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration aurait dû être, pour François Hollande, l’occasion de mettre au clair les Français avec l’immigration. En rappelant les principes humanistes, certes, mais aussi en prenant conscience que si le sujet est si polémique depuis des dizaines d’années, c’est bien parce qu’il y a des problèmes à résoudre (de vrais problèmes, pas des faux comme le vote des étrangers). Les problèmes d’intégration sont nombreux et des mesures concrètes, pour renforcer cette intégration auraient été pertinentes. Comme apprendre la langue française avant l’âge de 6 ans s’il y en a nécessité.

Au lieu de cela, François Hollande s’est réfugié dans le délicat cocon de la gauche caviarde, en n’apportant aucune réponse aux vraies questions qui taraudent le ciment national, qui brise la cohésion nationale, qui émiette le consensus national, qui met en péril le vivre ensemble. Il s’est réfugié dans une confortable approche politicienne, marquant son intérêt pour son aile gauche et agitant une nouvelle fois un chiffon rouge inutile. Comment un Président peut-il être autant pompier et pyromane à la fois ?

Avec des phrases creuses comme celle-ci : « L’immigration aujourd’hui exige de créer pour tous les étrangers légalement arrivés en France un véritable parcours d’intégration. » qui oublie par exemple le cas d’enfants nés en France de parents étrangers. Comme l'institution de la fête de la laïcité le 9 décembre qui ne mange pas de pain...

La journaliste Maryline Baumard a résumé le vrai problème de François Hollande : « Le gouvernement veut apparaître plus humain que la droite au pouvoir entre 2007 et 2012, mais il est terrorisé par l’idée qu’on puisse le qualifier de laxiste sur ce sujet qui hystérise le pays. » ("Le Monde" du 15 décembre 2014). C’est cette terreur qui tétanise l’Élysée sur ce thème.

Alors qu’il aurait dû rassembler les Français autour de quelques idées fortes sur la nation, François Hollande a préféré alimenter encore une fois les polémiques stériles et les divisions claniques. Il pourra toujours s’étonner ensuite qu’il ne soit pas entendu ; il a tout fait pour ce que soit ainsi.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 décembre 2014)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Discours de François Hollande sur l’immigration le 15 décembre 2014.
Une chance pour la France.
Les valeurs de la République.
Le gaullisme, c’est d’abord des valeurs.
Droit de vote des étrangers.
À propos d’immigration…
Lampedusa.
Changement de paradigme.
Fichiers ethniques.
Le voile et la République.
La burqa et la République.
Stigmatisation ?
L’apparence musulmane.
La copéisation de l’opposition.
La ligne Buisson.
La lepénisation des esprits.
Sauciflard pinard.
Racolage aussi au PS.
Le FN et son idéologie.
La fournée Le Pen.
L’europhobie primaire.
Contrôles d’identité : elle est chouette, ma gueule !
Statistiques ethniques.
La circulaire Guéant du 31 mai 2011.
Tests ADN acceptés avec réticence.
Le principe de filiation en péril avec les tests ADN.

yartiFH2014121503 



http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/immigration-l-occasion-ratee-de-160843



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12 décembre 2014 5 12 /12 /décembre /2014 17:57

Le rapport des députés Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (UMP) sur la fin de vie a été remis le 12 décembre 2014 au Président de la République François Hollande. Il est disponible dans son intégralité sur Internet.


Cliquer sur le lien pour télécharger le rapoort Claeys-Leonetti (fichier .pdf) :
http://ddata.over-blog.com/0/56/25/34/rakotoarison/_RAPPORT-CLAEYS-LEONETTI_20141212_FIN-DE-VIE.pdf

 

SR

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21 octobre 2014 2 21 /10 /octobre /2014 22:54

Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie du 21 octobre 2014.


Cliquer sur le lien pour télécharger le rapport du CCNE (fichier .pdf) : 

http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/rapport_ccne_sur_le_debat_fin_de_vie_0.pdf

 

 

SR

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24 septembre 2014 3 24 /09 /septembre /2014 19:03

Que faire pour ne pas renouveler la cruauté ?
Sûrement pas négocier comme aux Accords de Munich.
Résister, mais comment ?


yartiGourdelHerve01Lorsque j’ai entendu la nouvelle de l’assassinat de l’alpiniste Hervé Gourdel, ce mercredi 24 septembre 2014 dans l’après-midi, la réaction, sans doute très commune, fut la profonde tristesse pour lui et ses proches, et la colère, contre ses tortionnaires islamistes.

Il y a un côté véritablement morbide à mettre sur la place publique la vidéo de sa mort. Les mots utilisés sont également morbides, "égorgé", "décapité", "exécuté"… il n’y a qu’un seul mot qui correspond à cet acte odieux : assassinat, "meurtre commis avec préméditation".

L’émotion n’est pas plus forte parce que la victime est française. Elle fut, en ce qui me concerne, la même lorsque j’ai appris le 22 août 2014 l’odieux assassinat trois jours auparavant du journaliste américain James Foley (40 ans), suivi de ceux du journaliste américain Steven Sotloff (31 ans) le 2 septembre 2014 et de l'engagé humanitaire britannique David Haines (44 ans) le 13 septembre 2014. Ce n’est pas une question de nationalité, ni de profession… c’est une question d’humanité dans son ensemble.

Ce n’est pas anodin que ces ravisseurs sans cœur tuent leurs otages comme s’il s’agissait d’animaux en élevage. Les nazis avaient déjà su déshumaniser leurs victimes pour les tuer en masse en évacuant tout scrupule de conscience morale.

C’est complètement dément. Le monde est fou, pourrait-on entendre au café du commerce. Car les ravisseurs ne sont pas forcément des personnes (des humains ?) si éloignées de leurs victimes. Certains viennent même d’Europe, voire de France. Le retour de trois djihadistes français de Turquie le même jour, le terrible couac qui aurait dû faire sauter le Ministre de l’Intérieur s’ils avaient fui la justice, montre que le cancer se développe au sein même des sociétés qui en sont les cibles.

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Hervé Gourdel, totalement en dehors de ces considérations géopolitiques, n’avait la malchance que d’être français au moment où la France venait de décider d’intervenir contre ces terroristes islamistes qui se sont érigés en supposé État lors de la prise de Mossoul le 10 juin 2014.

Le groupe islamiste qui a réalisé cet acte de barbarie, "Jund al-Khilafa", avait donné un ultimatum de vingt-quatre heures au gouvernement français pour cesser les frappes aériennes en Irak. Laurent Fabius avait immédiatement déclaré que la France refuserait de céder au chantage. Se soumettre, cela ne ferait qu’accroître le nombre d’enlèvements et d’assassinats.

Ce n’est évidemment pas le gouvernement français mais bien les ravisseurs qui sont responsables de la mort sauvage d’Hervé Gourdel.

Dans le siècle précédent, des terrorismes pas moins horrifiants, issus de l’anarchisme, puis du nazisme, puis du communisme, avaient ensanglanté le monde, et en particulier la France.

Ce nouveau terrorisme, qui s’est principalement développé depuis les attentats du 11 septembre 2001 (mais qui existait déjà depuis plusieurs décennies), se base prétendument sur une religion, l’islam, ce qui rend plus difficile la lutte contre lui car il ne s’agit pas de combattre l’islam mais le terrorisme. D’ailleurs, de hautes autorités morales de l’islam ont déjà réprouvé ces comportements cruels (comme Azzeddine Gaci, le recteur de la mosquée de Villeurbanne, ou Hassen Chalghoumi, l'imam de Drancy), mais leur voix mériterait d’être amplifiée et mieux entendue par ceux qui, esprits plus faibles, sont prêts à entendre les appels à tuer.

Il serait urgent de se pencher sur les motivations profondes des personnes qui décident d’aller rejoindre ces groupes terroristes islamistes et de massacrer des innocents de manière à la fois aveugle et complètement contreproductive (s’il s’agit de faire avancer une idée ou une cause). Le chômage, la précarité, les pertes de repère ne peuvent pas être les seules explications. Conséquence extrême d’une société poussée aux confins du consumérisme matérialiste et du profit ?

Les démocraties ne doivent pas lâcher, elles doivent continuer à prôner les droits de l’homme partout dans le monde. Elles doivent le faire en respectant tous les peuples, en séparant le politique du religieux qui doit rester dans la sphère purement privée, pour donner à chacun la place qui l’épanouirait. C’était d’ailleurs un peu dans ce sens que le Président des États-Unis Barack Obama s’était exprimé, ce 24 septembre 2014, à l’Assemblée générale des Nations Unies.

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Hervé Gourdel avait 55 ans. Il était guide de haute montagne à Saint-Martin-Vésubie, dans le Mercantour et organisait des stages depuis une vingtaine d’années dans l’Atlas marocain. Il a été enlevé le 21 septembre 2014 au début d’une randonnée en Algérie qui devait durer dix jours ; il voulait ouvrir une nouvelle voie dans le massif du Djurdjura. Passionné par la montagne, il était par ailleurs un photographe chevronné qui complétait son amour des paysages et des rencontres en les immortalisant lors de ses voyages. Il était allé entre autres au Vietnam, au Népal et en Jordanie.

Condoléances à ses deux enfants, son épouse, ses parents, sa famille, à ses amis et à tous les citoyens qui se sont mobilisés, pendant ces trois jours, pour le soutenir.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 septembre 2014)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Nouveau monde.
Le 11 septembre 2001.
Chaos vs complot.
François Hollande.

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http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/herve-gourdel-martyr-d-un-cancer-157209

 

 

 

 

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25 juin 2014 3 25 /06 /juin /2014 06:34

La vie de Vincent Lambert ne tient qu’à un fil, pas forcément celui qu’on croit : « Redonnons un peu de fraîcheur au mot de dignité, ne réduisons pas la dignité à la dignité d’apparence. (…) La dignité est le respect dû à la personne : ne touchez pas l’Intouchable ! » (Philippe Pozzo di Borgo).


yartiVLF01C’est ce mardi 24 juin 2014 à 16h10 que les dix-sept magistrats du Conseil d’État, par la voix de son Vice-Président (le plus gradé) Jean-Marc Sauvé, ont annoncé leur décision concernant la situation tragique de Vincent Lambert : ils ont donné tort au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et raison aux médecins du CHU de Reims qui voulaient arrêter le maintien en vie de Vincent Lambert.

Précisons déjà que le Conseil d’État, qui était censé se prononcer en quarante-huit heures en janvier 2014, avait préféré prendre toutes les précautions en commandant une expertise médicale ainsi que des avis provenant de hautes autorités, comme le Comité d’éthique, l’Académie de Médecine, l’Ordre des médecins et aussi le député Jean Leonetti, médecin et auteur de la loi du 22 avril 2005 qui porte son nom. De même, il a préféré impliquer dix-sept juges au lieu d’un seul ou de deux, considérant que ce sujet était grave et ne pouvait pas être traité à la légère ni sans collégialité.

Rappelons aussi que cette procédure très lourde (la plus haute autorité administrative de la France) fut le résultat d’un différent qui oppose depuis un an et demi la famille de Vincent Lambert, d’un côté son épouse, un frère, un neveu, et de l’autre côté, ses parents, un autre frère etc.

Craignant une décision défavorable, à la suite du réquisitoire du rapporteur général prononcé le 20 juin dernier, les parents ont décidé dès le lundi 23 juin, avant même de connaître la décision du Conseil d’État, de recourir en procédure d’urgence à la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci, saisie par les parents et deux frères et sœurs, a donné dès le soir de ce mardi 24 juin une réponse positive de recevabilité qui suspend la décision du Conseil d’État. L'hôpital est donc obligé de réalimenter Vincent Lambert et il est interdit de le faire sortir du CHU de Reims pour éviter qu'il n'aille en Belgique où l'euthanasie est légalisée (y compris pour les enfants !). L’instruction du dossier pourrait prendre entre six mois et trois ans. La partie adverse a beau évoquer la longueur de la procédure judiciaire, c’était pourtant bien elle qui avait refusé la décision du tribunal de Châlons-en-Champagne et qui avait recouru au Conseil d’État.


Quid des autres personnes en état pauci-relationnel ?

La prudence et la sagesse des hauts magistrats du Conseil d’État ne font donc aucun doute, mais néanmoins, leur décision m’interpelle et m’inquiète.

Certes, ils ont insisté, et c’est d’autant plus heureux que cela fera jurisprudence, que ce n’est pas parce qu’on est en état de conscience minimale que cela accorde le droit d’abréger la vie. Mais ce jugement va malgré tout inquiéter voire angoisser les familles et proches des 1 500 à 2 000 personnes qui sont, comme Vincent Lambert, en état pauci-relationnel.

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Quelle sera la réaction des secouristes et des médecins lorsqu’il faudra réanimer une personne accidentée si on se dit que finalement, la vie après réanimation ne vaut plus la peine d’être vécue ? Et plus généralement, quelle sera aussi l’impulsion des progrès de la médecine si finalement, face à un mal difficilement surmontable, ou du moins, inappréciable, on préfère abréger la vie à trouver d’autres approches, à chercher à soigner, traiter voire améliorer l’état de santé ? Quelles seront enfin les conditions de vie de ceux qui, souffrant du même type de lourd handicap, vivent quand même, et doivent être accompagnés dans les meilleures conditions et avec la solidarité soutenue de la nation ?


Pas seulement en "fin de vie"

La décision interpelle car le Conseil d’État vient de clairement élargir, sans vote par le législateur, l’application de la loi du 22 avril 2005 qui porte sur les droits des malades et la fin de vie dans un contexte qui n’est pas la fin de vie : Jean-Marc Sauvé a bien reconnu que la situation de Vincent Lambert ne relève pas d’une fin de vie. C’est un élargissement très inquiétant qui pourrait, à l’avenir, s’appliquer dans de multiples cas.

Le traitement médical "déraisonnable" et "inutile" peut aussi prêter à confusion. Contrairement à ce que des journalistes continuent à dire, Vincent Lambert n’est pas en "état végétatif" mais en état pauci-relationnel, et surtout, aucune machine n’est branchée sur le corps de Vincent Lambert, il n’y a donc pas à le "débrancher", car il est déjà "débranché" et vit malgré tout. Effectivement, Vincent ne pouvant ni bouger, ni manger, ni boire, a besoin de soins constants pour vivre mais on peut difficilement parler de "vie artificielle" ou alors, plusieurs centaines de milliers de personnes seraient dans ce cas (et à commencer par les nourrissons).

Le qualitatif "inutile" est également une appréciation complexe, puisque la question va jusqu’à dire si une vie est utile ou pas, dès lors que la personne n’est plus en fin de vie. Même si l’expertise explique qu’il n’y a guère d’espoir d’amélioration de son état, la réalité montre que l’éveil peut avoir lieu même contre tout espoir, parce qu’un corps humain est extrêmement complexe et que la médecine ne saisit pas la totalité de son fonctionnement. Le réveil inespéré d’Angèle Lieby que j’avais évoqué dans mon précédent article en est un exemple.


Le choix de la personne concernée ?

La seule réelle justification évoquée par Jean-Marc Sauvé, c’est la volonté supposée acquise de Vincent Lambert avant son accident. On peut penser en effet qu’il avait pu imaginer ce cas douloureux, parce qu’il était infirmier et qu’il avait même fait un stage sur les soins palliatifs. Il en aurait parlé à son épouse et à l’un de ses frères et rien ne permet, malgré ses parents, de mettre en doute leur témoignage, même si rien n’a été exactement fait selon la loi Leonetti, à savoir des directives anticipées par écrit et la désignation d’une "personne de confiance" (là encore, il paraît cohérent que l’épouse soit plus proche que le père ou la mère).

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Cela évoqué, cette volonté exprimée l’a été lorsqu’on est en bonne santé et pas en situation réelle. Or, il se trouve que beaucoup de personnes qui, jusqu’à l’accident tragique, refusaient de vivre dans des conditions "diminuées", ont finalement réussi à trouver un équilibre malgré leur lourd handicap et même ont trouvé un (autre) sens à la vie, notamment grâce à l’entourage qui les accompagne et à la sollicitude dont on leur fait preuve.

Cela pointe du doigt une véritable impossibilité : comment être sûr que Vincent Lambert, qui ne peut plus s’exprimer, du moins de façon intelligible pour son entourage, est toujours en accord avec sa volonté exprimée quand il était bien portant ?

Et cela donne aussi un autre éclairage : qui, dans ses humeurs, ne change pas ? Qui, dans le combat contre une grave maladie, ne passe pas par des périodes de doutes les plus pessimistes et par des périodes d’espoirs presque utopiques ? Devra-t-on accepter qu’un malade dépressif abrège sa vie parce qu’il ne croit plus en son traitement, peut-être seulement temporairement ?


Pas seulement des personnes malades

C’est justement ceci qui est inquiétant dans la décision du Conseil d’État : la loi Leonetti définit les conditions pour les malades et pour les personnes en fin de vie, et le Conseil d’État vient de dire qu’elle peut s’appliquer non seulement à des personnes qui ne sont pas en fin de vie, mais aussi à des personnes qui ne sont pas malades mais qui ont un très lourd handicap.

Les personnes qui ont un handicap peuvent aussi craindre les conséquences d’une telle décision du Conseil d’État.

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Philippe Pozzo di Borgo, qui s’est retrouvé tétraplégique à l’âge de 42 ans après un accident de parapente, et auteur d’un livre témoignage "Le Second Souffle" qui a servi de base au film "Intouchables", est particulièrement touché par cette affaire : « Si vous m’aviez demandé lors de mes quarante-deux ans de "splendeur", avant mon accident, si j’accepterais de vivre la vie qui est la mienne depuis vingt ans, j’aurais répondu sans hésiter, comme beaucoup : non, plutôt la mort ! Et j’aurais signé toutes les pétitions en faveur d’une légalisation du suicide assisté ou de l’euthanasie. Quel "progrès" ! Mais quelle violence faite aux humiliés, à la vie aux extrémités ; comme s’il n’y avait de dignité que dans l’apparence et la performance. La dignité, nous la trouvons dans le respect dû à toute personne, dans l’accompagnement avec tendresse et considération, dans l’acceptation de la fragilité inhérente à la création. Qu’il est surprenant d’adhérer à la lutte pour la survie des espèces menacées et de me la refuser ! Redonnons un peu de fraîcheur au mot de dignité, ne réduisons pas la dignité à la dignité d’apparence. (…) La dignité est le respect dû à la personne : ne touchez pas l’Intouchable ! » ("Ouest France" du 23 juin 2014).


La famille divisée

Par ailleurs, et Jean-Marc Sauvé ne l’a pas du tout évoqué dans son explication orale (je n’ai pas encore lu les dix pages de la décision), ce qui est choquant et ce qui rend cette "affaire" judiciaire difficile, c’est qu’il n’y a pas de consensus au sein de la famille. Or, cette absence de consensus doit faire bénéficier la solution la moins définitive, la moins irréversible. Réagissant à chaud à l’annonce de la décision, le neveu a déjà dit qu’il fallait que le médecin aille le plus vite possible avant d’attendre la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, tout en affirmant qu’il y a souffrance alors que rien n’indique que c’est le cas, et qu’il est capable de suivre du regard, de pleurer, et même de résister à l’absence de nutrition et d’hydratation pendant trente et un jours.

Le terme de "peine de mort" est fort mais il reste quand même dans la réalité de la décision. L’expression a été utilisée le 22 juin 2014 par l’ancien avocat général et célèbre blogueur Philippe Bilger, qui faisait ainsi part de son trouble : « Cette gêne, ce malaise perceptible du rapporteur public ne sont-ils pas ceux du citoyen ayant appris que d’une certaine manière (…), cet éminent représentant de la justice administrative avait tout de même "requis" la peine de mort de Vincent Lambert ? Les subtilités, pour tenter de dissimuler la nudité brutale de cette conclusion sous une apparence faisant de l’arrêt des traitements une mesure de salubrité humanitaire et médicale, comme s’il s’agissait d’un simple débranchement technique, ne sont pas très convaincantes et révèlent que, quoi qu’on en ait, il est dérangeant devant un souffle de vie prolongé, même réduit à sa plus simple expression, de souhaiter sa fin. (…) J’éprouve comme un effroi devant ce qu’avec la meilleure volonté du monde, le droit et la pitié mêlés, pourraient avoir comme conséquences négatives. Si, par exemple, la porte de cette affaire Lambert ouverte, on ne savait plus la refermer et si on abusait d’une forme de compassion qui trouverait toujours de quoi se justifier sur le plan médical et trop prompte à l’irréversible ? (…) Face à un tragique dilemme [au sein de la famille], il me semble que précisément la solution serait de trancher non pas en faveur de l’abolition mais, aussi terriblement limitée qu’elle soit, pour la vie. Sur les plateaux de la balance, ne serait-il pas prudent, dès lors qu’une contestation profonde oppose la famille et les proches de l’être dont le sort est en suspens, de privilégier l’attentisme sur l’un au détriment de l’irrémédiable ? ».


Et après, la Cour européenne des droits de l’homme ?

Rappelons que le jugement du Conseil d’État n’est que de nature administrative, c’est-à-dire, porte une appréciation sur l’interprétation des lois françaises et leur application.

Pour le court terme, Vincent Lambert va continuer à vivre le temps que la Cour européenne des droits de l'homme statue. Notons que la justice européenne, saisie de plus en plus, est un dernier recours pour les citoyens européens une fois que toutes les voies judicaires nationales ont été épuisées. Le débat risque donc de se déplacer de la France vers l'Europe.

La situation tragique de Vincent Lambert est très compliquée, les avis divergents sont tous à la fois cohérents et sincères, et la personne, bien malgré elle, s’est retrouvée au centre d’un débat public qui lui échappe (forcément) et qui porte sur une question fondamentale de notre société.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 juin 2014)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
La décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 (texte intégral de la déclaration de Jean-Marc Sauvé).
L'élimination des plus faibles ?
Vers le rétablissement de la peine de mort ?
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
François Hollande.
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national d’éthique.
Le CCNE refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.

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http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/le-verdict-du-conseil-d-etat-et-le-153701

 






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24 juin 2014 2 24 /06 /juin /2014 16:18

Dans une conférence de presse le 24 juin 2014 à 16h10, le Vice-Président du Conseil d'État Jean-Marc Sauvé a indiqué les raisons de la décision de demander l'arrêt du maintien en vie de Vincent Lambert.

Cliquer sur le lien pour télécharger la déclaration (fichier .pdf) :
http://www.conseil-etat.fr/2014-06-24-declaration-jean-marc-sauve.pdf


SR

 

 

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23 juin 2014 1 23 /06 /juin /2014 06:46

« Tout est noir. Je suis dans le noir. (…) J’ai beau regarder de toutes mes forces, je ne vois rien. Rien que ce noir profond. Ai-je les yeux ouverts ou fermés ? Je l’ignore. Que s’est-il passé ? Je l’ignore également. Je sais seulement que je ne suis pas seule : j’entends quelqu’un à côté de moi. (…) En fait, c’est comme si l’hôpital m’était tombé sur la dessus… C’est cela : comme s’il y avait eu un tremblement de terre, et que j’étais ensevelie sous des tonnes de décombres. » (Angèle Lieby, "Une larme m’a sauvée")



yartiVLE01Dans mon précédent article, j’ai utilisé une comparaison et des images peut-être un peu fortes, et je prie de m’excuser ceux que cela a pu choquer. Il est néanmoins un moyen d’alerter sur une réalité grave qui se joue en ce moment.

Se basant sur "la dégradation de l’état de conscience" et sur "l’irréversibilité de ses lésions", Rémi Keller, le rapporteur public du Conseil d’État, a en effet choisi de requérir le 20 juin 2014 contre le maintien en vie de Vincent Lambert. On pourra toujours donner toutes les terminologies à cette préconisation, comme l’a remarqué "Slate" le jour même, "se prononce contre le maintien en vie" ou "requiert la mort", le résultat est exactement le même, les mêmes conséquences : si les dix-sept magistrats du Conseil d’État, qui doit donner sa décision ce mardi 24 juin 2014 à 16 heures, suivaient cette préconisation, il adviendrait la mort effective de Vincent Lambert.

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Ce serait alors une première pour une juridiction de prononcer un jugement qui aurait une incidence directe sur la vie d’un être humain depuis l’abolition de la peine de mort. C’est un fait. Le Conseil d’État, qui composé pour beaucoup de ses membres d’énarques dont certains n’ont pas de formation juridique, et également, pour un quart de ses membres, de personnes nommées au tour extérieur par le Président de la République, est chargé de conseiller le gouvernement et de juger en dernier ressort de litiges administratifs, pas de décider de la vie ou de la mort d’un homme. Ce n’est pas son rôle. L’ENA n’apprend rien à ce sujet. Je doute qu’il y ait des conférence sur l’éthique (je peux me tromper).

Cela dit, le fait que ce "conflit" arrive au sein de l’une des plus hautes juridictions dy pays montre bien, également, qu’il n’y a pas de réponse évidente, toute faite, et que la décision est loin d’être acquise pour l’une ou l’autre des solutions à adopter.

Je me sens particulièrement concerné par cette tragique actualité, d’abord comme citoyen, parce que chaque citoyen doit se sentir impliqué dans ce qui va suivre, chacun peut se retrouver dans cette difficile situation, soi ou un de ses proches, et aussi pour des raisons personnelles qui n’ont pas à être exposées ici.

Dans mon précédent article, je présentais justement les craintes de nombreux proches de personnes victimes de traumatisme crânien qui vivent des situations similaires à celle de Vincent Lambert.


Vincent Lambert vit !

La décision du Conseil d’État, qu’on le veuille ou pas, fera jurisprudence et en cela, elle relève d’une extrême responsabilité (la grande richesse des contributions et les précautions prises montrent que les magistrats du Conseil d’État en ont pris heureusement toute la mesure). Il y a entre 1 500 et 2 000 personnes dans le même "cas" que Vincent Lambert… Au fait, quel est ce "cas" ? Un mot que je n’aime pas, tout comme je n’aime pas le mot "affaire" pour parler de Vincent Lambert qui est, avant d’être un "cas" ou une "affaire", une personne humaine. Il faut déjà remarquer qu’il n’y a pas deux "cas" identiques et chaque personne est unique, dans son handicap, dans sa faiblesse, dans son état.

S’il faut séparer un peu artificiellement les situations, Vincent Lambert n’est pas dans un "état végétatif" (expression en fait à proscrire) mais dans un "état pauci-relationnel", c’est-à-dire qu’il a une conscience minimale. Au contraire des personnes dans le coma, il n’est pas inconscient : il n’a pas de traitement médical lourd, il n’est branché à aucune machine, il est juste incapable de boire et de se nourrir tout seul, au même titre qu’il est incapable de se laver tout seul. Il reconnaît ses proches, il s’est même rendu au mariage de sa sœur. Enfin, lorsqu’on a tenté de le tuer, en le privant de nourriture et d’hydratation pendant trente et un jours en juin 2013, Vincent a pleuré.

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Le frère de Vincent Lambert, David Philippon, est sorti de sa réserve ce 23 juin 2014 pour demander de sauver son frère : « Je ne peux pas réaliser que les dix-sept juges peuvent statuer sur l'arrêt de l'alimentation sur le seul principe qu'il est handicapé. Vincent n'est pas un légume, c'est un être humain avec toute sa dignité. (...) Vincent sait ce qui se passe autour de lui. Il y a des moments où je ne ressens pas grand-chose et d'autres où il cherche votre présence. » (RTL).


Vincent n’est donc pas une "larve" ou un "légume" comme certains voudraient le faire croire. Il est un être humain doté de sens, d’émotion, avec de très lourds handicaps, avec de très lourdes déficiences, terribles à vivre. C’est une tragédie qu’il vit. Personne, évidemment, ne souhaite être dans la situation de Vincent Lambert, ni dans celle de ses proches, de la sa famille, qui vivent une tragédie sans nom.

Dr. Catherine Kiefer, chef du service des soins et réadaptation pour traumatisés crâniens à l’hôpital de Villeneuve-la-Garenne, a rappelé ceci : « Un patient en état pauci-relationnel est dans un état de conscience minimale. Cela veut dire qu’il a une certaine conscience de lui-même et de son environnement (…). En premier lieu, il fixe et suit les choses du regard. Deuxième point, il a un comportement.émotionnel adapté, comme sourire en voyant un proche. Troisième, il a des mouvements spontanés et volontaires dirigés vers un but. (…) Mais il faut insister sur le caractère unique de chaque patient. Il ne peut en aucun cas y avoir de réponse simple. Pour moi, ce sont de grands handicapés. Pas des légumes, ni des patients en fin de vie ! On peut interagir avec eux. Ils sont bien vivants, les familles les emmènent le week-end. » ("Nouvel Observateur", propos recueillis le 16 janvier 2014).


Obstination déraisonnable ?

La question à laquelle doit répondre le Conseil d’État, c’est de savoir si Vincent Lambert est en fin de vie et s’il y a une obstination déraisonnable à traiter une maladie. Mais Vincent Lambert n’a pas de maladie, il a un (lourd) handicap. Il n’est pas en fin de vie, il a un (lourd) handicap.

Le rapport de l’Académie nationale de médecine, daté du 22 avril 2014 et remis au Conseil d’État le 5 mai 2014 (n°375081) a insisté sur la réflexion suivante : « L’arrêt de vie, en réponse à une demande volontaire à mourir alors que la vie elle-même n’est ni irrémédiablement parvenue à son terme ni immédiatement menacée, ne peut être assimilée à un acte médical. ».

L’Académie a mis en garde contre une distinction de traitement entre des personnes qui ont retrouvé, à la suite d’un accident, une capacité relationnelle, aussi petite soit-elle, et celles qui ne l’ont pas retrouvée, car cela signifierait que ces dernières ne serait pas "en vie" mais "maintenue artificiellement en vie", ce qui reviendrait à redéfinir les critères de la mort. Elle a ajouté également : « Il ne saurait y avoir là, pour les médecins, quelque justification que ce soit à prendre l’initiative de transgresser l’interdit fondamental de donner délibérément la mort à autrui. ». En clair, le droit d’une personne à recevoir des soins (alimentation, hygiène, prévention des escarres etc.) ne doit pas être « subordonné à sa capacité relationnelle ».

La contribution du Comité d’éthique (CCNE) au Conseil d’État, datant du 5 mai 2014, est très documentée. Le Comité d’éthique a fait remarquer que la nutrition et l’hydratation n’était pas des traitements mais des soins : « La frontière entre traitements et soins est ici particulièrement floue : il s’agit aussi (…) de soins de support et d’accompagnement, de soins courants, tout simplement de soins humains premiers (que l’on songe ici à l’impératif obligation alimentaire qui lie culturellement et juridiquement les membres d’une même famille). ».

Le CCNE, qui a présenté les différents états de la conscience, coma, état "végétatif" chronique (qu’on appelle maintenant "état d’éveil sans réponse" pour éviter l’allusion peu respectueuse au "légume") et état de conscience minimale (la situation de Vincent Lambert), a aussi mis en garde sur ces subdivisions : « Malgré sa sophistication de plus en plus grande, la classification demeure très réductrice par rapport au continuum que constituent les altérations chroniques de la conscience. Une absence de preuve détectable de conscience ne constitue pas une preuve de l’absence de conscience. ».

Une continuité que n’a pas partagée Jean Leonetti, l’auteur de la loi du 22 avril 2005, dans sa propre contribution remise le 29 avril 2014 au Conseil d’État, qui a évoque « une véritable discontinuité entre un handicap physique ou mental si important soit-il, et une altération profonde et définitive de la conscience ».


Le degré de conscience ne doit pas être un critère

Les trois experts médicaux en neuroscience qui ont rendu leur rapport au Conseil d’État en fin février 2014, les professeurs Marie-Germaine Bousser, Lionel Naccache et Jacques Luauté, ont expliqué que Vincent Lambert a manifesté des « réactions aux soins » mais qu’il « n’était pas possible » de savoir si c’était « l’expression d’une intention ou d’un souhait à l’égard de l’arrêt ou de la prolongation » des soins. Il a juste montré une volonté très tenace de vivre lorsqu’on a cherché à arrêter son alimentation et son hydratation l’an dernier.

Les trois experts ont souligné : « Dans une telle situation et en absence de directives anticipées et de personne de confiance, le degré d’atteinte de la conscience ne saurait constituer le seul élément déterminant de la mise en route d’une réflexion concernant un éventuel arrêt de traitement. ». Or, le rapporteur public du Conseil d’État a oublié de prendre en compte cette dernière réflexion en disant que « maintenir un état dégradé et irréversible entrait dans le champ de l’acharnement thérapeutique ».


Aucun consensus dans la famille

L’autre question qui est cruciale, c’est la nécessité d’un consensus au sein des proches. Vincent Lambert n’avait émis aucune "directive anticipée" ni désigné aucune "personne de confiance" (au sens de la loi du 22 avril 2005) pour donner raison plus à son épouse qu’à ses parents et à son frère, ou l’inverse.

Lorsqu’il n’y a pas l’unanimité au sein d’une famille, il paraît indispensable que le maintien en vie soit décidé au bénéfice du doute. S’il n’y a pas consensus, cela veut dire que la décision (du maintien en vie ou pas) ne va pas de soi, pose problème (d’où cette issue judiciaire d’ailleurs). Cela veut dire que la situation est complexe et nuancée.


La médecine n’est pas prédictive

La médecine est bien incapable de prédire l’avenir et d’autres situations "inespérées" ont déjà existé dans le passé.

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Par exemple, Angèle Lieby qui s’est évanouie sans raison et qui s’est retrouvée dans le coma à Strasbourg. Les médecins ne lui donnaient plus aucun espoir de réveil et son mari avait même déjà choisi le cercueil. C’est grâce à une larme qui a coulé le long de sa joue qu’elle a pu être sauvée de justesse, car on voulait la "débrancher" (Vincent Lambert est dans un "meilleur" état qu’elle ne l’était, puisqu’il vit sans machine). Après un très long réveil, elle a publié le 1er avril 2012 un livre de témoignage avec un journaliste pour raconter son histoire ("Une larme m’a sauvée", Arènes éditions). Que dire aussi de Michael Schumacher ? Que sait la "médecine" à son sujet ? Qui peut avoir la prétention de prédire l’avenir ?

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Dans plusieurs fictions, le sujet a été traité par quelques cinéastes. Je cite deux films, qui n’ont que peu de choses à voir avec la situation de Vincent Lambert si ce n’est la situation de handicap ou la situation de non-conscience. "La Vie rêvée des anges" avec Élodie Bouchez et Natacha Régnier, réalisé par Érick Zonca, sorti le 16 septembre 1998, où une jeune fille se retrouve dans le coma sans famille et c’est finalement l’une des héroïnes qui va venir la visiter régulièrement, presque comme si c’était inutile… mais pas tout à fait.

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Il y a aussi "Intouchables" avec François Cluzet et Omar Sy, réalisé par Éric Toledano et Olivier Nakache, sorti le 2 novembre 2011. Évidemment, il n’y a pas de problème de conscience et c’est plus la situation de handicap en général qui est traité mais elle est traitée de manière réaliste, intéressante, en montrant qu’une personne qui a un handicap est d’abord une personne avant d’être "un handicap", et que chacun a le droit à vivre le plus normalement possible.


Accepter la vie, même celle hors norme

Un documentaire qui a été récemment diffusé sur France 3 sur Jacques Chirac et la Corrèze montrait également le souci, plus humain qu’électoral, de Jacques Chirac, dès son implantation en 1967, pour les personnes qui ont un handicap. Il visitait toutes les fermes de sa circonscription, constatait parfois qu’il y avait dans la grande salle commune une personne handicapée, à l’ombre, au fond, elle était certes nourrie et logée mais elle n’avait aucune vie sociale, était cachée de la société. Jacques Chirac allait alors vers elle, la touchait très chaleureusement des mains et a cherché à ce que toutes les personnes puissent avoir une vie sociale la plus ouverte possible.

Accepter tous les êtres humains, qui ont une vie parfois très diminuée, très affaiblie, est un véritable devoir dans une société avancée. La médecine permet aujourd’hui de réduire au maximum la souffrance physique quand elle est détectée. Il ne s’agit pas d’acharnement à maintenir la vie coûte que coûte, la loi Leonetti du 22 avril 2005 est très claire sur les conditions qui permettent de refuser un traitement déraisonnable et inutile, et c’est heureux, mais il s’agit surtout d’accepter les personnes qui, même si elles ne semblent plus en mesure de communiquer, ne sont pas des personnes en fin de vie mais des "victimes de la vie moderne", selon l’expression de l’Académie de médecine.

Président de la Fondation Jérôme-Lejeune qui finance une grande part de la recherche thérapeutique sur la trisomie 21 et magistrat à la Cour des Comptes, Jean-Marie Le Méné s’est inquiété de cette évolution de la société : « Vincent Lambert n’est pas en fin de vie. Qui peut dire le contraire ? Qui prétend savoir ? Quelle minorité veut encore imposer sa loi à une majorité ? Nous sommes en train de bâtir une société totalement inhumaine où la vie est un matériau à gérer et où la vie gênante est un matériau à jeter. Vincent a le droit de vivre et la société a le devoir d’aider sa famille. » ("Direct Matin" du 20 juin 2014).

Directeur de l’Espace éthique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Emmanuel Hirsch a insisté, lui aussi, pour que la société n’aille « pas condamner à mort certaines formes de vie » et a sorti le 20 juin 2014 dans "Huffington Post" cette expression terrible, que la vie de Vincent Lambert pourrait « être abrégée sur décision administrative » en ajoutant : « L’existence d’une personne ne saurait se justifier ou se contester à l’aune d’une appréciation complexe de son état de conscience même dite minimale. ».

Ce que disait l’UNAFTC que j’avais cité précédemment : « Vincent Lambert n’est pas en fin de vie. Il n’y a pas de dégradation de ses fonctions vitales. Il vit. Une vie différente, à la mesure de son handicap. ». L’avocat de l’UNAFTC, François Molinié, n’a pas hésité à poser certaines questions : « Quel signal allez-vous donner à toutes ces familles, à tous ces soignants, qui s'occupent de patients qui, comme Vincent, ne donnent pas de preuves de conscience ? Que leurs soins, que leur amour, ne servent à rien ? À la douleur d'une vie brisée devrait maintenant s'ajouter pour eux la peur d'une mort programmable ? » (20 juin 2014).

Même réflexion pour Fabrice Madouas, rédacteur en chef chez "Valeurs actuelles" : « Vincent Lambert n’est pas un "cas d’espèce". La décision du Conseil d’État engage le sort de 1 700 patients qui sont dans un état semblable. » (Twitter le 21 juin 2014).


"Matériau à jeter" ?

Profitant de l’actualité sur Vincent Lambert et également du procès de l’urgentiste Nicolas Bonnemaison depuis le 11 juin à la cour d’assise de Pau, la Ministre des Affaires sociales Marisol Touraine a annoncé le 20 juin 2014 qu’un projet de loi sur l’euthanasie serait présenté en décembre 2014.

Elle a confié le lendemain à Alain Cleys, député-maire de Poitiers qui fut également le rapporteur de la commission sur l’affaire Cahuzac (qui s’était soldée par une absence de responsabilité du gouvernement mais aussi la désapprobation de cette conclusion par son président Charles de Courson), et à Jean Leonetti une mission à dont le rapport serait à rendre avant le 1er décembre 2014 sur le sujet de la fin de vie avec trois priorités : « assurer le développement de la médecine palliative, mieux organiser le recueil et la prise en compte des directives anticipées, définir les conditions et les circonstances précises dans lesquelles l’apaisement des souffrances peut conduire à agréger la vie dans le respect de l’autonomie de la personne. ». C’est risquer d’ouvrir un nouveau "front" de clivage dans un pays à la cohésion sociale déjà très fragile.

Emmanuel Hirsch (déjà cité), lui, ne serait pas opposé à une clarification législative si la loi du 22 avril 2005 était appliquée à la situation de Vincent Lambert « de telle sorte qu'on évite, une fois pour toutes, de ramener à des procédures d'exception les quelques circonstances extrêmes et complexes de fin de vie dont on estime qu'à elles seules elles justifieraient de repenser nos principes démocratiques ».

Il s’est en effet inquiété d’une inévitable jurisprudence qui s’appliquerait à de très nombreuses autres situations : « Dans l'inventaire qu'on pourrait dresser, dès à présent, des controverses alimentées par un esprit partisan, instrumentalisant la réflexion éthique à des fins idéologiques, apparaît de toute évidence une forme de négligence, de renoncement, pour ne pas dire de violence au regard des vulnérabilités humaines qui défient nos certitudes et interpellent nos responsabilités politiques. Il s'agit là d'un signe de plus qui inquiète dès lors qu'il révèle, lui aussi, une conception délétère des valeurs que porte une certaine idée de la démocratie. Déjà les proches de personnes malades ou handicapées, des professionnels se demandent douloureusement de quelle manière sera compris, après une telle sentence, leur engagement profond auprès de personnes vulnérables. Celles-là mêmes, alors qu'elles vivent déjà une précarité existentielle qui les incite parfois à douter de tout, sont de surcroît menacées, dans leur existence, par des disputations et des jugements parfois sommaires auxquels on ne survit pas. Ces controverses qui semblent dévoyer un principe de précaution appliqué sans autre forme à la gestion administrative d'une décision de fin de vie, défigurent progressivement l'image même de la personne humaine, abolissent ces expressions de la sollicitude et de la solidarité qui constituent le fondement même du respect de l'autre et du vivre ensemble. (…) Au-delà de sa personne et de ses proches auxquels je tiens à exprimer ma sollicitude, d'autres éprouveront, si elle est confirmée dans le sens de l'argumentation présentée par son rapporteur public, la décision du Conseil d'État comme une insulte à l'égard de la relation qu'ils maintiennent, au nom de valeurs respectables, avec une personne y compris entravée dans ses capacités relationnelles. Il sera demain plus délicat encore, de faire valoir la signification d'approches humaines, sensibles au quotidien d'existences malades fragiles, démunies de toute capacité d'exprimer la moindre revendication, ainsi affaiblies dans leur légitimité par une décision qui fera non seulement jurisprudence mais sera transposée à d'autres circonstances pourtant totalement différentes. » (20 juin 2014).

Refuser le maintien en vie des plus faibles, de ceux qui ne peuvent pas se défendre, qui ne peuvent pas crier, c’est construire un monde de plus en plus eugénique, où toute imperfection serait bannie, toute situation hors norme, toute situation différente et inconnue, serait rejetée, n’aurait plus sa place dans un monde qui cherche avant tout la rentabilité et le profit. Que ce soit l’État, protecteur, par l’une de ses instances suprêmes, qui y contribuerait créerait un précédent choquant.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 juin 2014)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
Vers le rétablissement de la peine de mort ?
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
François Hollande.
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national d’éthique.
Le CCNE refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de Valence ?

L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.

Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.

yartiVLE09


 

 

http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/l-elimination-des-plus-faibles-153645

 

 

 

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20 juin 2014 5 20 /06 /juin /2014 11:52

En confondant dépendance extrême et fin de vie, le rapporteur public du Conseil d’État vient de recommander une position grave qui remettrait en cause une des priorités fondamentales de l’État qui est de protéger les plus faibles. Une association représentative des familles de ces personnes si particulières disait pourtant : « [Vincent Lambert] n’est pas en fin de vie : il est dans une situation de handicap sévère et de complète dépendance mais son pronostic vital n’est pas engagé à court terme par une pathologie d’évolution terminale. » (10 février 2014).


yartiVincentLambertDD01La décision du Conseil d’État réuni en audience publique ce vendredi 20 juin 2014 était très attendue sur la situation de Vincent Lambert, un infirmier de 38 ans qui est dans un état pauci-relationnel depuis un accident de la circulation le 29 septembre 2008. Elle ne sera en fait prise et annoncée que dans quatre jours.

J’ai déjà évoqué plusieurs fois cette situation à la fois juridique (pourquoi est-ce la justice administrative qui doit se prononcer sur un sujet aussi important ?) et éthique (les implications sur la société française).

Je ne doute pas que les juges administratifs aient pris toute la conscience de leurs lourdes responsabilités et je ne peux que me réjouir de leur exceptionnelle prudence en prenant cinq mois pour apporter la conclusion de leur réflexion.

Cependant, encouragé par son rapporteur public qui a recommandé purement et simplement la mort de Vincent Lambert, le Conseil d’État pourrait donner raison mardi prochain à l’hôpital qui voulait arrêter le maintien en vie. À savoir, cesser tout alimentation et toute hydratation, avec un accompagnement médical pour éviter toute souffrance.

Ce serait alors la première fois en France qu’une instance juridique, et pas n’importe laquelle, le Conseil d’État, pourrait prononcer la mort d’un homme depuis l’abolition de la peine de mort en 1981. Ce serait sans précédent et ce serait un retour scandaleux de la peine de mort par la petite porte, celle qui se ferait accepter moralement, sous faux prétexte de dignité.

Ce type de décision serait d’autant plus scandaleux qu’elle ne serait même pas prononcée par un juge pénal mais seulement administratif dont les questions de vie et de mort ne devraient, a priori, pas être de ses compétences qui sont plus particulièrement matérielles (et aussi civiles).

Cette décision, si elle était prise mardi et si aucun recours auprès des instances judiciaires européennes n’était décidé, créerait un précédent très menaçant pour tous les malades qui seraient incapables de se défendre car incapables de communiquer de manière claire à leur entourage.

yartiVincentLambertD02

Je propose ici de donner un point de vue peu écouté mais néanmoins très bien informé de cette situation, celui de l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés (UNAFTC), une association qui a été créée en 1986 et qui regroupe 53 associations de familles directement concernées, 91 établissements et services dédiés à l’accueil des personnes cérébro-lésés et 40 groupes d’entraide mutuelle.

Dans son communiqué du 4 juin 2014, l’UNAFTC présidée par Émeric Guillermou, avait insisté pour rappeler quelques évidences, notamment que la dépendance "extrême" (alimentation et hydratation artificielles) n’avait rien à voir avec une fin de vie et qu’assimiler les deux sujets, comme semble le faire aujourd’hui le Conseil d’État, c’est revenir aux temps les plus obscurs où les plus faibles sont éliminés au lieu d’être aidés et soutenus par la société.

Ce qui était il y a encore peu de temps une hérésie morale (tuer les plus faibles) risque de devenir aujourd’hui réalité, sur la pression médiatique des militants de l’euthanasie active et aussi, car personne ne peut exclure cet élément dans la réflexion, sur la pression économique qui font que ces malades, "improductifs" (mais sont-ils les seuls ?), représentent un coût élevé pour un État quasiment en faillite.

Cette association, inquiète, a rappelé en effet : « Les personnes en état végétatif chronique ou pauci-relationnel ne sont pas en fin de vie. Ce sont des personnes handicapées en situation de dépendance extrême, privées des moyens conventionnels de communication. Elles requièrent une prise en charge au long cours par des unités spécialisées tells que décrites par la circulaire du 3 mai 2002. Ces dernières doivent être adossées à des services de soins de suite et réadaptation. La proximité avec une unité de soins palliatifs est source de confusion. ».

Et, prenant appui sur les avis du Comité consultatif national d’éthique et de l’Académie nationale de Médecine, elle conclut sur un aspect essentiel : « Le niveau de conscience ne peut, à lui seul, motiver la mise en œuvre d’une procédure d’arrêt de traitement. ».

Le 10 février 2014, l’UNAFTC avait déjà expliqué ceci : « Quand les soins ont été poursuivis et qu’après cette phase initiale, l’état des patients s’est stabilisé de façon durable, nous pensons que la limitation thérapeutique, pour les personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel, ne devrait s’envisager que dans les périodes critiques ou de décompensation où leur vie pourrait se trouver maintenue par des traitements que l’on pourrait alors qualifier d’obstination déraisonnable. La loi Leonetti a pour nous bien encadré la procédure de décision qui est acceptable par tous quand elle repose sur un consensus entre les professionnels qui le suivent et la famille. L’absence de ce consensus conduit là aussi à des impasses, des drames familiaux et des procédures judiciaires qui traumatisent tout le monde. ».

Et elle poursuivait : « Il n’est pas normal que la question de l’obstination déraisonnable se pose pendant ces phases de vie où les fonctions vitales sont en équilibre, même si cela nécessite le recours à une alimentation et une hydratation administrées artificiellement. Dans les affaires où la question de leur interruption s’est posées, cette demande était sous-tendue par un épuisement des accompagnants et des désaccords familiaux qu’on a demandé à la justice d’arbitrer. Il est choquant que la mort soit alors provoquée par dénutrition et déshydratation, ce qui a pour nous quelque chose d’inhumain. Certaines familles redoutent qu’on en arrive à envisager, pour des raisons de rationalité économique, de supprimer les bouches inutiles. ».

L’UNAFTC est également assez réservée sur les directeurs anticipées : « Le problème, c’est qu’elles reposent sur une projection et une représentation qui peuvent être complètement différentes lorsqu’on est en situation. Elles constituent pour nous une indication sur ce que la personne aurait pu souhaiter, mais il nous semblerait dangereux de les rendre opposables sans rechercher par tous les moyens possibles une revalidation par la personne elle-même. ».

Déjà il y a quatre mois, elle mettait en garde sur la confusion entre l’état végétatif et la fin de vie : « [Ces] personnes (…) sont des personnes en situation de dépendance extrême mais elles ne sont pas en fin de vie. Une fois passée la période de réanimation où le pronostic vital est engagé à chaque minute et où la question des traitements raisonnables peut légitimement se poser, elles vivent tout simplement, et parfois très longtemps. ».

L’association s’était alors posée beaucoup de questions sur le soutien que devait leur apporter la société : « Comment sont-elles considérées, que fait-on pour favoriser l’émergence d’interactions avec l’environnement, aussi modestes soient-elles ? Quelle est la place de l’entourage ? Quel est le sens de cet accompagnement pour les professionnels ? Comment prévient-on l’épuisement des équipes ? Qu’est-ce qui fait sens et les reconnaît comme des personnes humaines ? ».

L’UNAFTC avait insisté : « Contrairement à une idée répandue, le sens n’est pas uniquement tributaire des moyens et des ressources : il est d’abord conditionné par les représentations que nous avons de leur situation et le regard que l’on porte sur elles. Beaucoup de choses simples font sens pour les familles et leur entourage et elles passent par un nursing irréprochable, une attention portée à la présentation physique et la tenue, des temps au fauteuil suffisants qui permettent de quitter la chambre quand on leur rend visite, à chaque fois que leur état leur permet. Dans un environnement favorable, les personnes traumatisées crâniennes accèdent le plus souvent à un état pauci-relationnel qui vient nourrir la relation avec l’entourage et les professionnels et donner un support objectif à la relation qu’on s’efforce d’entretenir. Nous aimerions que le débat se déplace un peu sur ces questions liées à leurs conditions de vie et à leur projet de vie, plutôt que de ne s’intéresser à ces personnes que lorsqu’un contentieux touchant à la fin de vie constitue un scandale national. ».

Ce sont toutes ces questions dont le législateur devrait aujourd’hui se saisir, et de toute urgence car il y a des centaines de milliers de situations de ce genre. Conscient de cette évolution de la société dont l’espérance de vie ne cesse de croître, le Président Nicolas Sarkozy avait voulu rajouter un cinquième pilier de protection sociale en finançant la perte d’autonomie et la dépendance. La situation financière de l’État et le taux de prélèvements obligatoires déjà très élevé avaient abouti à l’abandon de cette réforme urgente qui, pourtant, concerne tous les citoyens qui, comme patients ou comme accompagnants, seront amenés de plus en plus à se confronter à ce problème un jour ou l’autre.

Enfin, l’UNAFTC avait pointé du doigt ce débat qui est avant tout éthique : « En l’absence de processus fatal à court terme (…) et de traitement relevant de l’obstination déraisonnable (…), l’euthanasie ne peut s’appréhender que sous l’angle d’une vie qui ne vaudrait plus la peine d’être vécue : quelle instance ou quelle juridiction pourrait arbitrer cette question du sens de la vie ? (…) Qui pourra juger à leur place de l’inutilité de cette vie ? ».

Dans sa décision n°353172 du 16 novembre 2011, le Conseil d’État rappelait pourtant ce droit non négociable à la vie : « Le droit au respect de la vie, rappelé notamment par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. ».

Le Conseil d’État rendra sa décision le mardi 24 juin 2014 à 16h00.

Cette date risquerait d’être un triste jour pour la France : son instance administrative suprême pourrait en effet rétablir subrepticement la peine de mort pour une personne qui n’est pas en fin de vie, et cela mettrait alors en danger des centaines de milliers de personnes en état de dépendance suprême.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 juin 2014)
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Pour aller plus loin :
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
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Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
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