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25 octobre 2018 4 25 /10 /octobre /2018 03:30

« Cette musique de Bizet me paraît parfaite. Elle approche avec légèreté, avec souplesse, avec politesse. (…) Cette musique est cruelle, raffinée, fataliste : elle demeure quand même populaire. (…) Bizet me rend fécond. Le Beau me rend toujours fécond. » (Friedrich Nietzsche, mai 1888).


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"Le Mystère Bizet" est un spectacle musical écrit et interprété par Éric-Emmanuel Schmitt qui fut créé le 10 octobre 2012 à l’Opéra Bastille, au cours duquel le normalien et agrégé de philosophie s’interroge sur ce musicien hors normes : « Jusqu’ici, Bizet a perdu son temps parce qu’il voulait triompher en faisant comme les autres ; il ose maintenant réussir comme lui-même. ». Trois mois avant sa mort, le génie se sublima : « "Carmen", c’est l’opéra dont Nietzsche a écrit le livret et Mozart la musique. ». Ou encore : « "Carmen, en effet, est le surhomme nietzschéen, le fort, innocent, cruel, sans attaches au passé, dépourvu d’appréhensions concernant l’avenir, l’être solaire qui s’affirme totalement dans l’instant. Carmen brûle, se consume et nous éclaire. Elle s’offre au destin. Mieux : elle incarne le destin. » (Le texte d’Éric-Emmanuel Schmitt a été publié le 2 novembre 2017 chez "Le Livre de Poche" dans "Mes Maîtres de bonheur").

Né il y a exactement cent quatre-vingts ans, le 25 octobre 1838 à Paris, Georges Bizet fut l’un des grands compositeurs français du XIXe siècle et parmi ceux que j’adore écouter. J’ai découvert vraiment Bizet enfant quand j’ai récupéré un vieux coffret de "musiques de chambre" (datant peut-être des années 1950, ou avant ?) que mes grands-parents m’avaient gentiment laissé à l’occasion d’un déménagement, et j’ai profité d’être seul un été pour écouter tous les disques, de la musique très "connue", dont "L’Arlésienne" et "Carmen" de Bizet. La première œuvre, deux suites orchestrales, nous l’avons d’ailleurs utilisée au lycée pour une pièce de théâtre collective en classe de grec (projet qui n’a pas abouti à une représentation en fin d’année car nous étions vraiment trop mauvais !).

Le génie et le talent sont-ils toujours liés à la précocité et au drame ? Georges Bizet a composé beaucoup d’œuvres musicales, une dizaine d’œuvres lyriques (opéra, opérette, opéra-bouffe), une dizaine d’œuvres orchestrales (dont trois symphonies), une dizaine de mélodies (qu’on pourrait appeler des chansons voire des tubes dans le monde moderne de maintenant), une petite dizaine d’œuvres pour chorale, encore une autre petite dizaine d’œuvres pour piano, etc. C’est déjà beaucoup, et pourtant, il les a composées rapidement car sa vie a été courte.

En effet, il est mort à l’âge de 36 ans (comme Mozart, à quelques mois près) le 3 juin 1875 à Bougival, d’un infarctus à la suite d’une rupture d’anévrisme qu’il a eue un peu avant en assistant à une représentation de son chef-d’œuvre, "Carmen". Il fut enterré au Père-Lachaise. On pourrait presque dire qu’il est mort de son œuvre, ulcéré par les critiques qui pleuvaient depuis trois mois. Son fils Jacques Bizet, futur médecin et futur ami de Proust, n’avait alors pas encore 3 ans.

Ces dernières années, il a fallu une campagne de financement participatif (ayant déjà récolté plus de 1,1 million d’euros de dons) pour que les amis de Bizet (dont Placido Domingo qui préside Europa Nostra, fondation pour le patrimoine européen) aient pu sauver (et racheter) la maison du compositeur à Bougival en 2017 et en faire un centre culturel (contrairement à la maison du compositeur Pierre Henry). Cette maison, où il a composé son chef-d’œuvre, Bizet l’avait acquise en 1874 et était voisine de celles de la peintre Berthe Morisot et de l’écrivain Ivan Tourgueniev.





Fils d’un professeur de chant et d’une pianiste, neveu d’un spécialiste de Christoph Gluck (1714-1787), qui fut un grand compositeur allemand d’opéra, Georges Bizet a appris très jeune le piano et le chant, entra au conservatoire à 9 ans et a obtenu deux premiers prix de piano, à 12 ans et à 13 ans. Il a appris la composition avec le même professeur que Charles Gounod (1818-1893), a obtenu deux premiers prix d’orgues et de fugue à 15 ans et 16 ans. Ce professeur de composition, Jacques Fromental Halévy, il se maria avec sa fille quelques années après la mort de ce beau-père posthume, épouse qui le quitta un peu plus tard avec leur fils en raison des nombreuses infidélités conjugales.

Et il continua à surprendre tout le petit monde musical par ses premières œuvres, pas sa première symphonie qu’il composa à 16 ans (car on ne l’a retrouvée qu’en 1933), mais pson opérette "Le Docteur Miracle" créée le 9 avril 1857 aux Bouffes-Parisiens (il n’avait que 18 ans) qui a été récompensée par le premier prix du concours d’opérette, puis sa cantate "Clovis et Clotilde", qui lui a valu le Grand prix de Rome de composition musicale à l’âge de 19 ans. Ce dernier prix lui a permis de résider pendant trois ans dans la prestigieuse Villa Médicis où il s’est inspiré du contexte italien pour imaginer plus tard "Carmen".

Bizet rentra ensuite en France pour composer de nouvelles œuvres tout en assurant de l’enseignement. Son opéra "Les Pêcheurs de perles" est un succès dont Berlioz fit l’éloge le 8 octobre 1863, ce qui contribua à construire sa réputation. Cependant, malgré les succès de ses compositions, elles ont eu peu de représentations et le compositeur devait travailler beaucoup sur des activités sans intérêt pour lui (enseignement, etc.) pour faire vivre son foyer.

Mais, présentons plutôt quelques-unes de ses œuvres…


1. "Carmen" (1875)

C’est la principale œuvre de Bizet, la plus connue, et surtout l’un des opéras les plus joués au monde. Son livret a été rédigé par Henri Meilhac et Ludovic Halévy, neveu du beau-père, qui étaient déjà les auteurs des livrets d’œuvres célèbres d’Offenbach comme "Ba-ta-clan" (1855) sans Henri Meilhac, "La Belle Hélène" (1864), "La Vie parisienne" (1866), "La Périchole" (1868), etc. : « L’amour est enfant de Bohême, il n’a jamais, jamais connu de loi. ».

Cette commande du Théâtre national de l’Opéra-Comique a été composée en trois mois à Bougival. Bizet assista à toutes les répétitions et harcelait les chanteurs qui devaient bouger sur scène. La création de "Carmen" a eu lieu le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique sous la direction d’Adolphe Deloffre (on a soupçonné celle qui a joué le rôle de Carmen, Célestine Galli-Marié, d’avoir eu une liaison amoureuse avec Bizet), et ce fut un désastre. L’interprétation des musiciens était mauvaise mais surtout, l’histoire de Carmen (inspirée d’une nouvelle de Prosper Mérimée) a scandalisé le petit monde la musique, le public, les critiques, etc. Le directeur de l’Opéra-Comique fut affligé : « C’est de la musique cochinchinoise ; on n’y comprend rien ! ». Le journal "Le Gaulois" ne fut pas moins assassin : « Monsieur Bizet appartient à l’école du civet sans lièvre ; il remplace par un talent énorme et une érudition complète, la sève mélodique ! ».

Mais le triomphe mondial a eu lieu quelques jours après sa mort à l’Opéra de Vienne. Brahms, Tchaïkovski, Wagner et Nietzsche furent complètement séduits par ce qui allait devenir l’œuvre lyrique parmi les plus connues au monde. Le chef d’orchestre Jean-Claude Casadesus a raconté l’œuvre : « Le premier coup de cymbales de l’ouverture contient toute la fulgurance d’un rayon de soleil acéré mais il fait luire aussi la pointe menaçante d’un couteau brandi. Le ton est donné. L’urgence est là. Elle conduit d’une façon implacable à la finalité de l’ouvrage, la fatalité de la mort. » (1994).

Après Célestine Galli-Marié, de nombreuses cantatrices ont chanté "Carmen", notamment Maria Callas, Régine Crespin, Teresa Berganza, Elina Garanca, Jessye Norman, etc.






2. "L’Arlésienne"

"L’Arlésienne" est une œuvre orchestrale qui fut ensuite adaptée en deux suites symphoniques, inspirée par Alphonse Daudet et créée le 1er octobre 1872 au Théâtre du Vaudeville. Ce fut un grand succès populaire.

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La première suite fut créée le 10 novembre 1872 au Cirque d’hiver sous la direction de Jules Pasdeloup, et la seconde suite fut adaptée après la mort de Bizet par son ami Ernest Guiraud, en 1879.






3. "Les Pêcheurs de perles"

"Les Pêcheurs de perles" est un opéra créé le 30 septembre 1863 au Théâtre-Lyrique, sur un livret de Michel Carré et Eugène Cormon. Malgré la réticence des critiques, Berlioz, comme le public, fut conquis par « un nombre considérable de beaux morceaux expressifs pleins de feux et d’un riche coloris » ("Journal des Débats" du 8 octobre 1863).






4. "La Jolie Fille de Perth"

"La Jolie Fille de Perth" est un opéra créé le 26 décembre 1867 au Théâtre-Lyrique, sur un livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Jules Adenis.






5. Symphonie en ut majeur

La Symphonie en ut majeur fut composée en 1855, la première œuvre musicale de Bizet (il avait 16 ans), qui ne fut retrouvée qu’en 1933. Elle fut créée le 26 février 1935 à Bâle sous la direction de Felix Weingartner.






6. Symphonie "Roma" ("Fantaisie symphonique : Souvenirs de Rome")

La Symphonie "Roma" est une pièce qui fut créée le 28 février 1869 à Paris sous la direction de Jules Pasdeloup et que Bizet a mis une dizaine d’années à composer.






7. "Jeux d’enfants" opus 22

"Jeux d’enfants" est une suite de douze pièces pour piano à quatre mains composée en 1871.






Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Georges Bizet.
George Gershwin.
Maurice Chevalier.
Leonard Bernstein.
Jean-Michel Jarre.
Pierre Henry.
Barbara Hannigan.
György Ligeti.
Claude Debussy.
Binet compositeur.
Pierre Boulez.
Karlheinz Stockhausen.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181025-georges-bizet.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/le-mystere-bizet-208962

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/10/25/36810090.html

 

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20 octobre 2018 6 20 /10 /octobre /2018 04:22

« Les vertus ne viennent-elles pas au secours de l’homme pour éviter le pire, précisément, afin qu’il puisse vivre en harmonie avec ses semblables ? J’irai jusqu’à vous confier que, parmi celles-ci, qui s’épaulent et s’enrichissent mutuellement, je placerai au premier rang l’humilité, pierre de touche, à mon sens, de toutes les autres vertus : en découlent la charité (…), le courage (…), l’espérance, et autres petites sœurs… Toutefois, c’est l’une d’elles, des plus modestes, qui me va droit au cœur en ce moment même : la patience. La patience dont vous avez fait preuve, Mesdames et Messieurs, en m’écoutant discourir, tant bien que mal, sur ce noble sujet. Je ne puis que vous exprimer ma gratitude. » (Discours sur la vertu, le 1er décembre 2005).


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Il ne faut pas confondre. Pas un centenaire immortel, il y en a quelques-uns que la mort a oubliés et l’âge est alors impressionnant, par exemple, Lucette Destouches (106 ans !), mais un immortel centenaire. C’est très rare qu’un membre de l’Académie française atteigne cet âge canonique, bien que la moyenne d’âge soit particulièrement élevée.

Pour tout dire, René de Obaldia, qui fête ses 100 ans ce lundi 22 octobre 2018, est le second académicien à franchir ce seuil symbolique. Le précédent, ce fut le célèbre ethnologue Claude Lévi-Strauss qui a franchi les 100 ans le 28 novembre 2008 avant de s’éteindre onze mois plus tard. L’ancien doyen d’âge, Félicien Marceau, est mort le 7 mars 2012 à l’âge de 98 ans et demi. Auteur du roman "Le Centenaire" (sorti en 1959 chez Grasset et dont le héros dit : « Dans treize ans, je serai centenaire. On ouvrira grande la porte du salon et les contemporains viendront me toucher. »), René de Obaldia disait déjà pour ses 90 ans : « C’est tuant d’être immortel ! ». Et il a appliqué ce proverbe russe : « Pour devenir centenaire, il faut commencer jeune. ».

René de Obaldia est un "vrai" écrivain de l’Académie française : « Aujourd’hui, dans le laxisme ambiant, ce monument de la tradition française me paraît être une institution d’avant-garde. » ("Le Vif" le 19 mars 2012). Il apprécie qu’il n’y a pas que des écrivains, car sinon, ce serait très ennuyeux.

Élu comme un maréchal à l’Académie française le 24 juin 1999 au fauteuil de Julien Green, qui fut aussi celui de François Mauriac, pour ce qu’il a écrit et pas ce qu’il est, René de Obaldia est un dramaturge (et poète et romancier) à l’égal d’un Eugène Ionesco et d’un Samuel Beckett. Prince de l’absurde (qu’il rejette), marquis de bons mots, il a publié une soixantaine d’œuvres (entre 1949 et 2017), traduites dans une trentaine de langues, et sa discrétion dans les médias depuis très longtemps cache le fait qu’il est, depuis un demi-siècle, l’un des auteurs français qui est le plus joué au monde sur scène.

René de Obaldia a toujours refusé de se voir coller l’étiquette du théâtre de l’absurde : « J’ai refusé cette étiquette ; selon moi, si le monde est vraiment absurde, alors c’est trop absurde. Je pense que la vie a quand même un sens, d’un abord très difficile, certes. Je ne suis pas du côté du théâtre de l’absurde, mais du théâtre de l’interrogation, du mystère. » ("Zone Critique", le 11 novembre 2017).

Adorateur de la fantaisie et de l’amusement des mots, René de Obaldia, dont on ne pourra jamais dire qu’il n’est pas un défenseur acharné de la langue française, n’hésite pas, dans ses discours à l’Académie, à citer Shakespeare dans sa langue d’origine, c’est-à-dire l’anglais. Aimer le français, ce n’est pas combattre l’anglais mais c’est valoriser le français, et lui l’a valorisé par les faits, par ses scintillants écrits.

Dans son discours sur la vertu, l’unique discours qu’il s’est permis de prononcer sous la Coupole en dehors de celui de sa réception, lors de la séance publique annuelle du 1er décembre 2005, René de Obaldia, avec son esprit d’amusement et sens de l’humour, s’est prêté à l’exercice sur le thème "Vertu et relativité", à savoir « de la relativité du bien et du mal et, par voie de conséquence, des vertus inhérentes supposées ou présupposées qui en découlent ».

Et il n’a pu s’empêcher de raconter cette anecdote (connue, en fait, et plaisante) avec Albert Einstein : « Je ferai appel à Einstein, la vertu obéissant aussi, et par nature, aux lois de la relativité. (…) Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer cette anecdote peu connue : le savant, pour tenter de rendre compréhensible sa fameuse théorie à son boucher, et par là même, au commun des mortels, lui avait expliqué : "Monsieur Gaudinet… Monsieur Gaudinet, placez votre main sur un poêle durant une minute, cela vous semblera une heure… Asseyez-vous auprès d’une jolie fille durant une heure, et cela vous semblera une minute… C’est cela, la relativité". ». Cela fait toujours son petit effet.

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René de Obaldia est né le 22 octobre 1918 à Hongkong et fut élevée par une nourrice chinoise, Taï Hong Hua (qui signifie "fleur d’arc-en-ciel"). Son père diplomate, qu’il a à peine connu, était consul de Panama à Hongkong (tandis que sa mère était française). Son père est parti assez vite de la famille et est devenu par la suite Ministre de l’Intérieur. L’arrière-grand-père, d’ailleurs, José Domingo de Obaldia, avait été Président de la République du Panama (1845-1910) du 1er octobre 1908 à sa mort, le 1er mars 1910, lui-même fils de José de Obaldia (1806-1889), qui fut Président de la République de Nouvelle-Grenade, regroupant la Colombie, le Panama et le Nicaragua, du 1er avril 1851 au 1er avril 1855. Toute cette ascendance assez romanesque aurait pu faire de René de Obaldia le Président de la République des lettres, mais ce titre était déjà réservé à Jean Paulhan.

Très rapidement, quelque mois après la naissance, la famille (sans le père) est retournée en France et le futur écrivain passa son enfance à Amiens puis à Paris, au lycée Condorcet. Mobilisé en 1940, il fut fait prisonnier par les nazis et conduit en Silésie de 1940 à 1944. À Armelle Amiot du journal "Le Figaro", René de Obaldia a précisé le 13 avril 2009 : « J’ai été rapatrié en 1944, mes camarades n’ont été délivrés qu’en mai 1945. Or, Jean Robinet, ce camarade que j’ai revu récemment, m’a raconté cette histoire : ils étaient trois quand un Allemand, énervé, les menace de son arme. Il tue l’un d’eux, il blesse l’autre, quand il tire sur Robinet, son arme s’enraye. Si ce n’est pas "le destin"… ».

Après la guerre, il collabora à plusieurs revues littéraires, fut secrétaire général du Centre culturel international de Royaumont entre 1952 et 1954 (il n’a pas réussi à faire entrer le Sapeur Camembert à la bibliothèque : « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites ! »), se lia avec Roland Barthes, Jean Cocteau, Clara Malraux, Alain Robbe-Grillet et Jean Vilar qui le propulsa sur la scène du Théâtre national populaire en 1961 avec sa pièce "Genousie" (créée avec Jean Rochefort). Genousie reprendre le mot "genou" utilisé dans une autre pièce.

Les titres de ses romans, poèmes et surtout pièces sont assez parlants, comme "Tamerlan des cœurs" (1955), "Impromptus à loisir" (1961), "Le Général inconnu" (1964), "Les Larmes de l’aveugle" (1964), "Le Cosmonaute agricole" (1965), "Les Innocentines" (1969),  "Deux femmes pour un fantôme" (1971), "Le Banquet des méduses" (1971), "Endives et miséricorde" (1986), "Sur le ventre des veuves" (1996), "Obaldiableries" (1999), "Fantasmes de demoiselles, femmes faites ou défaites cherchant l’âme sœur" (2006), etc. Comment a-t-il trouvé ces titres ? « C’est le mystère de la création et de la grâce. Ils me viennent ainsi. Il y a une part de chance également. » ("Zone Critique", le 11 novembre 2017).

Son dernier ouvrage (sorti le 29 mars 2017 chez Grasset) a pour titre : "Perles de vie. Précis de sagesse portative", un recueil de pépites, des citations que René de Obaldia a appréciées et annotées durant son existence, que son éditeur a encouragé à publier. En forme de pirouette, on peut y lire des citations aussi de …René de Obaldia lui-même, ou des citations au style très obaldien, comme d’Alexandre Dumas : « Ah ! Ah ! dit don Manuel en portugais. ». Ou encore, de Chesterton : « Les anges volent parce qu’ils se prennent à la légère. ». Aussi de Cocteau : « Sans le Diable, Dieu n’aurait jamais atteint le grand public. ». Et pour un académicien, de Gaston Leroux : « Il faut s’habituer à tout, même à l’immortalité. ».

Beaucoup de pièces sont des parodies d’œuvres de grands auteurs (comme Shakespeare). Toutes ses œuvres ont été rassemblées et éditées par Grasset (dont huit tomes pour l’œuvre théâtrale) et les éditions Jean-Michel Place ont sorti "L’Encyclobaldia" (par Gérard-Denis Farcy). Parmi les comédiens qui ont joué des pièces d’Obaldia, il y a Michel Simon, Jean Rochefort, Samy Frey, Michel Bouquet, Henri Virlojeux, Maria Casarès, Georges Wilson, Maria Pacôme, Micheline Presle, etc.

La pièce la plus jouée et probablement la plus connue de René Obaldia est "Du vent dans les branches de sassafras", une parodie de western américain, qui fut créée le 17 février 1965 au Théâtre de Poche de Bruxelles, avec Michel Simon, Françoise Seigner, Caroline Cellier et Bernard Murat. Lors d’un colloque le 2 octobre 1999 à Beaulieu-sur-Mer, Monique Trédé parla du passage le plus importante de cette pièce : « À un moment critique de l’action, [René de Obaldia] confie au personnage de "la put@in au grand cœur" une longue tirade en alexandrins. Le public saisi par le caractère incongru de ce changement de ton, s’esclaffe ; il se délecte, de plus, en reconnaissant ici ou là une transposition du vocabulaire et des rythmes de la tragédie classique. ».

Catherine Schwaab, du magazine "Paris Match", a fait état de la grande humilité de René de Obaldia lorsqu’il a fêté son 99e anniversaire, le dimanche 22 octobre 2017, chez la poétesse Vénus Khoury-Ghata, aux côtés de quelques invités dont Hélène Carrère d’Encausse et Pierre Cardin (à peine plus jeune) : « René nous "fait" Michel Simon : "Saluant le public après avoir joué sa pièce ‘Du vent dans les branches de Sassafras’, l’acteur s’interrompt : ‘M@rde, je sais plus le nom de l’auteur…’ !" Élégant Obaldia qui se moque et ne la ramène pas alors qu’il est l’auteur le plus joué au monde. "Par beaucoup de troupes amateurs parce que j’ai fait des pièces en un acte, ça n’est pas cher à monter", minimise-t-il. » (26 octobre 2017). Peu de personnages, pas de décor. Pas cher.

Au-delà de la reconnaissance littéraire par son élection à l’Académie française, René de Obaldia a reçu de très nombreuses récompenses, prix, décorations, etc. parmi lesquels on peut citer le Grand prix du disque de l’Académie Charles Cros en 1978 (pour des textes lus par Madeleine Renaud et Michel Bouquet), le Prix de l’Académie en 1981, le Grand prix du théâtre de l’Académie française en 1985, le Grand prix de la poésie de la SACEM en 1988, deux Molière (d’honneur et du meilleur auteur) en 1993 pour "Monsieur Klebs et Rozalie", le Prix de la langue française (délivré par la ville de Brive-la-Gaillarde) en 1996 et la Monnaie de Paris a même sorti une pièce de monnaie en son honneur en 1997. Dans "Exobiographie" (ses mémoires sorties le 28 avril 1993 chez Grasset), il a écrit non sans humour : « Du désagrément de vieillir : ou mes amis meurent, ou ils se font décorer. ».





Jean-Joseph Julaud, en 2008, a montré son excitation à la lecture de René de Obaldia : « Il faut dire que les mots qu’il emploie se retrouvent souvent… à contre-emploi. Utilisés dans une entreprise qui peut paraître légère (…), ils conduisent avec humour et malice à installer le lecteur en position d’observateur par rapport au langage lui-même. Ces mots, qui s’amusent entre eux (…), ne sont-ils pas les mêmes que ceux de la solennité, de la gravité ou de la componction ? Dans le sillage de l’écriture surréaliste, René de Obaldia délivre un message où la plus jubilatoire des fantaisies renforce, sans jamais l’exclure, la prudence et la lucidité nécessaires face aux mots qui se laissent si facilement emprisonner par les idées. ».

La douceur de l’amour des mots. Jérôme Garcin, dans "Le Nouvel Observateur" l’a décrite le 4 décembre 2008 : « Le comte René de Obaldia est vraiment un poète singulier et un être à part. Ni l’un ni l’autre ne veulent vieillir. Le dramaturge résiste aux modes et l’homme, au temps. (…) Cousin de Michèle Morgan, parolier de Luis Mariano, partenaire au cinéma de Louis Jouvet (…) et marié à une belle Américaine [qui a disparu en novembre 2012], on dirait qu’il a toujours vécu dans un univers parallèle, régi par d’autres lois que celles, affligeantes et déprimantes, du monde réel. Lequel, à l’en croire, est "immonde" et "pue". En somme, Obaldia est le plus enjoué des neurasthéniques. ».

Le style du dramaturge selon Jérôme Garcin : « On y parle l’obaldien vernaculaire (c’est une langue verte, savante et bien pendue, qui se décline en alexandrins, calembours et parodies). On y tient que l’absurde est plus sérieux que la raison. On y pratique un doux anarchisme. On y croise selon la saison Queneau, Jarry, Ionesco et Giraudoux. La religion officielle est le ramonisme, de Ramon Gomez de la Serna, pape espagnol de l’hilarité cosmique et thuriféraire des seins de femme. » (4 décembre 2008).

René Obaldia a précisé ce ramonisme : « Une réaction contre ce sentiment tragique de la vie. Il faut bien vivre, après tout. Donc si la vie est tragique de nature, on peut survivre grâce à cet humour particulier. ». C’est ainsi que pendant sa captivité en Silésie, il continuait à user d’un certain humour, juste pour rester en vie : « J’ai été hanté très tôt par le Mal. J’ai d’ailleurs passé quatre ans dans un camp nazi en tant que prisonnier de guerre et me voici devant vous, maintenant. J’en suis sorti. Le Mal est une de mes grandes préoccupations, d’autant plus que le monde est magnifique. (…) Effectivement, le monde est une splendeur. C’est l’Homme qui pose un problème. C’est celui du Mal, qui lui est intrinsèque, car le Mal n’existe pas dans la Nature. » ("Zone Critique", le 11 novembre 2017).

Oui, c’est vrai, René de Obaldia est le cousin de Michèle Morgan. Il a expliqué son lien de filiation lors de la remise de son épée d’académicien par Félicien Marceau au Théâtre de la Madeleine le 7 juin 2000, en présence évidemment de la grande actrice. Au milieu de l’explication généalogique (son grand-père maternel ayant eu des enfants issus de deux femmes), il s’est arrêté pour dire : « Premier lit, deuxième lit, troisième divan, cinquième canapé, pouf, fauteuil à bascule ; Ô manèges ! ». C’est encore un cœur d’enfant.

À cette occasion, il a aussi confié sa campagne pour être élu à l’Académie : « Qu’est-ce que j’ai pu faire pour en arriver là ?!… Mes visites… Ma première visite, je la consacrai à notre doyen de l’Académie française, Louis Leprince-Ringuet ; nous nous sommes longuement entretenus de l’antimatière . La seconde alla au merveilleux professeur Jean Bernard, il me donna une leçon d’humanité. La troisième, je la réservai au Révérend Père Carré, lequel, avec délicatesse, prit aussitôt mon âme en mains. Je ne tiens pas vraiment pour une visite officielle celle que je rendis à la chère Jacqueline de Romilly, ah ! son excellent bourbon, avec qui j’avais déjà noué des relations amicales. Ma quatrième visite… Mais non ! Comme il est écrit dans l’Ecclésiaste, il y a un temps pour parler et un temps pour se taire. ».

Original, l’auteur du très beau vers de la  langue française « Le geai gélatineux geignait dans le jasmin » a commencé son discours de réception sous la Coupole le 15 juin 2000 ainsi, "ex abrupto" : « Le fait d’exister, de compter parmi les milliards d’individus qui s’agitent sur notre planète, est une aventure à la fois commune et singulière, et qui prête à réfléchir. Pour ma part, dès ma naissance, dès ma trouée dans ce bas monde, je fus ébaubi… Ébaubi non seulement de "voir le jour", après neuf mois de cécité absolue, mais de me trouver ex abrupto en Chine, dans une colonie britannique, Hongkong, flanqué d’un père panaméen et d’une mère française, originaire de Picardie. ».

Puis, il faisait part du paradoxe de son exercice du jour : lorsqu’il est reçu à l’Académie, le nouvel académicien doit faire l’éloge de son prédécesseur. Or, celui-ci, Julien Green, qui avait cherché à 96 ans à démissionner de l’Académie sans succès (Maurice Druon et Alain Decaux le lui refusèrent), avait interdit « d’avance tout éloge, quel qu’il soit, prononcé par son successeur lors de sa réception » ! Et René de Obaldia de se demander : « Devais-je me soumettre à cet oukase et, usant de cette liberté, vous entretenir des petits oiseaux, du temps qui passe ou encore : pourquoi ne pas exalter les vertus e mes autres devanciers, tous ces immortels qui furent un moment en chair et en os ? (…) Devais-je me conformer, ou bien outrepasser les volontés du trépassé ? ». Pour répondre à sa question, il s’est amusé à converser avec …Molière pour lui demander son conseil. D’où une parodie d’une pièce de Molière avec ce dernier et lui-même comme personnages.

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Dans un entretien le 4 mars 2015 avec Rodolphe Fouano, sur France Culture, René de Obaldia a dit comment il allait aborder son futur : « Ma vie fut assez passionnante, j’ai eu beaucoup de chance. Mais j’approche d’un terme. D’autant que je comptais sur ma femme pour me fermer les yeux et qu’elle est partie avant moi. Toute une vie merveilleuse passée ensemble a disparu d’un coup. Calderon a décidément raison : la vie est un songe ! (…) Ma mort interviendra bientôt maintenant, et c’est normal. (…) J’aimerais partir le mieux possible. Mais en soi, la mort ne me fait pas peur. Me revient le mot de Cocteau : "La mort ? Mais j’y suis habitué ! J’étais mort si longtemps avant de naître". Et puis il y a la boutade de Jean Paulhan : "La mort ? Pourvu que j’arrive jusque-là !". Au-delà de ces traits, demeure l’énigme, pour moi comme pour tout le monde. ».

Cette mort énigme. René de Obaldia a donné aussi un exemple : « Il y a souvent chez les grabataires, juste avant de mourir, des rémissions. Il me vient ainsi à l’esprit les derniers instants de William Blake, qui s’était dressé sur son lit de mort en s’écriant : "Je vais enfin savoir !" et qui est retombé d’un coup, foudroyé. » ("Zone Critique").

C’était mieux avant ? Au début de sa pièce "Monsieur Klebs et Rozalie", le personnage (qui a été joué par Michel Bouquet lors de sa création) referme son journal et déclare : "On ne peut pas dire que ça s’améliore !". L’occasion, pour René de Obaldia, de dire sur France Culture le 4 mars 2015 que non, ce n’était pas mieux avant : « Après l’hécatombe que fut la Seconde Guerre mondiale, comment aurait-on pu imaginer que l’on reviendrait soixante-dix ans plus tard aux guerre de religion ? C’est incroyable ! Je vais parler comme un vieux schnock, mais c’est un problème de valeurs bafouées. En vérité, le monde n’a jamais été très gai. Il ne faut pas céder au passéisme : homo homini lupus ! [L’homme est un loup pour l’homme] ça a été affreux à toutes les époques. Croyez-vous que la guerre de Cent Ans ou la peste bubonique n’ont pas été cruelles aussi ? ».

Interviewé par Guillaume Narquet le 11 novembre 2017 dans "Zone Critique" (déjà cité plusieurs fois plus haut), René de Obaldia cherchait à se définir : « Je suis toujours ébaudi d’être né, pour commencer, et ensuite, d’être Obaldia. Qui est vraiment cet Obaldia ? (…) Je crois que c’est Jérôme Garcin qui a le mieux compris ce questionnement quand il dit : "Obaldia est le spectateur incrédule d’une pièce qu’il n’a pas écrite, mise en scène à son insu et dont il joue le rôle-titre : sa vie". Je pense que cela résume bien l’état d’esprit que je porte en moi-même depuis longtemps. ».

Dans ce même entretien, il se disait très fier d’être au programme à l’école : « Il est très compliqué de choisir [parmi mes œuvres] (…). Mais je désignerais quand même "Les Innocentines" comme le fleuron de ma couronne, car, dans ce recueil de poèmes "pour enfants et quelques adultes" (…), je me suis vraiment mis au niveau des enfants, je me suis placé de leur point de vue et non du point de vue d’un adulte. Et le fait que ces poèmes soient repris dans les manuels scolaires représente un grand succès pour moi. » ("Zone Critique").

Il a d’ailleurs raconté la rencontre d’une amie d’une amie : « Cette dernière me dit : "Ah, je vous croyais mort !". Une fois de plus. Cela s’explique par le fait que son petit récitait un de mes poèmes en classe. Et à partir du moment où les poèmes d’un auteur sont récités en classe, on considère que cet auteur est mort depuis longtemps (…). Je reçois souvent, de classes entières, des poèmes à la manière d’Obaldia avec des illustrations et c’est tout à fait charmant. » (11 novembre 2017).

Cela dit, le titre de son prochain livre qu’il n’écrira pas sera selon lui : « Les Immortels meurent aussi. ». Mais j’espère le plus tardivement possible. Pour le moment, bon centenaire, le poète !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Interview de René de Obaldia sur France 2 le 28 mai 2017.
Interview de René de Obaldia sur France Culture le 4 mars 2015.
Interview de René de Obaldia dans "Zone Critique" le 11 novembre 2017.
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17 octobre 2018 3 17 /10 /octobre /2018 04:50

« Le choix en politique n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable. ».


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Le philosophe, historien, politologue et sociologue Raymond Aron est mort d’une crise cardiaque, à Paris, près du Palais de Justice où il s’était rendu, il y a trente-cinq ans, le 17 octobre 1983, à l’âge de 78 ans. Il est né à Paris le 14 mars 1905, la même année que Jean-Paul Sartre (1905-1980) et Paul Nizan (1905-1940), qu’il connaissait bien pour avoir été condisciples ensemble à Normale Sup. Pour parler du XXe siècle, qui a eu son lot de catastrophes humaines, on aurait pu parler du "Siècle de Raymond Aron" mais on parlerait plutôt du "Siècle de Jean-Paul Sartre". C’était le même siècle, mais vu sous des angles diamétralement différents. Car Raymond Aron pouvait être caractérisé par cet impératif : le refus du sectarisme.

Amis, Raymond Aron et Jean-Paul Sartre furent aussi des adversaires intellectuels redoutables pendant toute leur existence. Tout les opposait, et d’abord cette volonté de s’engager à fond dans une idéologie. Jean-Paul Sartre a épousé le communisme jusqu’aux confins du ridicule, ce qui était navrant pour un intellectuel de si haute envergure, à savoir qu’il se permettait le droit de jouer avec la vérité parce qu’il n’aurait pas fallu "désespérer Billancourt".

"Billancourt", pour les plus jeunes, ce n’est pas la Seine Musicale sur l’île Seguin (cette nouvelle salle de spectacle en forme de planisphère géant visible du Bois de Boulogne) ni les tours d’habitations neuves le long du quai Georges-Gorse, près du Pont de Sèvres, mais l’usine Renault qui fut souvent le lieu d’où venaient les grèves et les mouvements sociaux après la guerre. La situation actuelle de cette usine montre à quel point, à force d’en vouloir plus pour les salariés, on ferme l’usine. Aujourd’hui, ce ne sont plus des ouvriers mais des cadres bon chic bon genre à bon niveau de vie qui peuvent s’offrir d’habiter dans ces lieux chargés d’histoire sociale où il ne reste plus que l’énorme portail d’entrée de l’usine, comme un vestige d’un temps lointain.

Raymond Aron était beaucoup plus prudent et nuancé que Sartre. Il ne croyait pas en une idéologie plus vraie qu’une autre. Il se méfiait de tout ce qui pouvait aliéner l’esprit des hommes (et des femmes, bien sûr). Lorsqu’il avait 25 ans, en 1930, sur les bords du Rhin lorsqu’il était à Cologne, il a pris une résolution qui servit de fil conducteur durant toute sa vie de penseur : « Comprendre ou connaître mon époque aussi honnêtement que possible, me détacher de l’actuel sans pourtant me contenter du rôle de spectateur ». Rien que dans cette formulation, toute la nuance d’Aron est présence. Spectateur ou acteur ?

Raymond Aron a toujours été à contre-courant de son temps et je ne suis pas sûr qu’il sera "réhabilité" intellectuellement avant encore un bon moment, même si l’histoire du monde qui s’est déroulée après sa mort pendant ces trente-cinq dernières années lui a donné en partie raison.

À contre-courant mais pas confidentiel. Il fut au contraire très respecté de tous les intellectuels de son temps, car il montrait une très bonne connaissance de ce qu’il analysait, tant en géopolitique qu’en économie ou politique. Contribuant à le faire connaître du grand public, ses éditoriaux dans "Le Figaro" (entre 1947 et 1977) et dans "L’Express" (entre 1977 et 1983) furent de la nourriture très attendue par les lecteurs et l’on peut se demander s’il existe encore aujourd’hui des éditoriaux d’une si haute volée intellectuelle (probablement mais je ne les ai pas trouvés !).

Parmi les philosophes qui l’ont inspiré, on peut citer Toqueville, Alain (au début de sa vie, il fut beaucoup touché par les idées pacifistes d’Alain), Max Weber, Hannah Arendt… et surtout (eh oui), Karl Marx : « Je suis arrivé à Tocqueville à partir du marxisme, de la philosophie allemande et de l’observation du monde présent (…). Je pense presque malgré moi prendre plus d’intérêt aux mystères du "Capital" qu’à la prose limpide et triste de la "Démocratie en Amérique". Mes conclusions appartiennent à l’école anglaise, ma formation vient de l’école allemande. » (1967). En ce sens, Karl Marx a considérablement influencé Raymond Aron au point d’être très largement reconnu comme un marxologue patenté (il se revendiquait d’ailleurs "marxien" !).

Sur Max Weber, célèbre pour ses conférences prononcées à Munich entre 1917 et 1919 et dont les textes furent rassemblés dans "Le Savant et le Politique", la fameuse opposition entre réflexion et action (faut-il réfléchir avant d’agir au risque de ne plus agir ? et réciproquement), Raymond Aron proposa cette réflexion (en préface de l’édition française de 1959) : « On ne peut être en même temps homme d’action et homme d’études, sans porter atteinte à la dignité de l’un ou de l’autre métier, sans manquer à la vocation de l’un et de l’autre. Mais on peut prendre des positions politiques en dehors de l’université, et la possession du savoir objectif, si elle n’est peut-être pas indispensable, est à coup sûr favorable à une action raisonnable. ».

Et l’on peut citer, parmi les personnalités qu’il a influencées, notamment Jean-François Revel (1924-2006), qui a publié en 2002 un traité contré l’antiaméricanisme ("L’Obsession anti-américaine"), également Raymond Barre, Henry Kissinger (ancien élève d’Aron : « Personne n’a eu sur moi une plus grande influence intellectuelle. [Aron] fut un critique bienveillant lorsque j’occupais des fonctions officielles. Son approbation m’encourageait, les critiques qu’il m’adressait parfois me freinaient. »), Yves Cannac, Jean-Claude Casanova, André Glucksmann, Alain Besançon, François Furet, Pierre Rosanvallon, Pierre Bourdieu, Guy Sorman, Claude Imbert, Marcel Gauchet, Nicolas Baverez (qui a publié en 1993 une biographie de Raymond Aron, "Raymond Aron, un moraliste au temps des idéologies", chez Flammarion), Luc Ferry, etc. Son épouse Suzanne Gauchon (1907-1997) fut une amie de la philosophe Simone Weil qu’elle avait rencontrée à la Sorbonne pendant leurs études et l’une de ses trois filles de Raymond Aron est Dominique Schnapper, sociologue nommée par Christian Poncelet au Conseil Constitutionnel entre 2001 et 2010.

Après son agrégation de philosophie (reçu major) en 1928 devant Emmanuel Mounier (Jean-Paul Sartre échoua au concours et fut reçu major en 1929), Raymond Aron travailla quelques années en Allemagne, au début des années 1930, d’abord à Cologne puis Berlin (où il a découvert Husserl et la phénoménologie et étudié Clausewitz), ce qui lui a permis d’observer directement la montée du nazisme et sa victoire en 1933, date à laquelle il retourna en France pour enseigner la philosophie (pour la petite histoire, Jean-Paul Sartre a fait le même itinéraire avec une ou deux années de décalage).

Dès 1932, Aron a compris l’enchaînement futur des événements (le passage de 12 députés nazis au Reichstag à 107 deux ans plus tard, à la fin de son séjour en Allemagne) : « L’Allemagne est devenue à peu près impossible à gouverner de manière démocratique. » (Raymond Aron a publié "La Sociologie allemande contemporaine" dès 1935 chez Alcan, ainsi que "Essai sur la théorie de l’histoire dans l’Allemagne contemporaine. La philosophie critique de l’histoire" en 1938 chez Vrin).

Il fut alors convaincu de l’éclatement d’une nouvelle guerre. Pendant ce temps, Sartre n’a rien perçu pendant son propre séjour à Berlin, et Léon Blum s’était même rassuré après l’échec de Hitler, à l’élection présidentielle au suffrage universel direct les 13 mars 1932 et 10 avril 1932, face au vieux maréchal Paul von Hindenburg (Hindenburg fut réélu au second tour avec 53,1% des voix face à Hitler, 36,7%).

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Raymond Aron est devenu universitaire juste avant le début de la guerre, après avoir soutenu sa thèse de doctorat ès lettres en 1938 sur "Introduction à la philosophie de l’histoire" (publié chez Gallimard la même année). Refusant l’armistice, Raymond Aron quitta la France le 23 juin 1940 (dans le même bateau que René Cassin qu’il rencontra) et travailla à Londres entre 1940 et 1945 pour les FFL, en tant que journaliste, directeur de la revue "La France libre" qui pouvait d’ailleurs critiquer De Gaulle. Un esprit est indépendant ou ne l’est pas : il se méfiait des tendances autocratiques de De Gaulle, notamment dans son article "L’ombre des Bonaparte" publié en 1943, évoquant Napoléon III en ces termes : « Le bonapartisme escamote la souveraineté du peuple dont il prétend émaner (…). Comme tant de fois dans l’histoire, l’aventure d’un homme s’acheva en tragédie d’une nation. ». Il fut conseiller du ministre André Malraux en 1944-1946 et même adhéra et milita au RPF en 1947 par scrupule de ne pas avoir été assez gaulliste à Londres.

Après la guerre, Raymond Aron préféra travailler à Paris (professeur à l’ENA, à la Sorbonne, etc.) plutôt qu’à Bordeaux (il avait en 1939 un poste à Toulouse). Sa carrière universitaire fut prestigieuse puisqu’elle se termina comme professeur au Collège de France de 1970 à 1978 avec la chaire de Sociologie de la civilisation moderne (dans les années 1950, il eut pour élèves notamment Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre).

Cependant, l’enseignement n’était pas sa principale préoccupation après la guerre, ce fut plutôt le journalisme. Il travailla avec Albert Camus dans "Combat" entre 1946 et 1947, et cofonda avec Jean-Paul Sartre "Les Temps modernes" entre 1945 et 1947. Il a ensuite rejoint "Le Figaro" (dont il fut directeur politique en 1976) puis, à la fin de sa vie, "L’Express" (dont il fut président du comité directeur en 1977) ainsi qu’à la station Europe 1 où il proposait une chronique de 1968 à 1972. Selon une formule de De Gaulle qui rageait contre certains éditoriaux, Raymond Aron fut critiqué comme « journaliste à la Sorbonne et professeur au Figaro ». Et selon une expression de Jean d’Ormesson, il fut en effet « un universitaire égaré dans le journalisme ».

Raymond Aron a vu s’exprimer la folie des hommes le 10 mai 1933 à Berlin, sur la grande avenue Unter der Linden, quelques mois après la victoire d’Hitler, quand les étudiants nazis brûlaient les livres des bibliothèques universitaires. Il s’éloigna du pacifisme cher à Alain et passa sa vie intellectuelle à dénoncer les totalitarismes, tous les totalitarismes, pas seulement le nazisme mais aussi le communisme. Après la guerre, il n’a pas compris comment d’éminents intellectuels, très intelligents et nuancés, comme Sartre, pouvaient tomber dans le piège de l’engagement partisan en faveur du communisme développé par l’URSS : « Dans mon milieu, imprégné de hégélisme et de marxisme, l’adhésion au communisme ne faisait pas scandale, l’adhésion au fascisme ou au PPF était simplement inconcevable. De tous, dans ce groupe, j’étais le plus résolu dans l’anticommunisme, dans le libéralisme, mais ce n’est qu’après 1945 que je me libérai une fois pour toutes des préjugés de la gauche. ».

L’un de ses "livres fondateurs" de sa pensée, ce fut "L’Opium des intellectuels" publié en 1955 chez Calmann-Lévy. C’était une véritable déclaration de guerre intellectuelle contre ses anciens camarades de la rue d’Ulm, notamment Sartre, qui restaient aveugles face au communisme. Pour Raymond Aron, qui avait développé ces idées dès 1944 dans "La France libre", lui qui était athée, il considérait le socialisme, le communisme et le nazisme comme de véritables "religions de salut collectif" : « Cherchant à expliquer l’attitude des intellectuels, impitoyables aux défaillances des démocraties, indulgents aux plus grands crimes, pourvu qu’ils soient commis au nom des bonnes doctrines, je rencontrai d’abord les mots sacrés : gauche, Révolution, prolétariat. » (1955). Esprit modéré, Raymond Aron ne pouvait pas admettre l’esprit doctrinaire : « Si la tolérance naît du doute, qu’on enseigne à douter des modèles et des utopies, à récuser les prophètes de salut, les annonciateurs de catastrophes. Appelons de nos vœux la venue des sceptiques s’ils doivent éteindre le fanatisme. ».

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Cette bataille contre les intellectuels "engagés" (dans le communisme) a été l’une des raisons d’un certain isolement intellectuel dans les milieux culturels et intellectuels. Même des milieux dits "de droite" puisque son refus de gaullisme inconditionnel n’était pas très apprécié dès 1940. Beaucoup de gaullistes comme Maurice Schumann, qui savait apprécier néanmoins sa valeur intellectuelle, lui en ont gardé rancune tenace si bien que Raymond Aron n’a jamais osé se présenter à l’Académie française de peur de risquer un barrage gaulliste (avec sa cinquantaine d’ouvrages rédigés très précisément, il l’aurait pourtant amplement mérité). Selon l’expression célèbre de Jean Daniel qui s’est confié à Claude Roy, il était « plus facile d’avoir tort avec Sartre, qui "trucule, exubère et effervesce" (selon Claudel), que d’avoir raison dans la morosité avec Aron ».

Raymond Aron était démocrate dans un sens assez américain, à savoir, qu’il fallait organiser le système institutionnel de façon à ce qu’il y ait des contre-pouvoirs indépendants permettant de brider l’arbitraire éventuel des gouvernants : « Pour ma part, la justification qui me paraît la plus forte de la démocratie, ce n’est pas l’efficacité du gouvernement que se donnent les hommes lorsqu’ils se gouvernent eux-mêmes, mais la protection qu’apporte la démocratie contre les excès des gouvernants. ».

La rivalité entre Aron et Sartre n’a pas empêché, à la fin de leur vie respective, le 20 juin 1979, de se rejoindre au cours d’une conférence de presse commune à l’hôtel Lutétia à Paris, avec André Glucksmann, Yves Montand, Simone Signoret, Bernard Kouchner, Michel Foucault, etc., pour aider les boat-people dans leur fuite du régime communiste vietnamien, qui se noyaient dans la mer de Chine (Sartre et Aron furent reçu à l’Élysée par Valéry Giscard d’Estaing le 26 juin 1979). Cela donne une petite idée de ce qu’aurait été leur réaction à l’arrivée des réfugiés syriens en 2015

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Dans "Le Nouvel Observateur" du 18 juillet 1991, Olivier Todd faisait état des souvenirs de Valéry Giscard d’Estaing sur cette réception de Sartre et Aron (il aurait voulu que Michel Foucault les accompagnât et refusa la présence de Simone Signoret et Yves Montand), et, sévère avec VGE qui n’aurait pas lu ou compris ni Sartre ni Aron, il en profita pour décrire Raymond Aron : « Spectateur engagé, sceptique, sans cynisme, solitaire ou populaire dans l’intelligentsia, Aron considérait que le pouvoir était une réalité. Il écrivait, confiait-il, surtout pour les hommes d’État. À l’évidence, l’un d’eux, Valéry Giscard d’Estaing, lut à peine et mal quelques articles d’Aron dans "Le Figaro" et "L’Express". ».

Restons avec Valéry Giscard d’Estaing : Raymond Aron n’a jamais entretenu de bonnes relations avec les dirigeants politiques, même "de droite". Parce qu’il était avant tout un intellectuel, il pouvait reprendre à son compte la belle devise des Lorrains : "Qui s’y frotte s’y pique" (Non inultus premor) : « Finalement, je me suis brouillé avec tous les chefs d’État de la IVe et de la Ve République, à part Giscard d’Estaing. ». Et encore, Valéry Giscard d’Estaing, il a été très étonné lors de ses visites à l’Élysée, que ce fût le 1er juillet 1975 ou le 26 juin 1979, de l’étendue de l’ignorance présidentielle sur de très nombreux sujets essentiels, ce qui faisait dire à Raymond Aron en 1979, il y a presque quarante ans : « Les hommes politiques d’aujourd’hui n’ont pas le sens du tragique. ». Ce qui est à noter, c’est qu’on pourrait dire la même chose de nos jours (comme ici), sauf qu’on se laisserait convaincre par l’idée qu’il y a quarante ans, justement, les personnalités politiques auraient eu le sens du tragique ! En fait, je crains qu’elles ne l’aient jamais eu parce qu’elles ont toujours été trop dépendantes du court terme.

Jean d’Ormesson, qui connaissait bien Raymond Aron pour avoir longtemps travaillé ensemble au journal "Le Figaro", remarqua ainsi l’intellectuel : « Aron aurait refusé un ministère si on lui en avait proposé un. Mais il n’a pas eu, au contraire de Chateaubriand, la chance qu’on lui propose un ministère à refuser. ». La comparaison avec Chateaubriand est élogieuse. Du reste, Jean d’Ormesson lui-même aurait refusé d’être Ministre de la Culture dans les années 1980. Cité par l’article de Wikiliberal sur Raymond Aron, Jean d’Ormesson a regretté la trop grande distance d’Aron avec la politique, lui qui connaissait si bien l’économie, les relations internationales, etc. : « Aron s’étonnait volontiers de n’avoir pas été le Kissinger français. (…) J’aurais été De Gaulle, Pompidou ou Giscard, j’aurais choisi Aron comme conseiller du Prince. ».

Parmi l’un des thèmes d’étude parmi les approfondis de Raymond Aron, il y a les totalitarismes. Dans "Démocratie et Totalitarisme", publié en 1965 chez Gallimard, reprenant ses cours à la Sorbonne en 1957-1958 avec une actualisation en raison du retour de De Gaulle au pouvoir. Aron a tenté de donner les critères d’un régime totalitaire : un État dirigé par un parti unique, associé à une idéologie qui devient vérité absolue, contrôlant la totalité des moyens de forces (armée, police) et de persuasion (presse, radio, télévision, on pourrait rajouter Internet), contrôlant également les activités économiques : « Tout étant désormais activité d’État et toute activité étant soumise à l’idéologie, une faute commise dans une activité économique ou professionnelle est simultanément une faute idéologique. D’où, au point d’arrivée, une politisation, une transfiguration idéologique de toutes les fautes possibles des individus et, en conclusion, une terreur à la fois policière et idéologique. » (1965).

Je propose ici quelques minutes de présentation par lui-même de son livre "Plaidoyer pour l’Europe décadente" dans l’émission télévisée "Midi première" présentée par Danièle Gilbert le 10 mars 1977 sur TF1.





Le libéralisme de Raymond Aron était très tempéré. Frédéric Mas, docteur en philosophie politique de la Sorbonne, a expliqué dans "Contrepoints", le 17 octobre 2013 : « Aron est le témoin du naufrage d’un certain progressisme libéral qui a misé sur l’extension du doux commerce au monde et la disparition progressive des guerres au profit d’une gouvernance universelle professée par la Société des Nations. Le tout a volé en éclats avec les deux guerres mondiales, la montée en puissance du nazisme et la constitution d’un bloc soviétique puissant, dont la propagande a été largement relayée en Occident. ». Et a résumé ainsi : « Raymond Aron pensait le libéralisme en cherchant constamment l’équilibre entre principes éthiques et réalisme politique. ».

Dans "La Croix", Jean-Vincent Holeindre, professeur de sciences politiques à l’Université de Poitiers, a décrit, le 22 juin 2017 à la journaliste Béatrice Bouniol, la subtilité de l’intellectuel intègre qu’était Raymond Aron : « L’héritage d’Aron, c’est de montrer que les problèmes politiques sont complexes, que le décideur politique ne choisit pas entre le bien ou le mal, mais entre le préférable et le détestable. Dans ses écrits, il rend justice à toutes les positions, envisage différents scénarios, afin d’adopter la moins mauvaise position au terme de l’analyse. Il combine la méthode du savant, rigoureux et probe, et celle du "spectateur engagé", qui prend position dans le débat public. (…) Aron s’est aussi efforcé de mettre en évidence une double logique : les dirigeants agissent pour de bonnes raisons mais ils sont également animés par des passions qui compliquent l’action politique "rationnelle". ».

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Jean-Vincent Holeindre a, lui aussi, défini le libéralisme de Raymond Aron : « Le libéralisme selon Aron, c’est cet équilibre entre la liberté individuelle, nécessaire notamment sur le plan économique, et la responsabilité politique du citoyen. (…) À la différence du néolibéral Friedrich Hayek, il croit dans les vertus régulatrices de l’État et à la primauté du politique. (…) Aujourd’hui, c’est un enjeu politique majeur : dans la mondialisation, l’État peut-il encore exister ? » (22 juin 2017).

Cela serait en effet intéressant d’imaginer la pensée de Raymond Aron aujourd’hui, car le monde est complètement bouleversé depuis sa disparition, d’abord avec la chute du communisme qui fait que les rares militants attachés encore au communisme font plus figures d’espèces en voie de disparition que prédateurs menaçants les libertés individuelles, mais ensuite, avec la montée concomitante des islamismes radicaux et des extrémismes qui s’en nourrissent, le tout dans une évolution technologique (informatique, génétique, etc.) qui a complètement modifié les rapports sociaux, économiques et environnementaux, et en particulier en termes d’échelle, puisque tout se passe désormais au niveau mondial. Mais ne le faisons pas parler, il n’y a rien de pire que de faire parler un mort. De Gaulle en sait quelque chose depuis presque quarante-huit ans…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 octobre 2018)
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Pour aller plus loin :
Raymond Aron.
René Rémond.
Jean d’Ormesson.
Pierre Miza.
Jean-Baptiste Duroselle.
Georges Duby.
Hannah Arendt et la doxa.
Max Gallo.
Michèle Cotta.
Philippe Alexandre.
Elie Wiesel.
Henri Amouroux.
Jean Lacouture.
Édouard Bonnefous.
Alain Decaux.
Gonzague Saint Bris.
Claude Estier.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Jean-François Deniau.
Jean Boissonnat.
Étienne Borne.
Pierre-Luc Séguillon.
Françoise Giroud.
André Glucksmann.
Noël Copin.
Maurice Duverger.
Bernard Pivot.
Michel Polac.
Georges Suffert.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181017-raymond-aron.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/raymond-aron-le-marxien-les-pieds-208702

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10 octobre 2018 3 10 /10 /octobre /2018 04:02

« Going, going, gone… » [Adjugé, adjugé, disparu…].


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Bientôt, quelqu’un va faire exploser une bombe thermonucléaire …juste pour le plaisir esthétique de faire de l’art nouveau. Je ne sais plus qui a dit que la destruction était elle-même une démarche artistique, une démarche créative. Banksy, à l’évidence, a démontré que c’était possible. Depuis le vendredi 5 octobre 2018, ce mystérieux artiste des rues (né en 1974 à Bristol) a gagné sa ligne de postérité dans les livres d’histoire de l’art. Peut-être malgré lui.

Qui est Banksy ? Il est un artiste britannique très connu pour ses œuvres sur les murs des villes, en particulier Bristol, Londres, Paris, New York, aussi Gaza, Bethléem, etc. Ce sont généralement des pochoirs avec une forme d’humour et souvent à finalité politique (un message y est transmis, prônant généralement la liberté, la paix, etc.). C’est l’un des "leaders" du "street art" ou (en français) "art des rues" ou "art urbain", consistant à dessiner des graffitis, pochoirs, etc. sur des murs sans autorisation préalable, se servant parfois des éléments du support. Il a auto-édité plusieurs de ses œuvres et a aussi réalisé un film documentaire.

Il n’est pas question ici de présenter les œuvres de Banksy, mais je dois reconnaître que beaucoup de ses œuvres sont intéressantes, et même certaines passionnantes. Elles sont certes imposées (aux propriétaires des murs, aux passants, aux autorités municipales, etc.), mais tant la composition que la réalisation montrent un réel talent artistique, aussi hors des cadres qu’il soit.

Que s’est-il passé le 5 octobre 2018 à Londres ? Une vente aux enchères a eu lieu chez Sotheby’s. Parmi les objets d’art en vente, une reproduction d’un des fameux dessins de Banksy fait sur papier à la bombe et à l’acrylique, le tout encadré solidement. Le titre de l’œuvre : "Girl with balloon (There is always hope)" [Petite Fille au ballon (il y a toujours de l’espoir)].

À l’origine, le dessin avait été aperçu sur le mur d’un imprimeur de Great Eastern Street à Londres en 2002. Le dessin avait été séparé du mur, dérobé et vendu en février 2014 à 500 000 livres sterling sous le titre "Stealing Banksy". Le vol et la mise sur le marché d’œuvres de street art sont controversés mais leurs défendeurs expliquent généralement que c’est grâce à eux que ces œuvres sont restaurées et sauvées, car laissées sur les murs, elles seraient rapidement détériorées et détruites au fil des années. Les sommes récoltées reviennent généralement au propriétaire du mur et à des organisations caritatives.

Très décomplexé, le site de "Stealing Banksy" expliquait en 2014 : « "Stealing Banksy" explore les questions sociales, juridiques et morales qui entoure la vente de l’art de rue. Courant avril [2014], au cœur de Londres, l’exposition présentera la collection la plus chère d’œuvres d’art de Banksy jamais réunie sous un même toit et est l’aboutissement d’un projet de douze mois afin de découvrir, de sauver et de restaurer avec amour ces pièces qui ont façonné notre capitale. ».

Il faut savoir que l’auteur d’une œuvre est privé de ses droits lorsque celle-ci a été réalisée de manière illégale (selon le principe connu : "Nemo auditur propriam turpitudinem allegans"), en particulier sans l’accord du propriétaire du support, alors que généralement, le propriétaire du support n’est jamais le propriétaire de l’œuvre sauf en cas spécifique de cession (c’est en tout cas comme cela en France, notamment confirmé par le jugement de la Cour de cassation du 28 septembre 1999 et par l’arrêt n°255284 du 10 mars 2004 du Conseil d’État, et dans beaucoup d’autres pays).

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Revenons à la semaine dernière. L’œuvre vendue le 5 octobre 2018 chez Sotheby’s était évaluée à 200 000 voire 300 000 livres sterling. Finalement, le dessin a été adjugé à 1,042 million de livres sterling, soit environ 1,2 million d’euros ou 1,4 million de dollars. C’est un montant colossal. Cela donne une idée de la "valeur" de Banksy dans le marché de l’art (malgré lui). Une forte valeur pour une simple copie, mais ce n’est pas étonnant. En juin 2013, "Slave Labor mural" fut adjugé à 1,1 million de dollars, et en 2008, "Wet Dog" fut adjugé à 1,8 million de dollars. Les deux n’étaient pas des copies mais des originaux volés et restaurés.

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Mais le "pire", le scandale, ce qui a défrayé la chronique ce 5 octobre 2018, c’est qu’au moment du dernier coup de marteau du commissaire-priseur, le dessin s’est autodétruit ! Un mécanisme astucieux dans le cadre a fait glisser le dessin vers le bas et le bord inférieur était muni d’une broyeuse (qu’on utilise généralement dans les bureaux). Si bien que le dessin, à la stupéfaction de toutes les personnes présentes, a été détruit sur le champ tandis qu’il changeait de propriétaire.

Probablement que dans la salle, un anonyme a pu envoyer un signal pour faire démarrer la déchiqueteuse. La démarche, revendiquée par Banksy quelques moments plus tard dans un réseau social (Instagram), a évidemment un but de provocation, mais pas seulement. Comme avec l’urinoir de Marcel Duchamp, l’idée n’est pas seulement de la provocation mais aussi de la réflexion. Qu’est-ce que l’art ? Qu’est-ce que l’art contemporain (un gros mot pour certains) ?

Banksy est évidemment un artiste un peu particulier. S’il a auto-édité lui-même plusieurs recueils de reproductions et commentaires de ses œuvres, ses œuvres elles-mêmes sont "en libre-service", autrement dit, gratuites. Gratuites et non protégées. Gratuites et illégales aussi. N’importe qui peut photographier ses œuvres sur les murs d’une ville. Chaque photographie donnera une vision spécifique de l’œuvre et sera différente des autres photos de la même œuvre. Pire, n’importe qui peut les modifier, les effacer, les détruire, une municipalité peut décider de les soustraire à l’esthétique urbaine. Banksy casse déjà, par son mode d’expression, les codes habituels du marché de l’art. C’est aussi un vrai problème juridique de se pencher sur la propriété intellectuelle des reproductions de ses œuvres.

Mais ici, c’est encore pire. On a souvent fustigé le marché de l’art qui ne répondrait pas forcément à la réalité artistique du moment, mais à une simple spéculation financière. C’est à la fois vrai et faux. Si quelques milliardaires mécènes font la pluie et le beau temps, pourquoi leur refuser une capacité de jugement sur une œuvre artistique qu’on s’octroierait soi-même ?

Banksy veut se moquer des récupérations du marché de l’art et en particulier, de la récupération de ses œuvres urbaines. Le fait est que Banksy réalise ses œuvres de manière totalement illégale. Souvent, ses œuvres disparaissent, puis réapparaissent, restaurées et vendues aux enchères, tout aussi illégalement. Banksy a toujours été opposé à ces vols et refuse donc systématiquement d’authentifier les œuvres qui sont vendues.

L’un des promoteurs de ce qu’on peut appeler le "Stealing Art Project", Tony Baxter, directeur de l’entreprise d’événementiel Sincura Group (qui a réalisé la vente de février 2014), a défendu sa démarche le 7 février 2014 à Sky News : « Même si nous savons bien que Banksy n’apprécie pas que ses pièces peintes illégalement soient retirées des murs, nous aimerions penser qu’il apporte du crédit au fait que son travail soit restauré et retrouve sa splendeur, et que des contributions substantielles soient faites à des œuvres de charité. ».

Qu’un des dessins de Banksy, reproduit sur du papier, fût vendu à plus d’un million de livres sterling est complètement fou. L’autodestruction du dessin a permis donc une démonstration : l’acheteur a payé plus d’un million de livres sterling pour …un simple cadre vide et des petits morceaux en papier ! C’est peut-être la réponse de l’artiste au "Stealing Banksy" qu’il a toujours contesté.

Cela dit, l’épilogue ne serait peut-être pas du goût de Banksy : l’événement étant tellement exceptionnel et audacieux dans le monde des arts, que le cadre résiduel a déjà pris beaucoup de valeur et vaudrait maintenant le double du montant des enchères ! Cela risque de susciter des vocations…

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Et comme le Web est créatif, on peut ainsi voir sur Internet fleurir quelques parodies de cet événement dont les plus parlantes sont le portrait déchiqueté du Président Emmanuel Macron et le tableau déchiqueté de la Joconde.

Le monde est fou, mais ça, on le savait depuis longtemps. On ne comprendra jamais bien l’économie que lorsqu’on arrêtera d’avoir une vision purement mathématique des choses. Après tout, la psychologie, la confiance, le potentiel virtuel, la réputation, etc. sont des caractéristiques très importantes dans les cotations (quoique totalement subjectives et peu modélisables). Et cela ne concerne pas seulement la valeur des œuvres d’art, mais aussi la valeur des entreprises, sur lesquelles reposent la plupart des employés du secteur privé pour assurer leur salaire à la fin du mois.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Banksy.
Marcel Duchamp.
Pablo Picasso.
Le British Museum et le monde des humains.
Yves Klein.
Le Tintoret.
Gustav Klimt.
Georges Méliès.
David Hamilton.
Paula Modersohn-Becker.
Auguste Rodin.
Margaret Keane.
Rouault et Matisse à Paris.
La garde rapprochée du Premier Empereur de Chine.
Un Renoir de la Côte d’Ivoire.
Magritte.
Daniel Cordier.
Boulez à Paris.
La collection Cordier à Rodez.
Soulages à Rodez.
Claude Lévêque à Rodez.
Caillebotte à Yerres.
Goya à Paris.
Brueghel à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.
Boltanski, artiste contemporain.
Boltanski au MacVal.

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https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/banksy-ou-l-art-de-la-destruction-208438

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9 octobre 2018 2 09 /10 /octobre /2018 03:10

« J’aimais beaucoup Jean Paulhan. J’admirais son esprit pénétrant, sa lucidité, l’acuité de son intelligence, la précision de sa pensée, qui, de nuances en nuances, de distinctions en distinctions, de précisions en précisions, conduisaient jusqu’à l’impalpable, au point zéro de la pensée, au point zéro de la critique. Cependant, il était devenu vraiment la Critique. La Nouvelle Revue Française, qu’il a dirigée pendant de nombreuses années, était considérée dans le monde entier comme la "seule revue française", la meilleure revue littéraire ou la seule concevable. Le théoricien des "Fleurs de Tarbes", de "La clé de la poésie", de "Petite préface à toute critique" justifiait, tour à tour, tous les critères de jugement des œuvres, il les mettait en contradiction, aboutissait à la destruction des uns par les autres, à leur ruine. Malgré ce scepticisme fondamental, il s’est rarement trompé sur les qualités littéraires des œuvres dont il prenait connaissance. » (Eugène Ionesco, le 25 février 1971 à Paris).


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Il y a cinquante ans, le 9 octobre 1968 à Neuilly-sur-Seine, est mort Jean Paulhan, à l’âge de 83 ans (né le 2 décembre 1884 à Nîmes). Jean Paulhan fut un écrivain très prolifique, mais également et j’oserais dire avant tout, un critique littéraire et un éditeur. Ce fut une personnalité qui a beaucoup réfléchi sur la littérature et le langage.

Le père de Jean Paulhan, Frédéric Paulhan (1856-1931) fut un philosophe sur le tas, à l’œuvre importante bien que peu reconnue, et bibliothécaire éclairé de la ville de Nîmes de 1881 à 1896 (bègue, Frédéric Paulhan ne pouvait pas prétendre à un emploi d’enseignement).

Après des études de philosophie et de psychologie, refusant une bourse pour entrer à Normale Sup. et préparer l’agrégation, Jean Paulhan est parti en 1907 enseigner le français, l’histoire et le latin à Tananarive, à Madagascar, pendant trois ans. C’était le gouverneur Victor Augagneur (1855-1931), gouverneur de Madagascar et ancien maire de Lyon, qui cherchait des enseignants pour la Grande Île. Jean Paulhan fut chargé de fonder un lycée, d’enseigner beaucoup de matières, certaines qu’il ne connaissait même pas. Il a même introduit la pelote basque à Madagascar, selon l’essayiste Maurice Garçon (1889-1967).

À son retour à Paris en 1911, il a enseigné la langue malgache (qu’il avait apprise) à l’École des langues orientales ("Langues O") à Paris et a publié en 1912 son premier ouvrage, un recueil de proverbes malgaches ("Les Hain-Tenys Merinas"). Il a rédigé dès le début de sa vie active de nombreux articles dans diverses revues littéraires.

Mobilisé pendant la Première Guerre mondiale comme tous les jeunes gens, il fut blessé le 25 décembre 1914. Après la guerre, il s’intégra au mouvement surréaliste avec André Breton (1896-1966) et Paul Éluard (1895-1952) et, après avoir été son secrétaire le 1er juin 1919, Jean Paulhan remplaça en février 1925 Jacques Rivière (1886-1925) comme rédacteur en chef de la Nouvelle Revue Française (NRF), créée le 1er février 1909. De février 1925 à juin 1940 puis de janvier 1953 à octobre 1968, il fut le patron de la NRF, d’abord aux côtés de son propriétaire, Gaston Gallimard (1881-1975), jusqu’en 1936, puis aux côtés de Marcel Arland (1899-1986), Prix Goncourt 1929, après 1953.

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Dès le début de l’Occupation nazie, Jean Paulhan refusa la collaboration et a essayé de convaincre ses amis écrivains de ne pas collaborer et de résister : « Tu peux serrer une abeille dans ta main jusqu’à ce qu’elle étouffe, elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué, c’est peu de chose, mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’abeilles. ». Cette analogie pour expliquer que les faits de Résistance sont toujours utiles.

Pourchassé par les autorités d’Occupation, Jean Paulhan se réfugia dans la clandestinité après deux arrestations, et il a tenu le flambeau de la littérature de la Résistance pendant ces années noires (avec notamment Vercors). Proche des milieux collaborationnistes, Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945), qui avait repris la direction de la NRF entre 1940 et 1943 (avant son interdiction pour faits de Résistance), a facilité la libération de Jean-Paul Sartre et, en 1944, la fuite de son ami Jean Paulhan (Drieu La Rochelle était aussi intervenu auprès d’Otto Abetz pour le faire libérer lors d’une première arrestation).

Après la guerre, il fut un directeur littéraire très influent chez Gallimard et créa les Cahiers de la Pléiade. Il a publié de nombreux ouvrages, surtout des essais (parfois des récits), près d’une cinquantaine depuis la fin de la Première Guerre mondiale (hors correspondance). Parmi ses ouvrages, des essais sur l’art, sur le langage, sur la littérature, en particulier, un essai qui l’a rendu célèbre, "Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les lettres" (1936), dont la dernière phrase est la très éloquente : « Mettons que je n’ai rien dit. » (ce que le Web traduira par l’énigmatique : "jdcjdr" !). Par ailleurs, il a écrit une très dense correspondance avec de nombreuses personnalités, comme François Mauriac, Paul Éluard, Jean Grenier, Francis Ponge, André Gide, Michel Leiris, Gaston Gallimard, Marcel Jouhandeau, etc. dont une vingtaine de volumes a déjà été édités.





Dans la réflexion de Jean Paulhan, il y a en particulier le clivage qu’il a entrevu entre deux catégories d’écrivains, ceux qui considèrent le langage comme un allié (les "rhétoriqueurs") et ceux qui, au contraire, considèrent que le langage est un obstacle à l’expression (les "terroristes").

Le dramaturge Eugène Ionesco (1909-1994) décrivait la pensée de Jean Paulhan notamment ainsi : « Ce qui est curieux, paradoxal (c’était dans la nature de Jean Paulhan d’être paradoxal), c’est que, à la fois, il ne croyait pas à la littérature tout en y croyant. "Tous les mots sont en danger de devenir synonymes", disait-il, ou "bien malin qui distingue encore le vrai du bien, le beau du juste". Mais en même temps, disait-il encore, "on n’écrit pas pour être élégant et spirituel, on n’écrit pas pour avoir des raisons, ni même pour avoir raison, ni pour donner un aspect plausible à des thèses évidemment fausses", on écrit "pour comprendre, on écrit pour être sauvé". Il a toujours eu tendance à aller à l’encontre de la vérité admise ou de la routine qui nous empêche de voir le monde ; sans doute ; pensait-il qu’il y avait deux ou plusieurs vérités, ce qui convenait à son esprit. Il prenait le contre-pied de toute affirmation. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’il décrit la réalité comme si c’était un rêve et le rêve comme si c’était la réalité. Il affirmait, ainsi, que la vieillesse est délicieuse, que la guerre est passionnante, que les justiciers sont injustes ou n’ont pas le droit de faire justice, que la mort est bonne et même que c’était une extase, que l’armée est une organisation parfaite (…), il disait que les grandes personnes deviennent jeunes, que les hommes ne vieillissent pas, au contraire, qu’un bon syllogisme n’a jamais convaincu personne ; il dénonçait les erreurs : par exemple, celle qui dit que notre esprit et nos sentiments deviennent moins vifs à l’usage. En effet, pour lui, la vérité était la somme des vérités contraires. Il se méfiait de toute affirmation définitive. On peut dire, aussi, que Jean Paulhan ne courait pas après son temps, mais s’y opposait, courageusement, ou qu’il le créait. » (25 février 1971).

Bien que lui-même résistant et anticollaborationniste, Jean Paulhan a pris la défense, après la fin de la guerre, d’auteurs collaborationnistes afin de pour les publier à nouveau, notamment Céline. Il travailla aussi en 1945 avec Jean-Paul Sartre pour sa revue "Les Temps modernes", mais sous pseudonyme.

La première édition des œuvres complètes de Jean Paulhan fut réalisée par l’éditeur Claude Tchou (1923-2010), ancien mari de Michèle Cotta, entre 1966 et 1970. Une nouvelle édition des œuvres complètes est en cours de réalisation chez Gallimard (par Bernard Baillaud), sept volumes sont prévus, cinq ont déjà été publiés depuis 2006.

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L’ensemble de son œuvre fut récompensé par le Grand Prix de Littérature de l’Académie française en 1945 puis par son élection à l’Académie française le 24 janvier 1963 dès le premier tour face au duc René de Castries (1908-1986), à la grande surprise de François Mauriac, trop habitué de voir l’élection d’académiciens médiocres. Jean Paulhan fut reçu sous la Coupole par Maurice Garçon le 27 février 1964 et reçut l’éloge posthume de son successeur le 25 février 1971. Son successeur, c’était Eugène Ionesco, qu’il avait invité à déjeuner quelques jours après son élection pour lui dire qu’il le verrait bien sous la Coupole. Parmi ses prédécesseurs à son fauteuil, il y a eu le célèbre historien Ernest Lavisse (1842-1922).

Lors de sa réception sous la Coupole, Eugène Ionesco regrettait de ne pas avoir mieux connu Jean Paulhan : « J’aurais tellement voulu connaître davantage Jean Paulhan, et plus tôt. Je l’ai approché, pour la première fois, il y a plus de vingt ans. (…) Je l’ai trouvé dans son bureau de la Nouvelle Revue Française, entouré par une cour de jeunes écrivains qui devaient faire partie de la première moisson de l’après-guerre, je crois. Le pouvoir de la Revue, j’allais dire son terrorisme, exerçait alors, encore, une influence prépondérante sur la littérature. ».

Eugène Ionesco lui avait donné à lire un essai et impatient, sans réponse au bout de plusieurs mois, il était allé aux nouvelles. Jean Paulhan n’a fait que lui redonner le manuscrit sans rien dire mais avec une fiche de lecture qui fut terrible pour l’amour-propre de son auteur : « Il était féroce. Mon essai n’avait aucune valeur, il était mal pensé et mal écrit, dénué de tout intérêt. ». Il l’a lu sans rancune et plus tard, devenu son ami, l’auteur de "La Cantatrice chauve" a pu témoigner : « Un beau jour, peut-être s’était-il un peu pris d’amitié pour moi, il devint mon défenseur. En effet, seule l’amitié peut être compréhensive ; les critiques doivent être les amis des auteurs et de leurs œuvres, afin de les comprendre, de les connaître, de les déchiffrer, plutôt que des ennemis ou des indifférents ; l’objectivité est incertaine. Les théories de la littérature sont insuffisamment ou pas du tout scientifiques, malgré les efforts de quelques critiques d’aujourd’hui qui répètent, dans un autre langage, les erreurs de Taine ou de Brunetière. » (25 février 1971).

Hippolyte Taine (1828-1893) fut un historien et un philosophe, élu à l’Académie française le 14 novembre 1878, qui proposa une vision assez pessimiste de la Révolution française (« Quel cimetière que l’histoire ! ») et qui considérait que l’histoire devait devenir une science exacte : « On permettra à un historien d’agir en naturaliste ; j’étais devant mon sujet comme devant la métamorphose d’un insecte. » ("Les Origines de la France contemporaine", 1875). Quant à Ferdinand Brunetière (1849-1906), il fut un historien spécialiste de la littérature du XVIIe siècle et un critique littéraire, élu à l’Académie française le 8 juin 1893, et fut antidreyfusard.

Je termine par ces mots de Jean Paulhan lui-même lors de sa réception à l’Académie française, sur le mystère du langage : « Tout se passe comme s’il nous avait été confié en rêve quelque fleur, une clef, un mot de passe mystérieux. Là-dessus, nous nous réveillons et nous tenons dans les mains la même fleur ou la clef, et nous comprenons le mot de passe. Si l’on songe qu’il s’agit d’un secret où le monde entier se voit concerné en totalité, puisqu’il n’est rien de ce monde qui ne relève de la pensée ou des choses ou encore du langage, bref s’il s’agit d’un secret qui concerne Dieu (…), le caractère sacré de ce langage n’a plus rien qui nous puisse étonner. Il semble que le Paradis soit toujours là : c’est nous qui ne savons pas le voir. Du moins les mots nous sont-ils les témoins de sa présence, les mots et le langage que nous servons ou plutôt qui se sert de nous. » (27 février 1964).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 octobre 2018)
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Pour aller plus loin :
Jean Paulhan.
René Rémond.
Marceline Loridan-Ivens.
François Flohic.
Françoise Dolto.
Lucette Destouches.
Paul Claudel.
Louis-Ferdinand Céline.
Georges Bernanos.
Jean-Jacques Rousseau.
Daniel Cordier.
Philip Roth.
Voltaire.
Jean d’Alembert.
Victor Hugo.
Karl Marx.
Charles Maurras.
Barbe Acarie.
Maurice Bellet.
Le philosophe Alain.
Marguerite Yourcenar.
Albert Camus.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/jean-paulhan-president-de-la-208411

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6 octobre 2018 6 06 /10 /octobre /2018 15:35

Née le 12 avril 1933 à Barcelone, Montserrat Caballé fut une cantatrice surnommée "La Superba" et fut réputée pour ses rôles de Rossini, Bellini et Donizetti. Sa renommée internationale a commencé en 1965 avec Lucrezia Borgia au Carnegie Hall de New York. Elle chanta à La Scala de Milan à partir de 1972. Elle a arrêté sa carrière en 2012 après avoir été victime d'un accident vasculaire cérébral.

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1 octobre 2018 1 01 /10 /octobre /2018 17:33

« Profondément français, attaché viscéralement à ses racines arméniennes, reconnu dans le monde entier, Charles Aznavour aura accompagné les joies et les peines de trois générations. Ses chefs-d’œuvre, son timbre, son rayonnement unique lui survivront longtemps. » (Emmanuel Macron, Twitter le 1er octobre 2018).


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L’aznamania s’est emparée des médias ce lundi 1er octobre 2018. De manière justifiée. Et c'est tant mieux ! Le départ pour l’ombre de Charles Aznavour, l’un des derniers (le dernier ?) de sa génération, à l’âge de 94 ans (il est né le 22 mai 1924 à Paris), l’a mis en pleine lumière. Des chansons à l’air et aux paroles si connus, des films aussi, des pièces de théâtre…

Charles Aznavour, "monstre sacré" de la chanson française, qui a vendu plus de 180 millions de disques au cours d'une très longue carrière, soixante-douze ans ! Mais aussi 80 films. Parolier, compositeur, interprète. Il a rencontré Charles Trenet et Édith Piaf au début de sa carrière. Il a mis une dizaine d’années avant de vraiment décoller avec le "tube" : "Je m’voyais déjà". Très vite la consécration dans ses spectacles qu’il enchaîna tout au long de sa vie. Il a encouragé Johnny Hallyday qui faisait un peu partie de sa famille. Également Michel Sardou quand il a eu du mal à décoller aussi.

Honoré par beaucoup de récompenses et de reconnaissances, comme un César d’honneur en 1997, la Victoire de la musique de l’artiste interprète masculin en 1997, une Victoire de la musique d’honneur pour l’ensemble de sa carrière en 2010… et aussi une étoile au Walk of Fame à Hollywood (catégorie chanson) en août 2017.

Un travailleur impressionnant et infatigable. La retraite à 60 ans, pas pour lui ! Il n’envisageait pas d’arrêter par lui-même. Il avait fait des concerts à Bercy en décembre 2017. Il revenait d’une tournée au Japon, et discutait encore la veille de sa mort avec Michel Leeb (qui a fait beaucoup de ses débuts de spectacle) de ses projets, des spectacles, un film, etc. Il avait prévu de faire un concert à Boulogne le 8 novembre 2018. Chanter quand on est nonagénaire, ce n’est pas évident. La voix est plus faible, le souffle plus court. Charles Aznavour se moquait de lui en disant qu’il tremblait des mains. Pas parce qu’il avait le tract, comme à ses débuts, mais à cause de l’âge.

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Dans les nombreux hommages et témoignages, il y a bien sûr les origines arméniennes de Charles Aznavour, au point d’avoir acquis la nationalité arménienne en 2008, et de devenir l’ambassadeur d’Arménie en Suisse (où il habitait) et représentant permanent de ce pays aux Nations Unies. Il était allé chanter à Erevan, la capitale de l’Arménie, le 26 septembre 2001 lors de la venue historique du pape Jean-Paul II.

C’est justement ces origines que je souhaiterais évoquer. Le destin de Charles Aznavour n’aurait dû avoir rien de français à l’origine (même s’il a toujours été français puisque né en France !) : ses parents arméniens étaient de passage à Paris en attente d’un visa pour aller aux États-Unis. Le succès de Charles Aznavour est l’un des exemples que l’immigration est une chance pour la France. Oui, il faut insister sur ce sujet. Il n’était pas seul, il y a des nombreux monstres sacrés français issus de l’immigration, de Lino Ventura à Yves Montand, etc.

Comme l’a décrit très bien le Président Emmanuel Macron dans son tweet d’hommage, Charles Aznavour était un grand Français tout en étant respectueux de ses origines, et en plus, tout en étant le représentant de la culture française dans le monde et en particulier, aux États-Unis, pays à l’influence culturelle quasi-hégémonique. On ne peut pas être grand, fort, à l’aise avec soi-même et avec les autres, si on occulte ses origines. C’est une évidence. Sans source, le fleuve tarit.

Exactement ce qu’a affirmé l’ancien Premier Ministre Manuel Valls le 30 septembre 2018 dans le journal de 20 heures sur France 2 : fier d’être un Français et fier de ses racines catalanes.

Même Geoffroy Lejeune, directeur de "Valeurs actuelles", l’a reconnu sur LCI le 1er octobre 2018, Charles Aznavour est un exemple modèle de l’immigration réussie. Il notait cependant la différence entre hier et aujourd’hui. Hier, les personnes immigrées venues s’établir en France s’assimilait et se fondait dans la culture française qu’ils enrichissaient en ricochet par leur propre apport. Alors qu’aujourd’hui, il n’y a plus assimilation mais volonté d’exporter la culture d’origine en France, de cloisonner les cultures.

Il est vrai qu’il y a certaines fois des problèmes, mais le problème est de savoir d’où il vient, comme l’histoire de la poule et de l’œuf. Est-ce que la culture d’origine s’est renforcée sur le territoire français par réponse identitaire, en réaction au rejet que certains ressentent (réel ou fantasmé) de la part de personnes françaises vivant en France depuis des lustres ? (du moins, leurs ascendants). En fait, le repli identitaire a dû se développer parallèlement dans une société en crise économique et en crise morale forte, qui a besoin de renouer avec des racines peut-être oubliées ou négligées. Après tout, la Révolution iranienne de 1979 n’a prospéré au sein du peuple iranien qu’en raison d’une modernisation "à l’occidentale" amorcée beaucoup trop rapidement par le (dernier) Shah d’Iran et faisant fi de la culture iranienne.

Parce qu’il a chanté devant trois ou quatre générations de Français, et parce qu’il a été un acteur dans de nombreux films, Charles Aznavour a été un personnage familier du peuple français. C’est donc normal qu’aujourd’hui, au même titre que d’autres "célébrités", il soit honoré, et d’abord par une occupation du temps médiatique qui, pourtant, pourrait être mis à contribution pour d’autres événements récents. Il n’y a donc rien d’étonnant à cela. À 94 ans, il faisait figure pour beaucoup d’oncle, de grand-père, ou même de patriarche de la chanson française. Il est le merveilleux "produit" de la magie française du creuset républicain. C’est accessible à tous les Français quelles qu’en soient leurs origines. Il "suffit" d’avoir du talent (ce qui n’est pas donné à tout le monde !), et Charles Aznavour n’en manquait ! Qu’il repose en paix.

« Emmenez-moi
Au bout de la terre,
Emmenez-moi
Au pays des merveilles.
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil. »

Charles Aznavour (1967).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Charles Aznavour.
Maurice Chevalier.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181001-aznavour.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-france-de-charles-aznavour-208160

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/10/02/36750642.html



 

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30 septembre 2018 7 30 /09 /septembre /2018 18:07

« Faire de l’humour, c’est transformer la vie en une large et tolérante bienveillance, proche de la charité. C’est l’étincelle qui voile les émotions, répond sans répondre, ne blesse pas et amuse. L’unique remède qui dénoue les nerfs du monde sans l’endormir, lui donne sa liberté sans le rendre fou et mette dans les mains des hommes, sans les écraser, le poids de leur propre destin. » (Max Jacob, 1945).


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Voyez le topo. Un homme visiblement aisé, vivant dans l’opulence comme le montre son manteau, son ventre, son double menton, et il déclare : « Il est possible que Darwin se soit gouré… ». Un éclair de lucidité, et la dénonciation des inégalités. Les derniers seront les premiers. Dans la longue route de l’Évolution ?

Ou encore ces deux hommes, habitués du bistrot, l’un dit à l’autre, entre une vapeur de cigarette et un effluve de pinard : « Le vingt et unième siècle, ça finit quand ? ». Et là, soudain, le ciel s’assombrit. Pour le dessinateur de ces deux dessins, ce siècle s’est arrêté ce dimanche 30 septembre 2018, 72 ans après sa naissance (il est né le 12 décembre 1945 dans le Finistère). Dans la nuit de la maladie.

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Je ne sais pas s’il avait la tête de l’emploi mais il avait un nom pour faire des dessins humoristiques. Pétillon, ça sonne comme cotillon, comme une sorte de pétard de fête, un condensé de contenu, une sorte de bombe qu’on balance avant la fuite. Cela ne fait pas mal mais ça dérange, ça bouscule les consciences.

René Pétillon est surtout connu comme un auteur de bandes dessinées. Il a créé en 1974 le personnage très connu de l’inspecteur Jack Palmer, au grand nez, et une de ses aventures a même été adaptée au cinéma ("L’Enquête corse") avec des acteurs de renom (Jean Reno, Christian Clavier, Caterina Murino). Comme d’habitude dans les histoires policières, c’est prétexte à parler de la société, de la politique, des médias, etc.

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Il fut reconnu par la profession avec plusieurs prix dont deux prestigieux, l’Alph-Art du meilleur album français du Festival d’Angoulême en 2001, et auparavant, le Grand Prix de la ville d’Angoulême en 1989.

Mais au-delà de la bande dessinée, je connaissais surtout le Pétillon du dessin de presse. Celui qui, comme ses camarades, esquisse en deux traits l’actualité folle qui court sans arrêt, sans s’arrêter. Il touchait à tous les domaines, la vie politique avec quelques piques surtout pour ceux qui sont au pouvoir (Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande), mais aussi les autres, ceux qui aspirent à l’être, au pouvoir, comme Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, etc., la vie économique, la vie sociale, et aussi beaucoup sur la religion.

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Parallèlement à sa vingtaine d’albums de Jack Palmer, Pétillon a publié plus d’une vingtaine de recueils de dessins de presse et aussi d’autres histoires dont parfois, il n’a contribué qu’au scénario ("Le Baron noir", "Super Catho", "Lucien candidat", etc.).

Ses collaborations avec la presse furent nombreuses. On peut retenir principalement "Le Canard enchaîné", mais aussi "Pilote", "Plexus", "L’Écho des savanes", "Télérama", "VSD" et dernièrement, après les attentats de janvier 2015, "Charlie Hebdo" par solidarité et hommage avec les dessinateurs assassinés.

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Généralement, les caricatures chez Pétillon sont "pourries". Gros nez. Il faut que l’œil prenne son temps pour s’exercer à reconnaître un personnage. C’est vrai lorsque l’événement politique est passé depuis longtemps voire oublié. Pourtant, certaines fois, les caricatures sont très ressemblantes, comme le dernier dessin ici présenté qui est la couverture d’un recueil de dix ans de dessins avec "Le Canard enchaîné" où l’on reconnaît aisément Donald Trump et les principaux candidats de l’élection présidentielle française de 2017 (François Fillon, Emmanuel MacronBenoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, etc. et on aurait pu rajouter Pétillon pour faire bonne mesure à la rime, ainsi que Bidochon).

Incontestablement, Pétillon avait un style très personnel dans le dessin, dans la caricature et dans le message souvent tendre qu’il laissait germer au-delà de son humour et de son ironie. On aurait pu croire qu’il était éternel, comme d’autres, comme Cabu que des terroristes sectaires ont envoyé un peu trop rapidement vers… l’éternité. RIP.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu

(Tous les dessins présentés ici sont de René Pétillon).


Pour aller plus loin :
Pétillon.
Jean Moulin, dessinateur de presse.
Les Shadoks.
F’murrr.
Christian Binet et monsieur Bidochon.
Goscinny, le seigneur des bulles.
René Goscinny, symbole de l'esprit français ?
Albert Uderzo.
Les 50 ans d’Astérix (29 octobre 2009).
Cabu.
"Pyongyang" de Guy Delisle (éd. L’Association).
Sempé.
Petite anthologie des gags de Lagaffe.
Jidéhem.
Gaston Lagaffe.
Inconsolable.
Les mondes de Gotlib.
Tabary.
Hergé.
"Quai d’Orsay".
Comment sauver une jeune femme de façon très particulière ?
Pour ou contre la peine de mort ?

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180930-petillon.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/hommage-a-l-inspecteur-petillon-208128

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/10/01/36747778.html



 

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25 septembre 2018 2 25 /09 /septembre /2018 04:39

« La vie ressemble beaucoup au jazz. C’est mieux quand on improvise. » (George Gershwin).


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Il est des existences plus rapides que d’autres. Il y a cent vingt ans, est né George Gershwin, le 26 septembre 1898 à Brooklyn (New York). Il est l’un des plus grands représentants de la musique classique américaine du XXe siècle. Mais aussi l’un des plus "brefs". Gershwin est mort à l’âge de 38 ans, le 11 juillet 1937, à Los Angeles. Il avait un cancer du cerveau. Malgré la brièveté de sa vie artistique (entre quinze et vingt ans), il laissa une œuvre importante, près de cinq cents chansons et une cinquantaine de comédies musicales ! C’était peut-être pour cette raison, vaguement prémonitoire, que le musicien était un hyperactif, faisait mille choses en même temps.

Il travaillait toujours avec son frère aîné Ira Gershwin (1896-1983) qui l’accompagnait et lui écrivait les paroles… et à la mort de George Gershwin, son frère continua son métier de parolier tout en se consacrant à la postérité de l’œuvre de George.

Créatif, imaginatif, innovateur. George Gershwin n’était pas seulement musicien. Il était aussi dessinateur de caricatures, peintre (il a peint le portrait de son ami Arnold Schönberg en 1934, entre autres, et également des autoportraits), il dansait aussi, adorait discuter littérature et poésie, et même botanique, et il animait des émissions de radio sur la musique (en 1934). Il était un grand sportif, pratiquait beaucoup le tennis, le golf, la musculation, l’équitation, la randonnée, la pêche, et aussi la boxe (comme Édouard Philippe !). Il a vécu mille flammes en même temps.

Fêtard, il aimait vivre la nuit, séduire de jolies femmes, faire de grandes réceptions, etc., mais parfois, il quittait son domicile et s’isolait dans une chambre d’hôtel pour composer au calme. On lui prêtait des liaisons amoureuses avec de nombreuses femmes (dont une qui venait d’épouser Charlie Chaplin).

Enfant, George Gershwin a eu la vocation musicale en écoutant un de ses camarades jouer au violon Dvorak ("Humoresque") pendant que lui, jouait au ballon dans la cour. Un peu plus tard, il est devenu pianiste d’orchestre et a composé des comédies musicales qui ont eu beaucoup de succès. Son premier succès date de 1919 (avec sa chanson "I Was So Young, You Were So Beautiful"). Sa chanson "Swanee" s’est vendue à plus d’un million d’exemplaires. Broadway lui ouvrit les portes pour composer sa première comédie musicale alors qu’il n’avait que 21 ans. Les peuples des années 1920 cherchaient à se divertir après la Grande Guerre (et plus encore après la crise de 1929). Gershwin fut ainsi très rapidement célèbre et connut l’aisance matérielle.

Mais l’objectif de Gershwin, à la fois sûr de lui, arrogant, fier, mais aussi complexé, angoissé, plein de tocs (il avait besoin de mâcher quelque chose, d’où les cigares ou la pipe qu’il avait toujours dans sa bouche), ce n’était pas d’être relégué dans la simple "musique de boulevard" (musique populaire). C’était aussi d’être reconnu comme un grand musicien, un musicien "sérieux", ce qu’il a réussi à atteindre avec quelques œuvres musicales, comme "Second Rhapsody" (souvent oubliée) et son unique opéra "Porgy and Bess". Dès 1925, il fut joué au Carnegie Hall de New York (la plus prestigieuse salle de concert des États-Unis). Sa musique, à la fois populaire et classique, était originale et nouvelle, et fut appréciée par un large public.

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Elle fut une musique d’une époque : « La musique doit refléter les idées et les aspirations des gens et de leur temps. Pour moi, les gens, ce sont les Américains et le temps, c’est aujourd’hui. » (Gershwin). Et effectivement, Gershwin fut à l’évidence le symbole de la musique américaine, qui a eu une influence considérable et a fasciné tous les musiciens américains après lui, mais elle a aussi gagné une portée universelle.

Imprégné de nombreuses musiques différentes pendant son enfance, Gershwin a inventé le jazz symphonique. Beaucoup de ses œuvres sont devenues de grands classiques. Il a fait jouer ou chanter de nombreuses personnalités comme Fred Astaire (un grand ami qu’il a connu à ses débuts comme pianiste à l’âge de 16 ans : « Cela serait extraordinaire si je pouvais écrire un show musical auquel tu participerais… »), Ella Fitzgerald, Louis Armstrong, etc. Il rencontra le musicien Maurice Ravel et Sergueï Prokofiev en 1928, et se lia d’amitié avec Arnold Schönberg et Alban Berg. Il composa aussi quelques musiques de films pour Hollywood mais il préférait nettement New York (et Broadway) à Los Angeles (et Hollywood).

Gershwin admirait beaucoup Ravel et comme il n’avait pas suivi d’études de musique, il voulut avoir de sa part des leçons de composition mais ce dernier refusa : « Pourquoi seriez-vous un Ravel de seconde classe alors que vous pouvez devenir un Gershwin de première classe ? ». Cela lui donna plus d’assurance pour faire ses propres compositions. Comment d’ailleurs ne pas penser à Pierre Henry quand on sait que Gershwin, pour composer sa célèbre musique "An American in Paris" qu’il a achevée à Paris, s’est permis d’utiliser quatre klaxons de taxis français ? Gershwin adorait aussi la musique de Stravinsky, Darius Milhaud, Shostakovich, Debussy, etc. Il a aussi rencontré à Paris Francis Poulenc.

À la question obsessionnelle de son existence musicale : « Jouera-t-on encore ma musique dans cent ans ? », la réponse est probablement oui. Cela fait maintenant plus de quatre-vingts ans qu’il a disparu, et on le joue toujours. Il a véritablement "créé" l’opéra américain. Voici quelques exemples connus de ses œuvres…


1. "Rhapsody in Blue" (1924)

Œuvre pour piano et orchestre, mélange de musique classique et de jazz, qu’adorait Leonard Bernstein. Ce fut probablement cette œuvre qui apporta à Gershwin la célébrité mondiale. Le concerto (sous le titre "An Experiment in Modern Music") fut créé le 12 février 1924 à New York, sous la direction de Paul Whiteman, avec le compositeur lui-même au piano (alors sans partitions).






2. "Second Rhapsody" (1931)

Œuvre pour piano et orchestre créée le 29 janvier 1932 à Boston par l’Orchestre symphonique de Boston dirigé par Serge Koussevitsky avec le compositeur au piano.






3. "An American in Paris" (1928)

Œuvre symphonique créée le 13 décembre 1928 au Carnegie Hall de New York sous la direction de Walter Damrosch.






4. "Porgy and Bess" (1935)

Opéra au livret rédigé par Ira Gershwin et Edwin DuBose Heyward, créé le 30 septembre 1935 au Carnegie Hall de New York.






5. "Summertime" (1935)

C’est une chanson devenue un standard du jazz qui était intégrée à l’opéra "Porgy and Bess" et qui fut créée le 19 juillet 1935. Au 1er juin 2017, on a recensé 82 712 interprétations publiques de cette œuvre, dont plus de 80% enregistrées (selon Wikipédia).






6. Concerto en fa pour piano et orchestre (1925)

Concerto qui fut créé le 3 décembre 1925 au Carnegie Hall de New York, par le New York Symphony Orchestra dirigé par Walter Damrosch, avec le compositeur au piano.






7. Trois Préludes (1926)

Courtes pièces pour piano créées le 4 décembre 1926 au Roosevelt Hotel de New York par le compositeur lui-même.






8. "The Man I love" (1927)

Chanson plusieurs fois "censurée", elle fut créée en 1927 à Roosevelt Hotel de New York.












9. Le "meilleur" de Gershwin…






Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

Article de Nathalie Mollet sur le site de France Musique le 4 octobre 2016 : "10 (petites) choses que vous ne savez (peut-être) pas sur l’auteur de Rhapsody in Blue".

George Gershwin.
Maurice Chevalier.
Leonard Bernstein.
Jean-Michel Jarre.
Pierre Henry.
Barbara Hannigan.
György Ligeti.
Claude Debussy.
Binet compositeur.
Pierre Boulez.
Karlheinz Stockhausen.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180926-gershwin.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/george-gershwin-le-moderne-207945

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/09/25/36732411.html

 

 

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2 septembre 2018 7 02 /09 /septembre /2018 22:03

La romancière Amélie Nothomb a été l'invitée de Vincent Josse dans l'émission "Le Grand Atelier" diffusée le 2 septembre 2018 et rediffusée le 5 juillet 2019 sur France Inter.

Le Grand Atelier
dimanche 2 septembre 2018
par Vincent Josse
Amélie Nothomb : "Ecrire, c'est restaurer l’usage sacré du langage"
1 heure 50 minutes

Cliquer sur le lien pour télécharger l'émission (fichier .mp3) :
https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/11550-02.09.2018-ITEMA_21793576-0.mp3

Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210709-amelie-nothomb.html

SR
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20180902-interview-amelie-nothomb.html


 

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