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12 juillet 2017 3 12 /07 /juillet /2017 03:59

« À partir du moment où un homme politique se met à penser qu’il peut être Président, il devient marteau. » (Daniel Cohn-Bendit, le 28 juillet 1999).


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Il est des destins qui se terminent avec un peu de malice. On savait que le Conseil Constitutionnel était la maison de retraite des vétérans de l’Élysée. En effet, les anciens Présidents de la République en sont membres de droit à vie. C’était une disposition qu’a voulu accorder De Gaulle à ses prédécesseurs René Coty et Vincent Auriol.

Il y a une dizaine d’années, cela avait donné des séances assez surréalistes présidées par Jean-Louis Debré entouré de Valéry Giscard d’Estaing (qui siège depuis 2004) et Jacques Chirac, deux grands rivaux "de droite" qui ont guerroyé l’un contre l’autre pendant une vingtaine d’années et qui se sont ainsi retrouvés dans une paisible retraite. Cela n’a pas duré très longtemps, en raison de la santé défaillante de l’un d’eux, mais il n'y a pas eu de séance avec trois anciens Présidents de la République, avec Nicolas Sarkozy (qui n'a siégé qu'entre mai 2012 et juillet 2013), car Jacques Chirac ne siège plus depuis mars 2011. François Hollande a annoncé qu'il ne siégerait pas dans cette instance.

On le dit assez peu, le Conseil Constitutionnel est en passe de devenir aussi le cimetière des vieux éléphants socialistes, ou plutôt… de Matignon. François Hollande a en effet nommé Laurent Fabius en février 2016 pour succéder à Jean-Louis Debré à la tête de cette cour suprême à la française. Ce qui était plus discrètement annoncé, c’était que quelques mois auparavant, Claude Bartolone avait remplacé Jacques Barrot, membre éminent qui a succombé alors qu’il prenait le métro parisien, aussi par un ancien Premier Ministre socialiste, Lionel Jospin, en fonction depuis le 6 janvier 2015. On imagine ainsi les séances avec Laurent Fabius et Lionel Jospin, ces deux rivaux du mitterrandisme historique qui se retrouvent maintenant dans une retraite à dorures.

Justement, ce mercredi 12 juillet 2017, Lionel Jospin fête son 80e anniversaire.
Que devient-il ?

C’est moins coquet et plus studieux que l’Académie française, mais le Conseil Constitutionnel était tout indiqué pour trouver une utilité républicaine à celui qui présida, du 14  juillet 2012 au 9 novembre 2012, la Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique dont il n’est sorti aucune réforme constitutionnelle concrète (faisaient notamment partie de ce comité Théodule : Roselyne Bachelot, Jean-Claude Casanova, Chantal Arens et Olivier Schrameck). Il ne manquerait plus que nommer Édouard Balladur au Conseil Constitutionnel pour parfaire l’édifice.

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Claude Allègre (qui fut un très proche de Lionel Jospin) et Denis Jeambar étaient assez dubitatifs le 24 septembre 2012 sur l’intérêt d’une telle commission : « La qualité des hommes et des femmes n’est pas en cause. En revanche, la méthode rend l’échec presque inévitable. Ces commissions travaillent dans la confidentialité. Du coup, lorsque sont dévoilées leurs conclusions, l’esprit critique l’emporte, les polémiques s’installent, les oppositions font feu de tout bois et le Président, pour calmer le jeu politique, enterre tout. On verra s’il en va autrement avec François Hollande, mais un changement de méthode pourrait lui donner une plus grande liberté d’action et de décision. » ("Le Point"). En fait, si effectivement le comité Jospin n’a débouché sur rien, c’est faux de le dire pour le comité Balladur de 2007 qui a engendré la (grande) révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Revenons à Lionel Jospin lui-même. Si l’on regarde un peu son parcours, il a fait à peine mieux que François Hollande, ou à peine moins bien, cela dépend de savoir si c’est à Matignon version cohabitation ou à l’Élysée version majoritaire qu’il y a le plus de pouvoir.

La légitimité politique de Lionel Jospin fut la même que celle de François Hollande : premier secrétaire du Parti socialiste, du 24 janvier 1981 au 14 mai 1988 et du 14 octobre 1995 au 2 juin 1997. Il faut évidemment bien distinguer les deux périodes.

La première période, qui correspond au premier septennat de François Mitterrand, il n’était que le prête-nom de ce Président de la République très sourcilleux sur les affaires internes de "son" parti d’Épinay. Il n’a dû cette place qu’à la volonté du prince, une place si ennuyeuse qu’il lui a demandé la permission d’agir pendant le second septennat : Ministre d’État, Ministre de l’Éducation nationale du 12 mai 1988 au 2 avril 1992, numéro deux des gouvernements de Michel Rocard et d’Édith Cresson.

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Limogé un an trop tôt (la législature se terminait en mars 1993), Lionel Jospin a subi une cuisante défaite aux élections législatives à Toulouse, si bien qu’il avait demandé à son ministre de tutelle (énarque, il était haut fonctionnaire au Quai d’Orsay), à savoir Alain Juppé, de réintégrer son corps d’origine et d’obtenir une ambassade prestigieuse, comme Berlin ou Rome. Mais Alain Juppé a refusé. Ce dernier l’a regretté amèrement par la suite puisque quatre ans plus tard, Lionel Jospin lui succéda à Matignon. En le nommant ambassadeur, il aurait définitivement éliminé un concurrent politique. C’est ce qu’avait tenté de faire Nicolas Sarkozy à la mort de Philippe Séguin en ayant proposé à François Hollande lui-même de lui succéder comme Premier Président de la Cour des Comptes (sans succès).

La seconde période de direction du PS, c’était vraiment lui le patron, il n’était plus un prête-nom. Après avoir affronté Henri Emmanuelli dans une primaire fermée, il fut désigné candidat socialiste à l’élection présidentielle de 1995. Son arrivée en tête du premier tour lui a donné toutes les clefs de son parti d’opposition à partir de 1995, au grand dam de son rival de toujours, Laurent Fabius, englué (un peu injustement) dans l’affaire du sang contaminé, qui lui avait déjà disputé la direction de la campagne des élections européennes en juin 1984 (Jospin à la tête du PS, Fabius à la tête du gouvernement et donc naturellement chef de la majorité). S’il a abandonné la direction du PS en 1997, c’était pour devenir Premier Ministre (du 2 juin 1997 au 6 mai 2002) : il restait cependant maître du PS, mais par procuration, avec François Hollande pour prête-nom.

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Le destin tragique de Lionel Jospin, politiquement tragique car humainement, finalement, il n’y a rien eu de tragique, l’élection n’est pas la santé, c’était ce fameux 21 avril 2002, où il n’a même pas pu atteindre le second tour de l’élection présidentielle alors qu’il était le favori dans la course à l’échalote élyséenne. Peut-être même que le tragique ne fut pas les résultats électoraux eux-mêmes que la réaction très orgueilleuse de son retrait définitif de la vie politique qu’il a regretté d’avoir annoncé.

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Finalement, François Hollande a fait pire après cinq ans de pouvoir ; il n’a même pas osé se représenter devant les électeurs, tellement personne n’en voulait plus. Et cela a abouti, là aussi, à un second "21 avril", mais un double "21 avril", ni le parti socialiste, ni le principal parti d’opposition ne se sont retrouvés au second tour, laissant place à un populisme extrémiste et à un centrisme novateur qui a surgi de nulle part.

Lionel Jospin a été l’un des chefs de gouvernement les plus "longs" de la République française, avec Georges Pompidou, François Fillon et Raymond Barre. Il faut admettre qu’il a été l’une des trois figures majeures du socialisme auxquelles les électeurs ont fait confiance dans l’histoire de la Ve République, avec François Mitterrand et François Hollande. Ces trois "leaders" ont succédé à Léon Blum (sous la IIIe République) et à Guy Mollet (sous la IVe République) et ont eu beaucoup plus de temps et de pouvoirs que leurs "prédécesseurs".

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Aujourd’hui, le socialisme est un parti en voie de disparition, éclaté de toutes parts, déserté par les deux principaux protagonistes de la primaire de janvier 2017, Manuel Valls qui a rejoint Emmanuel Macron, et Benoît Hamon qui tente de refaire le coup de Jean-Luc Mélenchon avec neuf ans de retard, en créant une secte à sa dévotion (le 1er juillet 2017 à Paris).

Lionel Jospin était socialiste, il fait maintenant partie des dinosaures qui pourront dire qu’ils ont connu le socialisme à la française. Il faut qu’il témoigne vite, car dans les pays de l’Europe centrale et orientale, les jeunes de 20 ans, anglicisés et globe-trotters, ont complètement oublié ce qu’était le socialisme, même à visage humain…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 juillet 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Lionel Jospin, éléphant à la retraite.
Nomination au Conseil Constitutionnel (9 décembre 2014).
Le coup de Jarnac du 21 avril.
Lionel Jospin était le meilleur ! (22 janvier 2010).
Le jospinosaure, un ruminant qui rumine encore et toujours.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170712-jospin.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/lionel-jospin-elephant-a-la-194888

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/07/12/35456691.html





 

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2 juillet 2016 6 02 /07 /juillet /2016 20:10

Michel Rocard vient de mourir ce samedi 2 juillet 2016 à presque 86 ans.

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150823-rocard.html

SR (02 juillet 2016)

 

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10 mai 2016 2 10 /05 /mai /2016 06:04

« Ce qui m’a frappé, c’est son regard. Un regard pénétrant. Un regard tranchant. Un beau regard d’ailleurs qui essayait de savoir à qui il avait à faire. Sa diction ? Il en jouait. Non pas qu’elle ait été bonne, elle ne l’était pas nécessairement. Mais elle n’était pas si mauvaise que cela. Il était avocat. Il a plaidé fortement. Il a sauvé quelques têtes pendant la guerre. Il était capable de s’exprimer correctement. Mais quand il n’avait pas trop envie qu’on le comprenne, il savait s’arranger. » (Gérard Unger, le 2 avril 2012, auteur d’une biographie "Gaston Defferre", 2011, éd. Fayard). Deuxième partie.


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Après avoir évoqué l’engagement très tôt dans la Résistance et sa passion pour la ville de Marseille, voici Gaston Defferre arrivé dans la cour des grands : et pourquoi pas lui ?


Les débuts de la Ve République

Hostile au retour du Général De Gaulle le 1er juin 1958 (il vota contre son investiture), Gaston Defferre lui apporta cependant son soutien lors du référendum de ratification de la Constitution de la Ve République le 28 septembre 1958 et aussi de sa confiance sur la politique algérienne (en août 1958), mais ce retournement ne fut pas suffisant pour conserver sa circonscription aux élections législatives de novembre 1958, en raison de la forte hostilité de l’électorat communiste à son égard.

Comme François Mitterrand, il se fit élire sénateur le 26 avril 1959, réélire le 23 septembre 1962, et siégea au Sénat du 26 avril 1959 au 13 décembre 1958, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Entre autres interventions au Sénat, Gaston Defferre posa une question au Ministre de l’Éducation nationale le 2 octobre 1962 pour s’inquiéter de la suppression de la subvention de l’État accordée à …l’UNEF !

Réélu député en novembre 1962, il fut élu président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale du 6 décembre 1962 au 22 mai 1981 (ce qui est très long). Comme sous la IVe République, Gaston Defferre fut un député très actif sous la Ve République.

Parmi ses très nombreuses initiatives, on peut citer les éléments suivants. Le 21 février 1963, il déposa une proposition de loi pour nationaliser les banques d’affaires (n°194). Le 7 juin 1963, il déposa une proposition de loi pour compléter la loi du 29 juillet 1881 et renforcer l’efficacité de la répression de la provocation à la haine raciste (n°322). Le 19 juillet 1962, il déposa une proposition de loi pour fixer à 18 ans l’âge de la majorité légale et électorale (n°438), ce qu’a décidé plus de dix ans plus tard Valéry Giscard d’Estaing. Dans une déclaration sur la déclaration de politique générale du Premier Ministre Georges Pompidou, Gaston Defferre évoqua la figure du colonel de La Rocque le 13 décembre 1962.


L’impossible candidature centriste

En début 1963, Gaston Defferre s’est retrouvé dans une position politique exceptionnellement flatteuse : réélu à la mairie de Marseille en 1959, retrouvant son mandat de député en novembre 1962, à la tête de la première fédération socialiste (11 725 adhérents en 1963 !), véritable homme fort de la SFIO après Guy Mollet (qui se voyait alors concurrencer), ancien ministre ayant montré ses responsabilités… et surtout, anticommuniste notoire.

En clair, il était le portrait idéal de celui qui aurait pu succéder à De Gaulle, voire le combattre dans le cas où ce dernier serait candidat à sa succession. Ce fut ainsi que démarra la célèbre campagne de presse orchestrée le 19 septembre 1963 par Jean-Jacques Servan-Schreiber, patron de "L’Express" avec le fameux "Monsieur X". La candidature de Gaston Defferre fut d’abord discutée au comité directeur de la SFIO le 18 décembre 1963 puis approuvée par le congrès extraordinaire du 2 février 1964.

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Dans un voyage organisé de longue date, Gaston Defferre profita de son déplacement en Gironde pour démarrer sa campagne. Le 9 février 1964 à Floirac, il déclara : « Je suis socialiste et je le reste, et d’ailleurs, le pays ne comprendrait pas que, même pour avoir des voix autres que les nôtres, je m’éloigne de mes amis. » et devant un banquet républicain qui rassembla de nombreux élus et militants (plus de deux cent cinquante) le jour même à Floirac, il affirma : « Soyez assurés que je mènerai la bataille jusqu’à son terme et sachez aussi que je reviens chez moi avec le cœur réchauffé par votre amitié. » (cité par "Sud-Ouest" du 10 février 1964).

Mais pour aller jusqu’au bout de cette candidature, il fallait une condition très importante : que "Monsieur X" ait pu fédérer toutes les forces antigaullistes, et en particulier le centre droit et la gauche, quitte à se mettre les communistes à dos. Autrement dit, il fallait une alliance entre centristes du MRP et socialistes de la SFIO, et tous les partis dans cet espace politique, dont les radicaux mais aussi la CIR de François Mitterrand et d’autres groupuscules.

Gaston Defferre, au contraire de Guy Mollet et de Pierre Mendès France, s’était bien adapté aux nouvelles institutions et en particulier, au principe de l’élection présidentielle au suffrage universel direct. Au contraire, il estimait que c’était l’occasion rêvée pour prendre plus de poids par rapport aux communistes dans l’opposition au gaullisme. Car le principe majoritaire nécessitait d’une part d’être majoritaire dans son propre camp (donc que la SFIO dépassât le PCF) puis qu’il fût capable d’atteindre la majorité de l’électorat.

Les élections municipales de mars 1965 donnèrent un peu d’espace à Gaston Defferre qui fit des ouvertures au centre droit sur sa liste (avec Jean-Claude Gaudin, voir plus haut). Mais ce ne fut pas suffisant. Ce que voulait Gaston Defferre, c’était fonder une grande fédération de partis qui ne fussent ni communistes ni gaullistes sur des éléments de programme bien précis dont la construction européenne.

Au congrès de la SFIO le 6 juin 1965 à Clichy, malgré les réticences de Guy Mollet, Gaston Defferre a obtenu le feu vert pour démarrer des négociations en vue de créer cette grand fédération rassemblant tous les démocrates, du MRP à la SFIO en passant par les radicaux, à l’image du Parti démocrate de John Kennedy aux États-Unis.

Entre le 15 et le 18 juin 1965 ont eu lieu les premières (et seules) négociations pour fédérer l’opposition antigaulliste mais ce fut l’échec complet parmi les dix-sept délégués. Guy Mollet refusa toute concession au MRP, notamment sur les relations avec PCF, sur la laïcité, et même si le nom de la fédération. À quatre heures du matin, la grande fédération était morte née : « Les représentants des partis politiques ont dû constater qu’ils n’avaient pas pu parvenir à un accord assez large pour réaliser une formation politique unitaire. » (18 juin 1965).

Dans ses "Cahiers secrets", Michèle Cotta a décrit ainsi Gaston Defferre : « [Il] n’a pas été à la hauteur. Il fallait qu’il attaque, qu’il convainque, qu’il mobilise. Démoralisé, comme en retrait par rapport à lui-même, il a laissé se dérouler le scénario de sa propre défaite. (…) L’enjeu était trop élevé. Il ne s’est pas réellement battu. Ou pas assez. » (22 juin 1965).

Premier résultat, Gaston Defferre jeta l’éponge et annonça son retrait de la course présidentielle le 25 juin 1965. L’été fut donc de toutes les incertitudes. Antoine Pinay occupa l’espace médiatique pour évoquer son éventuelle candidature tout en la démentant : « J’ai toujours dit que je ne souhaite pas être candidat, mais je n’ai pris aucun engagement d’aucune sorte : je suis un homme libre. » ("L’Express" du 23 août 1965, cité par Michèle Cotta).

Autre résultat, Jean Lecanuet (président du MRP puis du Centre démocrate) a conclu que la SFIO serait toujours tributaire du torpillage de Guy Mollet et que Gaston Defferre n’y avait aucune influence, et que la seule alliance possible pour les centristes était vers leur droite avec les indépendants du CNIP et les radicaux (ce qui a conduit en 1978 à la formation de l’UDF). En attendant, Jean Lecanuet en profita le 19 octobre 1965 pour se présenter à l’élection présidentielle du 5 décembre 1965 et mener une campagne moderne très efficace qui lui fit obtenir, lui l’inconnu, 15,6% des suffrages au premier tour.

La réaction de François Mitterrand est évidemment tout le contraire, ayant laissé Gaston Defferre échouer tout seul : « Moi, je dis aujourd’hui : oui, il faut créer un nouveau courant autour d’un regroupement des forces politiques. La voie est fermée à droite ? Il faut passer par la gauche ! » (20 juillet 1965). Ayant eu la garantie d’un soutien de Pierre Mendès France et de Guy Mollet, coaché par Georges Dayan, André Rousselet, Charles Hernu et Claude Estier, François Mitterrand eut l’audace d’annoncer officiellement sa candidature à l’élection présidentielle le 9 septembre 1965, à la même minute que De Gaulle prononçait une allocution solennelle.

Maurice Faure a regretté cette candidature de type Front populaire car il souhaitait avant tout une candidature centriste, sans soutien des communistes, et il s’y voyait déjà : « D’un côté, il estime qu’il aurait été le meilleur candidat au centre ; de l’autre, un engagement actif et personnel dans une campagne lui fait peur. Résultat : il est de très mauvaise humeur depuis plusieurs semaines. » (Michèle Cotta le 19 octobre 1965).


La candidature de François Mitterrand en 1965

La stratégie de la Troisième force fut un échec et se révéla jusqu’à maintenant un échec sous la Ve République, que ce soit avec Gaston Defferre en 1965, Jacques Delors en 1995, François Bayrou en 2007 et l’initiative du Ministre de l’Économie Emmanuel Macron (ni à droite ni à gauche) est une nouvelle tentative de réunir le centre droit et le centre gauche, tout comme tente également de le faire le candidat LR Alain Juppé de son côté.

Après l’échec de sa candidature, Gaston Defferre a soutenu la tentative de François Mitterrand de fédérer la gauche non communiste, avec la FGDS (Fédération de la gauche démocrate et socialiste), créée le 10 septembre 1965 (jusqu’au 7 novembre 1968). Au contraire du projet de Gaston Defferre, les centristes n’étaient pas intégrés à la FGDS présidée par François Mitterrand (et dont le délégué général fut Charles Hernu) et seuls la SFIO (Guy Mollet), les radicaux (René Billères), l’UDSR et le CIR (François Mitterrand) et divers clubs socialistes (Jean Poperen, Alain Savary, etc.) furent rassemblés.

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Le demi-succès de la candidature de François Mitterrand (avoir mis en ballottage De Gaulle) a conduit François Mitterrand à nommer quelques mois plus tard, en mai 1966 (au grand dam de Guy Mollet), un contre-gouvernement qu’il a voulu présider lui-même (selon la tradition britannique du shadow cabinet) et Gaston Defferre en fut le contre-ministre des Affaires sociales et administratives, tandis que Guy Mollet était à la Défense et aux Affaires extérieures et René Billères à l’Éducation nationale. Le principe d’un tel collège fut décidée lors des assises de la Convention des institutions républicaines (CIR) le 13 mars 1966 à Lyon. Il n’a eu aucune efficacité et même aucune utilité.


Retour à la troisième force ?

Au cours d’un débat turbulent à l’Assemblée Nationale, le 20 avril 1967, Gaston Defferre traita d’abruti le député gaulliste René Ribière. Ce dernier, heurté par l’insulte, demanda réparation, à défaut des excuses que lui refusa Gaston Defferre. À cette occasion, l’un des derniers duels officiels en France a été disputé entre les deux hommes à Neuilly-sur-Seine. Il fut arbitré par le député gaulliste Jean de Lipkowski et Gaston Defferre gagna la partie après avoir blessé deux fois jusqu’au sang son interlocuteur qui arrêta le combat sur ordre de l’arbitre.

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Dans sa vie politique, Gaston Defferre a souvent prononcé des lapsus et des boulettes. La plus marquante fut sans doute dans un enregistrement pour la campagne officielle à la télévision du référendum du 27 avril 1969 : « C’est pourquoi je vous demande de voter "oui". Enfin, je veux dire "non", bien sûr ! Excusez-moi ! » (à l’époque, les prises de vue étaient très limitées).

Les réticences des socialistes contre la personnalité de François Mitterrand ont profité à Gaston Defferre qui s’est finalement présenté à la Présidence de la République à l’élection du 1er juin 1969 en "ticket" avec Pierre Mendès France qu’il a promis de nommer à Matignon.

Pierre Mauroy a très rapidement apporté son soutien au maire de Marseille pour empêcher que Guy Mollet ne proposât la candidature de Christian Pineau, ancien Ministre SFIO des Affaires étrangères partisan de la construction européenne. L’objectif de Guy Mollet était de proposer un candidat socialiste inacceptable pour les communistes. L’explication, c’est que s’il y avait une candidature unique de la gauche, alors celle de François Mitterrand serait restée encore la plus indiquée.

Finalement, la candidature de Gaston Defferre fut approuvée par le comité directeur de la SFIO du 30 avril 1969 puis le congrès extraordinaire du 4 mai 1969. Gaston Defferre avait déjà sondé le terrain alors que l’élection présidentielle était prévue pour 1971. En janvier 1969, puis février 1969 à Megève, il a rencontré deux fois Pierre Mendès France qui lui a affirmé qu’il n’aurait aucune visée présidentielle.

Le résultat fut pour lui très décevant, en recueillant juste 5,0% des suffrages (un peu plus d’un million de voix), alors que les derniers sondages lui attribuaient dans les 9%. Gaston Defferre, socialiste modéré, a été écartelé entre la candidature communiste de Jacques Duclos, très dynamique et vivant malgré ses 73 ans, qui a recueilli 21,3% des voix (4,8 millions) et celle du centriste Alain Poher, 23,3% (5,3 millions de voix) et la candidature de Michel Rocard (étiqueté PSU) ne l’a pas aidé en éparpillant les voix socialistes (Michel Rocard n’a eu que 3,6% des voix).

Parmi les raisons de l’échec de Gaston Defferre, il y a eu nécessairement la manière de créer un ticket là où l’élection se basait sur la personnalité d’une seule personne. En voulant "utiliser" l’aura politique et morale de Pierre Mendès France, il laissait entendre aux électeurs qu’il n’était pas, seul, à la hauteur, pas seul autosuffisant à l’Élysée (la logique voudrait qu’aucun candidat ne soit autosuffisant à l’Élysée mais le peuple français recherche systématiquement un personnage providentiel).

Pour seul commentaire devant les journalistes médusés le soir de sa défaite, il déclara : « La politique, c’est comme une course en mer. Un jour, on gagne ; un jour, on perd. Aujourd’hui, je perds ! » (1er juin 1969). Il ne gagna jamais, à ce jeu élyséen.


La stratégie d’union de la gauche

Si son destin national fut abandonné, Gaston Defferre a su se replier sur Marseille et assurer sa réélection en mars 1971. Entre temps, il avait apporté le soutien de toute sa fédération (très forte) à la motion de François Mitterrand au congrès d’Épinay du PS le 15 juin 1971 en écartant Alain Savary, soutenu par Guy Mollet. C’était Alain Savary qui fut le premier secrétaire du nouveau Parti socialiste du 17 juillet 1969 au 16 juin 1971 (et pas Pierre Mauroy, ancien dauphin de Guy Mollet qui l’avait déçu).

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Après la prise de pouvoir au sein du PS, véritable complot des mitterrandistes en s’appuyant à la fois sur des élus SFIO incontestable comme Pierre Mauroy et Gaston Defferre, et sur des jeunes intellectuels très virulents et gauchisants comme Jean-Pierre Chevènement, François Mitterrand a franchi une deuxième étape vers sa candidature présidentielle, le programme commun du PS et du PCF, finalisé le 26 juin 1972. Gaston Defferre, en bon pragmatique, trouvait que la liste des entreprises à nationaliser était un peu trop fournie (dopée par les communistes).

Au cours d’une convention socialiste sur l’Europe le 15 décembre 1973, Gaston Defferre étonna beaucoup de monde en affirmant un certain antiaméricanisme et en souhaitant que l’Europe se tournât vers l’Union Soviétique.

Dans le prochain article, j’évoquerai le sommet de la carrière de Gaston Defferre, avec le retour au pouvoir des socialistes et sa place prédominante au gouvernement.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 mai 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Animal politique.
Front populaire.
Jean Jaurès.
Léon Blum.
Général De Gaulle.
Colonel de La Rocque.
Guy Mollet.
Maurice Faure.
Daniel Mayer.
Gaston Defferre.
Pierre Mendès France.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Pierre Sudreau.
Pierre Messmer.
François Mitterrand.
Alain Poher.
Pierre Mauroy.
Jean Lecanuet.
Laurent Fabius.
Michel Rocard.
Marseille plus tard.
Congrès de Metz.
Les "Cahiers secrets" de Michèle Cotta.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160507-gaston-defferre-2.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/gaston-defferre-le-monsieur-x-de-180619

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/05/10/33751612.html

 

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10 mars 2016 4 10 /03 /mars /2016 22:24

Né le 8 juin 1925 à Paris sous le nom de Claude Hasday Ezratty, Claude Estier s'engagea dans la Résistance à Lyon de 1942 à 1944 puis adhéra à la SFIO en 1945. Exclu de la SFIO, il s'inscrivit au PSU en 1948 où il rencontra Gilles Martinet. Journaliste au "Progrès de Lyon", à "Libération", à "France Observateur" et au journal "Le Monde". Favorable à l'indépendance de l'Algérie, très opposé au retour de De Gaulle en 1958, il rejoignit François Mitterrand fin 1964 pour l'élection présidentielle de décembre 1965. Il quitta le journalisme pour l'engagement politique et la compétition électorale. Le 12 mars 1967, il réussit à battre le gaulliste sortant Alexandre Sanguinetti à Paris et devint député de mars 1967 à mai 1968. Il ne fut réélu qu'après la victoire de François Mitterrand de juin 1981 à mars 1986 (il présida la commission des Affaires étrangères de 1983 à 1986) et commença une carrière de sénateur avec deux mandats de septembre 1986 à septembre 2004 (réélu en septembre 1995). Il dirigea le gourpe PS au Sénat de 1988 à 2004 (et fut candidat à la Présidence du Sénat en 1989, 1992, 1995, 1998 et 2001). Il fut par ailleurs conseiller de Paris de 1971 à 1989. En 1971, il fonda et dirigea le journal du PS "L'Unité" et de 1981 à 1988, il fut l'invité régulier du premier talk-show français, l'émission "Vendredi soir" diffusé sur France Inter tous les vendredis soirs, où il débattait de l'actualité politique avec Jean d'Ormesson, Pierre Charpy, Henri Amouroux et Roland Leroy. Il publia de nombreux essais politiques, en particulier des journaux de campagne sur François Mitterrand en 1981, sur François Hollande en 2012 et sur Anne Hidalgo en 2014.

SR




 

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29 janvier 2016 5 29 /01 /janvier /2016 06:28

« Parfois résister, c’est rester ; parfois résister, c’est partir. » (Christiane Taubira, 27 janvier 2016).


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En début de journée, ce mercredi 27 janvier 2016, l’équilibre gouvernemental a été rompu par l’annonce surprise (bien qu'inévitable) de la démission de la Ministre de la Justice Christiane Taubira, prenant de court l’exécutif qui semblait tout accepter d’elle dès lors qu’elle restait un alibi au sein gouvernement. La raison, elle est connue depuis le 23 décembre 2015, c’est la déchéance de la nationalité : « Je quitte le gouvernement sur un désaccord politique majeur. Je choisis d’être fidèle à moi-même, à mes engagements, mes combats, mon rapport aux autres, à nous tels que je nous comprends. ».

Alors qu’un remaniement ministériel était en préparation, notamment pour gérer le départ de Laurent Fabius du Quai d’Orsay car promis à la Présidence du Conseil Constitutionnel (même si cette perspective n'enchanterait guère Lionel Jospin, nommé dans cette instance le 6 janvier 2015 par Claude Bartolone pour la succession de Jacques Barrot), beaucoup de rumeurs affirmaient que le Ministère de la Culture et de la Communication serait revenu à Christiane Taubira. Il en sera donc autrement, puisque Christiane Taubira a décidé de rompre avec François Hollande et Manuel Valls.

Deviendra-t-elle, dans l’optique de l’élection présidentielle de 2017, l’égérie de la gauche morale face à la gauche sécuritaire ? C’est difficile de dire cela mais il n’y a pas de doute que ses partisans, un peu étonnés par les couleuvres avalées, seront aujourd’hui soulagés d’une telle démission qui redonne du sens politique aux positions de Christiane Taubira.

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Certains socialistes, échaudés par l’élection présidentielle de 2002, craignent une candidature grain de sable de Christiane Taubira qui pourrait renouveler le scénario en 2017, empêchant François Hollande d’atteindre le second tour.

Pourtant, rappelons un élément majeur de 2002 : Ni Christiane Taubira ni Jean-Pierre Chevènement n’ont été les responsables de la chute de Lionel Jospin dès le premier tour du 21 avril 2002. Certes, en additionnant purement arithmétiquement le nombre de voix pour les trois candidats, on dépassait largement le nombre de voix pour Jean-Marie Le Pen. Mais justement. Ceux qui, proches des socialistes, n’avaient pas voté pour Lionel Jospin au premier tour et s’étaient réfugiés vers une candidature secondaire, de toute façon, ils n’auraient pas voté pour Lionel Jospin au premier tour. Au mieux, ils se seraient abstenus.

Le responsable de l’échec de Lionel Jospin, c’est tout simplement Lionel Jospin lui-même qui n’a jamais donné envie de voter pour lui, parce qu’il y a eu sans doute un problème avec la sensibilité humaine : ses réactions très technocratiques face à la fermeture de Renault à Vilevorde en 1997, face aux licenciements chez Michelin en  2000 (« L’État ne peut pas tout. ») et face à d’autres affaires économiques lui ont été à cet égard fatales.

Certains disent même que la demande de primaire à gauche pour 2017 a été calibrée pour Christiane Taubira elle-même, bien qu’elle s’en défende (« absolument sûre » de ne pas y participer).

Finalement, n’écoutant que ses convictions et prenant acte de la détermination du gouvernement à présenter la révision constitutionnelle qui constitutionnalise l’état d’urgence et la déchéance de la nationalité, elle désamorce les critiques d’incohérence de comportement politique entre ses positions et son maintien au sein du gouvernement. Ce qui lui permettra de devenir une véritable icône de la gauche morale (qu’elle n’est certainement pas mais c’est l’image qui apparaîtra ainsi).

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Je parle de rupture de l’équilibre gouvernemental car pour lui succéder, François Hollande a choisi un hollandiste sécuritaire de la première heure, celui qui a inspiré la loi de surveillance généralisée dite loi sur le renseignement, à savoir Jean-Jacques Urvoas, fringant président de la commission des lois de l’Assemblée Nationale et qui attendait un poste ministériel depuis longtemps en récompense de son hollandolâtrie fidèle et permanente. J’aurais largement préféré que l’ancien sénateur de l’Isère André Vallini, actuel Secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, fût nommé Place Vendôme alors qu’il s’y préparait, lui aussi, sérieusement et raisonnablement, depuis plusieurs années.

Avec la nomination de Jacques-Jacques Urvoas, c’est la confirmation du virage sécuritaire et l’idée que François Hollande et Manuel Valls ne pensent plus qu’au sécuritaire, au détriment du social et de l’économique (on attend toujours un plan de relance de l’économie et de l’emploi).

Si les parlementaires et aussi les électeurs de la droite la plus sécuritaire se laissent embobiner par cette nouvelle posture de l’Élysée,pour ne pas dire manœuvre politicienne, eh bien, tant pis pour eux, mais aussi, hélas, tant pis pour la France…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 janvier 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Entre gauche morale et gauche sécuritaire.
Christiane Taubira en pleine sortie...
Christiane Taubira, ministre météore ?
La déchéance de la nationalité.
Le mariage gay.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160127-taubira.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/christiane-taubira-entre-la-gauche-177032

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18 janvier 2016 1 18 /01 /janvier /2016 06:55

« J’ai beau être une sorcière d’Amazonie, il y a des limites à mon pouvoir. » (Christiane Taubira, 13 mars 2014).


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S’il y a bien une personnalité politique sur laquelle je me suis trompé, c’est bien Christiane Taubira, la Ministre de la Justice. Quelques jours après sa nomination le 16 mai 2012, je m’étais interrogé à tort sur sa présence au gouvernement et m’étais demandé si elle n’allait pas devoir rapidement démissionner. Il se trouve qu’elle est maintenant la cinquième Garde des Sceaux les plus longs des cinq Républiques françaises, et cela depuis la proclamation 1869, avec presque quatre ans de longévité, derrière seulement quatre prédécesseurs : Jean Foyer, René Pleven, Alain Peyrefitte et Robert Badinter.

Cette longévité est étonnante car selon certaines informations que j’ai pu recueillir, Christiane Taubira n’a jamais aimé se retrouver Place Vendôme. Lors de la nomination de Manuel Valls à Matignon, elle convoitait même le Ministère de la Culture. L’instabilité des membres de son cabinet, son caractère assez difficile ne l’ont pas empêchée de rester à son poste très exposé car progressivement, elle est devenue comme une icône. Paradoxalement, ce sont probablement ceux qui n’ont cessé de l’insulter, souvent de manière parfaitement raciste (notamment l’extrême droite), qui l’ont confortée à son ministère.

Je dois dire que je suis souvent en désaccord avec Christiane Taubira sur de nombreux sujets politiques, mais il faut pourtant souligner que je l’apprécie beaucoup également. Que je la respecte beaucoup. Non parce qu’elle serait une représentante supposée de la "féminitude" ni encore moins de la "diversitude", je me moque autant de la couleur de sa peau que de son sexe ou de son vélo ou encore de la couleur de son écharpe.

Non, ce que j’apprécie chez Christiane Taubira, c’est qu’elle est une véritable femme politique. Elle est devenue, depuis 2012, un rare "poids lourd" de François Hollande. Or, des personnalités politiques, il n’y en a plus beaucoup en France. Au mieux, on a des gestionnaires forts en thème, au pire, des décultivés sensibles à l’intérêt personnel ou clanique. Dans le gouvernement actuel, c’est assez simple, elle est l’une des rares à faire de la politique, avec Manuel Valls. Même Laurent Fabius n’en fait plus alors qu’il était un "animal politique" redoutable pendant plusieurs décennies.

Christiane Taubira est l’une des rares responsables politiques en France à faire de la politique, c’est-à-dire, à utiliser sa culture pour transformer des réformes en véritables actes politiques. On pourra donc dire ce qu’on veut d’elle, la traiter de tous les noms d’animaux ou maugréer contre son côté électron-libre (ce qui est plutôt rassurant, un ministre qui ne soit pas inféodé à un parti ni à une prise de décision robotisée), elle fait de la politique et dans cette France de 2016, cela détone.

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Contrairement à ce qu’on veut lui coller à la peau, elle n’est pas un indépendantiste de la Guyane, ou en tout cas, plus depuis au moins trente-cinq ans, c’est dire si ceux qui l’accusent de ce militantisme devraient d’abord se rappeler leur militantisme de jeunesse qui pourraient aussi être d’une grande incohérence avec leurs options politiques actuelles. Mais elle n’est pas non plus la représentante supposée de l’aile gauche du gouvernement : rappelons en effet qu’elle est membre du Parti radical de gauche, qu’elle se situe donc au centre gauche dans l’échiquier politique, et qu’elle a même voté la confiance du gouvernement d’Édouard Balladur lorsqu’elle a été élue (pour la première fois) députée de Guyane. Et l’année suivante, elle s’est fait élire députée européenne en quatrième position sur la liste …de Bernard Tapie !

Concrètement, c’est sûrement sa défense de la loi sur le mariage gay (loi n°2013-404 du 17 mai 2013) que l’histoire politique du pays retiendra d’elle dans les décennies à venir. Pourtant, cette réforme a des conséquences ultra-minimes et est d’une importance dérisoire quand on pense aux enjeux économiques (le chômage a crû de 650 000 demandeurs d’emploi de la catégorie A en trois ans) et aux enjeux de sécurité (avec les attentats de 2015).

Introduisant le 29 janvier 2013 à l’Assemblée Nationale le fameux débat dans une perspective historique, elle a rappelé ceci : « Le mariage civil porte l’empreinte de l’égalité. Il s’agit d’une véritable conquête fondatrice de la République, dans un mouvement général de laïcisation de la société. Une telle conquête était importante essentiellement pour ceux qui étaient exclus du mariage à cette époque. Après la révocation de l’édit de tolérance, dit édit de Nantes, en 1685, les protestants ne pouvaient se marier qu’en procédant secrètement avec leur pasteurs. Ils ne pouvaient pas constituer une famille et leurs enfants étaient considérés comme des bâtards. » pour aboutir à ceci : « Que l’on nous explique pourquoi deux personnes qui se sont rencontrées, qui se sont aimées, qui ont vieilli ensemble, devraient consentir à la précarité, à une fragilité, voire à une injustice, du seul fait que la loi ne leur reconnaît pas les mêmes droits qu’à un autre couple aussi stable qui a choisi de construire sa vie ? » sans oublier d’évoquer l’adoption des enfants : « Au nom d’un prétendu droit à l’enfant, vous refusez des droits à des enfants que vous choisissez de ne pas voir. ».

Mieux qu’une simple défense du texte, Christiane Taubira en a fait un étendard de fierté en citant quelques vers : « Nous en sommes si fiers que je voudrais le définir par les mots du poète Léon-Gaston.Damas : l’acte que nous allons accomplir est "beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l’aube voit s’épanouir enfin les pétales". Il est "grand comme un besoin de changer d’air". Il est "fort comme le cri aigu d’un accent dans la nuit longue". » (29 janvier 2013).

La réforme pénale de Christiane Taubira (loi n°2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales) est loin d’être unanime et pertinentes. De nombreuses maladresses ont pollué son action (comme ses déclarations lors de l’affaire des écoutes téléphoniques de Nicolas Sarkozy et de son avocat). Sa volonté de dépénaliser le conduite sans permis de conduire (projet présenté au conseil des ministres du 31 juillet 2015) a été une erreur désastreuse, qui a encouragé l’insécurité routière, heureusement vite annulée par son rétropédalage du 24 septembre 2015.

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Et si je suis en complet accord avec Christiane Taubira concernant la déchéance de la nationalité, je reste stupéfait qu’elle reste encore au gouvernement alors qu’elle a réaffirmé le 7 janvier 2016 son opposition à cette révision constitutionnelle. C’était pourtant elle qui aurait dû la défendre au Parlement à partir du 3 février 2016, mais finalement, ce sera Manuel Valls lui-même, très enclin à s’approprier non seulement des sujets sécuritaires mais de tous les sujets gouvernementaux, un peu à l’instar de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était à l’hyper-Élysée.

C’est clair que depuis le 23 décembre 2015, date à laquelle le conseil des ministres a contredite son annonce la veille que la déchéance de nationalité ne serait pas retenue dans le projet de loi constitutionnelle, la position de Christiane Taubira est plus qu’instable. D’ailleurs, l’absence de sa propre démission pour faire valoir ses convictions pourraient même décevoir ses plus chauds partisans (dont je ne suis pas !).

Par ailleurs, si François Hollande et Manuel Valls ont voulu la maintenir au gouvernement, c’est aussi pour affirmer la coloration sociale de leur équipe. Elle est soutenue par de nombreux futurs électeurs potentiels lors de la prochaine élection présidentielle et doit donc être ménager. C’est pour cela que je peux proposer au Président de la République une excellente conclusion, qui pourrait la pousser à la sortie du gouvernement sans donner l’impression de l’avoir limogée.

Fin février 2016, François Hollande aura en effet une décision importante à prendre. Le mandat de Jean-Louis Debré comme Président du Conseil Constitutionnel (nommé en février 2007) s’achève et c’est au Président de la République de nommer son successeur pour neuf ans. Nicolas Sarkozy n’a pas eu le loisir d’une telle nomination en raison de la brièveté de son mandat. Le successeur de François Hollande n’en aura pas plus l’occasion, du moins, dans le mandat entre 2017 et 2022 puisque la personne qui sera nommée en février 2016 restera en fonction jusqu’en février 2025 !

C’est donc une nomination cruciale car rare, et aussi en raison des prérogatives de l’instance que cette personne présidera, qui ont été élargie par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 avec les questions prioritaires de constitutionnalité, mais aussi ses prérogatives anciennes comme le contrôle du bon déroulement de l’élection présidentielle.

En nommant Christiane Taubira à ce haut poste, François Hollande réussirait à la fois à l’exclure du gouvernement (par la grande porte) et préserver son électorat qui la soutient. Une voie royale pour évincer Christiane Taubira des affaires. Ou républicaine, disons.

Bon, c’est vrai que les rumeurs les plus insistantes donneraient Laurent Fabius favori à ce poste. Le Ministre des Affaires étrangères souhaiterait quitter le gouvernement sur cette image de succès de la COP21 qu’il a présidée en décembre 2015 et ce poste d’honneur lui permettrait de terminer une carrière politique bien remplie dans les plus grands honneurs de la République. Mais franchement, serait-ce un bien pour la République ? Le Conseil Constitutionnel ne doit pas devenir une maison de retraite pour anciens "animaux politiques" en voie de reclassement. Pourquoi, dans ce même ordre d'idée, ne pas y nommer aussi Michel Rocard ou Lionel Jospin ou encore Bertrand Delanoë ?! Ou d’autres anciens de la Mitterrandie, comme Jean-Denis Bredin, ou même, plus jeune, Jean-Pierre Mignard (proche de Jacques Delors et de François Hollande) ?

Puisque nous y sommes, à propos d'un éventuel remaniement ministériel, il est vrai que les rumeurs de départ du gouvernement de Christiane Taubira et de Laurent Fabius sont persistantes, et aussi du départ de Fleur Pellerin du Ministère de la Culture. Alors, pour simplifier la vie des deux têtes de l’Exécutif, je leur propose les successeurs. Nouveau Ministre de la Justice : Manuel Valls. Nouveau Ministre des Affaires étrangères : Manuel Valls. Nouveau Ministre de la Culture et de la Communication : Manuel Valls. Comme cela, tout sera clair, un peu comme Lucien Grandgarçon dans "Monsieur le Ministre, tome 2", excellente bande dessinée de l’excellent Christian Binet, créateur des Bidochon.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 janvier 2016)
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Pour aller plus loin :
Christiane Taubira, ministre météore ?
La déchéance de la nationalité.
Le mariage gay.

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24 décembre 2015 4 24 /12 /décembre /2015 00:18

Né le 16 septembre 1929 à Courrières d'une famille modeste, Marcel Debarge a fait sa carrière professionnelle au sein des PTT, jusqu'à contrôleur, et fut militant syndicaliste de la CGT. Il s'est engagé au parti socialiste en 1969. En 1971, il fut président de la fédération du PS de Seine-Saint-Denis et accueillit ainsi le fameux congrès d'Épinay-sur-Seine du 11 au 13 juin 1971. En mars 1977, il fut élu maire du Pré-Saint-Gervais (la future commune de Claude Bartolone) jusqu'en juin 1995 et fut désigné comme membre du comité directeur du PS. En septembre 1977, il fut élu sénateur jusqu'en 2004. Il fut nommé Secrétaire d'État chargé de la Formation professionnelle dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy du 22 mai 1981 au 22 juin 1981, puis Secrétaire d'État chargé du Logement du 15 mai 1991 au 31 mars 1992, puis Ministre délégué chargé de la Coopération et du Développement du 2 avril 1992 au 28 mars 1993. En raison de ses responsabilités ministérielles, il quitta son mandat de sénateur en 1991 et le retrouva à l'occasion de nouvelles élections en 1995. Par ailleurs, il fut numéro deux du PS en 1990 à l'issue du congrès de Rennes, derrière le premier secrétaire du PS, Pierre Mauroy.

SR



 

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6 novembre 2014 4 06 /11 /novembre /2014 23:54

Née le 14 juin 1913 en Algérie, Évelyne Baylet née Isaac fut l'une des personnalités radicales les plus influentes du Sud-Ouest pendant plusieurs décennies. Enseignante de français, latin et grec, elle épousa Jean Baylet (1904-1959), député-maire de Valence-d'Agen (Tarn-et-Garonne), ami de René Bousquet et d'Albert Sarraut, journaliste et propriétaire de "La Dépêche du Midi", lui-même neveu de Jean-Baptiste Chaumeil (1856-1930), précédent député-maire de Valence-d'Agen et propriétaire du journal.

Évelyne Baylet est devenue veuve le 29 mai 1959 (à 45 ans) à la suite d'un accident de voiture qui a coûté la vie à Jean Baylet (qui revenait d'une visite chez Albert Sarraut). Elle reprit la présidence de "La Dépêche du Midi" ainsi que les mandats de son mari, celui de maire de Valence-d'Agen ainsi que de conseiller général, ce qui l'amena à devenir la première femme présidente de conseil général de 1970 à 1982, empêchant une carrière électorale à René Bousquet.

Elle a tout fait pour préparer son fils Jean-Michel Baylet à préserver le fief familial (à la fois politique et économique). En 1977, elle lui a laissé son mandat de maire de Valence-d'Agen, en 1985, de conseiller général, et en 1995, de président de "La Dépêche du Midi". Sa fille Danièle Malle-Baylet a été présente sur la liste de Dominique Baudis en 1983 à la mairie de Toulouse. En septembre 2012, Évelyne Baylet a démissionné de ses fonctions de directrice de publication du groupe qu'elle a laissées à son petit-fils Jean-Nicolas Baylet. Évelyne Baylet fut par ailleurs, dans les années 1970, vice-présidente du Conseil régional de Midi-Pyrénées et membre du Conseil économique et social.

Maire de Valence-d'Agen de mars 1977 à mars 2001, député de 1978 à 1984, président du Conseil général du Tarn-et-Garonne depuis mars 1985, sous-ministre de 1984 à 1986 et de 1988 à 1993, président du PRG (radicaux de gauche) de 1983 à 1985 et depuis le 28 janvier 1996, Jean-Michel Baylet (68 ans le 17 novembre) vient de perdre le 28 septembre 2014 son mandat de sénateur qu'il détenait depuis le 2 octobre 1986.

Sur Jean-Michel Baylet (son fils) :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-81125838.html


Sylvain Rakotoarison

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30 mars 2014 7 30 /03 /mars /2014 09:16

Né le 6 novembre 1948 à Neufchâteau, Michel Dinet fut instituteur à Vannes-le-Châtel dont il devint conseiller municipal en 1971 puis maire de 1972 à 2001. Engagé au parti socialiste, conseiller général de Colombey-les-Belles de 1978 à sa mort; et conseiller régional de 2010 à sa mort, Michel Dinet fut élu député de Toul en juin 1988 mais battu en mars 1993 face au radical Aloys Geoffroy (UDF) dans la circonscription qu'a gagnée par la suite Nadine Morano de 2002 à 2012. Son grand fait d'armes fut d'avoir renversé la majorité du conseil général de Meurthe-et-Moselle en faveur de la gauche. Il fut donc élu président du conseil général de Meurthe-et-Moselle et réélu sans discontinuer de mars 1998 au 29 mars 2014 où il trouva la mort au cours d'un accident automobile.

SR

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14 février 2014 5 14 /02 /février /2014 16:41

Né le 17 juin 1931 en Corrèze, René Teulade fut un fonctionnaire de l'Education nationale (devenu principal de collège) avant de présider la Fédération nationale de la mutualité française de 1979 à 1992. Il fut également nommé membre du Conseil économique et social en 1998. Militant du PS, il fut maire d'Argentat du 19 mars 1989 au 13 février 2014. Il fut également élu conseiller général de Corrèez du 29 mars 1992 au 27 mars 2011 et aida François Hollande à conquérir le conseil général de la Corrèze en mars 2008 (il en devint son premier vice-président). Il fut nommé Ministre des Affaires sociales et de l'Intégration du 2 avril 1992 au 29 mai 1993 par François Mitterrand. Il a réussi à se faire élire sénateur de Corrèze du 1er octobre 2008 à sa mort.

SR

 

 

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