Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 avril 2017 6 22 /04 /avril /2017 06:15

« Je ne me suis jamais servi d’autre sortilège que de mon esprit. Est-il surprenant que j’aie gouverné la reine qui n’en a pas du tout ? » (Leonora Galigaï, à ses juges qui l’avaient accusée d’avoir ensorcelé Marie de Médicis).


_yartiConcini01

Le maréchal de France Concino Concini, sorte de Raspoutine florentin de la famille royale française, a été assassiné il y a quatre cents ans, le 24 avril 1617, au Louvre, à Paris, par un proche du jeune roi Louis XIII (1601-1643). C’est l’occasion de revenir sur cette période de l’histoire de France.

Lorsque Marie de Médicis (1575-1642), la fille de François Ier de Médicis, fortement courtisée au Palais Pitti de Florence, fut sollicitée par une demande de mariage provenant du roi de France en personne, Henri IV (1553-1610), en mars 1600, la famille florentine proposa au roi une forte dot et l’annulation de la dette de la France (les Médicis avaient été en quelques sortes des banquiers pour la France).

Henri IV, roi de France depuis le 2 août 1589, voulait assurer la pérennité de sa dynastie (les Bourbons) et l’ascendance impériale de Marie la rendait possible (petite-fille de l’empereur du Saint Empire romain germanique Ferdinand Ier). Cela faisait quarante ans qu’aucun dauphin n’était né dans la famille royale.

_yartiConcini02

Le mariage a eu lieu le 5 octobre 1600 par procuration à Florence et Marie de Médicis fit ensuite le déplacement pour rejoindre son royal mari. Elle quitta Florence le 23 octobre et arriva le 3 décembre 1600 à Lyon, où elle rencontra pour la première fois son époux le 9 décembre 1600. Le 27 septembre 1601, le futur Louis XIII allait naître.

La suite de Marie de Médicis qui l’accompagna dans son périple jusqu’à Paris fut composée de deux mille Italiens. Parmi eux, sa compagne de jeu lorsqu’elle avait 11 ans, Leonora Galigaï, quelques années plus âgée, fille de sa nourrice (donc sœur de lait). Concino Concini aussi faisait partie du voyage et séduisit Leonora avant même d’arriver à Paris, dès Avignon.

Né vers 1575, issu d’une famille de petite noblesse, Concino Concini était un aventurier audacieux, ambitieux, prétentieux et arrogant, et avait réussi à convaincre la future reine de l’accompagner. On pourrait imaginer le comparer à Raspoutine, ou à Bernard Tapie, Silvio Berlusconi, Donald Trump… comparaisons historiquement très douteuses, mais qui peuvent donner une idée du pouvoir d’influence sur la politique d’un État et de l’enrichissement colossal (selon une évaluation de 1617, le couple aurait accumulé une fortune équivalente au trois quarts du budget du royaume !).

Très vite, le roi Henri IV s’est méfié de ce couple d’intrigants, Concini et Leonora, au point de refuser leur mariage et d’accepter la présence de Leonora seulement si Concini repartait en Italie. Les déboires sentimentaux du roi furent l’occasion, pour Concini, de se rendre indispensable. Il est parvenu à concilier la reine Marie à la maîtresse du roi, Henriette d’Entragues (1579-1633), follement jalouse. Leonora aussi sympathisa avec la rivale de son amie. Henri IV accepta donc finalement le mariage de ce couple infernal, union qui a eu lieu le 12 juillet 1601 à Saint-Germain-en-Laye.

Leonora et Concini ne cessèrent de manœuvrer pour leur assurer honneurs et pouvoirs, faisant du trafic d’influence et utilisant parfois de nombreux artifices (comme l’astrologie, la magie, etc.)., et leurs intrigues ont même transformé Leonora en agente pour le compte de la cour de Philippe III, le roi d’Espagne. Certains ont évoqué la responsabilité de Leonora dans l’assassinat de Henri IV le 14 mai 1610, au lendemain du couronnement de la reine à Saint-Denis (le roi avait toujours voulu repousser la cérémonie).

La volonté du roi Henri IV d’intervenir dans un conflit de succession (il soutenait les princes allemands protestants contre l’empereur catholique) provoqua beaucoup d’opposition chez les catholiques et au sein même de sa cour. L’enquête officielle a conclu à l’acte isolé d’un catholique fanatique (Ravaillac) mais la consultation de plusieurs archives laisserait entendre l’existence d’un complot.

Pendant la régence de Marie de Médicis (du 14 mai 1610 au 2 octobre 1614), Leonora en profita pour doter son époux des plus prestigieux titres, comme maréchal de France en 1613 (alors qu’il n’avait jamais combattu sur un champ de bataille). Marie de Médicis garda le pouvoir après la fin de la régence (une fois Louis XIII déclaré majeur) en devenant chef du conseil du roi de France. Sa politique (de 1610 à 1617) fut de créer en Europe un axe catholique avec le rapprochement de la France avec Philippe III d’Espagne (concrétisé par le mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche, contre la volonté d’Henri IV).

_yartiConcini03

Dans la cour de France, Concini, favori de la reine et surintendant de la maison de la reine, "principal Ministre d’État" du roi à partir de 1616 (l’équivalent de Premier Ministre), avait suscité beaucoup d’ennemis, dans la noblesse et dans le peuple, et en particulier, le jeune roi Louis XIII avait toutes les raisons pour l’écarter du pouvoir. Concini fut assassiné le 24 avril 1617 d’un coup de pistolet dans la cour du Louvre, résidence de la reine. L’assassinat, commis par Nicolas de l’Hospital, duc de Vitry (1581-1644), fait maréchal de France pour l’occasion, fut commandité par le roi lui-même qui voulait se libérer du pouvoir de sa mère. Le corps de Concini fut déterré et profané dans les rues de Paris quelques jours après son assassinat, pendu par les pieds au Pont Neuf, puis dépecé et les restes brûlés.

Ce fut ce 24 avril 1617 que Louis XIII prit réellement le pouvoir, exilant sa mère Marie de Médicis à Blois, honteux de sa manière de gouverner, de la corruption, de la vénalité de son entourage (Marie de Médicis parvint à s’échapper le 22 février 1619 et leva même une armée contre son fils).

Richelieu (1585-1642) venait d’être nommé ministre le 25 novembre 1616, au service de Concini, aux Affaires étrangères et à l’Armée, poste qu’il quitta le 24 avril 1617, disgracié au même titre que Marie de Médicis. Créé cardinal le 12 décembre 1622 à Lyon, il fut rappelé par Louis XIII le 29 avril 1624 comme "principal Ministre d’État" du roi, jusqu’à sa mort, sur recommandation de sa protectrice Marie de Médicis, réconciliée le 10 août 1620 avec son fils.

_yartiConcini05

Quant à la femme de Concini, Leonora, elle fut rapidement arrêtée, le 4 mai 1617, internée d’abord à la Bastille puis à la Conciergerie, jugée et condamnée à mort pour sorcellerie. Elle évita d’être brûlée vive et fut décapitée en public le 8 juillet 1617, devant une foule en silence, impressionnée par le courage et la dignité de la femme. Ses restes furent brûlés et les cendres dispersées par le vent.

La fortune du couple, dont le château de Lésigny, fut confisquée et donnée à Charles d’Albert, duc de Luynes (1578-1621), favori du roi Louis XIII, futur connétable de France (à partir du 31 mars 1621) et considéré, à cause de sa rapide ascension, comme un second Concini.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 avril 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Concini.
Henri IV.
Philippe V.
François Ier.
Louis XIV.
Lully.

_yartiConcini04



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170424-concini.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/concini-l-intrigant-favori-de-192194

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/04/22/35197429.html

 

Partager cet article
Repost0
15 avril 2017 6 15 /04 /avril /2017 01:35

« J’ai consacré dix années de ma vie à écrire l’histoire de notre immense révolution ; je l’ai écrite sans haine, sans passion, avec un vif amour pour la grandeur de mon pays ; et quand cette révolution a triomphé dans ce qu’elle avait de bon, de juste, d’honorable, je suis venu déposer à vos pieds le tableau que j’avais essayé de tracer de ses longues vicissitudes. (…) Je vous remercie surtout, vous, hommes paisibles, heureusement étrangers pour la plupart aux troubles qui nous agitent, d’avoir discerné au milieu du tumulte des partis un disciple des lettres, passagèrement enlevé à leur culte, de lui avoir tenu compte d’une jeunesse laborieuse, consacrée à l’étude, et peut-être aussi de quelques luttes soutenues pour la cause de la raison et de la vraie liberté. Je vous remercie de m’avoir introduit dans cet asile de la pensée libre et calme. » (13 décembre 1834, discours de réception à l’Académie française).


_yartiThiers01

Le premier "vrai" chef de la République française Adolphe Thiers est né il y a deux cent vingt ans, le 15 avril 1797, à Marseille. Il était un grand homme dans un corps de petite taille (1 mètre 55), comme le fut également Napoléon Bonaparte. Grand républicain à la fin de sa vie, libéral favorable à une République conservatrice, il fut ces dernières décennies un peu malmené… J’en veux pour preuve la ville de Nancy, qui avait érigé une statue de l’illustre homme au milieu de la place qui porte son nom juste devant la gare et qui a été évacuée dans un obscur entrepôt de banlieue il y a une quarantaine d’années.

Il faut admettre que durant son existence, Thiers a reçu un grand nombre de surnoms pas très flatteurs, le plus connu est Foutriquet, et était la cible des caricaturistes car lui-même était assez caricatural (petit, agité, la voix aiguë et nasillarde).

Parmi les autres surnoms ou insultes, surtout utilisés par les futurs communards, on peut citer : le nain grotesque, Tamerlan à lunettes, cœur saignant, petit jeanfoutre, crapaud venimeux, magot de l’exécutif, Adolphe le Petit, bandit sinistre, roi des Versailleux, général Tom-Pouce, satrape de Seine-et-Oise, Myrmidon Ier, le nabot, serpent à lunettes, vieille canaille. Et j’en passe. Balzac constatait son grand narcissisme : « Monsieur Thiers n’a jamais eu qu’une seule pensée : il a toujours songé à Monsieur Thiers. » (12 mai 1836). Même Karl Marx y est allé de sa touche personnelle : « Thiers, ce nabot monstrueux, a tenu sous le charme la bourgeoisie française pendant plus d’un demi-siècle, parce qu’il est l’expression intellectuelle la plus achevée de sa propre corruption de classe. » (1871).

Comme on le voit, il y avait de l’imagination et de la diversité, si bien que les insultes qu’ont eu à subir Nicolas Sarkozy et même François Hollande étaient assez modérées, en fin de compte !

D’un caractère très volontaire, Thiers savait prendre la parole à l’assemblée, et comme il était un très mauvais lecteur de discours, assez ennuyeux, il préférait laisser de côté ses notes, au risque de faire plein de fautes de français, mais avec le talent de parler spontanément avec une force de persuasion exceptionnelle.

D’ailleurs, certains n’ont pas hésité à faire une comparaison entre Nicolas Sarkozy et Adolphe Thiers, l'ambition, le côté bling-bling, l'audace, l'énergie, la combativité, meilleure comparaison que celle avec Napoléon III, même s’il faut la pondérer car Nicolas Sarkozy n’a pas la culture ni l’érudition de Thiers.

En effet, Thiers fut de ces hommes à plusieurs facettes, l’une intellectuelle et littéraire et l’autre purement politique. Homme brillant et très rare, il a été de ces hommes d’État qui furent au sommet de la vie politique encore jeunes, et qui furent rappelés vieillards (on peut en citer d’autres dans la courte histoire de la République française : Clemenceau, De Gaulle, et même François Mitterrand et Jacques Chirac, etc.).

Il jouit auprès de certains mouvements d’extrême gauche d’une mauvaise réputation, relayée par Georges Clemenceau qui ne lui pardonna pas la répression de la Commune de Paris. Clemenceau fut un député de Paris plutôt neutre, à l’époque, et pensait sincèrement qu’il y avait une possibilité pour éviter l’effusion de sang. Clemenceau disait ainsi le 2 octobre 1927 : « J’ai pour Monsieur Thiers une exécration profonde et qu’il me rendait bien, d’ailleurs. » ou encore : « Thiers est le type de bourgeois borné et féroce, qui s’enfonce dans le sang, sans broncher. ».

Pourtant, Thiers a joué un rôle essentiel dans la construction du consensus républicain français et dans l’évolution des institutions entre 1830 et 1870. En clair, il fut l’homme de la génération née en pleine Révolution française qui a permis d’en revendiquer les bienfaits (liberté, égalité, fraternité) en éliminant ses aspects les moins admissibles pour la bourgeoisie.

Une ardente ambition doublée d’une soif de reconnaissance l’ont nourri dès son jeune âge, expliquant ses brillantes qualités de bon élève à Marseille. Il a commencé sa vie professionnelle comme avocat après des études de droit à Aix-en-Provence. Boulimique de travail, il comptait rédiger un traité de trigonométrie sphérique, une tragédie, un traité de philosophie, etc. Il réussit à se faire récompenser par l’Académie d’Aix-en-provence pour son Éloge de Vauvenargues. En septembre 1821, il quitta Marseille pour Paris afin d’y trouver prospérité, pouvoir, influence : « Je ne suis pas heureux, j’éprouve d’adents besoins et je suis pauvre. J’aimerais les femmes, la table, le jeu et je n’ai point d’or. » (novembre 1820). La vénalité et la cupidité furent sans doute des moteurs aussi forts chez lui que l’ambition politique et la reconnaissance intellectuelle.

Très rapidement, il commença son réseautage parisien et fut introduit chez le banquier Jacques Laffitte, futur premier chef du gouvernement de Louis-Philippe. Jacques Laffitte, banquier libéral, était une figure de l’opposition sous la Restauration. Thiers se transforma en journaliste, un métier beaucoup plus rémunérateur. Éclectique, il s’intéressa aux finances, à la littérature, à la politique, et aussi à l’art : il fut l’un des premiers à avoir découvert le talent d’un jeune peintre, Delacroix (le 11 mai 1822). À l’époque, il n’avait que 25 ans.

Son ambition intellectuelle fut aussi de rédiger son "Histoire de la Révolution française", dont les dix volumes, publiés entre 1823 et 1827, reçurent rapidement le succès et l’éloge de grands écrivains (comme Chateaubriand) et furent traduits en anglais et après sa mort, en espagnol. Ce succès lui apporta la richesse, la réputation et même son élection à l’Académie française le 20 juin 1833 (à l’âge de 36 ans) au fauteuil qui fut ensuite attribué à Ferdinand de Lesseps, Anatole France, Paul Valéry, Henri Mondor et François Jacob.

En tout, Thiers fut l’auteur d’une trentaine d’ouvrages parfois référence en histoire ou en littérature, et après son histoire de la Révolution, il publia également une imposante "Histoire du Consulat de l’Empire" en vingt volumes de 1845 à 1862.

Auparavant, la Révolution de 1830 qui renversa Charles X amena au pouvoir un roi libéral, Louis-Philippe Ier qui forma un premier gouvernement avec Jacques Laffitte puis un autre avec Casimir Perrier, beaucoup plus ferme contre les républicains. Casimir Périer resta le modèle de Thiers, élu député et nommé Ministre de l’Intérieur le 11 octobre 1832 (à l’âge de 35 ans) dans le gouvernement de Nicolas Soult. De là commença une rivalité politique avec un autre ministre, François Guizot qu’il retrouva ensuite à l’Académie française.

Réussissant à "séduire" le roi Louis-Philippe par ses flatteries (mais pas la reine), Thiers amorça une carrière gouvernementale qui l’a conduit au plus haut sommet de l’État : Ministre de l’Intérieur du 11 octobre 1832 au 31 décembre 1832, du 4 avril 1834 au 10 novembre 1834 et du 18 novembre 1834 au 22 février 1836, il fut aussi Ministre des Travaux publics du 31 décembre 1832 au 4 avril 1834 avant de revenir à l’Intérieur, où il fut populaire.

Partisan de l’ordre et de la fermeté, Thiers réprima sévèrement la révolte des canuts à Lyon en avril 1834, adoptant une tactique qu’il répéta contre la Commune de Paris en faisant retirer les troupes de la ville insurgée et en la reprenant de force. L’opération a coûté la vie à environ 300 personnes (peut-être plus), parfois massacrées à tort en réaction à des incidents mineurs.

Le procès des insurgés d’avril 1834 et l’attentat contre le roi du 28 juillet 1835 qui a tué onze personnes ont rendu très impopulaires les républicains notamment parmi la bourgeoisie qui avait peur d’un retour aux excès de l’époque de Robespierre.

Trois lois présentées par Victor de Broglie, le chef du gouvernement, furent adoptées par les députés (respectivement les 13, 20 et 29 août 1835) puis promulguées le 9 septembre 1835 pour consolider la Monarchie de Juillet : « La Charte établit la liberté politique, sous la forme de la monarchie constitutionnelle. Tous les partis sont libres dans l’enceinte de la monarchie constitutionnelle. Dès qu’ils en sortent, la liberté ne leur est pas due. Ils se mettent eux-mêmes hors de la loi politique. » (Victor de Broglie). La loi la plus controversée fut la troisième adoptée par 226 voix contre 163, qui a interdit toute discussion sur le roi, la dynastie et la nature du régime, beaucoup de députés considérant que les pamphlets contre le roi avaient suscité l’attentat contre lui.

_yartiThiers02

Après le renversement du gouvernement de Victor de Broglie (le premier renversement par les députés), Louis-Philippe, habile manœuvrier de la vie politique,  appela Thiers à tête du gouvernement en profitant de sa position à ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui le centre gauche. Le roi voulait faire croire à la parlementarisation du régime et a nommé celui qui pouvait émaner de l’assemblée, mais voulait en fait promouvoir Louis Mathieu Molé. À sa nomination, Thiers est parvenu à garder l’estime de Victor de Broglie qui a juste prévenu le roi qu’après avoir nommé Thiers, il ne faudrait pas le remercier sinon ce dernier se retrouverait dans le camp des républicains. En revanche, Thiers n’a pas pu éviter la rupture avec François Guizot, encouragée par le roi.

Adolphe Thiers (âgé de 38 ans, quelques mois de plus que Laurent Fabius à sa nomination à Matignon en juillet 1984) fut alors Président du Conseil des ministres du 22 février 1836 au 6 septembre 1836 puis du 1er mars 1840 au 29 octobre 1840 (il fut rappelé par Louis-Philippe le 24 février 1848 lors de la Révolution de 1848 mais n’a pas eu le temps de le former avant l’abdication du roi et la formation d’un gouvernement provisoire présidé par Charles Dupont de l’Eure).

Pendant les quelques mois où il dirigea le gouvernement de la France, il avait pris aussi le portefeuille des Affaires étrangères et s’impliqua beaucoup dans la diplomatie pour nouer une alliance contre-nature avec l’Autriche par le mariage entre le duc d’Orléans (jeune fils de 25 ans de Louis-Philippe qui cherchait une descendance dynastique pour asseoir son régime) avec une archiduchesse autrichienne (sans succès : Metternich trouvait que la Monarchie de Juillet n’avait pas assez d’avenir pour engager son pays).

Son gouvernement fut fragilisé par un nouvel attentat contre le roi le 25 juin 1836. Finalement, désavoué par le roi dès le 25 août 1836, qui était hostile à une intervention française en Espagne (en proie à la guerre civile), Thiers démissionna officiellement le 6 septembre 1836. Loin de la parlementarisation, le régime a montré que le roi gardait le contrôle dans la formation du gouvernement. Louis Mathieu Molé, très proche de Louis-Philippe, fut en effet nommé à la tête du gouvernement.

Thiers, qui avait dit avant d’être ministre la fameuse phrase : « Le roi ne gouverne pas, il règne. », aurait été insolent avec le roi en lui disant qu’il reviendrait au pouvoir malgré lui comme un homme soutenu par le peuple.

Combattant le nouveau chef du gouvernement, Louis Mathieu Molé, Thiers a été au cœur de la détestation de ses adversaires mais aussi de ses amis politiques pour son comportement très arriviste, au point d’échouer à faire élire Odilon Barrot, futur chef du gouvernement sous la Seconde République (du 20 décembre 1848 au 31 octobre 1849), à la Présidence de la Chambre des députés le 14 avril 1839 (Odilon Barrot, chef de l’opposition dynastique, ne recueillit que 193 voix contre 227 à Hippolyte Passy, candidat dissident du centre gauche).

Après la nomination du nouveau Président (Hippolyte Passy) au gouvernement de Nicolas Soult (aux Finances), Thiers échoua à se faire élire lui-même au perchoir le 14 mai 1839 (206 voix contre 213 à Paul-Jean Sauzet).

Finalement, après la chute du deuxième gouvernement de Nicolas Soult, le roi a dû se résoudre à le rappeler le 1er mars 1840 à la Présidence du Conseil (Thiers nomma Rémusat à l’Intérieur), mais il a dû démissionner le 29 octobre 1840 après les conséquences de sa politique égyptienne sur les relations de la France avec la Prusse. Thiers se remit dans l’opposition au gouvernement de François Guizot.

Selon Louis-Philippe qui l’aurait dit à Victor Hugo, Talleyrand aurait dit au roi en 1844 : « Vous ne ferez jamais rien de Thiers, qui serait pourtant un excellent instrument. Mais c’est un de ces hommes dont on ne peut se servir qu’à la condition de le satisfaire. Or il ne sera jamais satisfait. Le malheur, pour lui comme pour vous, c’est qu’il ne puisse plus être cardinal. ».

Comme on le voit, le premier Thiers politique fut assez confus sur le plan des idées, le seul fil conducteur était son ambition personnelle et sa volonté d’avoir le pouvoir pour le pouvoir. Flaubert disait de lui : « Personne n’a résumé comme lui la France. ».  Un observateur pouvait encore mieux résumer en 1869 : « Monsieur Thiers est le maître de ces farceurs libéraux, très démoc [démocrates] dans l’opposition, et très réac [réactionnaires], dès qu’ils ont pu escalader le pouvoir. ».

_yartiThiers03

Sous la Seconde République, Thiers, trop « bourgeois orléaniste chimiquement pur » (d’après l’expression de Maurice Agulhon), fut battu aux élections d’avril 1848, mais réélu en juin 1848 dans le cadre de son engagement au parti de l’Ordre : tout doucement, prenant modèle sur le caméléon Talleyrand, il s’est rangé vers la République à condition qu’elle fût conservatrice : « La République sera conservatrice ou ne sera pas ! ». Trop impopulaire pour se présenter à la première élection présidentielle au suffrage universelle direct, Thiers a soutenu Louis Napoléon Bonaparte qui fut élu le 11 décembre 1848 : « C’est un crétin qu’on mènera ! » (pensait-il à tort, selon Adrien Dansette). Le 13 février 1850, pragmatique, il a affirmé : « La République est le gouvernement qui nous divise le moins. ».

En état d’arrestation lors du coup d’État du 2 décembre 1851 (Louis Napoléon Bonaparte avait été élu seulement pour quatre ans et non rééligible immédiatement : seul, un coup d’État pouvait le maintenir plus longtemps à l’Élysée, d’abord pour dix ans puis à vie), Thiers a fui vers la Suisse puis, à son retour en France en 1852, il s’opposa au Second Empire.

Dans un second article, je continuerai sur l’autre partie de sa vie politique, celle du début de la IIIe République.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 avril 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Adolphe Thiers.
Napoléon III.
Georges Clemenceau.
Victor Hugo.
L’élection présidentielle de 1848.
Le Traité de Vienne.
Napoléon Ier.
Sarajevo.
De Gaulle.

_yartiThiers04


http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170415-thiers.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/04/15/35154796.html


 

Partager cet article
Repost0
26 mars 2017 7 26 /03 /mars /2017 01:01

« Un honnête homme, lent à se persuader que l’ordre établi n’est pas forcément le parti de la vérité, qui s’engage et qui relie cet engagement à un militantisme politique. » (Gérard Chauvy, auteur d’une biographie d’Édouard Herriot, sur ses premières années lyonnaises).


_yartiHerriot01

Il y a soixante ans, le 26 mars 1957 près de Lyon, à 84 ans, l’inamovible maire de Lyon Édouard Herriot, symbole du radicalisme provincial prenant des responsabilités nationales, est mort, un jour après la signature du Traité de Rome. Je propose ici d’expliquer comment Édouard Herriot est devenu maire de Lyon puis l’un des acteurs importants de la IIIe République et de la IVe République.

Né le 5 juillet 1872 à Troyes, Édouard Herriot fut le modèle du mérite républicain, faisant partie des premiers fruits des "hussards de la République" voulus par Léon Gambetta pour les classes moyennes. Il fit de brillantes études comme boursier au lycée Louis-le-Grand où il se lia d’amitié avec Maurice Barrès (qui l’aida financièrement en lui offrant un manteau pour l’hiver) et à Normale Sup. d’où il sortit agrégé de lettres à 21 ans (entré major en 1891, il en sortit également major). Sa bourse, il l’a dû à un inspecteur général de lettres qui l’avait remarqué en 1887 en classe de rhétorique, ce qui lui a permis de préparer le baccalauréat au Collège Sainte-Barbe à Paris (il a eu mention très bien). À Normale Sup., Édouard Herriot avait retrouvé Charles Péguy qu’il avait aidé à obtenir une bourse pour préparer cette école d’excellence.

Pour Édouard Herriot, cette école (Normale Sup.) était un véritable « foyer de liberté » : « L’on ne se contente pas d’y pratiquer la tolérance, forme médiocre et parfois hypocrite de la courtoisie ; l’on y prend conscience de l’infinie diversité de la pensée ; l’on s’y rend compte de l’impossibilité, pour un seul esprit, d’embrasser l’univers de la connaissance et, faisant effort pour se donner à soi-même des opinions sincères, on ne s’étonne pas si d’autres tirent de leurs expériences d’autres conclusions. Notion aussi utile dans l’ordre social que dans l’ordre purement intellectuel. Une nation, la nôtre surtout, doit assembler des idées variées, chacune avec ses nuances. En plein été, la France est un bouquet de roses mais diverses d’aspect, de couleurs, de parfums. Le normalien déteste les jugements tout faits, la synthèse prématurée qui est une des formes de la sottise, les affirmations sommaires : "L’intelligence d’un homme, disait mon maître Tournier, se mesure à ce qu’il sait ne pas comprendre". » (26 juin 1947).

_yartiHerriot02

Fils d’un modeste militaire mort jeune (capitaine d’infanterie en Champagne puis en Vendée), Édouard Herriot était plutôt prédestiné à devenir militaire aussi, en passant par Saint-Cyr. Édouard Herriot n’avait aucune origine lyonnaise. Il a passé son enfance à La Roche-sur-Yon, puis après les études à Paris, passa son service militaire à Nancy (37e Régiment d’infanterie). C’est dans la caserne qu’il commença ses travaux d’écriture et sa documentation sur les auteurs latins et grecs, etc. Il fut ensuite nommé le 30 octobre 1895 professeur de lettres dans une classe de 3e (la 3e B) au lycée de Nantes (futur lycée Clemenceau) dont le proviseur, maintenu par un gouvernement anticlérical, était (étrangement) un prêtre, l’abbé Follioley, avec qui il s’est bien entendu. Néanmoins, il n’était pas vraiment heureux de cette nomination loin de Paris où il voulait préparer sa thèse de doctorat.

Il ne resta pas longtemps à Nantes. Le 31 août 1896, il fut nommé professeur de rhétorique au prestigieux lycée Ampère de Lyon (dont un collègue fut… Édouard Daladier). Sa réputation d’homme brillant et cultivé était déjà faite, à 24 ans, et ce passage à Lyon, selon lui, ne devait qu’être une étape pour une carrière universitaire à Paris.

Au début de sa vie d’adulte, comme Léon Blum, Édouard Herriot se destinait en effet surtout à une prestigieuse carrière …littéraire. La politique, il n’en était évidemment pas indifférent. Il avait pris position sur l’affaire Boulanger en janvier 1889, mais sans prendre beaucoup d’intérêt au militantisme politique. En été 1898, il s’engagea surtout pour ses idées, au sein de la Ligue des droits de l’Homme, afin de soutenir le capitaine Dreyfus. Ce fut pour ces raisons qu’il s’engagea quelques années plus tard au parti radical (créé en 1901), mais il n’assista pas, pendant les premières années, aux réunions locales.

Pragmatique de "bon sens", Édouard Herriot n’avait rien d’un idéologue et son radicalisme était ainsi décrit par Serge Bernstein, historien du XXe siècle et l’un de ses biographes : « C’est en vérité une sorte de consensus qui s’établit entre les républicains, laïques, à sensibilité de gauche, une attitude qui consiste à accepter l’héritage idéologique de la Révolution française et ce que l’on considère comme ses prolongements dans l’ordre social et politique, à affirmer la supériorité de l’individu sur la société, à faire confiance à la démocratie politique pour résoudre par un processus graduel la question sociale, à compter sur la réforme pour bâtir en France cette démocratie de petits propriétaires qui apparaît comme la promesse ultime de l’épopée révolutionnaire. ».

Bien que se définissant "de gauche" et d’ailleurs, futur chef du Cartel des gauches, Édouard Herriot n’avait rien de marxiste, était contre la théorie de la lutte des classes et était finalement un authentique "libéral" dans le sens qu’il proposait : « J’estimais sommaire et artificielle cette réduction de la société à deux éléments fatalement hostiles : bourgeoisie et prolétariat. Je me refusais à croire que le degré de civilisation d’un peuple fût dans la dépendance étroite de sa production matérielle. Il me semblait que l’histoire de notre pays révélait d’incessantes mutations dans les conditions et l’accession des plus humbles, quand les moyens d’instruction leur étaient donnés, à des fonctions de commandement. Je persistais à croire au rôle essentiel de l’individu, de la personne. ».

Pendant son "séjour" lyonnais, il se maria le 28 octobre 1899 avec Blanche Rebatel, fille du docteur Fleury Rebatel (1845-1905), médecin réputé, président du conseil général du Rhône (de 1883 à 1885 et de 1889 à 1891) et grand notable lyonnais. Cette liaison a évidemment contribué à son enracinement lyonnais : « J’entrais dans la famille la plus agréable, la plus bienveillante, la plus indulgente pour un homme jusque-là livré à lui-même encore bohème et chargé de nombreux défauts. ». Il faut indiquer que trois ans auparavant, il avait perdu sa mère retournée à Oran et n’avait donc plus de famille.

Lorsqu’il a brillamment soutenu à la Sorbonne, en février 1905, sa thèse de doctorat sur Juliette Récamier, l’érudition d’Édouard Herriot n’était déjà plus à prouver. Il avait déjà publié en 1898 un essai sur Philon le Juif qui fut couronné par l’Académie des sciences morales et politiques, puis un ouvrage sur Madame de Staël en 1904. Édouard Herriot fut encensé : « On salua de toute part l’énorme travail de compilation qu’elle représentait ; on rendit hommage à une puissante intelligence qui savait des documents faire jaillir la lumière ; on classa un talent d’écrivain appelé à laisser de grands livres. Celui-ci venait de recréer une époque et une figure, belle entre toutes. ».

Édouard Herriot était alors déjà devenu un notable lyonnais. En effet, l’année précédente, en 1904, le maire de Lyon, Victor Augagneur, élu en 1900, lui demanda de rejoindre son équipe municipale. Édouard Herriot a beaucoup hésité avant d’accepter cette proposition : « Ma carrière universitaire se développait normalement. Je pouvais espérer une nomination très prochaine à Paris, avec toutes les facultés de travail que m’ouvrirait cet avancement. ». On lui proposa la fonction d’adjoint à l’instruction, ce qui le convainquit d’accepter : « Ce qui me permettrait d’étudier certains aspects de l’enseignement que j’ignorais encore. Je finis par consentir. ».

Le 1er mai 1904, il fut élu conseiller municipal dès le premier tour par 5 229 voix. Ce jour marqua le départ d’une très longue carrière lyonnaise et nationale. Le 15 mai 1904, il fut élu 5e adjoint à l’instruction, conformément à la proposition de Victor Augagneur, par 28 voix contre 23.

Victor Augagneur (1955-1931), ancien séminariste, chirurgien réputé et professeur à la Faculté de médecine de Lyon, radical, était un homme assez brutal et autoritaire dans ses relations avec les autres, y compris ses amis politiques. Conseiller municipal depuis 1890, plein d’ambition, il avait battu à 44 ans, aux élections municipales de 1900, son ancien mentor Antoine Gailleton (1829-1904), chirurgien aussi (présent lors de l’attentat, il avait porté les premiers secours lors de l’assassinat du Président Sadi Carnot le 25 juin 1894), maire de Lyon depuis le 23 avril 1881.

Ses amis radicaux à Paris voulaient éloigner Victor Augagneur de la politique nationale et l’ont nommé gouverneur de Madagascar. Victor Augagneur démissionna alors de la mairie de Lyon le 30 octobre 1905 et poussa Édouard Herriot à prendre sa succession, considérant que ce dernier, qu’il croyait peu ambitieux pour la politique et voué à une carrière universitaire, serait un maire transitoire. Jacques Prévosto, spécialiste des maires de Lyon, expliqua : « Il n’est pas douteux qu’en favorisant ainsi l’élection d’un jeune universitaire qui semblait priser davantage une chaire à la Sorbonne qu’un fauteuil de maire de Lyon, Victor Augagneur ait cru mettre en place un intérimaire qui ne ferait pas trop de difficultés pour lui rendre la place à son retour de Madagascar. ».

_yartiHerriot04

Concrètement, Édouard Herriot fut élu maire de Lyon à l’âge de 33 ans, le 3 novembre 1905, par 30 voix sur 52 contre 22 à un candidat socialiste. Il a réuni toutes les voix non socialistes du conseil municipal. C’était une répartition à l’opposé du vote en faveur de Victor Augagneur en 1900. Un autre biographe, Henri Cogoluenhe, a analysé ainsi cette élection : « Les radicaux n’avaient plus aucun motif à priver leur parti de l’occasion inattendue d’un pouvoir durable. Ayant parfaitement jaugé la valeur de leur jeune collègue, ses amis politiques n’avaient aucune prétention à le réduire à un rôle futur de personnage falot ou de faire-valoir par comparaison rétrospective. Lui-même ne se sentait guère vocation de figuration. ».

Dans les faits, très vite, Édouard Herriot a ébloui ses interlocuteurs sur le niveau intellectuel de ses interventions, sur la capacité à affronter ses opposants avec talent qui montraient une "tout autre envergure" que son prédécesseur qui, de retour de Madagascar en 1910, fut élu député et occupa quelques fauteuils ministériels avant la Première Guerre mondiale. Dès 1906, Édouard Herriot prit des responsabilités nationales au sein du parti radical et en 1909, il rédigea même son programme politique.

La carrière politique d’Édouard Herriot fut brillante mais il ne laissa pas son nom à des réalisations majeures de son siècle. Dans le détail, il fut maire de Lyon du 4 novembre 1905 à sa mort, 26 mars 1957, sauf du 20 septembre 1940 au 18 mai 1945, sous l’Occupation où il fut révoqué, sénateur de 1912 à 1919 (il devait attendre 40 ans pour se faire élire au Sénat), puis député de 1919 à 1940 et de 1945 à 1957, Président de la Chambre des députés du 22 avril 1925 au 20 juillet 1926, puis du 18 mai 1936 au 9 juillet 1940 (pendant le Front populaire jusqu’au régime de Vichy), et enfin du 21 janvier 1947 au 11 janvier 1954 (en succession de Vincent Auriol élu Président de la République). Le 14 janvier 1954, il fut élu à vie "Président d’honneur de l’Assemblée Nationale" après que certains eurent envisagé de le faire élire Président de la République après Vincent Auriol (René Coty fut finalement élu, laborieusement).

Comme maire de Lyon, il entreprit des fouilles et déclara en juin 1946 devant le théâtre romain découvert à la Fourvière : « Si j’ai ordonné ces fouilles, c’était pour vous révéler à vous-mêmes votre propre grandeur. Une grandeur qui ne s’épuisera pas avec la période romaine… ». Partout où il se trouvait (même en cure à Aix-les-bains), il n’hésitait pas à donner des conférences sur des sujets très culturels.

Président du parti radical de nombreuses fois, porté initialement à sa tête en 1919 après un conflit interne majeur, de 1919 à 1926, de 1931 à 1936, de 1948 à 1953 et de 1955 à 1957, Édouard Herriot a également mené une carrière gouvernementale prestigieuse : Ministre des Travaux publics, des Transports et du Ravitaillement du 12 décembre 1916 au 17 mars 1917 (gouvernement Aristide Briand), Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts du 23 juillet 1926 au 6 novembre 1928 (gouvernement Raymond Poincaré), et Ministre d’État du 9 février 1934 au 22 janvier 1936 (gouvernements Gaston Doumergue, Pierre-Étienne Flandrin, Fernand Bouisson et Pierre Laval).

Chef du Cartel des gauches, et précipitant la démission du Président Alexandre Millerand trop favorable au Bloc national, Édouard Herriot fut élu Président du Conseil du 14 juin 1924 au 10 avril 1925 et retrouva la direction du gouvernement très brièvement du 19 au 21 juillet 1926, puis du 3 juin 1932 au 14 décembre 1932. Il cumula cette fonction avec celle de Ministre des Affaires étrangères.

Il n’est pas ici question d’exposer ses initiatives politiques, son art de gouverner, ses grandes aptitudes à la manœuvre politique également, ses positions, sa captivité pendant la guerre, ce qui nécessiterait de longs développements.

Lorsqu’il dirigea le gouvernement en 1924, bien qu’opposé au communisme et au régime soviétique, Édouard Herriot prônait le maintien de bonnes relations diplomatiques entre la France et la Russie : « La vieille Russie est morte, morte à jamais. Pour lui dire adieu, je suis allé voir, une dernière fois, sur la place Rouge, l’église du bienheureux Basile, avec son bouquet de dômes aux couleurs violentes, ses formes paradoxales, plus étranges encore du fait des badigeonnages qui font éclater de couleur les petits carreaux de faïence. (…) Mais combien je préfère, à cette vue célèbre, celle que j’aurai sur Moscou, sur ses coupoles d’or pur, sur la rivière toute proche, à l’entrée du rouge monastère de Simonoff. ».

Comme on le lit, Édouard Herriot avait un style littéraire puissant. Finalement, malgré ses multiples activités politiques, il mena également une carrière littéraire de haut niveau, avec la publication de cinquante-deux ouvrages, souvent de référence.

_yartiHerriot03

Son élection à l’Académie française le 5 décembre 1946 en fut le couronnement. Il y fut reçu le 26 juin 1947 par un ancien condisciple du Collège Sainte-Barbe, Jérôme Tharaud (1874-1953), qui lui rappela : « Votre bonne fortune voulut que souvent, pendant plusieurs années, vous revîntes passer vos étés dans la campagne champenoise, au village de Saint-Pouage, chez une grand-mère et un vieil oncle curé. À l’excellente femme, vous devez celui de vos défauts auquel vous tenez le plus : la gourmandise ; à votre oncle, vos premières émotions de botanique, cette affection pour les arbres et pour les plantes, qui vous a suivi toute la vie. Avec lui, vous alliez herboriser dans les prés ; et devant son presbytère, vous fîtes amitié avec un vieux poirier, dont l’âge avait rayé l’écorce de profondes gerçures. ».

Le huitième fauteuil avait été occupé auparavant par d'illustres personnalités comme le mathématicien Pierre-Simon Laplace, le physicien Maupertuis, Charles de Rémusat, Albert de Mun et Jules Simon. Le successeur direct d'Édouard Herriot fut Jean Rostand et le fauteuil est maintenant vacant depuis la mort de Michel Déon le 28 décembre 2016 à 97 ans.

Édouard Herriot, député-maire de Lyon jusqu’à sa mort, travailla tout au long de ses mandats jusqu’au bout, malgré la fatigue, la santé toujours fragile, la maladie et la vieillesse. Son dernier travail parlementaire fut une proposition de loi sur le placement et le reclassement des travailleurs âgés qu’il a déposée le 26 février 1957 (n°4285).

Président du parti radical, "Paris-Match" le décrivit ainsi lors du congrès du parti radical les 16 et 17 octobre 1952 à Bordeaux : « Courbé sur sa canne, soutenu par des mains trop empressées pour son orgueil. (…) La voix a de brusques éclats ; le regard est chargé d’éclairs. Et quand il est là, une sorte de fluide agit sur l’assistance qui n’éprouve plus le besoin d’aller se détendre dans les jardins de l’Alhambra réchauffés par le soleil d’automne. ».

Édouard Herriot avait présidé la séance inaugurale du Conseil de l’Europe à Strasbourg le 8 août 1949. Bien que partisan de la construction européenne dès juin 1924, il fut convaincu par les opposants à la CED (Communauté européenne de la défense) et porta le coup de grâce au cours d’un de ses derniers grands discours à l’Assemblée Nationale qui, selon Alfred Grosser, « contenait d’excellents arguments contre un traité qu’il connaissait cependant assez mal, mais était oratoirement médiocre et frisait parfois le mélodrame ».

Pierre-Olivier Lapie a décrit le vieil homme ainsi : « Le vieux mammouth promenait un air sévère et calme sur toute cette Chambre où il avait tant combattu, triomphé, peiné, présidé, lui que l’âge et la maladie reléguaient à une présidence honorifique (…). La Chambre se retourna tout entière vers cette masse affaissée. Le silence se fit. Alors s’éleva une voix que l’on n’entendait plus et que l’on ne devait plus entendre… ». Les derniers mots de son discours à propos de la CED, ce 30 août 1954, furent : « Pour nous, la Communauté européenne, laissez-moi vous dire comme je le pense au seuil de ma vie… C’est la fin de la France ! ».

Cité par le site de l’Académie française, François Mauriac écrivit de lui, bonheur des caricaturistes pendant des décennies : « En vérité, Édouard Herriot était un gros homme charmant. Son charme naissait de ce contraste entre la culture, tous les dons d’une intelligence royale et la ruse, disons la finesse, politicienne. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 mars 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
"Édouard Herriot et le radicalisme triomphant", biographie de Gérard Chauvy (éd. LUGD).
Édouard Herriot.
Vincent Auriol.
Le Front populaire.
René Coty.
Edgar Faure.
Gaston Defferre.
François Mitterrand.
Georges Clemenceau.
André Tardieu.
Jean Jaurès.
Joseph Caillaux.
Aristide Briand.
Léon Blum.
Pierre Laval.
Philippe Pétain.
Colonel de La Rocque.
Charles De Gaulle.
Pierre Mendès France.
Jean Zay.
Charles Péguy.

_yartiHerriot05


http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170326-edouard-herriot.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/edouard-herriot-figure-radicale-191104

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/03/26/35092882.html


 

Partager cet article
Repost0
22 mars 2017 3 22 /03 /mars /2017 06:33

« C’était un homme respectable, condamné très légalement pour un système de financement irrégulier dont tous les socialistes ont profité. Il cultivait son abord rugueux, qui traduisait des convictions fortes. Il était le parrain grognon des frondeurs. Lui aussi venait de chez Rothschild, ce qui tend à prouver que la banque mène à tout. » (Laurent Joffrin, "Libération", le 21 mars 2017).


_yartiEmmanuelliHenri01

Sourcils très fournis de type pompidolien, une grosse voix, et surtout un caractère en acier trempé. Henri Emmanuelli est parti à 71 ans ce mardi 21 mars 2017 des suites d’une maladie évolutive particulièrement cruelle, après une hospitalisation à Bayonne depuis le 17 mars 2017, en pleine session budgétaire au conseil départemental des Landes.

Parce qu’on est en pleine campagne présidentielle, l’une des premières choses à dire est qu’il fut le mentor d’un des candidats, Benoît Hamon. Le passage de témoin a eu lieu lors du mémorable congrès de Reims, en novembre 2008. Henri Emmanuelli avait alors épaulé Benoît Hamon, l’avait encouragé à présenter une motion au nom de l’aile gauche du PS, et aussi à se présenter pour le poste de premier secrétaire, dans une bataille entre Ségolène Royal, Bertrand Delanoë et Martine Aubry. Cette dernière a gagné, comme Jean-François Copé a gagné la présidence de l’UMP quatre ans plus tard, avec le soupçon de tricherie.

Les jeux d’appareil, les luttes internes entre courants, les manœuvres d’arrière-boutique, Henri Emmanuelli les connaissait très bien, et cela ne lui interdisait pas d’exprimer des convictions fortes et de soutenir encore en janvier 2017 son poulain face aux socialistes (ex-)majoritaires de gouvernement.

Henri Emmanuelli est mort cumulard, député des Landes (il ne comptait pas se représenter en juin 2017) et président du conseil départemental des Landes. Sa carrière politique fut prestigieuse et fut au même niveau que d’autres éléphants du PS beaucoup plus connus comme Laurent Fabius, Michel Rocard, ou encore Lionel Jospin.

Après de brillantes études qui ont commencé dans une école de Gourette et fini à l’IEP de Paris, il est devenu banquier et a quitté Rothschild en mars 1978, quand il a été élu pour la première fois député des Landes, en battant un député sortant centriste. Pour sa carrière de banquier, il n’avait rien à envier à Emmanuel Macron. Ce fut François Mitterrand qui est venu le chercher pour le présenter aux législatives de mars 1973 dans le Lot-et-Garonne, sans succès, après son adhésion au Parti socialiste en 1971.

_yartiEmmanuelliHenri02

Henri Emmanuelli se consacra à la politique lorsqu’il fut élu député à 32 ans. Il fut sans arrêt réélu député du 19 mars 1978 au 17 décembre 1997 et du 6 février 2000 au 21 mars 2017, à l’exception de sa période gouvernementale pendant cinq ans, à l’arrivée au pouvoir de la gauche, nommé à 35 ans Secrétaire d’État, d’abord au DOM-TOM du 22 mai 1981 au 22 mars 1983 (auprès du ministre Gaston Defferre) puis au Budget du 22 mars 1983 au 20 mars 1986 (auprès des ministres Jacques Delors puis Pierre Bérégovoy), dans les gouvernements de Pierre Mauroy et de Laurent Fabius. Le 7 décembre 1984, a été ajoutée la Consommation parmi ses attributions. Cette participation à l’histoire mitterrandienne fit de lui un fidèle imperturbable de François Mitterrand.

Il fut également élu et réélu président du conseil général des Landes du 22 mars 1982 (il était alors ministre) au 1er décembre 1997 et du 7 février 2000 au 21 mars 2017. Il fut en outre élu conseiller régional d’Aquitaine de 1986 à 1988, puis en mars 1992, de manière très provisoire puisque la loi sur le cumul l’empêchait de cumuler trois mandats (pour ces deux élections, mars 1986 et mars 1992, il était la tête de liste du PS).

Le "trou" entre décembre 1997 et février 2000 ? Sa condamnation définitive le 16 décembre 1997 pour complicité de trafic d’influences à dix-huit mois de prison avec sursis et deux ans de privation des droits civiques, après son inculpation le 14 septembre 1992 dans l’affaire Urba sur le financement du Parti socialiste. Pourquoi était-il poursuivi ? Parce qu’il était le trésorier du PS de 1988 à 1994.

Revenons plus précisément à ses activités politiques au début du second septennat de François Mitterrand. Au contraire du premier, il ne fut pas nommé au gouvernement. Sur le plan national, il se consacra à la fois à son parti et à son mandat parlementaire. Il succéda à Dominique Strauss-Kahn (nommé ministre) à la stratégique présidence de la commission des finances de l’Assemblée Nationale du 23 mai 1991 au 5 avril 1992, puis succédant à Pierre Méhaignerie, du 17 juin 1997 au 17 décembre 1997 (obligé de démissionner à cause de sa condamnation), et enfin, du 29 février 2000 au 18 juin 2002 (on remarquera qu’à l’époque, ses collègues socialistes n’avaient pas beaucoup de scrupules à conforter un élu condamné). Ce poste échut plus tard à Jérôme Cahuzac… Il fut également, au titre de député, le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations du 17 juillet 2012 au 21 mars 2017.

Cependant, le bâton de maréchal, Henri Emmanuelli l’a obtenu à 46 ans en se faisant élire Président de l’Assemblée Nationale, quatrième personnage de l’État dans l’ordre protocolaire, du 22 janvier 1992 au 1er avril 1993. Il a succédé à Laurent Fabius qui quitta le perchoir pour aller diriger le PS. Après l’échec des socialistes de 1993, il a laissé le perchoir à Philippe Séguin. L’élection d’Henri Emmanuelli n’a abouti qu’au second tour, avec 289 voix contre 225 en faveur de Jacques Chaban-Delmas et 32 en faveur d’Huguette Bouchardeau (ancienne ministre et ancienne candidate à l’élection présidentielle de 1981).

Parallèlement au Palais-Bourbon, Henri Emmanuelli s’est beaucoup impliqué dans les batailles internes de la rue de Solferino, au PS. Comme dit précédemment, il fut désigné trésorier du PS de 1988 à 1994. Au congrès de Rennes en mars 1990, il a soutenu Pierre Mauroy et Lionel Jospin pour empêcher l’arrivée, à la tête du PS, de Laurent Fabius. Ce dernier empêcha Henri Emmanuelli d’être désigné président du groupe PS à l’Assemblée Nationale le 3 octobre 1990 quand Louis Mermaz rentra au gouvernement (Jean Auroux, ancien ministre, fut finalement désigné).

_yartiEmmanuelliHenri03

Après l’échec de la liste socialiste aux élections européennes du 12 juin 1994 et la démission de Michel Rocard, Henri Emmanuelli a obtenu un autre bâton de maréchal pour socialistes, le poste convoité de premier secrétaire du PS. D’abord désigné provisoirement au conseil national le 19 juin 1994 à la Villette grâce au soutien de Laurent Fabius par 140 voix contre 64 en faveur de Dominique Strauss-Kahn, soutenu par Lionel Jospin. Cette désignation fut confirmée par 92,1% des militants lors du congrès de Liévin le 20 novembre 1994, soutenue par l’ensemble des poids lourds du PS.

Pour l’élection présidentielle de 1995, Henri Emmanuelli, chef du PS, fut partisan de la candidature de Jacques Delors avec qui il avait travaillé au Ministère des Finances dix ans plus tôt (et cela malgré son positionnement très à gauche). Après la renonciation de Jacques Delors, le 11 décembre 1994, Henri Emmanuelli se porta naturellement candidat à la candidature socialiste, en tant que chef du PS. Il faut se rappeler qu’en début 1995, le PS avait été laminé aux législatives de mars 1993 et aux européennes de juin 1994 et que le débat présidentiel se faisait entre Jacques Chirac et Édouard Balladur, alors Premier Ministre très populaire.

Pour les socialistes, deux options étaient possibles : une candidature "morale", avec par exemple Pierre Joxe ou Robert Badinter, ou une candidature plus politique. Ce fut la seconde option qui fut prise avec une "primaire fermée" (vote des militants) pour départager Henri Emmanuelli, Lionel Jospin (tenté par l’abandon total de la vie politique après son échec aux législatives à Toulouse et son envie de reprendre sa carrière dans la diplomatie) et Jack Lang (ce dernier s’est cependant désisté juste avant le vote et a soutenu Henri Emmanuelli).

Soutenu initialement par Laurent Fabius, Henri Emmanuelli fut largement battu le 5 février 1995 avec 34,1% des militants par Lionel Jospin, qui a eu 65,9% (il faut signaler que ce fut la première primaire présidentielle de toute l’histoire française dans un grand parti de gouvernement). Les tensions entre jospinistes et fabiusiens étaient telles depuis cinq ans que Ségolène Royal, déjà tentée par une candidature, déclara le 24 janvier 1995 : « Deux trains sont lancés à toute allure l’un contre l’autre, pilotés par les mêmes acteurs du détestable congrès de Rennes. Je dis aux militants : écartez-vous des voies ! ».

La performance électorale remarquable de Lionel Jospin les 23 avril 1995 et 7 mai 1995, malgré son échec, l’a repositionné en leader naturel du PS (la logique présidentielle ayant alors pris le pas sur la logique d’appareil). Ce fut pour cette raison qu’Henri Emmanuelli lui céda le poste de premier secrétaire le 14 octobre 1995.

En raison de ses affaires politico-judiciaires, Henri Emmanuelli ne "profita" pas du retour au pouvoir rapide des socialistes le 1er juin 1997 après la dissolution de l’Assemblée Nationale, sinon pour réoccuper la présidence de la commission des finances.

_yartiEmmanuelliHenri06

À partir du début des années 2000 et de son retour à l’éligibilité, Henri Emmanuelli n’a cessé d’être un "frondeur" en ce sens qu’il a toujours représenté l’aile gauche minoritaire du PS, créant au fil des congrès quelques mouvements ou courants aux côtés de Paul Quilès, Vincent Peillon, Jean-Luc Mélenchon, Gérard Filoche, Marc Dolez, Arnaud Montebourg, Marie-Noëlle Lienemann et Benoît Hamon. Partisan du "non" au référendum sur le TCE le 29 mai 2005, il s’opposa également au TSCG le 9 octobre 2012. Ayant lancé la carrière nationale de Benoît Hamon en 2008, ce fut donc très logiquement qu’il a défendu la candidature de ce dernier à la primaire socialiste de janvier 2017.

Henri Emmanuelli a courageusement continué ses nombreuses activités politiques malgré sa maladie détectée en 2006 qui affectait le système nerveux périphérique (nerfs moteurs et sensitifs). Il a révélé publiquement sa maladie le 30 novembre 2015 à Mugron, lors du discours d’ouverture des Journées de protection et de prise en charge de l’enfance qu’il a dû prononcer assis dans un fauteuil roulant…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 mars 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Henri Emmanuelli.
Raymond Forni.
Claude Bartolone.
François Mitterrand.
Lionel Jospin.
Laurent Fabius.
François Hollande.
Benoît Hamon.

_yartiEmmanuelliHenri04


http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170321-henri-emmanuelli.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/henri-emmanuelli-elephant-190978

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/03/22/35079012.html
 

 

Partager cet article
Repost0
12 mars 2017 7 12 /03 /mars /2017 03:29

« Le mois prochain, ce qui va être en jeu, c’est donc la Cinquième République. Or, nous voyons, après expériences et par comparaison avec les troubles qui l’ont précédée, et avec la grande confusion qui prétend lui succéder, nous voyons qu’elle est, par ses institutions, par son esprit, par son action, le régime qu’il faut à la France, pour assurer son progrès, son indépendance et sa paix. Nous voyons qu’à mesure qu’elle dure et qu’elle s’affermit, rassemblant un nombre grandissant de citoyens de toute tendance, les profondes querelles qui, semées de drame en drame et attisées par les partisans, divisaient gravement les Français, vont désormais en s’atténuant. Bref, nous voyons que sous l’égide de la République nouvelle, notre peuple s’élève et resserre son unité. » (De Gaulle, allocution du 9 février 1967).


_yartiLegislatives196701

Il y a cinquante ans, le dimanche 12 mars 1967, a eu lieu le second tour des élections législatives pour installer la 3e législature de la Ve République. Le clivage était pour ou contre la "République nouvelle". Le premier tour du 5 mars 1967 avait confirmé le soutien du peuple au gouvernement nommé par le Général De Gaulle, mais un retournement de tendance a eu lieu entre les deux tours et finalement, la majorité gaulliste n’a été reconduite qu’à un seul siège d’avance, ce siège pourrait même être celui de Jacques Chirac qui était allé se présenter sur une terre de mission à l’origine hostile au gaullisme, en Corrèze.

Ce furent les premières élections législatives "ordinaires" de la Ve République, en ce sens qu’elles se sont déroulées selon le calendrier électoral prévu, sans dissolution ou autre événement majeur. Elles ont eu lieu en mars alors que les précédentes élections avaient eu lieu en novembre 1962, car ce scrutin devait (jusqu’en 2002) se dérouler toujours en mars sauf en cas de dissolution. Par ailleurs, la règle électorale a modifié le seuil pour pouvoir être présent au second tour : il fallait réunir au premier tour 10% des électeurs inscrits (au lieu de 5% précédemment).

Le contexte politique de la campagne provient des résultats de l’élection présidentielle des 5 et 19 décembre 1965. Trois leçons ont été tirées de ce scrutin présidentiel : De Gaulle n’était pas indéboulonnable, puisqu’il n’a pas été élu dès le premier tour, cela signifiait qu’il y a eu une majorité du peuple français qui n’a pas voté pour lui au premier tour ; François Mitterrand a prouvé que l’union de la gauche était payante électoralement, à savoir, l’unicité de candidature des gauches, communiste et non communiste ; enfin, le bon résultat de Jean Lecanuet montrait qu’un centre indépendant pouvait vivre malgré la logique majoritaire de la Ve République.

Il n’y a eu que quatorze mois entre le scrutin présidentiel et le scrutin législatif. Georges Pompidou, Premier Ministre pendant toute la législature, a su imposer son autorité politique malgré les critiques nombreuses sur son "origine" non politique : pas élu (comme beaucoup de ses successeurs), donc pas issu du Parlement, mais issu du bon vouloir présidentiel.

L’année 1966 fut l’année des grandes manœuvres pour préparer le scrutin législatif. Les élections législatives demeuraient encore essentielles dans un régime qui laissait au Parlement une certaine marge d’action par rapport au Président de la République, au point que la législature qui se terminait était née d’une motion de censure suivie d’une dissolution (la seule motion de censure votée sous la Ve République).


Les forces politiques en présence

Du côté gaulliste, Georges Pompidou a fait le grand rassemblement entre tous les gaullistes, de gauche ou de droite, et leurs alliés, les républicains indépendants (RI), au sein d’un Comité d’action pour la Ve République dont il a pris la présidence. La règle, c’était de ne faire qu’une candidature commune dans chaque circonscription.

Valéry Giscard d’Estaing, limogé du gouvernement par De Gaulle qui tenait à y nommer Michel Debré et ce dernier voulait absolument les Finances, a nourri de l’amertume pendant ces trois années (1966-1969) où il ne fut plus ministre. Il y cultiva son indépendance tout en restant intégré à la majorité gaulliste. Ce fut la politique du "oui mais", ce qui fit dire par De Gaulle au conseil des ministres du 18 janvier 1967 : « On ne gouverne pas avec des mais. ».

Du côte de la gauche non communiste, fort de sa belle performance présidentielle du 19 décembre 1965, François Mitterrand a mis en place la Fédération de la gauche républicaine et socialiste (FGDS) réunissant la vieille SFIO de Guy Mollet (les socialistes), les radicaux (de René Billières), et quelques clubs dont François Mitterrand était issu. François Mitterrand a pris la présidence de cette fédération (dont il voulait fusionner toutes les composantes) et a même installé le 13 mars 1966 à Lyon un "shadow cabinet", sorte de contre-gouvernement qu’il présida et qu’il composa d’une manière très peu originale (Guy Mollet à la Défense et aux Affaires étrangères, René Billières à l’Éducantion, Gaston Defferre aux Affaires sociales, etc.).

Là aussi, l’essentiel était l’unicité de candidature aux législatives de 1967. Il l’a exprimé lors de sa conférence de presse du 6 octobre 1966 où il annonça que le candidat de la FGDS se maintiendrait au second tour s’il était en position d’être élu, sinon, il se désisterait pour « éliminer catégoriquement tous les candidats de la majorité actuelle ou de leurs complices ». Cependant, cette unité au sein de la gauche non communiste n’était pas évidente car lors du comité exécutif du 1er décembre 1966, la FGDS a failli éclater sur un désaccord de fond, les radicaux acceptaient de parler avec les communistes seulement en cas de début de discussion aussi avec le Centre démocrate, ce que Guy Mollet ne voulait à aucun prix.

Les communistes, en revanche, ne pouvaient se ranger dans une unité dès le premier tour, au risque de perdre leur identité : « Il n’aurait pas été possible [au PCF], sans déconcerter ses militants, de renoncer, à l’occasion des élections législatives, à l’attitude qu’il a constamment adoptée depuis plus de quarante ans, et qui consiste à être présent partout au premier tour dans toutes les consultations électorales. » (François Goguel). Mais ils ont accepté le 20 décembre 1966 l’idée du retrait réciproque, sans beaucoup de compensation. Il s’agissait d’un accord de désistement au second tour pour le candidat le mieux placé pour l’emporter, ce qui ne signifiait pas forcément le candidat de gauche ayant reçu le plus de voix.

François Goguel, dans son analyse politique, a résumé le comportement des communistes malgré la réserve de François Mitterrand de prendre la liberté, dans les circonscriptions où la gauche n’avait aucune chance, de faire voter au second tour pour un candidat centriste contre un candidat gaulliste : « En acceptant cette réserve, et en renonçant, comme il l’avait d’abord demandé, à lier l’accord de tactique électorale à la négociation d’un programme commun, le PCF avait incontestablement témoigné de sa ferme volonté d’apporter une contribution positive à la réalisation de l’accord entre partis de gauche. ». Dans les faits, le 6 mars 1967, après le premier tour, le PCF a accepté 13 des 20 exceptions demandées par François Mitterrand (retrait d’un candidat communiste ayant plus de voix au premier tour que le candidat FGDS mais n’ayant aucune chance d’être élu).

Le PSU dont Pierre Mendès France fut membre, bien qu’allié à la FGDS, voulait au moins une centaine de candidatures, parfois en concurrence avec d’autres candidats de la gauche non communiste, afin de pouvoir bénéficier du temps d’antenne pour les partis ayant présenté au moins 75 candidats selon la nouvelle législation.

Concrètement, en 1962, il y avait eu 1 116 candidats de gauche pour 465 circonscriptions, et en 1967, il y a eu seulement 986 candidats de gauche pour 470 circonscriptions : 470 du PS, 412 de la FGDS et 104 du PSU (en métropole).

Enfin, cinquième groupe politique majeur de ces élections, sur la lancée de sa candidature présidentielle de 1965, les centristes de Jean Lecanuet se sont structurés au sein du nouveau Centre démocrate, reprenant essentiellement la suite du MRP qui pourtant coexistait encore, et d’autres formations modérées. La tactique adoptée : si le candidat du Centre démocrate n’avait aucune chance de l’emporter au second tour, il se désisterait pour faire échec tant à un candidat communiste qu’à un candidat gaulliste.

Quant à l’extrême droite, elle était également représentée parmi quelques candidats, divisée par un mouvement de Jean-Louis Tixier-Vignancour (candidat à l’élection présidentielle de 1965) et par un autre de Dominique Venner.


La campagne électorale

Le Général De Gaulle, chef de l’État, a prononcé une allocution télévisée le 9 février 1967, peu avant le début de la campagne officielle, pour prendre position en faveur de la majorité sortante et pour dire que le choix était entre la continuation de la Ve République ou un nouveau régime aussi instable et partisan que la IVe République (voir citation en tête de l’article).

_yartiLegislatives196706

Certains dans l’opposition ont protesté contre cette prise de position politique alors que le Président de la République ne devrait rester qu’un arbitre du jeu institutionnel. En ce sens, ils reprenaient l’esprit de la IIIe République d’un Président-chrysanthème qui avait abouti à la démission d’Alexandre Millerand en 1924, trop favorable au Bloc national face au Cartel des gauches.

La campagne fut courte (quelques semaines) mais très active pour chaque parti. Georges Pompidou s’est investi totalement dans cette bataille électorale, ce qui lui a donné une reconnaissance des notables de son parti. Lors du meeting gaulliste du 31 janvier 1967 à la Porte de Versailles à Paris, Michèle Cotta a noté dans ses "cahiers secrets" : « Je regarde de loin Georges Pompidou. Il n’a plus rien du professeur de lettres serein et cultivé qu’il était au début de sa vie d’adulte. Il s’est transformé. Peut-être en a-t-il eu assez qu’on dise de lui qu’il n’était pas un élu, qu’il avait été un apparatchik gaulliste, devenu, sans livrer bataille, un homme de Rothschild. À la tribune, aujourd’hui, il a de la présence, de l’épaisseur. Lorsqu’il parle de sa voix basse, éraillée de fumeur, il est bon dans la polémique. Son visage même semble être fait pour le combat électoral, avec ces yeux aigus sous des sourcils trop abondants qui le font ressembler à l’ogre du petit chaperon rouge. Il dit : "La majorité, c’est vous ! ". Succès de foule garanti. Je ne l’avais encore jamais vu dans sa dimension politique, sur une estrade face aux militants. Il est devenu un combattant. ». [Entre parenthèses, ce mot "combattant" empoyé par Michèle Cotta a justement été repris à Nîmes le 2 mars 2017 par François Fillon qui a dit aux 3 500 militants venus l'ovationner : « Vous avez devant vous un combattant. Que celles et ceux qui ont du cran se lèvent ! »].

Deux temps forts de la campagne. Georges Pompidou a participé à deux "combats" : deux débats publics un face à François Mitterrand le 22 février 1967 à Nevers et un autre face à Pierre Mendès France le 27 février 1967 à Grenoble. Les deux principaux ténors de l’opposition. À Nevers, dans la grande salle "Hiroshima mon amour", 5 000 personnes étaient présentes, très majoritairement gaullistes, venues voir un duel peut-être présidentiel (la prochaine élection présidentielle était prévue pour décembre 1972) : « Le Premier Ministre, visage d’oiseau de proie, attaque : il parle de sa voix grave, presque terne. Il dit que les différentes oppositions qui se dressent contre la Ve République conduisent les Français "non seulement vers le désordre, mais dans le noir". » (Michèle Cotta).

_yartiLegislatives196704

Pierre Mendès France avait choisi de quitter l’Eure, son département d’origine, où il avait échoué au début de la Ve République, pour une ville de la "nouvelle gauche", celle des chercheurs, celle des "bobo" avant l’heure, celle des bâtisseurs, des jeux olympiques de 1968, d’Hubert Dubedout battant un gaulliste sortant en 1965, celle aussi des ouvriers de nombreuses usines, comme Nayrpic.

Chez les gaullistes, sous l’impulsion de Jean Charbonnel, ministre sortant, qui a gagné les municipales partielles à Brive le 2 octobre 1966 en raison d’une alliance entre la municipalité sortante de gauche (radicale mendésiste) et les communistes, des "jeunes loups" pompidoliens (dont Bernard Pons et Pierre Mazeaud) furent investis pour conquérir des circonscriptions difficiles dans le Sud-Ouest de la gauche radicale cassoulet. Seul Jacques Chirac a gagné en Corrèze, ce qui fut à l’origine d’une très riche carrière politique le menant jusqu’à l’Élysée pour une durée plus longue que la Présidence de De Gaulle (et avec le record du score électoral : plus de 82% le 5 mai 2002 !).

_yartiLegislatives196703

Le samedi 4 mars 1967, la veille du scrutin, juste après la clôture de la campagne électorale, De Gaulle a pris la parole au cours d’une allocution télévisée au grand dam de l’opposition qui ne pouvait plus répondre : « Si les pouvoirs de l’État devaient être comme naguère paralysés par les crises, comment faire ? Si moi-même, confirmé à la tête de la République par le mandat de notre peuple, chargé comme je le suis de garantir le destin de la France, par conséquent, de conduire sa politique et de nommer son gouvernement, je trouvais au sein du parlement les partis en mesure de m’empêcher d’accomplir ma tâche et ainsi de bloquer le fonctionnement régulier des pouvoirs, sans être capables de remplacer par rien de cohérent les institutions stables et efficaces que nous avons établies. Comment faire tout ce que nous avons à faire si du coup, notre pays se voyait lui-même et se montrait à l’étranger comme voué de nouveau à d’absurdes et ruineuses secousses ? ».


Le premier tour

Le soir du premier tour, le 5 mars 1967, fut décevant pour la gauche non communiste qui n’a remporté qu’un seul siège (celui de François Mitterrand) face aux 62 gagnés dès le premier tour par les gaullistes. Pour ces derniers, l’élection était pliée. La participation était assez forte, 80,9%, soit bien plus que les 68,7% des élections de novembre 1962.

Les résultats en métropole furent ceux-ci. Les gaullistes et alliés (RI) ont recueilli 37,8% des suffrages exprimés ; les communistes 22,5% ; la FGDS 18,8% ; le Centre démocrate 13,5% ; le PSU 2,3% ; l’extrême droite 0,9%.

Les comparaisons entre le premier tour du 18 novembre 1962 et le premier tour du 5 mars 1967 donnent une très faible progression de la gauche (très très faible !) et une légère progression des gaullistes et alliés au détriment des centristes. Le PCF est passé de 21,8% à 22,5%. La FGDS et PSU (l’équivalent en 1962) de 21,0% à 21,1%. Les gaullistes et alliés de 36,3% à 38,2%. Enfin, les centristes (Centre démocrate et modérés, ex-MRP etc.) de 20,0% à 17,4%. En somme, il y a eu une incroyable stabilité du corps électoral d’une élection à l’autre, sur une période de cinq ans, ce qui était assez rare depuis la Libération. Finalement, la formation qui a le plus perdu dans ce scrutin fut le Centre démocrate qui a fait un score nettement moindre que celui de Jean Lecanuet en 1965.

François Goguel a noté ainsi : « Cette stabilité coïncide avec une très forte augmentation de la participation au vote, ce qui tend (…) à confirmer que les variations de l’abstentionnisme atteignent à peu près dans la même proportion l’électorat virtuel de tous les partis. ».


Le second tour

L’événement marquant de la campagne du second tour fut le meeting tenu par François Mitterrand le 9 mars 1967 au 18e arrondissement de Paris pour soutenir son ami Claude Estier (mort à 90 ans il y a juste un an, le 10 mars 2016), en position très difficile, et son concurrent, le député gaulliste sortant, Alexandre Sanguinetti est venu courageusement l’affronter devant plusieurs milliers personnes acquises à la cause de la gauche. Michèle Cotta a écrit le 10 mars 1967 : « Claude Estier me dit ce matin que Sanguinetti a tellement fait peur, pendant ce meeting, par son attitude martiale, que les représentants parisiens du Centre démocrate, qui étaient présents sous le préau pendant l’affrontement, lui ont remis ce matin le texte d’un appel à voter pour lui. ».

Avec les résultats du premier tour, tout était-il plié ? Erreur, rien n’est jamais décidé avant les électeurs ! Déjà à l’époque, les sondages s’étaient trompés : « Le deuxième tour a été celui d’un glissement inattendu vers les candidats de la gauche. Rien ne l’avait laissé prévoir, les derniers sondages IFOP et Sofres annonçaient au contraire une confortable victoire de la majorité sortante. » (Michèle Cotta).

La gauche a fini par l’emporter dans beaucoup de circonscriptions, pas suffisamment pour atteindre la majorité absolue, mais assez pour ébranler la majorité gaulliste qui n’a tenu qu’à un seul siège de la majorité.

_yartiLegislatives196702

En métropole, les gaullistes et alliés n’ont obtenu que 231 sièges (non comptés 2 gaullistes dissidents), face à 237 pour l’opposition : 40 centristes (Progrès et démocratie moderne), 117 FGDS, 72 communistes, 4 PSU et 4 non-inscrits d’opposition. Heureusement pour le pouvoir sortant, les DOM-TOM, sur les 15 sièges, 10 furent gagnés par les gaullistes, si bien qu’ils ont pu garder la majorité absolue à un siège, 243 sièges sur 485 ! (sans compter les 2 gaullistes dissidents).

Avec l’élection plus tardive de deux autres députés après le 12 mars, en avril notamment, et les deux dissidents, le gouvernement gaulliste pouvait s’appuyer sur une majorité de 247 députés sur 487 contre une opposition (divisée) de 240 députés.

Il faut noter que même si le bloc gaulliste (UNR + RI) avait perdu la majorité absolue, cela n’aurait pas donné pour autant une majorité de rechange car il était impossible que les centristes pussent gouverner avec les communistes. Cela aurait alors donné une majorité relative aux gaullistes identique à la majorité relative des socialistes sortie des urnes en juin 1988 dont a bénéficié Michel Rocard.

Parmi les vainqueurs, beaucoup d’amis "conventionnels" de François Mitterrand ont été élus, parfois miraculeusement pour Claude Estier à Pairs : Roland Dumas à Brive, Louis Mermaz à Vienne, André Rousselet à Toulouse, Georges Fillioud à Romans, Georges Dayan dans le Gard, etc. En revanche, Charles Hernu a été battu à Saint-Étienne face à Lucien Neuwirth. Quatre ministres gaullistes ont été battus : Pierre Messmer, Maurice Couve de Murville, Jean Charbonnel et Alexandre Sanguinetti.

Malgré le resserrement de la majorité et les velléités supplémentaires d’indépendance des giscardiens, Georges Pompidou a formé un nouveau gouvernement et juste avant une motion de censure, De Gaulle a tenu le 16 mai 1967 une conférence de presse avec son protocole traditionnel et solennel, où il continua à faire du De Gaulle.

Cette législature fut cependant la plus courte de la Ve République. Après un mois de troubles nationaux, le 30 mai 1968, De Gaulle décida de dissoudre l’Assemblée Nationale. D’une majorité de justesse, le pouvoir gaulliste a obtenu alors quelques semaines plus tard un raz-de-marée gaulliste.

La conclusion de l’étude de François Goguel sur 1967 reste inachevée : « Peut-on y voir pour autant l’amorce d’une instauration en France d’un système bipartiste ? Le caractère décisif de l’attitude des électeurs du Centre démocrate fait naître à cet égard quelques doutes. Surtout, il manque à la France un élément fondamental du bon fonctionnement (…) : l’acceptation par les uns et les autres des "règles du jeu". L’opposition de gauche, sans doute minoritaire, peut-être pas complètement unifiée, mais puissante et dynamique, paraît être, au lendemain du scrutin de mars 1967, sensiblement plus éloignée d’un ralliement aux institutions de la Cinquième République qu’elle ne l’était, malgré la substitution de la candidature Mitterrand à la candidature Defferre, au lendemain du scrutin présidentiel de décembre 1965. ».

Ces "doutes" subsistent encore un demi-siècle plus tard, avec l’élection présidentielle de 2017 où les intentions de vote élevées pour le candidat Emmanuel Macron, centriste hors-sol soutenu par une armée de vieux briscards socialistes paniqués, bouleverse les analyses sur le système droite/gauche que la candidature de Marine Le Pen avait déjà contribué à bousculer.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 mars 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les élections législatives de mars 1967.
L’élection présidentielle de décembre 1965.
L’analyse de François Goguel sur les élections législatives de 1967 (à télécharger).

_yartiLegislatives196705




http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170312-legislatives-1967.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-1967-la-majorite-a-un-190528

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/03/12/35026876.html

 

Partager cet article
Repost0
2 février 2017 4 02 /02 /février /2017 20:33

L'émission "La Marche de l'Histoire" présentée par Jean Lebrun le 2 février 2017 sur France Inter a donné un aperçu du procès aux assises de Paul Déroulède. On peut écouter ce documentaire fiction : « La séance est ouverte » : 1899, Cour d'Assises, le procès Déroulède.

Cliquer sur le lien pour télécharger le podcast (fichier .mp3) :
https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/11739-02.02.2017-ITEMA_21216919-1.mp3

Pour en savoir plus sur Paul Déroulède :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210902-paul-deroulede.html

SR
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20170202-marche-histoire.html


 

Partager cet article
Repost0
14 janvier 2017 6 14 /01 /janvier /2017 05:41

« Il est borgne, on le sait. Ce qui ne le rend pas moins louche. Et quand on dit que, peut-être, il ne voit jamais plus loin que le bout de son nez, il faut vite ajouter : et d’un seul côté seulement. » (le 9 novembre 1940 dans "Vendémiaire", hebdomadaire créé par le colonel Maurice Guillaume).


_yartiAuriolVincent01

Contrairement à la croyance populaire, François Mitterrand n’a pas été le premier socialiste à avoir été élu Président de la République française. Il fut le deuxième. Il y a soixante-dix ans, le 16 janvier 1947, les parlementaires français ont désigné le premier Président de la IVe République. A été élu Vincent Auriol, 62 ans, qui avait été élu Président des deux Assemblées Nationales Constituantes puis de l’Assemblée Nationale du 31 janvier 1946 au 20 janvier 1947.

Cette élection était le couronnement de la longue carrière politique d’un député qui fut à la croisée des principaux leaders du socialisme français : il fut l’élève de Jean Jaurès à Toulouse, le ministre de Léon Blum, et il a soutenu la candidature de François Mitterrand à l’élection présidentielle de décembre 1965.

Né le 27 août 1884, avocat après avoir obtenu un doctorat en droit, Vincent Auriol fut l’un des hommes clefs du socialisme du Sud-Ouest pendant l’entre-deux-guerres. Adhérent à la SFIO en raison de sa proximité avec Jean Jaurès (il épousa aussi la fille d’un grand ami syndicaliste de Jean Jaurès à Carmaux), il eut une longue carrière de mandats électifs : élu sans discontinuité député de la Haute-Garonne du 10 mai 1914 (il avait 29 ans) au 31 mai 1942 (fin du prolongement du mandat des députés élus en mai 1936) et du 21 octobre 1945 au 31 décembre 1947, il fut également élu maire du Muret de 1925 à 1946 et conseiller général de Haute-Garonne de 1928 à 1946 (en octobre 1945, il fut élu président du conseil général de Haute-Garonne).

À partir du début des années 1920, Vincent Auriol est devenu le spécialiste des finances publiques de la SFIO, prenant donc une importance considérable au sein de l’appareil (c’est très difficile de donner des éléments de comparaison mais disons que Dominique Strauss-Kahn avait eu un rôle similaire au début des années 1980 au sein du PS). Ce fut donc très logique que lors de la victoire du Cartel des gauches et de l’arrivée à la tête du gouvernement du radical Édouard Herriot, Vincent Auriol fut élu président de la commission des finances à la Chambre des députés (entre 1924 et 1926).

_yartiAuriolVincent02

Vincent Auriol fut tellement proche de Léon Blum pendant une dizaine d’années jusqu’au Front populaire qu’on a même parlé de lui pour diriger le premier gouvernement socialiste en 1936 dans le cas où Léon Blum préférerait rester à la tête de la SFIO. Mais il avait au contraire encouragé Léon Blum à prendre lui-même la direction du gouvernement, car c’était dans la logique politique après la victoire du Front populaire.

Fidèle parmi les fidèles du leader socialiste, Vincent Auriol fut nommé Ministre des Finances du 4 juin 1936 au 21 juin 1937, dans le premier gouvernement de Léon Blum, aux côtés notamment d’Édouard Daladier, Paul Faure, Camille Chautemps, Roger Salengro, Marx Dormoy, Yvon Delbos, Pierre Cot, Jean Zay, Irène Joliot-Curie, Jean Perrin, Paul Ramadier, Jules Moch et Léo Lagrange. Vincent Auriol milita en faveur d’une intervention militaire française aux côtés des républicains espagnols pour lutter contre le franquisme (intervention refusée par les radicaux dont le soutien était indispensable pour le maintien du gouvernement).

Après la démission de Léon Blum en raison de l’absence de soutien des radicaux pour un autre sujet, Vincent Auriol resta dans le gouvernement dirigé par Camille Chautemps, comme Ministre de la Justice du 29 juin 1937 au 14 janvier 1938, et il se retrouva de nouveau ministre dans le deuxième gouvernement de Léon Blum du 13 mars 1938 au 10 avril 1938, à la Coordination des services ministériels à la Présidence du Conseil.

Vincent Auriol a compris rapidement le danger des accords de Munich en septembre 1938 (il s’y opposa mais paradoxalement, les ratifia comme parlementaire, par discipline de parti), et il a eu le courage (rare) de s’opposer à Philippe Pétain lors du vote du 10 juillet 1940 (il fut l’un des très rares socialistes à s’y être opposés, et a aidé Léon Blum à se protéger durant l’été 1940). Comme Léon Blum, Vincent Auriol fut arrêté par le régime de Vichy et fut emprisonné de septembre 1940 à août 1941, puis une fois libéré, il s’engagea dans la Résistance en 1942.

Le Général De Gaulle le nomma président de la commission des finances de l’Assemblée consultative d’Alger en 1944 et il fut réélu député aux deux assemblées constituantes après l’Armistice. De Gaulle l’intégra ensuite dans son gouvernement du 21 novembre 1945 au 20 janvier 1946, comme Ministre d’État représentant la SFIO, avec trois autres Ministres d’État : Francisque Gay (MRP), Louis Jacquinot (républicain indépendant) et Maurice Thorez (PCF).

Alain Peyrefitte a raconté que De Gaulle avait démenti le fait que Vincent Auriol l’aurait influencé pour ne pas s’exprimer devant les Français lors de sa démission en janvier 1946 et il aurait dit le 6 septembre 1966 devant son Ministre de l’Information : « Je ne lui avais pas demandé la permission de m’adresser aux Français le 18 juin 40. » ("C’était De Gaulle", 1994).

Après la démission de De Gaulle de Matignon, le socialiste Félix Gouin lui succéda. Félix Gouin avait été élu Président de l’Assemblée Nationale Constituante, poste qu’il abandonna donc pour diriger le gouvernement provisoire, si bien que ce fut Vincent Auriol qui fut choisi le 31 janvier 1946 pour lui succéder, puis en juin 1946, pour présider la seconde Assemblée Nationale Constituante, et enfin, le 3 décembre 1946, pour présider la première Assemblée Nationale de la IVe République. Tandis que Léon Blum fut chargé de diriger le dernier gouvernement provisoire de la République française du 16 décembre 1946 au 16 janvier 1947. Ce qui signifia que Vincent Auriol allait succéder à Léon Blum comme chef de l’État français.

_yartiAuriolVincent03

Lors de l’élection présidentielle du 16 janvier 1947, 883 parlementaires (députés et équivalents de sénateurs, "conseillers de la République") ont pris part au vote. Vincent Auriol, soutenu par la gauche, fut élu dès le premier tour avec 452 voix (soit 51,2%), face à Auguste Champetier de Ribes (MRP), son principal concurrent, premier Président du Conseil de la République (c’est-à-dire du Sénat) du 27 décembre 1946 au 6 mars 1947 (date de son décès), grand résistant et ancien ministre d’avant-guerre, qui a obtenu 242 voix (27,4%), face aussi au vieux parlementaire octogénaire Jules Gasser (radical), vice-président du Conseil de la République et ancien maire d’Oran, avec 122 voix (13,8%) et enfin, face à un député de centre droit, Michel Clemenceau, le fils de Georges Clemenceau, avec 60 voix (6,8%).

Concevant sa fonction présidentielle dans le rôle d’arbitre suprême, Vincent Auriol a dû affronter l’instabilité ministérielle récurrente de la république naissante qui donnait la part trop belle aux partis et aux groupes politiques des assemblées : pendant son septennat, il ne nomma pas moins de quinze gouvernements (en moyenne, plus de deux gouvernements par an !), dirigés par Paul Ramadier (qu’il connaissait à Toulouse durant sa jeunesse), Robert Schuman, Georges Bidault, Henri Queuille, Edgar Faure, René Mayer, André Marie, René Pleven, Antoine Pinay et Joseph Laniel.

Refusant de solliciter un second mandat présidentiel, Vincent Auriol quitta l’Élysée le 16 janvier 1954 (à l’âge de 69 ans) laissant la place à René Coty (républicain indépendant) élu très laborieusement le 23 décembre 1953. Il rédigea pendant son mandat un journal de bord ("Le Journal du Septennat") retraçant la chronologie de ses activités pendant cette période, et j’ai eu le privilège d’avoir été interrogé sur un extrait concernant l’année 1947 (et les terribles grèves de l’époque) à l’épreuve écrite d’histoire au baccalauréat.

Favorable au retour de De Gaulle en mai 1958, Vincent Auriol quitta la SFIO après un désaccord de fond avec Guy Mollet. Il participa à la création du PSA (parti socialiste autonome) d’Édouard Depreux le 11 septembre 1958, devenu ensuite, le 3 avril 1960, PSU (parti socialiste unifié) qui lança Michel Rocard en politique.

Conformément à la nouvelle Constitution de la Ve République, Vincent Auriol siégea au Conseil Constitutionnel comme membre de droit (ancien Président) du 5 mars 1959 au 1er janvier 1966 (date de son décès) mais refusa de participer aux travaux de cette haute assemblée à partir de 1962 pour s’opposer à la pratique très dirigiste des institutions par De Gaulle, fustigeant le « pouvoir personnel et arbitraire en opposition avec les principes et les règles essentiels de la démocratie ».

Comme indiqué au début de l’article, Vincent Auriol apporta son soutien au candidat François Mitterrand quelques semaines avant de mourir le 1er janvier 1966 à Paris, à l’âge de 81 ans, reliant historiquement François Mitterrand aux figures fortes du socialisme que furent Jean Jaurès et Léon Blum. À ma connaissance (mais je peux me tromper), ni François Mitterrand ni François Hollande, le troisième socialiste à avoir été élu à l’Élysée, n’ont rendu hommage à celui qui fut un acteur loyal du socialisme de gouvernement au plus haut niveau de l’État.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 janvier 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Vincent Auriol.
Le Front populaire.
René Coty.
Edgar Faure.
Gaston Defferre.
François Mitterrand.
Georges Clemenceau.
André Tardieu.
Jean Jaurès.
Joseph Caillaux.
Aristide Briand.
Léon Blum.
Pierre Laval.
Philippe Pétain.
Colonel de La Rocque.
Charles De Gaulle.
Pierre Mendès France.
Jean Zay.
Charles Péguy.

_yartiAuriolVincent04



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170116-vincent-auriol.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/vincent-auriol-le-premier-188543

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/01/14/34800944.html

 

Partager cet article
Repost0
9 janvier 2017 1 09 /01 /janvier /2017 05:30

« On n’est le maître, vraiment, que lorsqu’on a si bien travaillé le fauve qu’il se couche à la voix, rentre les griffes, et qu’un regard lui sert de barreaux. » (Maurice Druon, "Les Rois maudits", 1960).


_yartiPhilippeVleLong01

Sans doute que noyés dans la précampagne de l’élection présidentielle, les responsables politiques français ne prendront pas le temps de se poser quelques minutes sur un événement fondateur de la nation française. Il y a exactement sept cents ans, le 9 janvier 1317, le frère le plus âgé du roi Louis X le Hutin, deuxième fils de Philipe IV le Bel, le comte Philippe de Poitiers se fit sacrer roi de France à la basilique Saint-Rémy de Reims d’une manière précipitée pour renforcer son pouvoir sur le royaume de France sous le nom de Philippe V le Long, long car il était grand.

Lorsque le roi Louis X le Hutin est mort à 26 ans, le 5 juin 1316 (certains ont parlé d’empoisonnement), il n’avait régné que dix-huit mois, prenant la lourde succession de son père Philippe IV le Bel, mort le 29 novembre 1314 à Fontainebleau après un long règne de presque trente ans sur un État qu’il avait rendu puissant et centralisé. Et c’était la première fois depuis l’avènement du roi Hugues Capet, le 3 juin 987, qu’un roi était mort sans laisser un fils. Pendant plus de trois siècles, les rois capétiens (directs) ont pu se succéder de pères en fils aînés. Rien, pourtant, n’interdisait juridiquement la succession par une fille.

Or, Louis X a laissé à sa mort deux enfants : Jeanne II (future reine de Navarre), née le 28 janvier 1311 (elle avait donc 5 ans), de son premier mariage avec Marguerite de Bourgogne, et un enfant encore à naître par sa seconde épouse enceinte, Clémence de Hongrie (Louis X l’épousa le 19 août 1315 après avoir répudié et probablement étranglé sa première épouse soupçonnée d’adultère).

Le fait que Jeanne aurait pu être le fruit d’un adultère a laissé des doutes sur sa filiation réelle avec Louis X. Le fait qu’elle fût une fille fut également une raison de plus de se tourner vers l’enfant à naître de Clémence, en espérant qu’il fût un garçon. Ce fut le frère le plus âgé de Louis X, à savoir le futur Philippe V qui prit donc la régence à l’âge de 23 ans, élu par certains notables réunis à Paris, en attendant la naissance et l’éducation de cet enfant.

Pour faire accepter cette décision, Philippe V, très influent, a su rappeler à la noblesse son lien le plus direct avec saint Louis (son arrière-grand-père) et il a aussi conclu un accord avec le duc de Bourgogne Eudes IV (qui était le beau-frère de Louis X et l’oncle de Jeanne II de Navarre). Eudes IV épousa par la suite, en 1318, Jeanne de France, la fille de Philippe V (la fille n’avait que 10 ans), ce qui en faisait donc également le gendre du roi Philippe V.

Si l’enfant de Clémence fut effectivement un garçon, né le 14 novembre 1316, il ne "régna" que cinq jours, mort dans des conditions d’ailleurs mystérieuses (certains ont accusé Philippe V ou Mahaut d’Artois, qui fut sa belle-mère, de l’avoir empoisonné). Il fut appelé Jean Ier le Posthume. Dès l’enterrement de Jean, Philippe V se fit proclamer roi de France et amorça la "tradition" de refuser toute femme dans la prétention au trône. Cette idée était plus par ambition personnelle que par misogynie puisqu’il avait réussi à obtenir pour sa fille aînée (paradoxalement) la transmission du comté de Poitiers.

_yartiPhilippeVleLong02

Pour asseoir son pouvoir, Philippe V se fit sacrer à Reims le 9 janvier 1317 de manière précipitée, en fermant les portes de la basilique Saint-Rémy et sous la protection de l’armée, et cela malgré l’opposition de certains notables de la cour qui voulaient assurer la défense des droits de Jeanne II (la seule enfant de Louis X). Parmi ceux qui pouvaient lui disputer son pouvoir, il y avait son oncle, le comte Charles de Valois (1270-1325), frère de Philippe IV le Bel, dont le fils Philippe est devenu finalement roi de France (voir plus loin).

Pour verrouiller le "dispositif", Philippe V convoqua des semblants d’États-généraux le 2 février 1317, pour régler définitivement la succession en proclamant qu’une femme ne pourrait jamais succéder au trône de France (mais sans préciser si les femmes pouvaient ou nom transmettre le droit à la couronne).

Les arguments avancés ne firent pas référence à la loi salique, rédigée en latin, qui n’avait pas grand chose à voir avec cet enjeu, qui datait autour du Ve siècle et qui évoquait la succession des terres au sein du royaume. On n’a évoqué la loi salique pour cette règle de succession qu’à tort quelques dizaines d’années après la prise de pouvoir de Philippe V. Maurice Druon parla ainsi de la loi salique : « Les conseillers au parlement (…) exhumèrent sans trop de foi le vieux code de coutumes des Francs saliens, antérieur à la conversion de Clovis au christianisme. Ce code ne contenait rien quant à la transmission des pouvoirs royaux. C’était un recueil de jurisprudence civile et criminelle assez grossier, et de surcroît mal compréhensible puisqu’il avait plus de huit siècles. Une indication brève stipulait que l’héritage des terres se faisait par division égale entre les héritiers mâles. C’était tout. » ("Les Rois maudits", 1957).

Enfin, le Traité de Laon signé le 27 mars 1317 par Philippe V et Eudes IV de Bourgogne énonça le renoncement des prétentions de Jeanne II de Navarre au royaume de France. À la cathédrale d’Amiens, le 29 juin 1320, Philippe V reçut la reconnaissance de sa légitimité par son beau-frère, Édouard II, roi d’Angleterre depuis le 7 juillet 1307 (il s’était marié à la sœur du roi de France, Isabelle de France, le 25 janvier 1308 à Boulogne-sur-Mer), mais son fils Édouard III (né le 13 novembre 1312), roi d’Angleterre du 25 janvier 1327 au 21 juin 1377, déclencha la Guerre de Cent ans le 7 octobre 1337 en revendiquant le royaume de France par sa mère Isabelle de France.

Lorsque Philippe V le Long est mort à 29 ans le 3 janvier 1322 après cinq mois d’agonie, il n’avait aucun héritier homme (il avait quatre filles et son seul fils, né en fin 1316, ne survécut pas plus de trois semaines). Conformément aux règles qu’il avait édictées, ce fut donc son dernier frère, Charles IV le Bel, considéré comme pas très intelligent, qui lui succéda à l’âge de 27 ans. Charles IV le Bel épousa comme son frère Philippe une fille d’Othon IV de Bourgogne. Il fut couronné à la cathédrale de Reims le 21 février 1322.

_yartiPhilippeVleLong06

Malade lui aussi, Charles IV est mort à 33 ans le 1er février 1328, laissant sa troisième épouse (Jeanne d’Évreux) enceinte (l’enfant à naître fut finalement une fille, Blanche). Terminant la fratrie ("mâle"), la mort de Charles IV a abouti à la fin des Capétiens directs et engendra une guerre de succession.

Le roi d’Angleterre Édouard III revendiqua le royaume de France puisque sa mère fut la sœur des trois derniers rois de France, mais ce raisonnement pêchait par le fait que si une femme pouvait transmettre la couronne sans la prendre elle-même, alors les trois frères rois Louis X, Philippe V et Charles IV avaient des filles qui auraient pu transmettre également la couronne à un héritier homme : en particulier Philippe de Bourgogne, né le 10 novembre 1323 et fils d’Eudes IV de Bourgogne et de Jeanne de France, fille de Philippe V, elle-même née le 2 mai 1308.

Le premier petit-enfant homme de Louis X, quant à lui, Charles II le Mauvais, n’est né que le 10 octobre 1332, donc bien après la mort de Charles IV et ne pouvait donc pas être un prétendant au moment de la crise de succession en 1328, mais la logique de transmission par les femmes revendiquée par Édouard III aurait alors signifié l’usurpation de Philippe V et de Charles IV et la reconnaissance ultérieure de ce futur Charles le Mauvais comme héritier du trône de France (par ailleurs, Charles II le Mauvais était aussi le fils de Philippe d’Évreux, fils de Louis d’Évreux, demi-frère de Philippe IV et de Charles de Valois et donc doublement descendant de saint Louis).

Il a donc fallu remonter à la branche de Charles de Valois, deuxième fils de Philippe III le Hardi, frère de Philippe IV le Bel, et petit-fils de saint Louis, pour trouver un nouvel héritier homme à la couronne de France, à savoir le fils de Charles de Valois (ce dernier est mort le 16 décembre 1325), Philippe VI de Valois, proclamé roi de France le 1er avril 1328 à 35 ans et sacré à Reims le 29 mai 1328. Son règne initia la branche des Valois et dura plus de vingt-deux ans.

Philippe de Valois avait été choisi par son cousin Charles IV (de son vivant) pour devenir le régent et s’occuper de l’enfant de Jeanne d’Évreux dans le cas où il aurait été un garçon. Il fut en outre soutenu par son beau-frère, Robert III d’Artois, qui fut très influent auprès de lui (après sa condamnation et son bannissement en avril 1322, Robert III d’Artois a rejoint le camp d’Édouard III et s’opposa à la cour de France).

Ce choix de Philippe VI fut essentiel dans la définition de la nation française telle qu’elle l’est devenue plusieurs siècles plus tard : en effet, le refus de reconnaître Édouard III comme héritier légitime (à savoir le plus direct des descendants de saint Louis mais en passant par une femme, sa mère) avait une raison plus politique que dynastique : il était déjà roi d’Angleterre et il n’était pas question de laisser la couronne de France à un souverain "étranger", dans le sens surtout politique (il n’existait pas encore de nationalité et Édouard III était aussi "français"dans le sens où il parlait français et où il possédait de grands domaines sur le territoire français, la Guyenne).

_yartiPhilippeVleLong03

Toute cette histoire dynastique a été merveilleusement racontée par Maurice Druon dans "Les Rois maudits" (roman publié de 1955 à 1977) qui fit l’objet d’une série télévisée très appréciée (avec Jean Piat et Louis Seigner notamment) diffusée du 21 décembre 1972 au 24 janvier 1973 sur la deuxième chaîne (une seconde adaptation a aussi été faite en 2005).

La règle des trois frères chez les Capétiens se répéta au total trois fois : après les règnes de Louis X, Philippe V et Charles IV, la branche des Valois s’est en effet éteinte après le règne de trois frères François II (1559-1560), Charles IX (1560-1574) et Henri III (1551-1589) laissant place aux Bourbons avec Henri IV, puis la nouvelle branche des Bourbons s’est elle-même éteinte après la Révolution française avec le règne de Louis XVI (1774-1792), Louis XVIII (1814-1824) et Charles X (1824-1830), laissant place après la proclamation de la République le 4 septembre 1870, à un unique prétendant au trône, le petit-fils de Louis-Philippe, le comte de Paris, après la mort du comte de Clermont en 1883 (la rivalité entre les deux prétendants, légitimiste et orléaniste, a rendu impossible une restauration monarchique vers 1876 alors qu’il y avait à l’assemblée une majorité de députés monarchistes).

Si la monarchie capétienne était héréditaire, il faut cependant se rappeler que les rois étaient à l’origine élus par un collège de nobles, et c’était comme cela que les Capétiens, d’abord Eudes, ont pu prendre le trône aux Carolingiens. Du vivant du roi, le fils aîné était régulièrement associé au trône devant les notables, ce qui confortait sa position de dauphin. Philippe II Auguste fut le dernier héritier associé au trône du vivant de son père en se faisant couronner le 1er novembre 1179, avant la mort de son père (18 septembre 1180).

Après Philippe Auguste, l’hérédité était devenue la règle de succession. L’hérédité était un élément de stabilité qui apportait un avantage face à l’élection de l’empereur du Saint Empire Romain Germanique, dont l’issue était généralement incertaine et le résultat jamais durable.

C’était en partie grâce à cette stabilité que la France a pu se construire malgré son émiettement originel en duchés et comtés qui, parfois, étaient plus puissants que le royaume lui-même. Le Siècle des Lumières a rendu indispensable l’écoute des peuples dans la définition de la politique nationale. L’hérédité ne donne aucune garantie sur cette nécessaire écoute. L’avènement de la République a répondu à ce principe de libre souveraineté populaire, et l’élection du Président de la République française est devenue une sorte d’oxymore : depuis 1965, le peuple français élit désormais son …monarque ! Le prochain sera élu le 7 mai 2017.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 janvier 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les conséquences du sacre de Philippe V le Long.
Louis XIV.
François Ier.
Henri IV.
Les Rois maudits.
Armide.
Congrès de Vienne.
Deux autres figures françaises du sens de l’État.
Vive la République !

_yartiPhilippeVleLong04



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170109-philippe-v.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-sacre-de-philippe-v-le-long-et-188350

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/01/09/34782567.html



 

Partager cet article
Repost0
7 janvier 2017 6 07 /01 /janvier /2017 05:26

« Il vient de Moscou et il en rougit. » (Robert Bruyneel, ancien ministre, député du Loir-et-Cher, dans l’Hémicycle, le 14 mars 1957). Seconde partie.


_yartiDuclosJacquesB04

Après avoir évoqué le début de la carrière politique de Jacques Duclos, voici la seconde partie, l’apparatchik, le parlementaire et le candidat à l’Élysée.


Le véritable numéro un du PCF

Dans les années 1950 et 1960, Jacques Duclos fut dans les faits, le numéro un du PCF en raison de la maladie de Maurice Thorez, victime d’une attaque d’hémiplégie le 10 octobre 1950 et soigné entre 1950 et 1956 en Union Soviétique. Jusqu’à la désignation, par Maurice Thorez, de Waldeck Rochet le 17 mai 1964, au secrétariat général du PCF (peu avant la mort de Maurice Thorez le 12 juillet 1964), Jacques Duclos s’occupa de toutes les affaires du PCF, en particulier, procéda aux exclusions très politiques d’André Marty, de Charles Tillon (ancien ministre) et d’un rival de Maurice Thorez, Auguste Lecœur (ancien ministre). Il a soutenu également Moscou lors de l’insurrection hongroise de 1956 et approuva la répression soviétique à Prague en 1968. En revanche, il a rejeté le procès en déstalinisation intenté par Nikita Khrouchtchev.

_yartiDuclosJacques03

L’antimilitarisme de Jacques Duclos le fit arrêter (malgré son mandat parlementaire) le 28 mai 1952 en raison d’une manifestation violente contre la venue à Paris du général Matthew Ridgway, qui venait d’être nommé, du 20 mai 1952 au 1er juillet 1953, commandant suprême des Forces alliées de l’OTAN (succédant à Dwight Eisenhower). Les communistes l’accusaient d’avoir utilisé des armes bactériologiques contre la Corée du Nord lors de la guerre de Corée (il avait succédé au général Douglas MacArthur le 11 avril 1951 comme commandant en chef des forces des Nations Unies). Il resta en prison jusqu’en juillet 1952, ce qui le rendit encore plus populaire (son immunité parlementaire ne fut finalement pas levée en novembre 1953).

En 1953, Jacques Duclos a reçu des documents confidentiels sur l’effort de guerre de la France en Indochine. Ces fuites ont créé en 1954 des remous au sein même du gouvernement de Pierre Mendès France qui soupçonnait son Ministre de l’Intérieur François Mitterrand.


Sénateur de la Ve République

Après s’être opposé au retour du Général De Gaulle et à l’instauration de la Ve République, Jacques Duclos fut battu le 30 novembre 1958 à Montreuil par un médecin gaulliste. Il fut ensuite élu sénateur aux élections du 26 avril 1959 et fut réélu le 22 septembre 1968, restant donc parlementaire jusqu’à sa mort.

Durant les années au Sénat, Jacques Duclos fut toujours un parlementaire très actif tout en gardant une grande influence au sein de l’appareil du PCF. Présidant le groupe communiste au Sénat, il est souvent intervenu à propos de l’Algérie, aussi pour réclamer la construction d’un million de logements sociaux ; il proposa un nouveau statut de la Radio-Télévision Française (21 mai 1963), la majorité à 18 ans ; il vota la loi Neuwirth le 5 décembre 1967.

Lors de la séance de questions au gouvernement du 12 novembre 1974, Jacques Duclos a eu une altercation avec Michel Poniatowski, Ministre de l’Intérieur, sur ses propos concernant le PCF qualifié de parti « totalitaire de caractère fascisant », créant un incident et une suspension de séance. Jacques Duclos s’est abstenu lors du vote de la loi Royer sur les petits commerçants, et a voté le 28 juin 1974 la loi fixant à 18 ans l’âge de la majorité, et un peu plus tard, la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse.


Visées présidentielles

En septembre 1965, avec Waldeck Rochet, il apporta son soutien à la candidature de François Mitterrand à l’élection présidentielle de décembre 1965 « puisqu’il est le candidat commun des partis de gauche signataires du programme commun de gouvernement » (cité par le "Dictionnaire des parlementaires français").

Favorable au "non" au référendum du 27 avril 1969 sur la régionalisation, Jacques Duclos fut investi comme candidat à l’élection présidentielle qui a suivi le départ de De Gaulle. Ce fut la première fois que les communistes ont pu compter leurs voix malgré la crainte d’être laminés par le scrutin présidentiel.

L’annonce a eu lieu le 5 mai 1969 rue Lafayette à Paris. Michèle Cotta a décrit le nouveau candidat ainsi : « Il n’est pas de prime jeunesse, évidemment. Son apparence physique ne plaide pas en sa faveur. Et, vieux stalinien qu’il est, il est loin d’incarner le renouveau du PC. Defferre et Jean-Jacques Servan-Schreiber ne jugent pas dangereux le candidat communiste. Ils n’en ont nullement peur. ».

_yartiDuclosJacques04

Pour expliquer sa candidature, Jacques Duclos déclara à Michèle Cotta le 6 mai 1969 : « Nous n’étalerons pas de tapis rouge sous les pas du leader de la gauche non communiste. Ce serait trop simple ! ».

Michèle Cotta, qui a accompagné Jacques Duclos en campagne, a reconnu le 22 mai 1969 : « Je m’étais trompée en pensant que Duclos était un mauvais choix. Il fait au contraire une campagne formidable : il est partout (…) tout en gardant son énergie intacte pour les enregistrements télévisés. (…) Il rigole tout le temps, avec ses petits yeux pétillants sous ses lunettes. ».

Grâce à sa verve et à son côté bonhomme, Jacques Duclos, qui avait déjà 72 ans, fit une campagne très appréciée et a atteint le 1er juin 1969 la troisième place, frôlant de justesse sa qualification pour le second tour (à moins de 500 000 voix près) avec 21,3% des voix, dépassant de beaucoup tous les autres candidats qui se réclamaient de gauche, en particulier Gaston Defferre (5,0%), Michel Rocard (3,6%) et Alain Krivine (1,1%).

Refusant de soutenir le candidat centriste Alain Poher face au candidat gaulliste Georges Pompidou (appel à l’abstention du 2 juin 1969), Jacques Duclos employa sa fameuse formule (déjà utilisée par lui avant le premier tour) : « Pompidou-Poher, c’est blanc bonnet et bonnet blanc ! ». Michèle Cotta observa, séduite : « On ne peut pas mieux trouver : court, compréhensible par tous, impertinent, rigolo. Jacques Duclos aura mis de bout en bout les rieurs de son côté. » (14 juin 1969).

Pour l’élection présidentielle de 1974, précipitée par la mort de Georges Pompidou, Jacques Duclos n’était pas partisan d’une candidature unique de la gauche derrière François Mitterrand. Claude Estier, qui fut l’émissaire de François Mitterrand au PCF (et qui est mort récemment à 90 ans le 10 mars 2016), expliqua à Michèle Cotta le 28 mai 1974 : « En réalité, le parti [communiste] était très divisé sur ce point. Étienne Fajon, Jacques Duclos, Madeleine Vincent étaient très hostiles à cette idée. La candidature commune est l’œuvre conjuguée de [Roland] Leroy et [Georges] Marchais, qui ont su vaincre les réticences des cadres moyens du parti et de la direction. Pourquoi ? Parce qu’ils ont fait le choix de jouer la présence des communistes au gouvernement. » ("Cahiers secrets").

Quatre ans auparavant, le 22 septembre 1970, François Mitterrand ne croyait pas possible une telle candidature unique en 1974 (Épinay n’était pas encore passé) : « Selon lui [François Mitterrand], l’équation de 1965 est aujourd’hui impossible. Les communistes ont tâté du plaisir de présenter un de leurs candidats. Ils avaient peur de le faire en 1969 et ils ont écrasé les socialistes. Plus jamais, sauf si le mouvement social-démocrate est incroyablement plus fort qu’eux, les communistes n’accepteront de donner leur voix dès le premier tour à un candidat non communiste. » (Michèle Cotta).


L’hommage par le Grand frère

Jacques Duclos est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages, des essais politiques et des récits historiques ainsi que ses mémoires. Parmi ses dernières initiatives sénatoriales, le dépôt de plusieurs propositions de loi sur la nationalisation de Citroën et le fait de rendre férié le 8 mai (18 mars 1975).

_yartiDuclosJacques05

Après une première hospitalisation en janvier 1975, il fut de nouveau hospitalisé en avril et il est mort à 78 ans le 25 avril 1975 d’une congestion pulmonaire. Lors de son enterrement au Père-Lachaise, le 29 avril 1975, les hommages se succédèrent : La Pasionaria de la guerre civile espagnole, Dolorès Ibarruri, secrétaire générale du parti communiste espagnol de 1942 à 1960, Boris Ponomarev, grand responsable des relations avec les autres partis communistes au sein du comité central du Parti communiste d’Union Soviétique du 9 décembre 1955 au 25 février 1986 (bras droit de Mikhaïl Souslov), et Georges Marchais, secrétaire général du PCF du 17 décembre 1972 au 29 janvier 1994.

Dans "Les Stalinens, une expérience politique, 1944-1956", publié en 1975 (éd. Fayard), la journaliste Dominique Desanti a décrit l’éloquence de Jacques Duclos qui pourrait presque s’appliquer à Jean-Luc Mélenchon : « Entendre Duclos pour la première fois, quelle fête pour l’oreille amie de l’éloquence ! Période balancée, formule répétée en refrain, symbiose de la tradition oratoire du Midi et des rites du langage communiste qui gagne de la saveur à rouler sur le gravier d’un accent. Rond le petit corps, ronde la grosse tête, rondes les lunettes ; tout rassure, tout fait penser au matou ronronnant quand soudain cette voix vous emporte et quand soudain le regard, perçant et froid, vous atteint. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 septembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jacques Duclos.
Staline.
Georges Marchais.
Front populaire.
Gaston Defferre.
François Mitterrand.
Michel Rocard.
André Tardieu.
Jean Jaurès.
Joseph Caillaux.
Aristide Briand.
Léon Blum.
Pierre Laval.
Philippe Pétain.
Colonel de La Rocque.
Charles De Gaulle.
Pierre Mendès France.
Jean Zay.
Charles Péguy.

_yartiDuclosJacquesB05



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161002-jacques-duclos-2.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jacques-duclos-2-rouge-bonnet-et-185064

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/01/07/34377969.html


 

Partager cet article
Repost0
5 décembre 2016 1 05 /12 /décembre /2016 02:04

« Ma méthode reste la même : "apaiser, rassembler, réformer". Apaiser pour rassembler et rassembler pour réformer. Par rapport à beaucoup d’autres pays, nous avons eu trop souvent une approche conflictuelle, clivante et polémique des problèmes. Je suis convaincu qu’au fond d’eux-mêmes, les Français n’en veulent plus. » (Alain Juppé, 2015).


_yartiJuppe2020D03

L’ancien Premier Ministre Alain Juppé fête ses 75 ans le samedi 15 août 2020. Pour un ancien "jeune premier", la vieillesse est peut-être plus cruelle que pour les autres. Depuis un an, l’ancien maire de Bordeaux s’est replié au Conseil Constitutionnel, il a renoncé à faire de la politique active, et termine confortablement une prestigieuse carrière politique qui, néanmoins, se caractérise par un troublant manque : l’Élysée.

Je conseille de regarder la petite série documentaire intitulée "Si la France savait", qui évoque quelques Premiers Ministres de la Cinquième République. Elle passe actuellement sur LCP (la chaîne parlementaire) et est proposée par l’éditorialiste Patrice Duhamel. Elle consacre un épisode à Alain Juppé et son grand intérêt est qu’elle interviewe le responsable politique en question. Dans cet exercice d’introspection, Alain Juppé est très bon car il est sincère, même si, parfois, il montre des résurgences d’un grand orgueil (quel candidat à l’élection présidentielle ne serait-il pas orgueilleux ?).

Eh oui, au détour d’une explication, Alain Juppé a justifié son renoncement le 6 mars 2017 à remplacer François Fillon pour la candidature LR à l’élection présidentielle par un sursaut d’amour-propre : je ne suis pas un plan B, je ne suis pas un remplaçant ! Pourtant, un "vrai" politique, c’est celui qui profite de l’occasion, qui la suggère même, qui la crée. Nul doute que Jacques Chirac aurait foncé pour remplacer François Fillon et aurait eu moins de scrupules. Cela signifie une simple chose : malgré ses affirmations dans l’interview, Alain Juppé n’en avait pas si envie que cela, d’être Président de la République. Et puis, il faut être réaliste, il aurait été élu, il aurait fini son mandat à l’âge de 76 ans et demi, ce n’aurait peut-être pas été très raisonnable… (du reste, membre du Conseil Constitutionnel, il finira son mandat à… 82 ans !).

Peut-être est-ce le même orgueil que Pierre Mendès France ou Jacques Delors qui n’ont pas cherché à combattre sur le terrain présidentiel (l’un en 1969, l’autre en 1995), parce qu’ils étaient à peu près convaincus qu’ils ne pourraient pas appliquer exactement leur politique ? Cela reprend une vieille formule latine : aut Caesar aut nihil (je laisse la traduction aux distingués latinistes ; je trouve qu’une formule latine perd de sa puissance en étant traduite).

Alain Juppé fait partie du cercle restreint des grandes personnalités politiques de l’histoire française : ceux qui ont influencé le pays, son évolution, ou qui étaient en situation de pouvoir l’influencer mais qui n’ont pas pu.

Il avait toutes les caractéristiques : brillante intelligence (je le constate, mais je n’ai pas vocation à donner moi-même des brevets d’intelligence, qui serais-je pour cela ? il est reconnu ainsi), forte ambition (pour le pays, pour lui-même), connaissance excellente des rouages de l’État, expérience d’élu local et de ministre, dynamisme physique (c’est important pour faire campagne, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy l’ont confirmé ; a contrario, la campagne de Jean-Marie Le Pen en 2007 fut une de trop, il était épuisé ; même François Bayrou n’a pas tenu le rythme en mars 2007), un réseau non négligeable (ENA, Normale Sup., chef de parti, proximité avec un précédent leader, ici Jacques Chirac, etc.), capacité à animer une équipe, à conduire une campagne, à motiver l’adhésion autour d’un projet, etc.

Mais Alain Juppé a été tué politiquement par son arrogance originelle. Celle du "jeune premier", le principal collaborateur du patron (Jacques Chirac qui l’a présenté comme "le meilleur d’entre nous", ce qui, paradoxalement, ne l’a pas aidé car il a suscité de vives jalousies), qui savait mieux que les autres (et c’était peut-être un peu vrai), avec ce sommet lors des grandes grèves de novembre et décembre 1995 : "Je suis droit dans mes bottes !".

Cette réputation de "rectitude" qui en a fait un entêté sans écoute est pourtant fausse. Il voulait prouver son volontarisme en faisant un peu trop dans l’autoritarisme (un penchant dans lequel est aussi un peu tombé Emmanuel Macron) mais en fait, cet homme doute aussi, ressent des émotions, et même écoute ses interlocuteurs, ses fonctions de maire de Bordeaux l’ont amplement montré, du moins, par ses réélections successives. À lui tout seul, il représentait pendant longtemps la "classe dirigeante", le pendant "de droite" d’un Laurent Fabius, le technocrate "de gauche", en somme, la technostructure.

Avec cette expérience, Alain Juppé était bien conscient que l’écoute était essentielle : « Faire de la politique, c’est en permanence travailler pour et avec les autres. Comprendre leurs problèmes et leurs attentes, savoir les écouter et les aider, savoir aussi leur expliquer ce que l’on veut faire et les contraintes qui pèsent sur l’action, leur donner confiance, les entraîner dans un projet collectif dont ils comprennent la nécessité et dont ils espèrent recueillir les fruits, voilà le cœur du métier politique. » (2006).

Mais pour faire de la politique, il faut aussi du cuir : « Se faire interpeller plus ou moins amicalement, lorsqu’on a fait le choix de la vie publique, fait partie de la fonction. Si on ne le supporte pas, il vaut mieux renoncer à solliciter les suffrages de ses concitoyens. Il faut apprendre à endurer les reproches, même les plus injustes, il faut s’attendre à subir les critiques, même les plus blessantes, les insultes parfois. Il faut savoir réagir dignement, quand la main que vous tendez est refusée. On s’endurcit, on se blinde, on se cuirasse, sans jamais accepter totalement, d’ailleurs, cette façon brutale qu’ont certains d’exprimer leurs idées par l’invective. Et puis, il y a, de temps en temps, un inconnu qui vous dit au détour d’une rue "On est avec vous !", qui vous fait oublier tous les autres et dont l’interpellation vous fait chaud au cœur. » (2016). Quand Alain Juppé parlait de "réagir dignement", cela faisait évidemment penser à Nicolas Sarkozy au Salon de l’Agriculture…

Alain Juppé a eu son destin qui s’est souvent échappé, sauf une fois, en 1995. Il avait soutenu la candidature de Jacques Chirac par fidélité mais sans illusion, et lorsque ce dernier a été élu en 1995, la logique politique aurait voulu qu’il nommât Philippe Séguin, le concepteur de la "fracture sociale", à Matignon. Jacques Chirac n’imaginant pas de cohabiter avec un homme si peu contrôlable (il s’est dit la même chose en 2002 avec Nicolas Sarkozy), il préféra donc Alain Juppé. Or, c’est Alain Juppé qui a imaginé la dissolution de 1997 (ainsi que Dominique de Villepin). Une dissolution pour convenance personnelle absolument incompréhensible et injustifiable politiquement, si bien que la gauche est revenue bien plus rapidement que prévu (ce fut en quelque sorte Alain Juppé qui permit au PS, complètement démonétisé en mars 1993, de retrouver la voie du pouvoir seulement quatre années plus tard, ce qui prouve, avis aux partis en ruine, que tout est possible en politique, même des résurrections).

En 2002, il a pris les devants auprès de Jacques Chirac pour lui dire qu’il ne voulait pas être nommé Premier Ministre en raison de son "affaire" (des emplois fictifs de la ville de Paris), bien qu’il allât payer pour les autres. Cela ne l’a pas empêché de revenir au gouvernement, furtivement en mai 2007 dans un grand ministère d’État à l’Écologie (déjà !), puis à partir de 2010 à la Défense, puis, de nouveau, aux Affaires étrangères (il l’avait déjà été entre 1993 et 1995).

Les vrais "animaux politiques" (dont fait partie Alain Juppé) se prêtent guère aux sondages de popularité : ils savent qu’ils sont fluctuants et je conseillerais à Jean Castex de se méfier des 56% des bonnes opinions. Dans deux mois, les Français en auront peut-être assez d’avoir un Premier Ministre qui ne cesse de faire des déplacements tous les jours, sans voir quelques résultats probants (sur le front du chômage, par exemple). Une même personnalité peut avoir de "très bons sondages" un jour et de "très mauvais sondages" un autre jour. C’est juste une question de "tempo". Il y a des moments ou pas pour telle ou telle autre personnalité. François Bayrou et Ségolène Royal, leur moment, c’était en 2007, comme pour Nicolas Sarkozy.

Et un "bon sondage" ne signifie pas une élection triomphante, l’acte de vote n’a rien à voir avec la sympathie qu’on éprouve pour une personnalité. Ainsi, beaucoup de personnalités consensuelles ont une forte popularité (comme François Bayrou, etc.) mais au moment du vote, les urnes polarisent : en clair, ce sont les opposants politiques à la personnalité qui ont dit qu’ils l’appréciaient, mais ils ne vont pas pour autant voter pour elle.

Avec son affaire judiciaire, et même son exil (au début difficile) au Québec, Alain Juppé a renoncé à l’élection présidentielle de 2007, laissant le terrain libre à Nicolas Sarkozy. Alain Juppé a même failli y rester, au Canada, mais l’appel de Bordeaux et l’appel de Paris furent trop fort.

_yartiJuppe2020D02

Le moment Juppé était pour 2017. Enfin, disons qu’après l’échec de Nicolas Sarkozy en 2012, qu’après la lutte fratricide entre François Fillon et Jean-François Copé, il ne restait vraiment plus qu’Alain Juppé. Et Alain  Juppé y a cru parce que les sondages suivaient, le portaient. Une vague Juppé. Lui, qui fut si impopulaire à Matignon, qui fut si clivant, si cassant, si arrogant à Matignon (quand j’écris "qui fut", cela signifie : "qui fut considéré comme"), le voici l’homme consensuel, l’homme du rassemblement, l’homme de l’apaisement, l’homme de la réconciliation. Au point même qu’il ait subi des procès en islamophilie aussi stupides qu’insignifiants (sur les réseaux sociaux, on l’a appelé Ali Juppé).

Après avoir vu la droite hystérisée par Nicolas Sarkozy, son électorat voulait retrouver le "calme" et le chemin de la raison. Alain Juppé a alors sorti sa fameuse "identité heureuse" qui avait eu pour résultat de plus inquiéter que rassurer cet électorat de droite pourtant fatigué de Nicolas Sarkozy. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il n’a pas su faire passer le message (c’est ainsi qu’il l’explique aujourd’hui) : les gens ont cru qu’il disait qu’on était dans une identité heureuse, alors que lui voulait tendre vers une identité heureuse mais qu’on n’y était pas. Trop subtil ? Pourtant, c’est mieux de faire campagne sur de choses positives que sur des choses négatives (comme : "les immigrés, dehors !").

Avec les bons sondages d’intentions de vote pour la primaire LR, Alain Juppé y a cru et a pris une seconde jeunesse en automne 2016. Pourtant, je le répète, son thème de campagne, qui m’allait, était électoralement anxiogène. La remontée soudaine de François Fillon, qui proposait le meilleur projet, le plus construit, le plus réfléchi (il s’y préparait depuis février 2013), a fait perdre beaucoup d’électeurs d’Alain Juppé qui l’avaient choisi par défaut pour éviter Nicolas Sarkozy : une solution "alternative" était possible avec François Fillon. Alain Juppé ne l’a pas vu venir, ni de nombreux observateurs politiques.

Pourtant, ce phénomène a déjà eu lieu en 1995 ! C’est ce que j’appellerais le "syndrome de Balladur". Il s’agit d’un excès de confiance en ses chances pour vaincre. Il faut rappeler les sondages élogieux en janvier 1995, quand Édouard Balladur, Premier Ministre parmi les plus populaires (avec Michel Rocard et Lionel Jospin), a fait sa déclaration de candidature, son soutien Nicolas Sarkozy l’imaginait déjà gagner dès le premier tour ! (un exploit que même De Gaulle n’avait pas réussi faire).

Dans ce syndrome de Balladur, il y a deux éléments.

Le premier, le plus visible, est que le plus populaire n’est pas forcément celui qui va être élu. Deux raisons : parmi ceux qui le trouvent sympathique, des opposants qui ne voteront pas pour lui de toute façon (voir plus haut) ; c’est qu’en étant le favori, il est la cible de tous les autres candidats. C’est le principe d’une campagne électorale : elle a sa raison d’être, c’est le moment où les consciences électorales se polarisent et se cristallisent, et l’histoire a montré que jamais un candidat donné gagnant par avance, avant la campagne, ne gagnait sans avoir fait une excellente campagne.

Le second élément, c’est que le troisième candidat, c’est-à-dire, celui dont on ne parle pas (puisqu’on ne parle jamais que des duels), qui est donc peu médiatisé, peut avancer sans être attaqué et peut séduire par le contenu de son projet, si bien qu’il peut arriver à la fin …premier ! C’était la surprise de 1995 : non seulement Édouard Balladur a perdu sa qualification, mais c’était Lionel Jospin qui est arrivé en tête du premier tour (alors que les médias ne parlaient que de la rivalité Chirac/Balladur). Pour la primaire LR, ce fut un peu la même chose : François Fillon, considéré comme quantité négligeable par les médias, a bondi à la première place au premier tour de la primaire.

L’échec d’Alain Juppé au second tour de la primaire LR de novembre 2016 était regrettable pour deux raisons : d’une part, mais on ne peut le dire qu’a posteriori, François Fillon s’est montré être un très mauvais candidat, à cause de son affaire et de la gestion de celle-ci ; d’autre part, la France avait besoin d’un candidat consensuel comme Alain Juppé. Il avait derrière lui la plupart des responsables centristes, dont François Bayrou.

La désignation de François Fillon n’était pas un problème pour la plupart des centristes. François Fillon n’avait pas une volonté d’autoritarisme et écoutait particulièrement bien les parlementaires de sa majorité (un Président qui écoute sa majorité, c’est devenu très rare depuis une vingtaine d’années !).

Le surgissement du candidat Emmanuel Macron a changé la donne : en effet, si Emmanuel Macron a déclaré sa candidature avant l’échec d’Alain Juppé à la primaire LR et surtout, avant la renonciation de candidature de François Hollande (un fait sans précédent sous la Cinquième République), il était considéré comme ultraminoritaire, une candidature de témoignage avant peut-être, plus sérieusement, l’élection de 2022. Or, les circonstances ont fait qu’Emmanuel Macron devenait un double candidat de plan B : pour les centristes orphelins d’Alain Juppé (Emmanuel Macron a basé toute sa campagne sur la bienveillance), mais aussi pour les socialistes qui ne se sentaient pas du tout représentés par …Benoît Hamon (ce dernier a même quitté le PS après l’élection présidentielle).

Alain Juppé aurait-il fait de l’Emmanuel Macron s’il avait été élu Président de la République ? Évidemment non, car on sait par expérience que la personnalité du Président de la République joue beaucoup dans la conduite des affaires de l’État. On vote pour un homme (ou une femme) plus que pour un programme.

Par son expérience, Alain Juppé n’aurait pas réinventé l’eau tiède, notamment tous ces discours quasi-naïfs qui fleuraient bon l’hypocrisie des années 1970. Il aurait aussi pris en compte les demandes des élus locaux, il aurait laissé plus de place aux corps intermédiaires. Son expérience de 1995 lui permettait paradoxalement d’être un meilleur acteur du dialogue social (on ne recommence jamais ses erreurs, surtout quand elles coûtent une vingtaine d’années de vie).

En revanche, je doute qu’il aurait rétabli la situation après la crise des gilets jaunes ; avec le grand débat, Emmanuel Macron a réussi à répondre à certaines préoccupations des manifestants. Et surtout, je doute qu’il aurait eu l’énergie de gérer la crise du covid-19 qui nécessitait une attention 24 heures sur 24 et la capacité à absorber un flot incommensurable de bêtises sur les réseaux sociaux.

C’est ainsi, il y aura toujours un petit arrière-goût d’inachevé dans la trajectoire politique d’Alain Juppé. Il en a fait son deuil mais il y a encore cet arrière-goût qui reste collé comme le sparadrap du capitaine Haddock. Il n’était pas si loin de l’Élysée. Il n’est pas le seul à l’avoir, ce petit et amer arrière-goût, Jacques Chaban-Delams, Laurent Fabius, Michel Rocard, Édouard Balladur, Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn, entre autres, l’ont eu aussi. Et seule la philosophie peut leur permettre de vivre cela, la philosophe de nos amis russes, bien sûr : "c’est la vie !"…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 août 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Alain Juppé aurait-il été Emmanuel Macron en plus âgé ?
Le syndrome de Balladur.
Montesquieu, Alain Juppé et l’esprit des institutions.
Les réponses d’Alain Juppé aux questions des députés (à télécharger).
Vidéo de l’audition d’Alain Juppé par la commission des lois de l’Assemblée Nationale le 21 février 2019 (à télécharger).
Alain Juppé et la fragilité des dépassés.
Discours d’Alain Juppé le 14 février 2019 à Bordeaux (texte intégral).
Alain Juppé, le meilleur-d’entre-nous chez les Sages.
Alain Juppé l’utralucide.
Déclaration d’Alain Juppé le 6 mars 2017 à Bordeaux (texte intégral).
François Fillon l’obstiné.
Le grand remplacement.
Liste des parrainages des candidats à l’élection présidentielle au 3 mars 2017.
Le programme d’Alain Juppé.
Alain Juppé peut-il encore gagner ?
Alain Juppé et le terrorisme.
L’envie d’Alain Juppé.
Alain Juppé, la solution pour 2017 ?
En débat avec François Hollande.
Au Sénat ?
Virginie Calmels.
Second tour de la primaire LR du 27 novembre 2016.
Quatrième débat de la primaire LR 2016 (24 novembre 2016).
Premier tour de la primaire LR du 20 novembre 2016.
Troisième débat de la primaire LR 2016 (17 novembre 2016).
Deuxième débat de la primaire LR 2016 (3 novembre 2016).
Premier débat de la primaire LR 2016 (13 octobre 2016).
L’élection présidentielle 2017.

_yartiJuppe2020D01



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161127-syndrome-balladur.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/08/05/38466741.html




 

Partager cet article
Repost0


 




Petites statistiques
à titre informatif uniquement.

Du 07 février 2007
au 07 février 2012.


3 476 articles publiés.

Pages vues : 836 623 (total).
Visiteurs uniques : 452 415 (total).

Journée record : 17 mai 2011
(15 372 pages vues).

Mois record : juin 2007
(89 964 pages vues).