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29 septembre 2018 6 29 /09 /septembre /2018 04:56

« À l’heure où les croyants, dénigrés par la bouillie nihiliste-scientiste et post-moderne, à l’heure où les chrétiens sont la proie d’un antichristianisme français, radical, caricatural, agressif, et aussi haineux qu’inculte, il manque un porte-parole, un repère, un analyste, principalement dans les milieux universitaires et intellectuels. Ce repère, cet appui, cette intelligence debout au milieu des tempêtes de la société, et aussi ce conteur sur qui l’on pouvait compter, c’était René Rémond. Il manque. Il nous manque, et manque à l’intelligence chrétienne. » (Gérard Leroy, théologien laïque, le 29 août 2013).


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Ce week-end, c’est le centenaire d’un grand universitaire, grand historien, politologue et chrétien engagé : René Rémond est né le 30 septembre 1918 à Lons-le-Saunier. À la fois "mandarin" et homme d’écoute, il fut l’un des spécialistes de l’histoire politique de la France républicaine. Il a rédigé près d’une quarantaine d’ouvrages de référence, tant sur la vie politique contemporaine, que sur les extrémismes, que sur l’Église et le christianisme. Selon l’expression de l’académicienne Florence Delay le 19 avril 2007 : « maintenant jusqu’au bout sa double vocation : d’historien engagé dans le temps et de chrétien dégagé du temps ».

"Madarin" ? Peut-être pas vraiment si l’on en croit Mgr Claude Dagens, (ancien) évêque d’Angoulême, qui, le 14 mai 2009, le décrivait ainsi : « René Rémond n’avait rien d’un "mandarin", au mauvais sens du terme. Lui qui croyait aux vertus de l’intelligence raisonnable appliquée à l’histoire des idées, il ne cherchait pas à séduire ou à dominer. Il faisait confiance à la liberté de l’esprit. Il acceptait les critiques. Cette façon de pratiquer l’art de l’enseignement, à travers des débats réels, l’a certainement beaucoup aidé quand il eut à exercer des tâches de gouvernement. Il l’a lui-même raconté : à l’Université de Nanterre, dans des moments difficiles, lorsque la salle des conseils était envahie par des groupes contestataires, il faisait baisser la tension, en obligeant les perturbateurs à expliquer leurs raisons, s’ils le pouvaient. Et lui gardait son calme, au moins en apparence. Ce professeur, qui savait maîtriser sa pensée, savait aussi moduler son expression. Il avait incontestablement des talents d’écrivains, qu’il était heureux d’exercer. ».

Normalien en 1942 après avoir été résistant, agrégé d’histoire, docteur ès lettres sur "les États-Unis devant l’opinion française entre 1815 et 1852", collaborateur de l’historien très réputé des relations internationales Pierre Renouvin à la Sorbonne, professeur à Sciences Po Paris, René Rémond a créé la première chaire d’histoire du XXe siècle en 1964 à l’Université de Paris-Nanterre qu’il présida de 1971 à 1979. Il a accumulé les engagements universitaires, comme cette fonction importante de président de la Fondation nationale des sciences politiques de 1981 à 2007, aussi premier président de l’Institut d’histoire du temps présent de 1979 à 1990, président du Conseil supérieur des archives de 1988 à 2007, président du Centre catholique des intellectuels français de 1965 à 1976, etc.

Proche de l’Église catholique, il fut chargé par le cardinal Albert Decourtray, archevêque de Lyon, d’enquêter sur la fuite et clandestinité du milicien Paul Touvier après la guerre, grâce à la protection de responsables religieux. Comme René Rémond estimait la vérité historique plus importante que tout autre considération, notamment que ses propres positions personnelles, il s’était retrouvé contesté par ceux qui ne souhaitaient pas faire toute la lumière sur cette affaire.

Autre reconnaissance qui l’a beaucoup honoré : il a été élu à l’Académie française le 18 juin 1998, et pas pour n’importe quelle succession, celle de François Furet, grand historien de la Révolution qui n’a pas eu le temps d’être reçu sous la Coupole (ancien fauteuil de Michel Debré, Louis de Broglie, Émile Picard, Charles de Freycinet, Nicolas Boileau…). Ce fut Hélène Carrère d’Encausse, l’actuelle secrétaire perpétuelle, qui a reçu René Rémond le 4 novembre 1999.

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Le 20 avril 2007, Hélène Carrère d’Encausse a décrit l’apport important de René Rémond à la science politique : « J’ai connu René Rémond à Sciences Po au début des années soixante et, depuis, nous y avons toujours œuvré ensemble. En ces années, un éblouissant quatuor de jeunes normaliens, Jean Touchard, René Rémond, Jean-Baptiste Duroselle et Jean Meyriat, avait alors entrepris de bousculer la vénérable école de la rue Saint-Guillaume, où les études avaient quelque air de fantaisie, pour en faire un haut lieu d’innovation, de création intellectuelle, de recherche. Sous la double étiquette de Sciences Po et de la Fondation nationale des sciences politiques, ces jeunes universitaires, presque des aventuriers, auxquels s’étaient joints Maurice Duverger, Jean Meynaud, Alfred Grosser, Raoul Girardet, hissèrent une science politique encore balbutiante au rang de discipline épanouie et respectée, rénovèrent l’histoire en réconciliant l’étude du passé avec celle du temps présent et ajoutèrent à leur palmarès les relations internationales enrichies des apports de ces deux disciplines. René Rémond, alors, était avec Jean Touchard au centre de ces mutations. Il a parachevé son action (…) en présidant la Fondation nationale des sciences politiques. Grâce à son expérience, à sa sagesse, à son art d’équilibrer le rêve et le possible, mais aussi d’imposer des règles en recueillant le consentement de tous, il aura puissamment contribué à faire de Sciences Po un établissement universitaire de statut international. ».

Si René Rémond était bien connu des Français, c’était parce que pendant une quarantaine d’années, il était invité sur les plateaux de télévision lors des soirées électorales pour commenter les résultats. Infatigable travailleur, adorant autant créer de nouveaux concepts que transmettre sa passion et son savoir, il était encore très actif l’année universitaire 2005-2006, en prononçant encore soixante-quatre conférences, alors qu’il avait déjà… 87 ans !

Sa mort le 14 avril 2007 à Paris (à l’âge de 88 ans) a ému toute la classe politique, et en particulier ceux dont il se sentait le plus proche, les centristes, les démocrates-chrétiens… Le 20 avril 2007, François Bayrou et Valéry Giscard d’Estaing, entre autres, assistèrent à son enterrement. Son épouse l’a rejoint le 27 mai 2018.

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Sa réputation professionnelle, René Rémond l’a acquise très tôt, à l’âge de 35 ans, en publiant un livre qui a révolutionné la science politique : "La Droite en France de 1815 à nos jours. Continuité et diversité d’une tradition politique" (éd. Aubier-Montaigne, 1954). Il a publié trois autres éditions en le mettant à jour avec le déroulement de l’histoire récente, en 1963 (début de la Cinquième République), en 1968 (crise de mai 1968) et en 1982 (victoire de la gauche et la droite relayée dans l’opposition, une première sous la Cinquième République). Le titre a légèrement évolué : "Les Droites en France". En 2005, René Rémond a publié également une mise à jour pour répondre à certaines critiques.

En gros, René Rémond explique qu’il n’y a pas une droite en France mais trois droites. La "droite légitimiste" issue de la Restauration, qui réfute tout apport de la Révolution française, c’est un courant réactionnaire ; la "droite orléaniste" issue de la Monarchie de Juillet, plus libérale et démocrate et dont le but est la prospérité économique ; enfin, la "droite bonapartiste" issue du Second Empire, qui souhaite un pouvoir concentré et autoritaire autour du souverain.

Ces courants ont évidemment évolué au fil des décennies depuis le début de la Troisième République. Même la définition de la "droite" est évidemment évolutive. Sous la Révolution, on pouvait cliver entre révolutionnaires (gauche) et contre-révolutionnaires (droite) mais déjà, l’arrivée de Napoléon Bonaparte a un peu bouleversé les choses puisqu’il reprenait la monarchie tout en gardant les apports révolutionnaires. Sous la Troisième République, on pourrait séparer entre dreyfusards (gauche) et antidréfusards (droite) après avoir séparé entre républicains (gauche) et monarchistes (droite).

Néanmoins, cette évolution peut aussi se faire dans les courants politiques voire les acteurs politiques eux-mêmes. Adolphe Thiers était, sous la Monarchie de Juillet, du "centre gauche", comme monarchiste parlementaire et libéral. Il serait placé plutôt à droite maintenant, car passé de monarchiste progressiste à républicain conservateur (l’un des rares acteurs politiques à avoir anticipé la victoire définitive de la République en France, le plaçant dans une dissidence sous le Second Empire).

Léon Gambetta, lui, était considéré comme à l’extrême gauche, pour ses revendications républicaines. Mais très vite, il s’est fait supplanter par sa gauche… par le "radical" George Clemenceau devenu pourtant l’un des Ministres de l’Intérieur les plus "à droite". On les appelait "radicaux" justement pour cette raison, la "gauche radicale", mais celle-ci fut poussée vers le centre de l’échiquier politique au moment de la naissance du socialisme avec Jean Jaurès… socialisme lui-même devenu plus centriste avec la séparation du congrès de Tours et le développement du communisme. Avec Léon Blum, les socialistes ont même acquis une expérience de gouvernement. Mais même le communisme peut évoluer, puisqu’un ancien chef du PCF, Robert Hue, est devenu un soutien de …Emmanuel Macron.

Les personnes évoluent parallèlement. Le socialiste Alexandre Millerand fut le représentant du Bloc national. Un seul a évolué à l’envers, François Mitterrand, proche de l’extrême droite maurassienne qui a dévié vers… le socialisme et l’anticapitalisme ! Mais le sens normal, c’est gauche jeune et droite vieux ! Manuel Valls, attaché au Parti socialiste, part à la conquête de la mairie de Barcelone… contre la gauche sortante et soutenu par le centre droit catalan.

Sous la Cinquième République, René Rémond avait tenté de perpétuer son analyse initiale en considérant le gaullisme comme une résurgence de la droite bonapartiste, le libéralisme économique voire la démocrate-chrétienne  comme une résurgence de la droite orléaniste, et peut-être l’extrême droite actuelle, qui n’a rien de fasciste, comme une résurgence de la droite légitimiste, avec ce côté réactionnaire et passéiste. En d’autres termes, l’UDR puis le RPR puis l’UMP comme bonapartistes (Charles De Gaulle, Georges Pompidou, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy), l’UDF, le MoDem, le PR (Parti républicain de François Léotard) ou Républicains indépendants (de Valéry Giscard d’Estaing) ou encore Raymond Barre, comme orléanistes, et le FN de Jean-Marie Le Pen (au tempérament bonapartiste) comme légitimiste.

En fait, les situations sont beaucoup plus complexes. René Rémond avait même nuancé ses propos concernant la tendance politique de Charles Maurras, proche de la droite légitimiste (véritable réactionnaire) mais qui était, dans l’action, plutôt comme une droite bonapartiste (tous derrière le chef) et il avait même prouvé quelques relations avec la droite orléaniste.

De même, le catholicisme d’origine maurrassienne et la ligne démocrate-chrétienne pouvaient apporter à De Gaulle, considéré comme bonapartiste (moi ou le chaos) des composantes légitimistes (finalement quasi-inexistantes, qu’on pourrait retrouver dans la loi Debré sur l’aide à l’enseignement privé sous contrat) et surtout des composantes orléanistes (droit de vote aux femmes, institutions parlementaires, bicamérisme, légalisation de la pilule contraceptive, politique de croissance économique, etc.) dans son exercice du pouvoir.

En quelques sortes, chaque droite, chaque parti, possède une part pondérée de chacune de ces droites d’origine. Comme un espace vectoriel à plusieurs dimensions, en l’occurrence, trois ici.

Alors, aujourd’hui, en 2018, ces schémas sont-ils toujours capables de décrire correctement la réalité ? Et déjà, qu’est-ce que la droite ? Le gouvernement actuel, dirigé par un Premier Ministre "de droite" mais dont les deux seuls ministres d’État sont "de gauche" (l’un socialiste, l’autre écologiste), est-il "de droite" ? Le Président Emmanuel Macron est-il "de droite" alors que sa seule expérience ministérielle, il l’a eue dans un gouvernement "de gauche" ?

On pourra toujours parler de "fausse gauche", mais d’autres parlent aussi de "fausse droite". Qui parle de "fausse droite" ? Ceux qui se sentent plus à droite que le gouvernement actuel. Emmanuel Macron est "de droite" pour quelqu’un de gauche concernant l’immigration et la politique économique. Mais il est considéré comme "de gauche" pour quelqu’un de droite concernant l’immigration et la politique sociétale (exemple, le soutien à la PMA).

René Rémond se méfiait du clivage gauche/droite. Dans la dernière édition de son fameux livre, en 1982, il rappelle avec force et évidence : « Ceux qui rendirent par une froide et pluvieuse soirée de novembre 1970 un dernier hommage au Général De Gaule aussi bien que ceux qui firent cortège le 21 mai 1981 au Président Mitterrand dans sa marche vers la montagne Sainte-Geneviève font partie d’un même peuple et écrivent des chapitres d’une même histoire. Le déclarer n’est pas approuver toute politique, ni justifier toutes les décisions : c’est tout simplement reconnaître ce qu’il y a de grand, de noble, de généreux dans l’engagement des uns et des autres. ».

Les clivages, aujourd’hui, sont en plusieurs dimensions. L’un des clivages, mis en avant par le pouvoir et par certains de ses opposants, c’est pour la construction européenne et contre la construction européenne (européen ou souverainiste). L’autre, c’est pour le libéralisme économique et contre le libéralisme économique (en rappelant que le libéralisme, ce n’est pas 57% du PIB en dépenses publiques !!). Ou alors ceux qui sont pour réduire le déficit public et ceux qui s’en moquent. Autre clivage : pour la PMA et contre la PMA, ou encore pour le mariage pour tous et contre le mariage pour tous. Clivage aussi sur la générosité qui doit l’emporter ou pas sur le nationalisme (immigration, frontières, etc.). Clivage entre la laïcité et le communautarisme. Clivage entre la centralisation étatique et la décentralisation et déconcentration.

Une première approximation donnerait ceci :

Droite légitimiste : RN (Marine Le Pen), DLF (Nicolas Dupont-Aignan), une partie de LR (Laurent Wauquiez), Patrick Buisson.

Droite bonapartiste : une partie de LR (Nicolas Sarkozy, Christian Estrosi).

Droite orléaniste : une partie de LR (Jean-Pierre Raffarin, Valérie Pécresse, Xavier Bertrand, Alain Juppé), UDI, MoDem (François Bayrou), LREM (Édouard Philippe, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Jean-Michel Blanquer), et évidemment Emmanuel Macron.

Mais Emmanuel Macron a aussi pour modèle de gouvernance la droite bonapartiste. Pas étonnant, puisque les deux empereurs des Français ont chacun cassé le paysage politique de l’époque, comme l’a fait Emmanuel Macron, plongeant la grande partie de la classe politique dans un océan de perplexité. Seuls surnagent ceux qui sont sûrs de leur positionnement, à savoir les extrêmes : RN, FI, PCF.

Je termine sur cette ultime réflexion de René Rémond dans "Les Droites aujourd’hui" (éd. Louis Audibert) sorti le 1er mars 2005, après avoir expliqué que la droite légitimiste n’avait plus de traduction politique aujourd’hui : « La distinction entre les deux autres droites, orléaniste ou libérale, et bonapartiste ou autoritaire, est plus vive que jamais : toute l’histoire de la Ve République s’ordonne autour de leurs rapports (…). De surcroît, le moment n’est-il pas venu d’enregistrer la naissance ou de prendre acte du passage à droite d’autres composantes du spectre politique et idéologique ? La question se pose pour la démocratie d’inspiration chrétienne comme pour tel rameau du radicalisme. ». Et peut-être aussi pour le macronisme ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
René Rémond.
La disparition de René Rémond.
Jean d’Ormesson.
Pierre Miza.
Jean-Baptiste Duroselle.
Georges Duby.
Hannah Arendt et la doxa.
Max Gallo.
Michèle Cotta.
Philippe Alexandre.
Elie Wiesel.
Henri Amouroux.
Jean Lacouture.
Édouard Bonnefous.
Alain Decaux.
Gonzague Saint Bris.
Claude Estier.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Jean-François Deniau.
Jean Boissonnat.
Étienne Borne.
Pierre-Luc Séguillon.
Françoise Giroud.
André Glucksmann.
Noël Copin.
Maurice Duverger.
Bernard Pivot.
Michel Polac.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180930-rene-remond.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/rene-remond-et-ses-droites-208072

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/09/29/36733194.html


 

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14 septembre 2018 5 14 /09 /septembre /2018 05:55

« Josette Audin, restée seule avec trois jeunes enfants, retenue plusieurs jours dans son appartement, se démène dès qu’elle le peut pour tenter de savoir où son mari est détenu. » (Emmanuel Macron, le 13 septembre 2018 à Bagnolet).

 

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Le Président de la République Emmanuel Macron s’est rendu chez Josette Audin (87 ans) à Bagnolet ce jeudi 13 septembre 2018 pour reconnaître la responsabilité de l’État français dans la disparition, la torture et la mort de son mari Maurice Audin. Qui fut Maurice Audin ? Né le 14 février 1932 à Béja (en Tunisie), militant communiste et indépendantiste en Algérie, Maurice Audin fut un doctorant en mathématiques à l’Université d’Alger quand la guerre d’Algérie éclata. Il travaillait alors sur les espaces vectoriels. Il fut l’un des rares à "avoir soutenu" sa thèse de doctorat après sa mort, son directeur de thèse ayant présenté ses travaux le 2 décembre 1957 (son mémoire était quasiment achevé). Dans le jury de thèse, était présent l’illustre Laurent Schwartz, comme rapporteur.

Comme Josette, enseignante dans un lycée à Alger, Maurice Audin fut un Français anticolonialiste favorable à l’indépendance de l’Algérie. En pleine Bataille d’Alger, Maurice Audin fut arrêté et enlevé à son domicile à Alger le 11 juin 1957. Plus aucune trace n’existe aujourd’hui après cette date. Officiellement, il aurait réussi à s’évader le 21 juin 1957, selon une information adressée à sa femme le 1er juillet 1957. Faute d’éléments nouveaux, le 1er juin 1963, le tribunal de grande instance d’Alger a établi l’acte de décès de Maurice Audin au 21 juin 1957. Cette décision fut confirmée par le tribunal de grande instance de Paris le 27 mai 1966.

L’historien Pierre Vidal-Naquet (1930-2006), militant contre la torture en Algérie, a apporté un écho médiatique très fort à la disparition mystérieuse et inquiétante de Maurice Audin en publiant un livre sur "L’Affaire Audin" en mai 1958 (qui fut ultérieurement complété). Seulement bien plus tard, le général Paul Aussaresses (1918-2018) a reconnu le 16 mai 2001 qu’il avait donné l’ordre au lieutenant Charbonnier d’interroger Maurice Audin. Ce fut cependant après la mort du général Aussaresses que le journaliste et réalisateur de documentaires Jean-Charles Deniau a révélé le 8 janvier 2014 dans le journal Soir 3 sur France 3 que le général Aussaresses lui avait confié qu’il aurait donné l’ordre de torturer puis tuer Maurice Audin, dans le cadre d’un travail d’investigation (qui a donné lieu à un livre publié en 2014, "La Vérité sur la mort de Maurice Audin").

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Je ne suis pas contemporain de la guerre d’Algérie, période trouble sur laquelle il me serait difficile d’avoir un avis éclairé en me replaçant dans le contexte. J’aurais probablement évolué entre une Algérie française maintenue, où les Algériens seraient pleinement citoyens français avec tous les droits civiques, au risque de faire, soixante ans plus tard, pour des raisons démographiques, une France algérienne, et une Algérie indépendante, en bonne relation et association avec la République française.

J’aurais probablement "suivi" les positions du Général De Gaulle qui ont, elles aussi, évolué en cours de route. Il faut d’ailleurs rappeler l’histoire : à part l’Indochine (par nécessité), le Maroc et la Tunisie, le (seul) décolonisateur en France, ce fut De Gaulle, soucieux d’un humanisme qui prônait avant tout la libération des peuples. Ce ne fut pas la "gauche", elle qui fut traditionnellement (au contraire) colonisatrice (à l’instar de Jules Ferry).

Ce que je sais, c’est qu’à l’époque de la guerre d’Algérie, je n’aurais jamais été du côté des poseurs de bombes, qu’ils fussent du FLN ou de l’OAS. Ce que je sais, c’est que je n’aurais jamais été du côté des tortionnaires, des tueurs, des prêcheurs de haine. Ce que je sais, c’est que je n’aurais jamais été un militant communiste. Mais Maurice Audin était d’abord un mathématicien. Il fut avant tout un scientifique engagé, comme de nombreux scientifiques de l’époque. Il était a priori une innocente victime de la recherche de terroristes. On dirait aujourd’hui, une victime collatérale.

Bravo au Président Emmanuel Macron, fortement encouragé par le mathématicien et député LREM Cédric Villani, d’être allé voir Josette Audin pour lui demander pardon au nom de la France. Oui, parfois, l’honneur, c’est de reconnaître la honte. C’est un acte de courage. La veuve peut mourir sereinement. Oui, la France, l’État français, a pu être parfois odieux, anti-humaniste, et même, profondément écœurant. Ce n’est pas remuer le passé. C’est tourner enfin une des pages nauséabondes de la France. La torture en Algérie, un fait si longtemps inavoué par les pouvoirs publics.

Emmanuel Macron a notamment déclaré le 13 septembre 2018 : « Maurice Audin n’a jamais réapparu et les circonstances exactes de sa disparition demeurent floues. (…) Quoi qu’il en soit précisément, sa disparition a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement (…). Ce système a été le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture, que l’affaire Audin a mis en lumière. (…) En échouant à prévenir et à punir le recours à la torture, les gouvernements successifs ont mis en péril la survie des hommes et des femmes dont se saisissaient les forces de l’ordre. En dernier ressort, pourtant, c’est à elle que revient la responsabilité d’assurer la sauvegarde des droits humains et, en premier lieu, l’intégrité physique de celles et de ceux qui sont détenus sous leur souveraineté. ».

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Et d’ajouter : « Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité. Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris, dont elle a bouleversé les destins, tant en Algérie qu’en France. Une reconnaissance ne guérira pas leurs maux. Il restera sans doute de l’irréparable en chacun, mais une reconnaissance doit pouvoir, symboliquement, délester ceux qui plient encore sous le poids de ce passé. C’est dans cet esprit, en tout cas, qu’elle est pensée et aujourd’hui formulée. (…) Il en va (…) du devoir de vérité qui incombe à la République française, laquelle dans ce domaine comme dans d’autres, doit montrer la voie, car c’est par la vérité que la réconciliation est possible et il n’est pas de liberté, d’égalité et de fraternité sans exercice de vérité. La République ne saurait, par conséquent, minimiser ni excuser les crimes et atrocités commis de part et d’autre durant ce conflit. La France en porte encore les cicatrices, parfois mal refermées. ».

Ce n’est pas la première fois. Le Président Jacques Chirac a reconnu la responsabilité de la France dans les rafles du Vel’ d’Hiv’ le 16 juillet 1995. François Hollande et Emmanuel Macron ont poursuivi de travail de mémoire, respectivement les 22 juillet 2012 et 16 juillet 2017. De son côté, le Président Nicolas Sarkozy, le 14 janvier 2007 et dans quatre autres meetings électoraux, a mis à l’honneur le destin tragique de Guy Môquet, militant communiste assassiné le 22 octobre 1941 à l’âge de 17 ans : « Il était profond, il était grand, Guy Môquet quand il fut fusillé par l’occupant ! » (17 mars 2007 à Paris) et comme Président de la République le jour de son investiture, le 16 mai 2007 : « Un jeune homme de 17 ans qui donne sa vie à la France, c’est un exemple non pas du passé mais pour l’avenir. ». Tous, d’une certaine manière, ont été capables de maintenir l’honneur de la France en y purgeant le déshonneur, la honte et l’infamie. Pour Maurice Audin, même soixante et un ans plus tard, ce n’est que justice et honneur. Bravo et merci ! La République ne doit plus être cynique, elle doit être transparente.

Quant à l’Algérie d’aujourd’hui, sa classe politique s’apprête à reconduire en avril 2019, pour un cinquième mandat de cinq ans, son Président malade et vieillissant Abdelaziz Bouteflika (81 ans), au pouvoir depuis le 27 avril 1999…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Michel Audin.
Déclaration d’Emmanuel Macron sur Maurice Audin (13 septembre 2018).
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
François Hollande et le Vel d’Hiv (22 juillet 2012).
Discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 (texte intégral).

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180913-maurice-audin.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/maurice-audin-remuer-le-passe-207648

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/09/14/36703671.html




 

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13 septembre 2018 4 13 /09 /septembre /2018 20:07

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Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180913-maurice-audin.html


Déclaration du Président Emmanuel Macron sur l'assassinat de Maurice Audin, le 13 septembre 2018 à Bagnolet

Au soir du 11 juin 1957, Maurice Audin, assistant de mathématiques à la Faculté d’Alger, militant du Parti communiste algérien (PCA), est arrêté à son domicile par des militaires. Après le déclenchement de la guerre par le Front de libération nationale (FLN), le PCA, qui soutient la lutte indépendantiste, est dissous et ses dirigeants sont activement recherchés. Maurice Audin fait partie de ceux qui les aident dans la clandestinité.

Tout le monde sait alors à Alger que les hommes et les femmes arrêtés dans ces circonstances ne reviennent pas toujours. Certains sont relâchés, d’autres sont internés, d’autres encore sont remis à la justice, mais nombre de familles perdent la trace d’un des leurs cette année-là dans la future capitale algérienne. Les « disparitions », qu’on déplore du reste de tous côtés pendant le conflit, se comptent bientôt par milliers.

Aussi, Josette Audin, restée seule avec trois jeunes enfants, retenue plusieurs jours dans son appartement, se démène dès qu’elle le peut pour tenter de savoir où son mari est détenu. Le commandement militaire lui livre alors ce qui allait rester pour des décennies la version officielle : son mari s’est évadé. La réponse est couramment faite aux familles en quête d’informations. La plainte pour enlèvement et séquestration qu’elle dépose alors, achoppe, comme d’autres, sur le silence ou le mensonge des témoins-clés qui font obstruction à l’enquête. Celle-ci est définitivement close en 1962 par un non-lieu, en raison des décrets d’amnistie pris à la fin de la guerre d’Algérie, qui ont mis fin à toute possibilité de poursuite.

Maurice Audin n’a jamais réapparu et les circonstances exactes de sa disparition demeurent floues. Le récit de l’évasion qui figure dans les comptes rendus et procès-verbaux officiels souffre de trop de contradictions et d’invraisemblances pour être crédible. Il s’agit manifestement d’une mise en scène visant à camoufler sa mort. Les éléments recueillis au cours de l’instruction de la plainte de Josette Audin ou auprès de témoins indiquent en revanche avec certitude qu’il a été torturé.

Plusieurs hypothèses ont été formulées sur la mort de Maurice Audin. L’historien Pierre Vidal-Naquet a défendu, sur la foi d’un témoignage, que l’officier de renseignements chargé d’interroger Maurice Audin l’avait lui-même tué. Paul Aussaresses, et d’autres, ont affirmé qu’un commando sous ses ordres avait exécuté le jeune mathématicien. Il est aussi possible qu’il soit décédé sous la torture.

Quoi qu’il en soit précisément, sa disparition a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement : le système appelé « arrestation-détention » à l’époque même, qui autorise les forces de l’ordre à arrêter, détenir et interroger tout « suspect » dans l’objectif d’une lutte plus efficace contre l’adversaire.

Ce système s’est institué sur un fondement légal : les pouvoirs spéciaux. Cette loi, votée par le Parlement en 1956, a donné carte blanche au Gouvernement pour rétablir l’ordre en Algérie. Elle a permis l’adoption d’un décret autorisant la délégation des pouvoirs de police à l’armée, qui a été mis en œuvre par arrêté préfectoral, d’abord à Alger, puis dans toute l’Algérie, en 1957.

Ce système a été le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture, que l’affaire Audin a mis en lumière. Certes, la torture n’a pas cessé d’être un crime au regard de la loi, mais elle s’est alors développée parce qu’elle restait impunie. Et elle restait impunie parce qu’elle était conçue comme une arme contre le FLN, qui avait lancé l’insurrection en 1954, mais aussi contre ceux qui étaient vus comme ses alliés, militants et partisans de l’indépendance ; une arme considérée comme légitime dans cette guerre-là, en dépit de son illégalité.

En échouant à prévenir et à punir le recours à la torture, les gouvernements successifs ont mis en péril la survie des hommes et des femmes dont se saisissaient les forces de l’ordre. En dernier ressort, pourtant, c’est à eux que revient la responsabilité d’assurer la sauvegarde des droits humains et, en premier lieu, l’intégrité physique de celles et de ceux qui sont détenus sous leur souveraineté.

Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité.

Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris, dont elle a bouleversé les destins, tant en Algérie qu’en France. Une reconnaissance ne guérira pas leurs maux. Il restera sans doute de l’irréparable en chacun mais une reconnaissance doit pouvoir, symboliquement, délester ceux qui ploient encore sous le poids de ce passé. C’est dans cet esprit, en tout cas, qu’elle est pensée et aujourd’hui formulée.

Il en va aussi de l’honneur de tous les Français qui, civils ou militaires, ont désapprouvé la torture, ne s’y sont pas livrés ou s’y sont soustraits, et qui, aujourd’hui comme hier, refusent d’être assimilés à ceux qui l’ont instituée et pratiquée.

Il en va de l’honneur de tous les militaires morts pour la France et plus généralement de tous ceux qui ont perdu la vie dans ce conflit.

Il en va enfin du devoir de vérité qui incombe à la République française, laquelle dans ce domaine comme dans d’autres, doit montrer la voie, car c’est par la vérité seule que la réconciliation est possible et il n’est pas de liberté, d’égalité et de fraternité sans exercice de vérité.

La République ne saurait, par conséquent, minimiser ni excuser les crimes et atrocités commis de part et d’autre durant ce conflit. La France en porte encore les cicatrices, parfois mal refermées.

Aussi le travail de mémoire ne s’achève-t-il pas avec cette déclaration. Cette reconnaissance vise notamment à encourager le travail historique sur tous les disparus de la guerre d’Algérie, français et algériens, civils et militaires.

Une dérogation générale, dont les contours seront précisés par arrêtés ministériels après identification des sources disponibles, ouvrira à la libre consultation tous les fonds d’archives de l’Etat qui concernent ce sujet.

Enfin, ceux qui auraient des documents ou des témoignages à livrer sont appelés à se tourner vers les archives nationales pour participer à cet effort de vérité historique.

L’approfondissement de ce travail de vérité doit ouvrir la voie à une meilleure compréhension de notre passé, à une plus grande lucidité sur les blessures de notre histoire, et à une volonté nouvelle de réconciliation des mémoires et des peuples français et algérien.

Emmanuel Macron, le 13 septembre 2018 à Bagnolet.

Source : www.elysee.fr/

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20180913-declaration-macron-audin.html

 

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7 septembre 2018 5 07 /09 /septembre /2018 20:26

(vidéo)



Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180905-francois-flohic.html






















Hommage de l'ancien ministre Hervé Gaymard lors des obsèques de l'amiral Flohic le 11 septembre 2018 à La Seyne-sur-Mer.




SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20180906-video-flohic.html





 

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6 septembre 2018 4 06 /09 /septembre /2018 05:44

« Je n’aime dans l’histoire que les anecdotes. » (Mérimée, 1829).


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L’expression lui allait mal, mais l’histoire ne retiendra qu’elle : "aide de camp". L’aide de camp que fut François Flohic s’en est allé ce mercredi 5 septembre 2018 à l’âge de 98 ans (né le 2 août 1920, quatre jours avant Hubert Germain, huit jours avant Daniel Cordier, deux grands résistants encore vivants). Il s’était retiré dans les hauteurs du Brusc, aux Six-Fours-les-Plages, à 15 kilomètres de Toulon, dans le Var. Aide du camp du Général De Gaulle. En fait, l’expression ne le qualifie que mal, c’était juste une fonction parmi d’autres, au milieu d’une brillante carrière d’officier de marine. On a l’impression qu’il a été un simple subalterne alors qu’il a été vice-amiral !

Il était Breton ; il est né à Ploubazlanec, commune de Côtes-d’Armor qui lui a dédié une place devant la chapelle de Perros Hamon, en son hommage (place qu’il a inaugurée avec ses deux arrière-petites-nièces le 9 octobre 2011). L’histoire devrait lui retenir plutôt deux autres rôles importants : officier général de la marine et témoin de l’histoire contemporaine.

Militaire, François Flohic, l’était avant tout autre chose et les "belles" décorations (nombreuses) qu’il arborait à certaines occasions ont récompensé son prestigieux parcours : rien qu’en France, commandeur de la Légion d’honneur (1969), Grand-croix de l’ordre national du Mérite (1978), Croix de guerre 1939-1945 avec trois citations, officier du Mérite maritime, mais il a été décoré aussi dans de nombreux pays étrangers, comme l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique, la Grèce, la Norvège, et même dans beaucoup de pays africains : Maroc, Togo, Côte d’Ivoire, République centrafricaine, Sénégal, Tchad, Madagascar, etc.

Sa carrière militaire a commencé dès l’âge de 19 ans, le 1er juillet 1940, en s’engageant dans les Forces françaises libres. Il était élève officier de la marine marchande à l’École d’hydrographie de Paimpol en 1939-1940 et le 17 juin 1940, quand il a entendu Pétain dire avec sa voix chevrotante : « C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. » et que la deuxième journée d’examens fut annulée, il a décidé de partir en Angleterre, avec l’accord de ses parents. Il a quitté Paimpol le 18 juin 1940 (les Allemands étaient à 30 kilomètres de là) et a gagné le soir même la côte anglaise, à Falmouth, et c’était en arrivant qu’il a appris que De Gaulle venait de faire son appel.





François Flohic a rencontré ainsi pour la première fois le Général De Gaulle à l’Olympia Hall de Londres, le 6 juillet 1940, comme tous ceux qui avaient refusé la défaite de la France. Pendant la Seconde Guerre mondiale, François Flohic a servi dans les forces navales de la France libre dans de nombreuses opérations. Il a été l’un des très nombreux acteurs du Débarquement en Normandie. Dans le journal "Ouest-France" du 10 octobre 2011, il confiait : « J’ai eu de la chance, je suis passé à travers, mais tant d’autres sont tombés. ».

Petit à petit, François Flohic a pris du galon dans la marine. Avec une trajectoire un peu particulière pour un militaire ordinaire : entre 1959 et 1969, il a servi le Général De Gaulle comme aide de camp à l’Élysée. De Gaulle était alors Président de la République française.

François Flohic a raconté comment il est devenu aide de camp à "Var-Matin" le 21 mai 2018 : « J’ai été désigné par la Marine. Le Général m’a engagé après une entrevue extrêmement brève à Matignon. Ce n’était pas notre première rencontre. Je l’ai vu la première fois en juillet 1940, à l’arrivée des premiers volontaires à Londres, puis à Plymouth en septembre 1940 et une troisième fois en Écosse en 1943. (…) L’aide de camp sert à tout et à rien ! (…) On s’occupe du Président, on s’assure qu’il a tout ce qu’il faut pour travailler, on annonce ses visiteurs, on l’accompagne dans ses déplacements en faisant respecter le programme prévu par lui. On l’accompagne aussi à Colombey, mais en civil. (…) Vous pensez bien que mon attachement pour cet homme, que je considérais comme un capital pour la France, était très grand. C’était un grand honneur. » (Propos recueillis par Caroline Martinat).

Quelques jours plus tard, le 29 mai 2018, toujours à "Var-Matin", il compléta : « Quand je me suis présenté à lui à la fin de l’année 1958, il me lance : "Il me semble vous avoir déjà vu ! Dans quelles circonstances ?". Je lui dis et il me répond : "C’est bon, on se reverra !". (…) Il ne montrait pas ses sentiments… Mais a toujours été très paternel avec moi. » (Propos recueillis par Simon Fontvieille).

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Le travail avec De Gaulle à l’Élysée ? François Flohic en a parlé au site zakhor.fr : « L’avantage que j’avais, c’est que j’étais Français libre, il y avait un certain rapport psychologique entre nous. Le Général n’était pas un homme à réunir du monde tous les matins pour parler. Il était un militaire qui travaillait sur dossiers et rapports. Et je dois dire que les conseillers techniques n’étaient qu’une dizaine et de grande qualité. Ils voyaient rarement le Général. Ils envoyaient des notes et ne voyaient que la mention "vu". ». Le site zakhor.fr a qualifié l’amiral ainsi : « Les propos de cet homme empreint d’une grande simplicité sont extrêmement touchants, il est à lui seul une encyclopédie vivante de notre histoire de France et rien ne soupçonne que cet amiral puisse être un haut dignitaire de notre République. ».

François Flohic fit une petite interruption dans son service à De Gaulle pour une courte mission entre le 11 février 1964 et le 11 février 1965, où il prit le commandement de l’escorteur d’escadre "La Bourdonnais" (avec le grade de capitaine de frégate). Précédemment, il avait commandé en Indochine le patrouilleur "Digitale" de 1947 à 1949, et les dragueurs "Véga" et "Algol" de 1952 à 1954.

Cette carrière d’officier, François Flohic l’a poursuivie au-delà de la Présidence de De Gaulle, notamment comme commandant du porte-hélicoptères "Jeanne d’Arc" (avec le grade de capitaine de vaisseau) du 5 septembre 1969 au 2 septembre 1971. Il commanda l’École d’application des enseignes de vaisseau. Ses grades allèrent d’aspirant le 1er août 1941 à vice-amiral le 1er mars 1977. Il a pris sa retraite militaire le 1er septembre 1977. Il fut également auditeur au Centre des hautes études militaires (CHEM) et à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), ainsi qu’attaché des Forces armées à Londres de 1973 à 1977. À ce dernier titre, il a fait visiter le "Foch" à l’ambassadeur de France à Londres lors de son escale à Portsmouth à la fin de juin 1974.

La retraite de François Flohic fut consacrée à une passion, la peinture : « Je puis dans mes souvenirs. La peinture, c’est ma vanité. On ne me l’a pas apprise ! » disait-il le 29 mai 2018. On peut voir certains de ses tableaux, surtout des paysages, ici.

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Il passa aussi du temps pour la perpétuation de la mémoire, en particulier de la France libre (il a tenu de nombreuses conférences, comme celle à Marseille le 28 avril 2016). Et parfois, il aida Jacques Chirac dans sa lente ascension politique (François Flohic a tenu ainsi un meeting de campagne le 14 avril 1981 à 20 heures 30 au Théâtre des Jacobins à Dinan, en faveur de la candidature de Jacques Chirac à la Présidence de la République).

La notoriété de l’amiral Flohic reste évidemment associée à son rôle aux côtés du Président De Gaulle entre 1959 et 1969. Fidèle, il l’a accompagné dans sa retraite d’Irlande, juste après sa démission, durant quarante-cinq jours, en mai et juin 1969 pendant que faisait rage la campagne présidentielle pour sa succession. François Flohic fut présent sur la photographie désormais légendaire du couple De Gaulle marchant sur une plage irlandaise le 18 juin 1969.

Cet éloignement était un signe de "mauvaise humeur", mauvaise humeur contre le peuple français qui n’avait pas répondu favorablement à son référendum sur la participation et la régionalisation, mais aussi mauvaise humeur contre Georges Pompidou, son "dauphin" qui avait rassuré les Français sur l’après-De Gaulle, et plus généralement, mauvaise humeur contre une classe politique qui voulait retrouver ses poisons et délices. Ce fut la raison pour laquelle De Gaulle n’a pas participé à la cérémonie d’investiture de son successeur (pourtant son ancien Premier Ministre) et il a fallu attendre le 21 mai 1981 pour qu’un Président sortant passât officiellement le pouvoir au nouveau Président élu.

La dernière fois qu’il a rencontré le Général : « Je l’ai revu une dernière fois en septembre 1970. Il m’avait invité à déjeuner à Colombey, avec ma femme. Il ne m’a jamais remercié. Mais ce jour-là, je dois dire que Madame De Gaulle avait mis les petits plats dans les grands. » ("Var-matin", le 21 mai 2018).

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La proximité a permis aussi de comprendre certains mystères ou de connaître certains secrets d’État. L’épisode le plus connu et le plus énigmatique fut la fuite à Varenne… ou plutôt, la fuite à Baden-Baden au cours de la crise de mai 1968.

Le 24 mai 1968, De Gaulle avait prononcé une allocution télévisée pour proposer son fameux référendum sur la participation. Allocution qui tomba à plat. Mesure complètement à côté de la plaque par rapport à la crise. François Mitterrand et Pierre Mendès France étaient alors prêts à prendre le pouvoir. Le meeting au stade Charléty, à Paris, le 27 mai 1968, fut le sommet de la récupération politicienne de la révolte des étudiants par la gauche partisane. Des manifestations communistes ont eu lieu à Paris le 29 mai 1968 pour réclamer un gouvernement "populaire".

De Gaulle était complètement dépassé et imaginait même que le Conseil Constitutionnel décréterait la déchéance du Président de la République s’il quittait le territoire national. Il décida néanmoins de quitter le climat parisien le 29 mai 1968 pour prendre du recul sur ce qu’il devait décider.

François Flohic a pu confier son témoignage à l’hebdomadaire "L’Express" du 6 mai 2008. On lui a dit au téléphone le matin de venir d’urgence à l’Élysée avec un "petit bagage". De Gaulle lui demanda la discrétion totale pour son départ en hélicoptère, à Issy-les-Moulineaux. Pour se rendre à l’héliport parisien, ils ont évité de passer devant les usines Citroën en pleine grève. L’épouse de De Gaulle les accompagnait. François Flohic n’a pas eu connaissance du lieu de destination.

Ce ne fut qu’après une escale à Saint-Dizier pour faire le plein qu’il apprit qu’ils se rendaient à Baden-Baden, à la résidence du commandant en chef des forces françaises en Allemagne, le général Massu. Son fils Philippe De Gaulle et sa famille les ont rejoints un peu plus tard (De Gaulle craignait qu’on s’en prît à ses proches).

Pour que leur trajet restât discret, François Flohic demanda que l’hélicoptère présidentiel ne fût pas accompagné par un hélicoptère de la gendarmerie et qu’il fît du rase-mottes pour ne pas être détecté par les radars. Ce fut à partir de ce moment, un peu après 13 heures, que De Gaulle a donc (officiellement) disparu. Personne ne pouvait dire où il se trouvait. Pas le Premier Ministre, pas le Ministre de l’Intérieur !

Communication de militaire à militaire, François Flohic a raconté ainsi : « Arrivé au camp militaire de Baden, je téléphone à Massu : "Nous sommes là. – Qui nous ? – Le Général et Madame De Gaulle. – Laisse-moi cinq minutes, je faisais la sieste à poils sur mon lit". On saura plus tard qu’il avait reçu la veille le maréchal Kochevoï, commandant des troupes soviétiques en RDA. La soirée avait été plutôt arrosée. » ("L’Express").

A eu lieu ensuite une conversation d’une dizaine de minutes entre les deux généraux, De Gaulle et Massu : De Gaulle faisait part de son défaitisme (« Tout est fout ! ») et Massu tenta de le requinquer. L’aide de camp aussi tenta de lui remonter le moral un peu plus tard. De Gaulle déjeuna seul tandis que François Flohic mangea avec les épouses des deux généraux.

Et puis, le moral de De Gaulle a repris vie : « À 16 heures, je trouve un homme transformé, ragaillardi. Il avait pris sa résolution. L’intervention de Massu s’est révélée déterminante. » ("L’Express"). Ils décollèrent dès 16 heures 30 pour Colombey-les-deux-Églises. Une fois dans sa bâtisse, De Gaulle appela Georges Pompidou pour lui annoncer un conseil des ministres le lendemain, le 30 mai 1968 à 15 heures 30. À la télévision à 20 heures, il a été annoncé qu’on avait retrouvé le Général De Gaulle !

Dans "Var-Matin" le 29 mai 2018, François Flohic est revenu sur le 29 mai 1968, parlant de De Gaulle : « Plusieurs signes lui font penser que les manifestants pourraient prendre d’assaut l’Élysée. (…) Pourquoi il m’a choisi ? Je m’interroge toujours ! Peut-être parce que j’étais calme, que je ne posais pas de question. Et j’étais un marin ! Du coup, on ne faisait pas attention à moi dans la base. ». Il a précisé que le séjour à Baden-Baden était resté très bref, de 15 heurs 05 à 16 heures 30 : « Il souhaitait à la fois créer un choc et recevoir une forme de soutien psychologique de Massu. Ce dernier lui a parlé en militaire, lui a dit que le front n’était pas à Baden mais à Paris. (…) On ne savait pas si le Général allait continuer, abandonner, revenir ! Tout était en balance ! ».

Cette journée du 30 mai 1968, ce fut la fameuse journée où un million de partisans du pouvoir gaulliste manifestèrent aux Champs-Élysées et où De Gaulle annonça finalement, dans une allocution, la dissolution de l’Assemblée Nationale, comme l’avait proposé avec insistance Georges Pompidou. La situation se retourna magistralement après quelques heures d’un flottement apparemment sincère et pas joué, selon le témoignage de François Flohic.

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Une fois en retraite, l’amiral Flohic a écrit plusieurs livres de témoignage et des essais, dont un sur l’amiral Darlan (en collaboration avec Jacques Raphaël-Leygues) qui a été récompensé par le Prix du Maréchal-Foch en 1987 (prix créé en 1955 par la Fondation de la Société des amis du maréchal Foch destiné "à l’auteur d’une œuvre intéressant l’avenir de la Défense nationale. Il sera donné à un auteur de nationalité française, officier, ingénieur, savant ou philosophe, qui aura écrit un livre, non de pure technique, accessible à tout lecteur cultivé et de nature à favoriser les progrès de l’art et de la science militaire").

Dans "Var-Matin" du 29 mai 2018, François Flohic s’était permis quelques appréciations pour qualifier les successeurs de De Gaulle. Georges Pompidou : « Un banquier à la tête de la France… ». Valéry Giscard d’Estaing : « C’est l’explosion de la vanité de lui-même ! ». François Mitterrand : « Il était tellement compliqué… Il est celui qui a le plus critiqué la Constitution, mais aussi celui qui l’a le plus utilisée. ». Jacques Chirac : « Sympathique. Je l’ai soutenu. Sa position sur l’Irak a été très sage. ». Nicolas Sarkozy : « Un petit politicien qui s’adapte aux circonstances. ». François Hollande : « Hollande ? Je n’ai pas de sympathie pour Hollande ! ». Emmanuel Macron : « C’est une bonne chose. Il a provoqué un séisme pour les Français et renouvelé la classe politique. ».

Il faut dire qu’à l’époque de De Gaulle, on n’engageait pas des Alexandre Benalla. On engageait des François Flohic…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Tableaux de François Flohic.
Témoignage de François Flohic (six vidéos).
L’amiral François Flohic.
Protégeons la Ve République !
Jean Moulin.
Daniel Cordier.
Le maréchal Philippe Leclerc.
Le général Charles De Gaulle.
Le général Napoléon Bonaparte.
Le maréchal Philippe Pétain.
L’amiral Philippe De Gaulle.
Le général Marcel Bigeard.
Le général Pierre de Villiers.
Le Colonel de La Rocque.
Le colonel Émile Driant.
Robert Galley.
François Jacob.
André Malraux.
Maurice Druon.
Edmond Michelet.
Loïc Bouvard.
Germaine Tillion.
Alain Savary.
Être patriote.
L’appel du 18 juin.
Antisémitisme.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Raymond Sabot.
Pierre Messmer.
Maurice Schumann.
Jacques Chaban-Delmas.
Yves Guéna.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180905-francois-flohic.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/l-amiral-flohic-memoires-d-outre-207465

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/09/07/36684894.html



 

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10 août 2018 5 10 /08 /août /2018 04:34

« Je guette la phrase annonçant la revanche. Soudain, j’entends ces mots inouïs : "C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat". La phrase suivante me fait comprendre le désastre irréversible (…). La guerre est donc finie, irrémédiablement perdue ? Tandis que ma mère s’affaisse entre les bras de mon beau-père, je me précipite vers l’escalier et monte dans ma chambre afin de dissimuler mes larmes. Jeté en travers du lit, je sanglote en silence. » ("Alias Caracalla", 15 mai 2009, éd. Gallimard).



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La phrase de la défaite annoncée par le maréchal Pétain le 17 juin 1940 a fait l’effet d’une bombe à désillusion chez Daniel Cordier. Dans son livre, il poursuit : « Ainsi, la France est morte sans que j’aie combattu ! Comment est-ce possible ? Ma patrie, l’orgueil de ma vie, la gloire de l’univers, désignée par Dieu pour défendre sa foi, pour répandre la civilisation, modèle du genre humain… Morte à jamais ? Je m’accuse de ne pas l’avoir aimée suffisamment, de ne pas lui avoir tout sacrifié puisque je suis en vie tandis qu’elle agonise. Ce malheur absolu me révèle combien j’aime mon pays. Brusquement, je me dresse : l’information qui m’a terrassé est un cauchemar sans fondement puisque la France est invincible. Les Boches seront impuissants si quarante millions de Français se lèvent contre eux. Il faut soulever le pays d’une fureur sacrée, l’organiser et combattre. Que peuvent quelques centaines de milliers de soldats allemands devant quarante millions de Français résolus ? Avant toute réflexion, une certitude : Dieu n’a pas abandonné la France ; c’est Pétain qui l’a trahie. Sous le couvert de sa gloire, il a dupé tout le monde, y compris Maurras. Le mythe du "vainqueur de Verdun" s’effondre : trop vieux. Il jette l’éponge alors que la victoire est à portée de main. (…) Comme nous avons eu raison, les jeunes, de nous moquer des anciens combattants radoteurs. Aujourd’hui, nous devons prendre la relève et montrer l’exemple : à nous de délivrer le pays. ».

Ce texte provient du précieux livre témoignage publié par Gallimard le 15 mai 2009. Presque 1 000 pages qui racontent comment le jeune militant maurassien devient gaulliste sans le savoir. Il n’a pas entendu de ses oreilles l’appel du 18 juin mais il en a entendu parler le lendemain et n’a eu plus qu’une seule obsession, après sa déception de Pétain et Maurras vendus à l’ennemi : rejoindre De Gaulle et continuer le combat. Ce qu’il fit. En devenant notamment le secrétaire particulier de Jean Moulin à Lyon entre le 25 juillet 1942 et le 21 juin 1943.

Il a rejoint l’Angleterre le 25 juin 1940. Sa première rencontre avec De Gaulle a eu lieu le 6 juillet 1940 à l’Olympia Hall à Londres : « Je demeure sur place, abasourdi. Désormais, mon chef est cet homme froid, distant, impénétrable, plutôt antipathique. ». Quelques minutes auparavant, l’homme distant lui avait dit, à lui et à ses compagnons : « Je ne vous féliciterai pas d’être venus : vous avez fait votre devoir. (…) Ce sera long, ce sera dur, mais à la fin, nous vaincrons. ». Il fallait vraiment être motivé ! Daniel Cordier l’était, assurément.

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Le 20 novembre 1944, ce fut donc logique que Daniel Cordier fût nommé compagnon de la Libération par De Gaulle, le seul titre dont il se sent fier, beaucoup plus que d’être grand-croix de l’ordre national de la Légion d’honneur (depuis le 31 décembre 2017). Il y a eu en tout et pour tout 1 038 compagnons de la Libération (dont seulement 6 femmes, 60 étrangers et 271 à titre posthume).

Depuis quelques jours, Daniel Cordier fait partie des cinq derniers survivants de ce cercle très restreint des héros qui ont sauvé la France. Il va avoir 98 ans le 10 août 2018 et est le "vice-benjamin". Depuis le 23 octobre 2017, successeur de Fred Moore, Daniel Cordier est chancelier d’honneur de l’ordre de la Libération (depuis le 16 novembre 2012, il n’y a plus de chancelier en titre car le conseil de l’ordre a été transformé en conseil national des communes "Compagnon de la Libération", par la loi n°99-418 du 26 mai 1999 et la loi n°2012-339 du 9 mars 2012). À ce titre, Daniel Cordier coprésidera ce lundi 18 juin 2018, à 11 heures, la cérémonie d’hommage au Mont-Valérien à l’occasion du 78e anniversaire de l’appel de De Gaulle. Aux côtés du Président de la République Emmanuel Macron.

Depuis quelques mois, il y a eu beaucoup de disparitions parmi les compagnons de la Libération : Yves de Daruvar (97 ans) le 28 mai 2018, Claude Raoul-Duval (98 ans) le 10 mai 2018, Constant Engels (97 ans) le 3 avril 2018, Jacques Hébert (97 ans) le 15 février 2018, Victor Desmet (98 ans) le 29 janvier 2018, Fred Moore (97 ans) le 16 septembre 2017, Alain Gayet (94 ans, le grand-père de Julie Gayet) le 20 avril 2017, etc.

Les quatre autres survivants sont Guy Charmot (né le 9 octobre 1914), Edgard Tupët-Thomé (né le 19 avril 1920), l’ancien ministre Hubert Germain (né le 6 août 1920) et Pierre Simonet (né le 27 octobre 1921). Daniel Cordier n’aimerait pas mourir le dernier car il ne tient pas à être enterré dans l’obscure crypte du Mont-Valérien en région parisienne, il espère plutôt rester dans le sud provençal.

Daniel Cordier est un héros tellement modeste et humble qu’après la guerre, il a complètement tourné la page. Il ne voulait pas devenir "ancien combattant" comme il avait subi ceux de la Première Guerre mondiale pendant son enfance : « Il était inimaginable de devenir à mon tour un ancien combattant. Alors, quand la guerre est terminée, elle a été terminée pour moi aussi. J’avais quel âge, déjà, en 1945 ? 25 ans… Eh bien, à 25 ans, voyez-vous, je ne voulais pas vivre dans le passé. À cet âge-là, c’est l’avenir qui m’intéressait. J’avais trop souffert d’être "prisonnier" de la guerre de 1914 pour vouloir reproduire ça après 1945. » ("Le Monde" du 9 mai 2018).

Traumatisé par la mort de son patron, Jean Moulin, qui lui a appris les rudiments sur l’art contemporain (qui était une couverture), Daniel Cordier s’est intéressé à ce domaine pendant une trentaine années de sa vie. Avant même la fin de la guerre et à la fin de sa mission en France le 21 mars 1944, pour regagner l’Angleterre, il a rejoint Madrid (non sans mal, emprisonné par Franco), ce qui lui a permis de visiter son premier musée, le Prado : Jean Moulin lui avait promis de visiter avec lui ce musée après la guerre pour lui montrer la peinture de Goya… Daniel Cordier est ensuite devenu peintre, galeriste et marchand d’œuvres d’art, impressionné par les toiles de De Staël, découvreur d’artistes au point d’avoir construit progressivement une collection très fournie qu’il a léguée au Centre Pompidou dès la création de celui-ci.

Tellement modeste alors qu’il aurait pu faire de la politique, à l’instar de bien des résistants, et se retrouver ministre, député, aux avant-postes du pouvoir. Tellement modeste qu’on a oublié de l’inviter le 19 décembre 1964, lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon (avec le fameux discours d’André Malraux), et lui-même n’a même pas été scandalisé par cet oubli.

Ce n’est qu’en 1977 que Daniel Cordier a refait surface dans "l’actualité des résistants", scandalisé par la publication d’un livre d’Henri Frenay ("L’Énigme Jean Moulin", chez Robert Laffont), qui considérait Jean Moulin comme un agent soviétique. Révolté par ces manquements à la vérité, Daniel Cordier s’est alors attelé à une très ambitieuse tâche, celle de raconter l’histoire réelle, celle qu’il a vécue.

Son travail fut tellement riche qu’il est l’un des rares historiens amateurs à avoir reçu la reconnaissance d’universitaires (comme Jean-Pierre Azéma, biographe de Jean Moulin). Daniel Cordier a passé beaucoup de temps à retrouver des archives, à faire la part des choses entre souvenirs personnels qui peuvent trahir la bonne foi et documents factuels. Au-delà de ses ouvrages très denses sur Jean Moulin (six volumes, dont quatre spécifiquement biographiques de 1 000 pages chacun) publiés de 1983 à 1999 chez Lattès et Gallimard, il a écrit une autobiographie qui a été un grand succès, "Alias Caracalla" chez Gallimard (Prix Renaudot 2009) ainsi que d’autres ouvrages. Mais on attend encore la suite pour "Alias Caracalla" car le premier tome s’arrête au 23 juin 1943.

Daniel Cordier explique d’ailleurs qu’il est assez lent et qu’il a encore quelques manuscrits à corriger ou à compléter : « En ce moment, je relis, je corrige, mais je fais ça à mon rythme, car j’ai quand même l‘âge que j’ai. » ("Le Monde" du 9 mai 2018).

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Il n’a jamais participé au débat politique, sauf lors de l’élection présidentielle de 2017 (entre les deux tours) où il a rencontré le candidat Emmanuel Macron le 2 mai 2017 à son QG de campagne pour lui apporter son soutien. Daniel Cordier fut l’un des invités d’honneur à la cérémonie d’investiture du Président Emmanuel Macron quelques jours plus tard, le 14 mai 2017. Il a été aussi honoré par François Bayrou le 17 novembre 2017 à Pau où il a habité avant de partir vers Londres.

Pourquoi parler de Daniel Cordier ? Parce qu’il a répondu à une longue interview publiée dans le journal "Le Monde" du mercredi 9 mai 2018. Si les propos, recueillis à Cannes (où il a déménagé après avoir quitté le centre de Paris) par le journaliste Thomas Wieder, n’ont révélé aucune information vraiment nouvelle sur Daniel Cordier, le plus intéressant est que cet entretien a intéressé tellement les lecteurs du journal que "Le Monde" a laissé ce numéro en kiosque jusqu’au samedi suivant. C’est plutôt rassurant de savoir que son message fait de l’audience.

Le plus intéressant de cette interview est son inquiétude sur l’antisémitisme qui persiste encore de nos jours. Lui-même a été antisémite lorsqu’il était jeune parce que tout acquis aux idées de Maurras.

Et il a expliqué comment cet antisémitisme lui est passé au début de l’année 1943 : « Arrivé à l’Arc de triomphe, l’horreur : tout autour de la tombe du Soldat inconnu, il n’y avait que des soldats allemands qui se prenaient en photo. C’était terrible… Je pensais encore à cela en descendant les Champs-Élysées quelques minutes plus tard quand, tout à coup, je croise un homme et un enfant, bien habillés, remontant vers l’Arc de triomphe. Ils avaient le mot "juif" et l’étoile jaune cousus sur leur veste. En vous le racontant aujourd’hui, j’ai envie de pleurer, tellement ça a été un choc. Oui, un choc ! C’était inacceptable. Là, d’un coup, je me suis dit : mais pourquoi ? Pourquoi ? Qu’ils soient Juifs ou pas, qu’est-ce que ça peut faire ? Je ne sais pas comment vous dire, mais ça a brisé d’un coup mon antisémitisme. Cela reste un moment unique de ma vie. » ("Le Monde" du 9 mai 2018).

L’assassinat de Mireille Knoll le 23 mars 2018 par antisémitisme l’a renvoyé brutalement soixante-quinze ans plus tard avec une grande tristesse et une certaine impuissance : « Que puis-je vous dire ? Je ne comprends pas qu’on en soit toujours là. Pour moi, c’est quelque chose de très douloureux. En parlant de ça aujourd’hui, je repense à mes camarades qui sont morts. Après la guerre, nous pensions que c’était fini, que ça ne recommencerait jamais plus. Et, au fond… c’est encore là. C’est terrible. » ("Le Monde" du 9 mai 2018).

Pourtant, Daniel Cordier reste optimiste, car son expérience lui a appris que « même quand tout paraît bouché, il peut rester un espoir. », au point même de nager dans une sorte de sérénité certainement enviable : « Aujourd’hui, je suis heureux, je suis même un vieux monsieur très, très heureux. Peut-être parce que je suis en règle avec moi-même, et surtout avec la vérité. » ("Le Monde" du 9 mai 2018).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er juin 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Interview de Daniel Cordier dans le journal "Le Monde" du 9 mai 2018 : "De Jean Moulin à la jeunesse d’aujourd’hui, la leçon de vie d’un homme libre".
Jean Moulin.
Premier de Cordier.
Daniel Cordier, ni juge ni flic.
La collection Cordier.
Charles Maurras.
Philippe Pétain.
Charles De Gaulle.
L’appel du 18 juin.
Antisémitisme.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Raymond Sabot.
François Jacob.
Pierre Messmer.
Maurice Schumann.
Jacques Chaban-Delmas.
Yves Guéna.
Général Leclerc.

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9 août 2018 4 09 /08 /août /2018 05:27

« Lorsque nous nous sentons parfois enfermés dans les divisions, les dissensions, les intrigues, nous n’avons qu’une chose à faire : monter un peu plus haut, nous élever, regarder le but. Et alors, nous verrons que nous sommes profondément d’accord. Nous ressemblons à ces voyageurs qui, dans la montagne, se voient pris dans les nuages et dans le brouillard. Eh bien, on n’a qu’une chose à faire : monter, monter plus haut, et quand on monte plus haut, on trouve l’air pur, la lumière libre et le soleil. » (Léon Blum, le 21 avril 1919). Quatrième et dernière partie.


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Après avoir décrit la carrière politique de Léon Blum, principalement colorée par son engagement socialiste, je propose ici d’évoquer les dernières années de sa vie consacrées au service de tous et pas seulement de son parti.


Après la Seconde Guerre mondiale

Au 38e congrès de la SFIO du 29 août au 1er septembre 1946, Léon Blum a perdu la bataille et ce fut la victoire de Guy Mollet, qui voulait reprendre le parti en insistant sur le marxisme. Le vieux leader socialiste en fut meurtri et fataliste : « Le vote pour la motion Guy Mollet, savez-vous ce que c’est ? C’est une espèce d’alibi moral par lequel vous avez cherché à abuser de votre mauvaise conscience. Je vous le dis sans amertume, non sans tristesse, comme quelqu’un qui, depuis des jours et des jours, cherche vainement les moyens de réparer le mal que vous avez fait. Peut-être comptiez-vous sur moi pour cela ? (…) Je me sens impuissant aujourd’hui parce que je ne sens devant moi rien de défini, rien de saisissable, rien qu’un trouble moral, qui ne se guérit que par un effort intellectuel de volonté et non par des paroles ou des formules de motions. (…) Le miraculeux travail de résurrection accompli depuis la Libération, et auquel le nom de Daniel Mayer restera attaché, est, pour une large part, compromis. Cela à la veille d’une consultation électorale où sera élue cette fois une Assemblée de cinq ans, et dans une conjoncture internationale où nous sentons avec une acuité anxieuse combien l’action du socialisme français sur le socialisme international est nécessaire et combien elle pourrait être efficace. Tout cela est sans remède. » (29 août 1946).

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Comme je l’ai indiqué dans mon premier article, après la Seconde Guerre mondiale, Léon Blum présida le dernier Gouvernement provisoire, jouissant, à 74 ans, d’un grand respect et d’une autorité morale que l’Occupation a mis à rude épreuve chez de nombreux parlementaires. De Gaulle lui avait proposé en 1945 un poste de ministre d’État qu’il avait refusé. Dans ce dernier gouvernement provisoire, où il avait pris les Affaires étrangères, furent désignés notamment Guy Mollet, Augustin Laurent, Félix Gouin, Paul Ramadier, Édouard Dupreux, André Le Troquer, André Philip, Robert Lacaste, Marcel-Edmond Nagelen, Jules Moch, Daniel Mayer, Max Lejeune, Albert Gazier, et Gaston Defferre

Léon Blum marqua un nouveau différent avec Guy Mollet (nouveau secrétaire général de la SFIO) le 5 mai 1947 en soutenant le renvoi des ministres communistes du gouvernement de Paul Ramadier. Il a aussi approuvé le Plan Mashall.

En raison des troubles sociaux et des oppositions de toute part, des communistes comme des gaullistes, après la chute du gouvernement de Paul Ramadier, Vincent Auriol fit appel à lui pour former son quatrième gouvernement, mais le 21 novembre 1947, il manqua à Léon Blum 9 voix pour être investi, ce qui lui fit dire devant les députés : « La phrase qui me hante le plus depuis quelques heures est la sublime phrase de Vergniaud : "Peu importe que le souvenir de ce que nous avons été soit oublié, si la République est sauvée". ».

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Quelques mois plus tard, Léon Blum fut encore aux responsabilités, nommé Vice-Président du Conseil dans le gouvernement du radical André Marie, du 26 juillet 1948 au 5 septembre 1948, aux côtés du MRP Pierre-Henri Teitgen, prêtant son aura pour constituer l’un des derniers gouvernements de la Troisième force.


L’Unesco

Léon Blum avait entre temps mis son poids personnel dans de difficiles négociations internationales sur l’annulation des dettes de guerre de la France avec les accords Blum-Byrnes signés le 28 mai 1946, et qui furent préparés par Jean Monnet sur consigne de De Gaulle.

Chef de la délégation française (qui comprenait notamment René Cassin, Frédéric Joliot-Curie, François Mauriac, Pierre Auger, le professeur Robert Debré, père de Michel Debré, Louis Joxe, Paul Langevin, Henri Wallon, Léopold Sedar Senghor, Louis Jouvet, etc.), Léon Blum, élu Président à l’unanimité des délégués de l’Unesco, a présidé du 20 novembre au 10 décembre 1946 à Paris la première conférence générale de l’Unesco (Organisation des Nations.Unies pour l’éducation, la science et la culture, créée le 16 novembre 1945 à Londres ; l’actuelle directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, est candidate au Secrétariat Général de l’ONU) : « L’Unesco avait fait dans le monde des débats modestes ; elle tient dès aujourd’hui une place importante dans l’opinion universelle et cette place ne cessera de grandir. On attend d’elle deux ordres de résultats qui ne sont nullement incompatibles, bien au contraire : d’une part, des initiatives précises, méthodiques, progressives dans un certain nombre de domaines techniques essentiels et, d’autre part, une action d’ensemble sur ce que j’appellerai volontiers la condition spirituelle des peuples et des individus. » (20 novembre 1946).

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Un an auparavant, le 1er novembre 1945 à Londres, Léon Blum avait demandé que le siège de l’Unesco fût à Paris : « Si nous possédons un avantage, il tiendrait d’une part du fait que la culture française a toujours été marquée par une tendance à l’universalité, qu’il existe en France une tradition séculaire de générosité, de libéralité dans l’ordre de la pensée, qui sont bien dans  l’esprit de la future organisation, d’autre part, que toutes les branches, toutes les formes de la civilisation humaine, science, culture générale, lettres, arts, technique dans la mesure où elle s’approche de l’art, s’y sont toujours développées de pair et en liaison réciproque. Paris reste donc une des villes au monde où la future organisation aurait son siège naturel. Nous vous demandons cet honneur parce qu’il nous serait infiniment cher, parce que nous ne nous en sentons pas indignes… et parce que nous nous efforcerons par tous les moyens de l’avoir mérité. » (Conférence constitutive de l’Unesco).

Il avait également témoigné : « La concurrence est un sentiment égoïste qui engendre l’animosité ; l’émulation est un sentiment généreux qui engendre la solidarité et la confiance. Je m’excuse de citer ici un exemple personnel. Mais, il y a un mois à peine, revenant de Londres, je ne cessais de vanter à mes camarades les œuvres admirables accomplies ici durant ces dernières années : bibliothèques locales et circulantes, cercles populaires de discussion, emploi pédagogique de la radio. Mes récits n’éveillaient pas l’envie, mais un désir affectueux d’imiter et, s’il se pouvait, d’égaler. C’est ainsi que le progrès et l’amitié entre les peuples peuvent avancer de concert. » (1er novembre 1945).


Parmi les derniers combats, la construction européenne

Tombé malade gravement en début 1949, Léon Blum continua cependant de commenter l’actualité dans son journal et l’un de ses derniers combats fut en faveur de la construction européenne. Le 20 novembre 1949, sa plume a porté son intuition ainsi : « Il faut créer l’Europe. Il faut créer l’Europe avec l’Allemagne et non pour elle, avec la Grande-Bretagne et non contre elle. » ("Le Populaire").

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Le 30 mars 1950, Léon Blum s’est éteint à 77 ans d’une crise cardiaque, dans sa maison à Jouy-en-Josas (une vieille ferme "Les clos de Metz"), où il résidait depuis cinq ans avec son épouse. Ses funérailles nationales ont été présidées le 2 avril 1950 par le Président Vincent Auriol. Sa maison fait aujourd’hui office de musée. Et son souvenir fut saisi par ses prétendus héritiers de l’actuel parti socialiste (le dernier en date, François Hollande qui s’est inscrit dans sa continuité encore le 3 mai 2016)…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 juin 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Hollande quatre-vingts ans après.
Daniel Mayer.
Gaston Defferre.
Charles De Gaulle.
Joseph Caillaux.
Aristide Briand.
Pierre Laval.
Guy Mollet.
André Gide.
La Première Guerre mondiale.
Sarajevo.
Le Front populaire.
Léon Blum.
Jean Jaurès.
Pierre Mendès France.
Jean Zay.
John Maynard Keynes.
Le colonel de La Rocque.
Charles Péguy.
Ce qu’est le patriotisme.
Louis-Ferdinand Céline.
Philippe Pétain.
Pierre Laval.
L'Allemagne en 1933.
L'Espagne en 1936.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160604-leon-blum-4.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-legende-leon-blum-4-le-vieil-181560

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/08/22/33930282.html


 

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8 août 2018 3 08 /08 /août /2018 05:25

« Lorsque nous nous sentons parfois enfermés dans les divisions, les dissensions, les intrigues, nous n’avons qu’une chose à faire : monter un peu plus haut, nous élever, regarder le but. Et alors, nous verrons que nous sommes profondément d’accord. Nous ressemblons à ces voyageurs qui, dans la montagne, se voient pris dans les nuages et dans le brouillard. Eh bien, on n’a qu’une chose à faire : monter, monter plus haut, et quand on monte plus haut, on trouve l’air pur, la lumière libre et le soleil. » (Léon Blum, le 21 avril 1919). Troisième partie.


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Après avoir évoqué la première partie de l’existence de Léon Blum, le haut fonctionnaire littéraire puis le député tribun, j’évoque maintenant son engagement au parti socialiste.


Alfred Dreyfus et Jean Jaurès

Indigné par l’injustice, ce fut très logique que Léon Blum s’activa à regrouper les intellectuels pendant l’affaire Dreyfus. Victime collatérale de cette action, Maurice Barrès, qu’il n’a pas réussi à convaincre de soutenir le capitaine Alfred Dreyfus de l’injustice, dont Léon Blum appréciait pourtant le talent littéraire. Ce fut par ce militantisme qu’il rencontra Jean Jaurès en 1897 qu’il aida à créer le journal "L’Humanité" en 1904 et à réaliser l’unité des socialistes au congrès des 23 au 25 avril 1905 à Paris avec la création de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) qui a regroupé les deux partis socialistes concurrents, celui de Jean Jaurès et celui de Jules Guesde (représentant le marxisme).

L’assassinat de Jean Jaurès le 31 juillet 1914 fit de Léon Blum son continuateur politique. Il s’impliqua activement dans la vie politique, d’abord en dirigeant le cabinet d’un ministre socialiste pendant l’union sacrée, ensuite en s’engageant dans la vie interne de la SFIO.


Responsable du programme de la SFIO

Son action politique "sérieuse" ne démarra réellement qu’après la Première Guerre mondiale. Après un discours commémorant le troisième anniversaire de la mort de Jean Jaurès dont il se proclama l’héritier, il décida de s’engager dans la bataille électorale en 1918 après avoir déposé une motion au 15e congrès de la SFIO des 6 au 10 octobre 1918. Il est alors désigné président de la commission chargé du programme de la SFIO.

La SFIO s’était divisée pendant la guerre entre le pacifisme et le soutien à l’union sacrée dans l’effort de guerre, puis sur l’adhésion, ou non, à la IIIe internationale (on peut donc se rendre compte que la division des socialistes en multiples courants ne date pas de la dernière pluie mais est séculaire !).

Lors du 16e congrès extraordinaire de la SFIO, le 21 avril 1919, Léon Blum a ainsi prononcé, à l’âge de 47 ans, son premier grand discours socialiste qui le fit découvrir comme un grand orateur : « Nous n’avons eu qu’une ambition : faire un travail de mise au point, mettre au point l’ensemble de doctrines qui est le patrimoine commun de tous les socialistes par rapport à cet événement nouveau qu’est la guerre, actualiser, si je puis dire, le programme traditionnel du socialisme en fonction de cet événement formidable, qui doit tout dominer et qui est la guerre. S’il y a un dessein d’ensemble dans la composition du programme, c’est celui-là. ».

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Combatif pour répondre aux accusations contre les socialistes qui, selon leurs détracteurs, n’auraient pas prévu la guerre, Léon Blum a donné les premiers éléments de langage pour s’en défendre : « Nous avons prédit que la guerre sortirait d’une façon à peu près inévitable de la concurrence capitaliste. (…) Nous avons prédit, nous n’avons pas cessé de répéter, que le système des alliances, l’impérialisme colonial, la diplomatie secrète aggraveraient, rapprocheraient encore le danger permanent de guerre qui était contenu dans la société capitaliste elle-même. (…) Nous établissons qu’à tous égards, la guerre nous a donné raison. Nous montrons qu’au cours de la guerre, et dans les moments les plus aigus du péril, c’est à des solutions plus ou moins directement inspirées de l’esprit socialiste qu’il a fallu recourir. (…) Par conséquent, il ne faut pas attendre de nous, après la guerre, non seulement un reniement, mais même un fléchissement quelconque de notre doctrine. Bien au contraire, nous sortons de la guerre plus certains que jamais que nous détenons la vérité et plus nettement que jamais, plus haut que jamais, nous proclamons notre but final : le parti socialiste a pour objet la révolution sociale. ».

On voit ainsi poindre l’extrême arrogance politique de Léon Blum, sur laquelle ses détracteurs ne manquèrent pas d’insister (« plus certains que jamais que nous détenons la vérité » !) mais ce discours a redonné confiance et fierté aux militants socialistes un peu déconfits idéologiquement après la guerre et orphelins de Jean Jaurès : ils venaient de trouver en Léon Blum un nouveau tribun.

Le discours du 21 avril 1919, qui reçut de très grandes ovations dans la salle, fut immédiatement édité en brochure. La légende Blum était née.


Des mots pour le socialisme : pas d’envie mais justice et pitié

En 1919, Léon Blum a publié "Pour être socialiste" où il a défini son socialisme : « De quoi est né le socialisme ? De la révolte de tous ces sentiments blessés par la vie, méconnus par la société. Le socialisme est né de la conscience de l’égalité humaine, alors que la société où nous vivons est tout entière fondée sur le privilège. Il est né de la compassion et de la colère que suscitent en tout cœur honnête ces spectacles intolérables : la misère, le chômage, le froid, la faim, alors que la terre (…) produit assez de pain pour nourrir tous les enfants des hommes (…). Il est né du contraste à la fois scandaleux et désolant, entre le faste des uns et le dénuement des autres, entre le labeur accablant et la paresse indolente. Il n’est pas, comme on l’a dit tant de fois, le produit de l’envie, qui est le plus bas des mobiles humains, mais de la justice et de la pitié, qui sont les plus nobles. » (1919).

Il reprenait l’interrogation de ses détracteurs sur ce socialisme : « Pourquoi travaille-t-on ? Pour gagner de l’argent, pour épargner, pour transmettre à ses enfants le fruit de son épargne. Quand vous aurez supprimé ces deux stimulants de la paresse humaine, le désir du gain et l’héritage, vous aurez tout bonnement rejeté l’animal humain à son apathie atavique. Il ne travaillera plus que pour satisfaire ses besoins élémentaires, ou bien il ne travaillera plus que par contrainte. État de production indéfiniment raréfiée, ou bien état de travaux forcés et de chiourme, votre cité socialiste aboutira nécessairement à l’un ou à l’autre. Choisissez… » (1919).

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Et il y répondait ainsi : « Où a-t-on appris qu’un célibataire, qu’un homme ou qu’une femme sans enfants fussent moins actifs, moins industrieux, moins âpres au gain, qu’un père de famille ? (…) La vérité est, tout simplement, que, par un secret instinct de moralité, nous sommes moins honteux de rapporter à nos enfants qu’à nous-mêmes notre appétit personnel de lucre. (…) Gagner de l’argent, c’est le véritable idéal humain, le seul que proclame et qu’essaie de réaliser une société pervertie. Conquérir pour notre compte la plus large part des privilèges que l’argent représente ou permet d’acquérir, c’est le programme de vie que le spectacle contemporain  nous propose. (…) J’ai pour ma part une vue moins désespérée ou moins méprisante de l’humanité. (…) C’est pour gagner de l’argent (…) qu’on achète et qu’on revend, qu’on agiote et qu’on spécule. Le désir du gain forme et entretient cette écume, cette fermentation putride que nous voyons s’étaler  la surface de la vie économique. (…) En quoi la société se trouvera-t-elle appauvrie quand nous l’aurons nettoyée de toutes ces initiatives parasitaires ? Elles déplacent arbitrairement la richesse, elles ne la créent pas. Vous trouverez le symbole de cette fausse activité dans un mouvement de hausse ou de baisse de la Bourse, qui fait passer dans la poche des uns l’argent des autres, mais qui ne modifie pas d’un sou le capital foncier du monde. (…) En la supprimant, (…) nous n’aurons pas altéré ou ralenti la vie sociale, nous l’aurons assainie au contraire, nous l’aurons guérie d’une maladie, d’une infection. » (1919).


Séparation des communistes

Au 17e congrès de la SFIO à Strasbourg des 25 au 29 février 1920 fut décidé le retrait de la SFIO de la IIe Internationale (approuvé par 92% des adhérents).

Le 18e congrès de la SFIO à Tours du 25 au 30 décembre 1920 marqua durablement l’histoire du socialisme puisque 3 252 voix voulaient adhérer à l’Internationale communiste et 1 022 le refusèrent. La scission entre communistes (SFIC puis PCF) et socialistes (SFIO puis PS), minoritaires à Tours, fut un élément fondateur et en quelques sortes, permit au socialisme de rassurer les électeurs bourgeois que le risque communiste pouvait être endigué par les socialistes eux-mêmes, plus "raisonnables".

Léon Blum a expliqué son opposition farouche à la IIIe Internationale de cette manière : « Le bolchevisme s’est détaché du socialisme comme certaines hérésies se sont détachées de religions pour former des religions nouvelles. (…) C’est parce que le bolchevisme a confondu la prise de pouvoir avec la révolution, le moyen avec la fin, qu’il oriente toute sa tactique vers cette conquête du pouvoir, sans tenir compte, ni des circonstances, ni des conséquences, qu’aujourd’hui encore, la volonté du gouvernement des Soviets est tendue vers la conservation du pouvoir politique absolu, bien qu’il se sache hors d’état d’en tirer la transformation sociale. » (cité par Jean Lacouture dans sa biographie consacrée à Léon Blum publiée le 1er octobre 1977 au Seuil).

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À cause de ses actionnaires, le journal "L’Humanité" revint aux communistes et la SFIO s’est dotée d’un nouveau journal, "Le Populaire", qui fut dirigé par Léon Blum jusqu’à sa mort et qui fut sa tribune politiquequasi-quotidienne pendant près de trente ans.

Paul Faure prit la direction de la SFIO jusqu’en 1940, pacifiste, candidat malheureux à l’élection présidentielle du 10 mai 1932 contre Albert Lebrun (114 voix contre 633, ainsi que 12 pour Paul Painlevé et 8 pour Marcel Cachin, communiste), Ministre d’État pendant le Front populaire du 4 juin 1936 au 14 janvier 1938 et du 13 mars 1938 au 8 avril 1938, il s’était opposé juste avant la Seconde Guerre mondiale à Léon Blum qu’il considérait belliqueux, avait soutenu les accords de Munich et s’était rallié au régime de Vichy. Sous l’Occupation, le résistant Daniel Mayer a ensuite repris le contrôle de l’appareil SFIO dans le but de l’intérêt aux mouvements de résistants.

L’éloignement des communistes a permis aux socialistes de se rapprocher des radicaux, dès les élections suivantes, à savoir en mai 1924 lors de la victoire du Cartel des gauches mené par Édouard Herriot, soutenu par la SFIO sans pour autant participer.


Leader et bouc émissaire

Si Léon Blum n’a jamais été à la tête de la SFIO (ce fut Paul Faure qui en était le secrétaire général de 1920 à 1940), il a toujours été, dans les années 1920 et 1930 son principal leader, par son charisme, son éloquence, sa capacité à convaincre, et par son énergie. Ce fut donc normal qu’il fut l’une des premières cibles des cyniques et des polémistes.

Ainsi, avec une pointe d’antisémitisme très courante durant cette période, Léon Daudet n’hésitait pas en 1930 à le décrire ainsi : « Léon Blum, le socialiste pour salonnards, a un physique (…) qui tient de la chèvre et du lévrier, une cervelle allemande, et des petites manières chatouillées. Il est instruit, disert et redondant et il est évident qu’avec sa culture allemande, il aspire à jouer les Ferdinand Lassalle, beaucoup plus qu’à faire le bonheur du quatrième état. C’est un de ces intellectuels retors, assez subtils et pas mal absurdes, épris du paradoxe élégant, comme il s’en balade quelques-uns sur le Sinaï. » ("Paris vécu").

Ferdinand Lassalle fut un théoricien socialiste allemand qui s’était opposé à Karl Marx et qui avait fondé le 23 mai 1863 l’ADAV (Allgemeiner Deutscher Arbeitverein : association générale des travailleurs allemands), le premier parti socialiste allemand (et à l’origine de la Ie Internationale fondée le 28 septembre 1864 à Londres), pour s’opposer au Chancelier Otto von Bismarck, qui a finalement fusionné le 22 mai 1875 (congrès de Gotha) avec le parti ouvrier marxiste, le SDAP (fondé le 8 août 1869), pour devenir le SAPD devenu l’actuel SPD au congrès d’Erfurt des 14 au 20 octobre 1891. Il a eu une fin malheureuse puisqu’il est mort à 39 ans le 31 août 1864 de ses blessures reçues lors d’un duel stupide contre celui qui allait épouser son ancienne fiancée.

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Léon Daudet renouvela le genre avec les animaux en comparant Léon Blum à une girafe : « ce visage de girafe irritée ; (…) la girafe en veston » ("Termites parlementaires", 1930) ; à une belette : « plongeant son nez dans son mouchoir de dentelle et roulant des yeux de belette foireuse » (1930) ; ou encore à un lévrier : « sorte de lévrier hébreu, minaudant et hautain, à la parole facile et pédante, ex-conseiller d’État et distribuant à ses voisins des tas de conseils » (1933) ; tandis que le comte Armand de Puységur, président de la Ligue nationale antimaçonnique en 1934 et dont le violent antisémitisme (il fut tué par des maquisards) n’avait rien à envier à celui de Louis-Ferdinand Céline, imaginait pour lui un autre animal, marin cette fois, en l’accouplant avec l’hypocrisie : « le coquin juif à gueule d’hypocampe » ("La Trahison des chefs nationaux", 1938). C’est peut-être pour ces antécédents historiques que la comparaison du ministre Éric Besson à une fouine faite par l’humoriste Stéphane Guillon le 22 mars 2010 sur France Inter avait tant choqué…


La révolution pour plus tard…

Lorsque que Léon Blum fut désigné à la tête du gouvernement français, le 4 juin 1936, il avait déjà 64 ans, l’âge qu’a eu François Mitterrand lorsque ce dernier fut élu Président de la République le 10 mai 1981.

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Sur la période du Front populaire, entre 1936 et 1938, je propose de se reporter à l’article sur le sujet. Je reprends ici juste le discours de politique générale prononcé par Léon Blum à la Chambre des députés, le 6 juin 1936, où il a évoqué ainsi son gouvernement : « Son programme est le programme commun souscrit par tous les partis qui composent la majorité, et l’unique problème qui se pose pour lui sera de le résoudre en actes. (…) Nous gouvernerons en républicains. Nous assurerons l’ordre républicain. Nous appliquerons avec une tranquille fermeté les lois de défense républicaine. Nous montrerons que nous entendons animer toutes les administrations et tous les services publics de l’esprit républicain. Si les institutions démocratiques étaient attaquées, nous en assurerions le respect inviolable avec une vigueur proportionnée aux menaces ou aux résistances. ».

Léon Blum a aussi précisé l’alliance des socialistes avec les radicaux : « Je sais très bien que, pour nos amis radicaux, le but n’est pas la transformation du régime social actuel, je sais très bien que c’est à l’intérieur de ce régime et sans penser à en briser jamais les cadres qu’ils cherchent à amender et à améliorer progressivement la condition humaine. En ce sens, ce qui est pour nous un moyen est pour eux un but, ce qui est pour nous une étape est pour eux un terme, mais cela n’empêche pas que nous n’ayons un bout de chemin et peut-être un long bout de chemin à parcourir ensemble ! (…) Si [cette alliance] vous choquait (…), je vous rappellerais qu’elle est aussi ancienne que la République en France (…). Chaque fois que la République a été menacée, elle a été sauvée par cette union de la bourgeoisie et du peuple républicains, et de la masse des travailleurs et des paysans. Cette alliance s’est manifestée sous bien des formes. Cela s’est appelé "le soutien", cela s’est appelé "le cartel", cela s’est appelé "la discipline républicaine", c’est-à-dire cette règle acceptée indistinctement par les uns et par les autres et qui fait que, depuis plus de cinquante ans, au second tour de scrutin, le front s’est formé contre la réaction. » (6 juin 1936).

Le 21 avril 1919, Léon Blum avait pourtant défendu l’idée de la "dictature du prolétariat" (même s’il en appréciait peu l’appellation) : « Lorsqu’un régime nouveau, qu’il soit politique ou social, peu importe, a renversé le régime existant, ce mouvement est condamné d’avance à l’échec s’il s’en remet immédiatement, pour se justifier, aux institutions du régime politique, économique ou social qu’il vient d’abolir. (…) [Les révolutions] ont échoué ou réussi suivant qu’elles ont pris ou non la précaution de ménager, entre la destruction du régime aboli et la construction, l’instauration légale du régime nouveau, cette période intermédiaire de dictature qui, lorsqu’il s’agira de la révolution sociale, sera la dictature impersonnelle du prolétariat. ». Pour illustrer cette idée, il avait cité Léon Gambetta qui n’avait pas encore eu de légitimité populaire lorsqu’il proclama la République le 4 septembre 1870.

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Et ce 6 juin 1936, s’adressant à ceux qui auraient eu encore peur de lui, il a voulu rassurer : « Nous sommes socialistes, mais le pays n’a pas donné la majorité au parti socialiste. Il n’a même pas donné la majorité à l’ensemble des partis prolétariens. Il a donné la majorité au Front populaire. Nous sommes un gouvernement de Front populaire, et non pas un gouvernement socialiste. Notre but n’est pas de transformer le régime social, ce n’est même pas d’appliquer le programme spécifique du parti socialiste, c’est d’exécuter le programme du Front populaire. (…) Nous sommes au pouvoir en vertu du pacte constitutionnel et des institutions légales. Nous n’en abuserons pas. (…) Nous demandons que personne ne songe à en abuser contre nous. ».

Dans le prochain et dernier article, je présenterai la dernière partie de la vie de Léon Blum, un vétéran respecté de tous mais rejeté des siens…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 juin 2016)
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Pour aller plus loin :
François Hollande quatre-vingts ans après.
Daniel Mayer.
Gaston Defferre.
Charles De Gaulle.
Joseph Caillaux.
Aristide Briand.
Pierre Laval.
Guy Mollet.
André Gide.
La Première Guerre mondiale.
Sarajevo.
Le Front populaire.
Léon Blum.
Jean Jaurès.
Pierre Mendès France.
Jean Zay.
John Maynard Keynes.
Le colonel de La Rocque.
Charles Péguy.
Ce qu’est le patriotisme.
Louis-Ferdinand Céline.
Philippe Pétain.
Pierre Laval.
L'Allemagne en 1933.
L'Espagne en 1936.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160604-leon-blum-3.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-legende-leon-blum-3-le-181559

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/08/22/33874145.html


 

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28 juin 2018 4 28 /06 /juin /2018 03:57

« La mort n’est, en définitive, que le résultat d’un défaut d’éducation, puisqu’elle est la conséquence d’un manque de savoir-vivre. » (Pierre Dac, 1972).


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L’ancienne ministre et ancienne Présidente du Parlement Européen Simone Veil est morte il y a un an le 30 juin 2017. Lors de l’hommage solennel dans la cour d’honneur des Invalides le 5 juillet 2017, le Président Emmanuel Macron avait annoncé que ses cendres seraient transférées au Panthéon. La famille a accepté seulement si elle était accompagnée de son mari Antoine Veil, qu’elle avait épousé le 26 octobre 1946 et qui est mort le 12 avril 2013, il y a cinq ans. L’Élysée a annoncé le 19 février 2018 la date du transfert de leurs cendres, ce dimanche 1er juillet 2018.

C’est la première fois qu’un homme va être inhumé au Panthéon parce qu’il est le "mari de". La première femme qui y a été inhumée fut, elle aussi, une "femme de", Sophie Berthelot, morte le 18 mars 1907 quelques heures avant son mari Marcellin Berthelot, le célèbre chimiste et ministre, effondré par la mort de sa femme. Le 24 mars 1907, les parlementaires votèrent leur inhumation au Panthéon qui a eu lieu le lendemain avec un discours du Ministre de l’Instruction publique Aristide Briand, en présence du Président du Conseil Georges Clemenceau.

La deuxième femme le fut ès qualités mais cependant, encore en couple, puisqu’il s’agit de Marie Curie entourée de son mari Pierre au Panthéon le 20 avril 1995 avec des discours du Président de la République François Mitterrand, du Président polonais Lech Walesa et du Prix Nobel de Physique Pierre-Gilles de Gennes, en présence du Premier Ministre Édouard Balladur, de la famille Curie (notamment leur fille Ève, morte à 102 ans le 22 octobre 2007, et leurs descendants), et de la soprano Carole Casadesus (petite-fille de Gisèle Casadesus, une autre grande famille).

Deux autres femmes ont été honorées au Panthéon, Germaine Tillion et Geneviève Anthonioz-De Gaulle, le 27 mai 2015, par le Président François Hollande (aux côtés de Jean Zay et de Pierre Brossolette), mais leurs dépouilles sont restées dans leur cimetière respectif, selon le vœu de leur famille.

Simone Veil est donc la troisième (cinquième honorée) à aller au Panthéon, accompagnée de son mari. C’est donc l’occasion d’évoquer la personnalité d’Antoine Veil, beaucoup moins connu que sa femme.

L’amour qu’il portait à Simone fut tel qu’il a accepté cette position de "mari de" : « Tous ceux qui l’ont connue savent très bien à quel point son mari Antoine Veil a eu un rôle plus discret, mais tout à fait éminent dans le parcours de Simone Veil. » (Laurence Parisot, sur France Inter, le 5 juillet 2017, ancienne présidente du Medef).

D’autant plus difficile à admettre par lui que tout le prédisposait à être "le" ministre du couple, l’homme politique du couple, lorsqu’ils étaient jeunes. D’autant plus difficile que l’époque (à la Libération) laissait encore peu de place aux femmes dans la société (qui, si elles venaient de gagner le droit de voter grâce à De Gaulle, ne pouvaient toujours pas ouvrir un compte bancaire sans leur mari).

Antoine Veil était originaire de Lorraine (né le 28 août 1926 à Blâmont), a suivi des études secondaires à Nancy puis à Grenoble, et enfin, des études de droit et l’IEP Paris (promotion 1948). Ce fut à Science Po que le futur couple se rencontra.

Simone Jacob (Veil) était très éprouvée de sa déportation à Auschwitz (arrêtée à Nice le 30 mars 1944, envoyée à Drancy le 13 avril 1944, à Auschwitz à 15 avril 1944, jusqu’au 27 janvier 1945 où elle fut transférée à Bergen-Belsen, libérée le 15 avril 1945). Elle a perdu sa mère morte du typhus, et n’a jamais retrouvé son père et son frère Jean, déportés en Lituanie. Sa sœur Madeleine fut sauvée et une autre sœur, Denise Vernay, résistante, fut également déportée, à Ravensbrück et a survécu.

Antoine Veil, lui, échappa de justesse à la déportation (mais sa sœur n’y échappa pas, et a survécu) et a pu se réfugier avec le reste de sa famille en Suisse pendant la guerre. À la Libération, il a repris ses études, diplômé de l’IEP Paris en 1948, puis de l’ENA en 1955 (promotion Albert-Thomas, même promo que Nicole Questiaux et Jean François-Poncet).

En fait, Antoine Veil avait déjà commencé son implantation politique avant l’ENA et même avant l’IEP, comme membre de cabinets ministériels, celui du centriste Pierre-Henri Teitgen en 1947, puis celui du centriste Alain Poher en 1948. Il continua à travailler comme membre de cabinets chez plusieurs ministres, notamment comme directeur de cabinet du centriste Joseph Fontanet (Industrie et Commerce puis Santé) de 1959 à 1962.

Pendant quelques années jusqu’en 1952, il fut nommé à Wiesbaden puis Stuttgart, et sa femme Simone accepta de l’accompagner en Allemagne, si peu de temps après son séjour dans les camps. Le couple Veil s’est forgé un esprit très favorable à la construction européenne en étant convaincu qu’elle passerait nécessairement par l’amitié franco-allemande. Simone Veil n’a jamais considéré que les Allemandes étaient intrinsèquement des nazis potentiels, car selon elle, le nazisme aurait pu se développer dans n’importe quel pays d’Europe.

Pendant une quinzaine d’années, Antoine Veil a été haut fonctionnaire (inspecteur des finances) et proche collaborateur de plusieurs ministres centristes, ce qui lui donnait une forte influence et un réseau jamais démenti. Cela aurait été donc naturel qu’il poursuivît sa trajectoire par un engagement politique beaucoup plus fort. Comme on le voit, à cette époque, le couple tournait autour de la carrière d’Antoine, plein d’ambition, et pas autour de Simone.

En 1962, les ministres centristes ont démissionné après la conférence de presse de De Gaulle du 15 mai 1962 qui s’était moqué de l’Europe. Notamment Joseph Fontanet, Maurice Schumann, Pierre Pflimlin et Robert Buron. La carrière d’Antoine Veil a alors un peu bifurqué vers le management d’entreprises. Délégué général des Armateurs français de 1964 à 1968, il fut ensuite directeur général adjoint de la Compagnie des chargeurs réunis de 1969 à 1971, puis directeur de l’Union des transports aériens, PDG de la Compagnie aéromaritime d’affrètement, administrateur d’Air Inter, PDG de Manurhin de 1982 à 1986, PDG d’Orlyval en 1992, etc. Il a fondé aussi son propre cabinet de conseil (en 1989), et conseilla Axa, GDF-Suez, Bolloré, etc.

Parallèlement, son épouse a dû convaincre son mari qu’elle pouvait faire autre chose que mère au foyer (trois enfants nés de 1947 à 1954). Après l’IEP, elle a suivi l’École de la magistrature et est devenue juge. Elle voulait initialement devenir avocate mais son mari ne voulait pas qu’elle défendît des criminels. Curieusement, Simone Veil n’a jamais été Ministre de la Justice. Antoine Veil a confié à "Gala", dans une des rares interviews où il se dévoilait un peu : « Ma mère était "esclavagisée" par mon père. J’étais probablement moi aussi esclavagiste ! Ma conversion à la parité dans le couple ne s’est pas fait aux forceps, mais à la lueur du temps qui passe. » (janvier 2011).

Lorsque le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing appela Simone Veil au Ministère de la Santé en 1974, elle ne se doutait pas encore qu’elle serait la première à défendre la loi sur la dépénalisation de l’IVG (normalement, son collègue de la Justice Jean Lecanuet aurait dû remplir cette mission). VGE l’avait appelée car il cherchait à promouvoir au gouvernement des femmes, trop absentes de la vie politique (on revient de loin !). Simone Veil avait tout pour lui plaire : encore jeune, expérimentée, sérieuse, diplômée, intelligente, d’un fort caractère et centriste.

Pour Antoine Veil, l’entrée de sa femme en politique par la grande porte du conseil des ministres à l’Élysée, lui a fermé les mêmes portes. Pas question de faire ce qu’a fait plus tard le couple Ségolène Royal et François Hollande. Antoine Veil resta donc un conseiller dans l’ombre : « Quand j’ai vu que [Simone] évoluait en Formule 1, je suis retourné au fond de la classe. Je ne voulais pas jouer les Poulidor. » ("Gala").

Il fut néanmoins très actif en politique, mais dans la discrétion, dans le remue-méninges et dans les réseaux centristes. Antoine Veil fut en quelques sortes l’aile gauche du couple centriste.

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Antoine Veil fut élu conseiller de Paris en 1971 et en 1983. Au Ministère de la Santé, il s’est activé pour convaincre une majorité de parlementaires de l’intérêt de la loi sur l’IVG. Il fut aussi trésorier du CDS pendant quelques moments, et réussit à convaincre la majorité de l’époque de faire de sa femme la tête de liste aux premières élections européennes au suffrage universel direct (en juin 1979).

Après l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République, Simone Veil est devenue une personnalité du centre droit durablement populaire. Toutefois, elle a toujours renoncé à être candidate à l’élection présidentielle, considérant que les électeurs n’étaient pas encore prêts à élire une femme à l’Élysée. Elle devait enf fait penser sans doute que la classe politique très machiste (Ségolène Royal l’a vite compris vingt-cinq ans plus tard) n’était pas encore prête, et elle ne se voyait pas ferrailler contre les Jacques Chirac ou les Valéry Giscard d’Estaing. Elle qui a vécu la Shoah, devait trouver ces jeux politiciens un peu trop futiles…

En 1983, Antoine Veil créa l’un des clubs de réflexion les plus actifs de Paris, le Club Vauban, du nom de la place où les époux habitaient à Paris et qui recevaient de nombreux invités. Antoine Veil faisait ainsi rencontrer des responsables politiques de tout horizon, droite comme gauche, en particulier Bernard Stasi et Michel Rocard.

D’ailleurs, la présence à ses obsèques, le 15 avril 2013 à Paris, de nombreuses personnalités n’était pas seulement le fait d’avoir été l’époux de Simone Veil, mais bien d’avoir été celui qui, pendant des décennies, a entremêlé la classe politique au centre de l’échiquier politique. En effet, il y avait beaucoup de monde autour de lui : Jacques Chirac, Édouard Balladur, François Fillon, Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn, Pierre Moscovici, Philippe Douste-Blazy, Bertrand Delanoë, Élisabeth Guigou, Anne Hidalgo, Serge Dassault, etc.

Il avait d’ailleurs des opinions bien arrêtées sur certains Présidents : « Les gens consacrent tellement d’énergie à se faire élire qu’ils oublient, lorsqu’ils le sont, pourquoi ils ont été élus. (…) Mon amitié pour Jacques Chirac ? Elle est réelle, mais prendre le pouvoir n’est pas une fin en soi. Nicolas Sarkozy, lui, n’a pas oublié ce qu’il voulait faire, même s’il n’a pas fait les réformes assez vite à mon sens. » (janvier 2011). Il aurait été probablement l’un des promoteurs d’Emmanuel Macron s’il avait vécu plus longtemps.

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Comme sa femme, Antoine Veil a rencontré les grands de ce monde, et ne laissait pas son sens de l’humour dans sa poche. Lorsqu’il a rencontré le couple royal britannique, il confia à la reine qu’il avait le même âge qu’elle, et à son mari, le Prince Philip, qu’il pourrait présider l’Association des conjoints de femmes au pouvoir !

Soixante-six ans de vie commune. Avec la déportation dans la gorge. Quand le couple a vu leur voiture vandalisée avec une inscription "Veil = SS", à cause de la loi sur l’IVG, forcément, cela prenait une tournure tragique. Mais il était fier de Simone lorsqu’elle fit son entrée à l’Académie française.

Les voici tous les deux dans le Temple de la République, sanctifiés par la nation et unis dans l’exemplarité. Entrez, et veillez sur nous !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 juin 2018)
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Pour aller plus loin :
Les époux Veil honorés au Panthéon.
Antoine Veil.
Simone Veil, un destin français.
L’hommage de la République à Simone Veil.
Discours d’Emmanuel Macron en hommage à Simone Veil le 5 juillet 2017 aux Invalides (texte intégral).
Discours de Jean Veil et Pierre-François en hommage à leur mère Simone Veil le 5 juillet 2017 aux Invalides (texte intégral).
Simone Veil, une Européenne inclassable.
Simone Veil académicienne.
Discours de réception de Simone Veil à l’Académie française (18 mars 2010).
Discrimination : rien à changer.
Rapport du Comité Veil du 19 décembre 2008 (à télécharger).
Mort d'Antoine Veil.
Bernard Stasi.
Bernard Stasi et Antoine Veil.
Denise Vernay.
Ne pas confondre avec Simone Weil.

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21 juin 2018 4 21 /06 /juin /2018 05:14

« Cet homme, jeune encore, mais dont la carrière avait déjà formé l’expérience, était pétri de la même pâte que les meilleurs de mes compagnons. Rempli jusqu’aux bords de l’âme, de la passion de la France, convaincu que le "gaullisme" devait être, non seulement l’instrument du combat, mais encore le moteur de toute une rénovation, pénétré du sentiment que l’État s’incorporait à la France Libre, il aspirait aux grandes entreprises. Mais aussi, plein de jugement, voyant choses et gens comme ils étaient, c’est à pas comptés qu’il marcherait sur une route minée par les pièges des adversaires et encombrée des obstacles élevés par les amis. Homme de foi et de calcul, ne doutant de rien et se défiant de tout, apôtre en même temps que ministre, Moulin devait, en dix-huit mois, accomplir une tâche capitale. La Résistance en Métropole (…), il allait l’amener à l’unité pratique. Ensuite, trahi, fait prisonnier, affreusement torturé par un ennemi sans honneur, Jean Moulin mourrait pour la France, comme tant de bons soldats qui, sous le soleil ou dans l’ombre, sacrifièrent un long soir vide pour mieux "remplir leur matin". » (De Gaulle, "Mémoire de guerre ; tome 1, L’Appel 1940-1942", publié en 1954 chez Plon).



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Ce lundi 18 juin 2018, un vieux monsieur a été décoré par le Président de la République Emmanuel Macron. Il s’agit de Daniel Cordier, l’un des cinq survivants des compagnons de la Libération. Grand-croix de la Légion d’honneur, le plus haut grade, à bientôt 98 ans, Daniel Cordier s’en moquerait presque. Pour lui qui a toujours refusé d’être réduit à un "ancien combattant" au point d’avoir complètement tourné la page après la guerre, reparler du passé n’avait qu’un seul sens, respecter la mémoire de son patron pendant onze mois, Jean Moulin, dont il n’a connu le véritable patronyme qu’à la Libération. C’est pour cela qu’il est devenu un historien sur le tas, très recommandé, sur l’histoire de Jean Moulin, celle de la France libre, celle de la Résistance.

Jean Moulin, fait compagnon de la Libération le 17 octobre 1942 sous le nom du caporal Joseph Mercier (passeport délivré le 9 septembre 1941), il est né le 20 juin 1899 à Béziers, il y a cent dix-neuf ans. Mais surtout, il a été arrêté par les nazis à Caluire-et-Cuire, dans la banlieue de Lyon, il y a juste soixante-quinze ans, le 21 juin 1943.

Personne n’a vraiment su ce qu’il était précisément advenu de Jean Moulin par la suite. Il a été détenu par la Gestapo de Lyon, torturé par Klaus Barbie, puis détenu à Paris, toujours torturé, il n’a pas parlé, il n’a rien lâché, et il serait mort des suites de ses blessures dans le train Paris-Berlin, du côté de Metz, le 8 juillet 1943, à l’âge de 44 ans. On voulait l’interroger à Berlin. Le corps d’un homme français sans identité a été renvoyé à Paris le 9 juillet 1943 et a été immédiatement incinéré, et ce furent ces cendres, inhumées au Père-Lachaise, qu’on a transférées au Panthéon le 19 décembre 1964. Personne n’est capable de dire si ce sont bien celles de Jean Moulin. C’est possible, c’est probable, mais ce n’est pas sûr et de toute façon, ce n’est pas l’essentiel.

Jean Moulin est devenu un héros après sa mort. Avant aussi, mais peu de personnes le savaient déjà. Sa mission était périlleuse à plus d’un titre. Il était le représentant de De Gaulle, donc, de la France libre, à l’intérieur de la France, et il était chargé d’unifier tous les mouvements de résistance intérieure, des réseaux créés de manière plus ou moins organisée ou spontanée, et il fallait compter sur la susceptibilité des uns et des autres, et en plus, il fallait rassembler tout le spectre de la vie politique de l’époque, de la Cagoule aux communistes. De Gaulle voulait retrouver la France victorieuse. Toute la France sauf celle de Pétain et Pierre Laval.

Il n’y a pas de doute à cela : le silence de Jean Moulin sous la torture a sauvé les résistants français. Ce n’était pas la première fois qu’il s’était tu sous la torture : déjà à Chartres le 17 juin 1940, les nazis l’avaient torturé puis relâché. Il s’est sacrifié en conscience. Mais ce sacrifice, il l’était déjà pour toute personne qui s’était engagée dans la Résistance, quelle que fû sa fonction dans celle-ci. En s’y engageant, on savait qu’on risquait sa vie. S’il y a eu beaucoup de jeunes, c’était par idéal, peut-être par imprudence, inconscience, romantisme même. Ce n’était pas le cas de Jean Moulin, haut fonctionnaire et personnalité qui avait devant lui une grande carrière politique.

En relisant le journal de bord d’Edmond Michelet sous l’Occupation, on peut se rendre compte à quel point tous les résistants qui ont essayé de mettre en place le Conseil national de la Résistance, qui était une sorte de préparation d’action du futur gouvernement provisoire de la République française, étaient évidemment sincères (ils risquaient leur peau) mais également très ambitieux et réfléchissaient au-delà de la victoire, sur les places à prendre. Parfois même en vendant déjà la peau de l’ours avant de l’avoir tué.

On imagine très bien que Jean Moulin aurait trouvé une place de choix au sein des institutions républicaines, probablement ministre, peut-être même chef du gouvernement, et même, qui sait ? en opposition politique au Général De Gaulle comme ce fut le cas pour certains résistants comme Georges Bidault (le successeur de Jean Moulin à la tête du CNR), ou encore Maurice Schumann, etc. Jean Moulin est devenu la figure historique de la Résistance par excellence, illustrée par la fameuse photographie prise par son ami d’enfance Marcel Bernard (en hiver 1939 à Montpellier). Il est entré dans la légende gaulliste dès la création du CNR.

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Fils d’un professeur d’histoire géographie qui fut élu conseiller général radical-socialiste de 1913 à 1932, Jean Moulin fut avant tout un républicain. Étudiant en droit à Montpellier, il travailla au cabinet du préfet de l’Hérault en 1917 avant d’être mobilisé le 17 avril 1918 et fut envoyé dans les Vosges. Il fut démobilisé le 1er novembre 1919. Reprenant ses études de droit (il est sorti avec une licence en 1921), il continua à travailler pour le préfet de l’Hérault en montant rapidement en grade (chef adjoint de cabinet en 1920).

Ce qu’il faut retenir de sa jeunesse, c’est qu’il n’était pas forcément dans l’élite intellectuelle, ses études n’étaient pas "brillantes" et il n’a pas fait une école exceptionnelle, mais il a bénéficié de réseaux politiques (il a travaillé auprès du préfet grâce à son père vice-président du conseil général, et il a pris des responsabilités comme responsable à l’UNEF et aux Jeunesses laïques et républicaines). Ses convictions républicaines et radicales étaient donc plutôt axées à gauche (il s’est réjoui de la victoire du Cartel des gauches en mai 1924).

Sa vie professionnelle a démarré réellement le 6 février 1922 comme chef de cabinet du préfet de Savoie, à Chambéry. Il n’avait que 22 ans, ce qui était très jeune pour la fonction. Sa carrière s’envola rapidement : sous-préfet d’Albertville (Savoie) entre 1925 et 1930 (il n’avait que 26 ans), puis sous-préfet de Châteaulin (Finistère) de 1930 à 1932. Le Secrétaire d’État aux Affaires étrangères Pierre Cot, député radical-socialiste de Savoie, l’a nommé chef adjoint de cabinet du 18 décembre 1932 au 28 janvier 1933.

Pierre Cot avait alors 37 ans et ce fut son premier poste ministériel, ce dernier fut ensuite le Ministre de l’Air d’Édouard Daladier, Albert Sarraut, Camille Chautemps et Léon Blum du 21 janvier 1933 au 7 février 1934 et du 4 juin 1936 au 14 janvier 1938. Jean Moulin y fut alors son chef de cabinet tout en poursuivant sa carrière préfectorale comme sous-préfet de Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) en 1933, puis sous-préfet de Montargis en janvier 1934, enfin rattaché à la préfecture de Paris en avril 1934 pour rester auprès de son ministre savoyard Pierre Cot. Entre juillet 1934 et juin 1936, il fut nommé secrétaire général de la préfecture de la Somme à Amiens, avant de revenir aux côtés de Pierre Cot au même ministère et à la même fonction de chef de cabinet lors de la victoire du Front populaire.

Jean Moulin a eu sa première expérience de la clandestinité lorsque son ministre Pierre Cot lui a demandé d’aider les républicains espagnols en les approvisionnant en armement et avions, pour résister aux troupes de Franco. Le jeune fonctionnaire aimait la vie, aimait séduire, aimait le sport, les voitures de course et l’art moderne.

Après avoir été le plus jeune sous-préfet de France, Jean Moulin fut le plus jeune préfet de France en janvier 1937 avec sa nomination à Rodez, dans l’Aveyron, à l’âge de 38 ans, puis il fut nommé préfet d’Eure-et-Loir à Chartres en janvier 1939. Une fois la guerre déclarée, il voulut combattre mais le gouvernement l’a obligé à rester à son poste de préfet.

Les habitants d’Eure-et-Loir ont pu se rendre compte de son caractère résistant dès le 11 juin 1940 sur une affiche où il proclamait, en utilisant la première personne, sa foi en la victoire, contre toute apparence, alors que les troupes nazies étaient à quelques jours d’occuper Chartres : « Vos fils résistent victorieusement à la ruée allemande. Soyez dignes d’eux en restant calmes. Aucun ordre d’évacuation du département n’a été donné parce que rien ne le justifie. N’écoutez pas les paniquards qui seront d’ailleurs châtiés. Déjà des sanctions ont été prises. D’autres suivront. Il faut que chacun soit à son poste. Il faut que la vie économique continue. Les élus et les fonctionnaires se doivent de donner l’exemple. Aucune défaillance ne saurait être tolérée. Je connais les qualités de sagesse et de patriotisme des populations de ce département. J’ai confiance. Nous vaincrons. ».

Jean Moulin fut arrêté le 17 juin 1940 par les nazis et fut torturé, car il refusa de dénoncer des innocents d’avoir commis de meurtres et des viols. Il chercha même à se suicider en se tranchant la gorge avec un morceau de verre, mais n’y est pas parvenu. Il fut alors soigné puis réintégra la préfecture de Chartres d’où il fut révoqué par Pétain le 2 novembre 1940. Jean Moulin s’est alors engagé dans la Résistance et entra dans la clandestinité.

L’écriture de son journal permet aujourd’hui de comprendre ce qu’il pensait à l’époque. Entre novembre 1940 et septembre 1941, installé à Marseille, il rencontra beaucoup de résistants (dont Henri Frenay et Antoinette Sachs) pour avoir une vision d’ensemble de la résistance intérieure. Homme de réseaux, assurément.

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En septembre 1941, Jean Moulin commença son voyage vers l’Angleterre, en passant par l’Espagne et le Portugal, pour rencontrer De Gaulle le 25 octobre 1941 à Londres. Ils parlèrent de la situation de la résistance intérieure et des besoins de son financement. Séduit par ses talents d’organisation et ses motivations (le quadragénaire était très ambitieux), De Gaulle fit de Jean Moulin son délégué exclusif en zone libre. En quelques sortes, Jean Moulin était Dieu-le-fils, de De Gaulle, Dieu-le-père, descendu sur la terre française.

Deux missions très délicates d’organisation furent confiées Jean Moulin : la création de l’Armée secrète sous commandement de De Gaulle dirigeant les Forces françaises libres (ordre du 4 novembre 1941) et l’unification de tous les mouvements de résistance intérieure afin de renforcer l’efficacité des actions de résistance par une étroite coordination (ordre du 24 décembre 1941). L’ancien préfet fut parachuté en métropole le 1er janvier 1942 à Saint-Andiol.

L’Armée secrète fut créée le 28 août 1942 sous le commandement du général Charles Delestraint (officiellement le 11 novembre 1942). Quant à l’unification, beaucoup plus difficile en raison de la personnalité des chefs des différents mouvements, une première unification a eu lieu le 26 janvier 1943 avec la création des Mouvements unis de la Résistance (MUR) qui ont regroupé les grands mouvements de la zone sud (zone libre occupée par les nazis à partir du 10 novembre 1942) : "Combat" dirigé par l’encombrant Henri Frenay (soupçonné d’être "de droite"), "Franc-Tireur" dirigé par Jean-Pierre Lévy et "Libération-Sud" dirigé par Emmanuel d’Astier de La Vigerie (soupçonné d’être "proche des communistes"). Les MUR se sont élargis à des mouvements de la zone nord en décembre 1943, notamment Libération-Nord de Pierre Brossolette (parmi les personnalités marquantes des MUR, on peut citer Jacques Baumel, René Char et François Verdier).

Jean Moulin a rendu compte de son action auprès de De Gaulle le 14 février 1943 à Londres. Le colonel Passy témoigna ainsi : « Je revois Moulin, blême, saisi par l’émotion qui nous étreignait tous, se tenant à quelques pas devant le Général et celui-ci disant, presque à voix basse : "Mettez-vous au garde-à-vous", puis "Nous vous reconnaissons comme notre compagnon, pour la Libération de la France, dans l’honneur et par la victoire". Et pendant que De Gaulle lui donnait l’accolade, une larme lourde de reconnaissance, de fierté, de farouche volonté coulait doucement le long de la joue pâle de notre camarade Moulin. Comme il avait la tête levée, nous pouvions voir encore, au travers de sa gorge, les traces du coup de rasoir qu’il s’était donné en 40, pour éviter de céder sous les tortures de l’ennemi. » (cité par André Malraux le 19 décembre 1964).

De Gaulle nomma Jean Moulin membre du Conseil national français (équivalent de ministre) le 20 mars 1943. Le CNF faisait office de gouvernement en exil entre le 24 septembre 1941 et le 3 juin 1943 (en étaient membres notamment René Pleven à l’Économie, René Cassin à la Justice, André Philip à l’Intérieur, Jacques Soustelle à l’Information, le vice-amiral Émile Muselier à la Marine, ainsi que le général Georges Catroux et le contre-amiral Thierry d’Argenlieu).

Jean Moulin a réussi l’exploit de finalement rassembler toutes les forces vives de la France résistante, politiques mais aussi syndicales, culturelles, etc. au sein du Conseil National de la Résistance (CNR) qu’il créa et présida. La première réunion a eu lieu le 27 mai 1943 à Paris (rue du Four dans le sixième arrondissement) et a contribué à rendre crédible la voix de la France parmi les Alliés dans l’optique de l’après-guerre. Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin et son futur biographe, n’assista pas à cette réunion mais surveilla les passages dans la rue pour prévenir en cas d’arrivée de la police.

Furent ainsi réunis les représentants de huit mouvements de résistance (dont Eugène Claudius-Petit, pour Franc-Tireur, et Claude Bourdet pour Combat), des représentants syndicaux (CGT et CFTC) et les représentants des six formations politiques sous la IIIe République (dont André Mercier pour le PCF, Georges Bidault, pour les démocrates-chrétiens, André Le Troquer pour la SFIO et Joseph Laniel pour la droite modérée).

Contrairement à l’union des mouvements de résistance, le CNR a pour charge la politique après la Libération. Ce n’était pas un gouvernement (CNF) mais une instance politique chargée de faire mettre en place, par un gouvernement provisoire, un programme politique défini au préalable (adopté le 15 mars 1944). La difficulté de la création du CNR fut l’antagonisme entre les dirigeants des mouvements de résistance (principalement des quadragénaires), voulant n’intégrer au CNR que leurs représentants, et "l’ancien monde", le paysage politique d’avant-guerre. De Gaulle voulait absolument réunir tout le spectre politique d’avant 1940 afin d’avoir une légitimité nationale incontestable. L’auteur de cet exploit fut Jean Moulin, très habile politique.

L’Armée secrète fut très secouée au printemps 1943 par l’arrestation de son chef Charles Delestraint le 9 juin 1943, quelques mois après l’arrestation d’un chef régional à Lyon, le capitaine Claudius Pillon le 1er février 1943. Les deux sont morts des suites de leur arrestation, Charles Delestraint fut dépoté au Struthof puis Dachau où il est mort le 19 avril 1945, et Claudius Pillon est mort le 18 février 1943 à Vichy.

Une réunion fut organisée par Jean Moulin dans une maison louée à Caluire-et-Cuire le 21 juin 1943 avec sept dirigeants de l’Armée secrète pour se concerter dans la désignation du successeur du général Charles Delestraint arrêté. Y assistèrent notamment Raymond Aubrac et bien sûr Jean Moulin. Également le résistant René Hardy qui n’était pourtant pas convoqué. Tous les présents furent arrêtés par la Gestapo, visiblement alertée, et René Hardy a pu s’échapper rapidement. Il a été par la suite prouvé que René Hardy avait été arrêté puis relâché par la Gestapo dans la nuit du 7 au 8 juin 1943, dans le train de Paris, juste avant l’arrestation de Charles Delestraint.

Arrêté le 12 décembre 1944, René Hardy a été acquitté deux fois après la Libération (les 24 janvier 1947 et 8 mai 1950) sur son éventuelle implication dans l’arrestation de Jean Moulin. Daniel Cordier reste convaincu de cette implication. D’autres ont évoqué l’action d’une maîtresse de René Hardy qui était également celle de l’adjoint de Klaus Barbie qui aurait pu le faire parler imprudemment. L’affaire restera une controverse irrésolue qui a peu de chance de rebondir plus de soixante-quinze ans après les faits.

Quant à son tortionnaire nazi, Klaus Barbie, il a été retrouvé en Bolivie le 3 février 1972 grâce au journaliste Ladislas de Hoyos, fut arrêté à La Paz le 25 janvier 1983 (après la fin de la dictature) et fut extradé vers la France le 5 février 1983. Son procès a eu lieu à Lyon du 11 mai 1987 au 9 juillet 1987. Il fut condamné à la réclusion à perpétuité "pour la déportation de Juifs de France et notamment l’arrestation, le 6 avril 1944, de 44 enfants juifs et de 7 adultes à la maison d’enfants d’Izieu et leur déportation à Auschwitz". Pour l’unique fois en France, ce procès fut filmé comme pièce à conserver pour l’histoire. Klaus Barbie a fini ses jours en prison à Lyon, le 25 septembre 1991, après huit ans de détention, lui qui avait envoyé le dernier convoi de 650 personnes pour Auschwitz le 11 août 1944.

Dans ses mémoires, le futur Ministre SFIO des Affaires étrangères Christian Pineau, qui était détenu dans la même prison que Jean Moulin pendant quelques jours, a ainsi témoigné : « À la promenade, j’éprouve, ce matin-là, une violente émotion. Parmi les nouveaux détenus qui tournent autour de la cour, je reconnais Jean Moulin qu’à Londres, nous appelions Max. (…) [Le lendemain], quelles ne sont pas ma stupéfaction, mon horreur, lorsque je m’aperçois que l’homme étendu n’est autre que Max. Celui-ci a perdu connaissance, ses yeux sont creusés comme si on les avait enfoncés dans la tête. Il porte à la tempe une vilaine plaie bleuâtre. Un râle léger s’échappe de ses lèvres gonflées. Aucun doute, il a été torturé par la Gestapo. (…) Je ne l’ai jamais revu. » ("La Simple Vérité", 1960).

La mort de Jean Moulin a traumatisé beaucoup de résistants, mais pas la Résistance car Jean Moulin n’a pas parlé. Les nazis n’ont donc pas pu éliminer le CNR ni les autres chefs de l’Armée secrète. Le 1er septembre 1943, Georges Bidault a été élu Président du CNR pour succéder à Jean Moulin. Georges Bidault fut par la suite le Président du Gouvernement provisoire du 24 juin 1946 au 16 décembre 1946, plusieurs fois ministre sous la IVe République (Affaire étrangères, Défense) et deux fois Président du Conseil du 28 octobre 1949 au 24 juin 1950.

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Les noms de Jean Moulin dans la clandestinité furent nombreux : Joseph Mercier, Rex (le nom connu de Daniel Cordier), Max, Richelieu, etc. Il a eu aussi un autre nom, Romanin, qui fut son nom d’artiste. En effet, dès le début des années 1930, il a réalisé plusieurs dessins et eaux-fortes intéressants, transformant l’image que l’histoire pouvait porter sur lui. Notamment des dessins humoristiques, dont on peut télécharger quelques échantillons ici. Sa couverture était l’art contemporain, et sa grande connaissance des arts (dont il a transmis la passion à Daniel Cordier) fut complétée par ses rencontres avec des artistes, comme Max Jacob.

Jean Moulin a reçu de nombreux honneurs après sa mort et il a même été promu général de division en novembre 1946 à titre posthume. S’il y a peu de rues qui portent le nom de Jean Moulin, il y a en revanche de très nombreux établissements scolaires à son nom (plus de quatre cents, plus que Victor Hugo, Jean Jaurès et Marie Curie !).

Le plus grand honneur fut évidemment le transfert de ses cendres présumées au Panthéon le 19 décembre 1964, en présence du Général De Gaulle (Président de la République), Georges Pompidou (Premier Ministre), Pierre Messmer (Ministre des Armées) et Jacques Chaban-Delmas (Président de l’Assemblée Nationale). Et en l’absence de Daniel Cordier qui n’avait même pas été invité.

Le discours très émouvant du Ministre de la Culture André Malraux fut sans doute le plus grand discours français du XXe siècle, tant sur le fond que sur la forme. Les cendres d’André Malraux furent ensuite, à leur tour, transférées de Verrières-le-Buisson au Panthéon le 23 novembre 1996, vingt ans après sa mort, sur décision du Président Jacques Chirac et à la demande de Pierre Messmer et avec un discours de Maurice Schumann.





J’en propose quatre extraits ici.

Le sentiment de résistance : « Après vingt ans, la Résistance est devenue un monde de limbes où la légende se mêle à l’organisation. Le sentiment profond, organique, millénaire, qui a pris depuis son accent légendaire (…). Ce sentiment qui appelle la légende, sans lequel la Résistance n’eût jamais existé, et qui nous réunit aujourd’hui, c’est peut-être simplement l’accent invincible de la fraternité. Comment organiser cette fraternité pour en faire un combat ? ».

La torture et le salut des camarades : « Le jour où, au Fort Montluc à Lyon, après l’avoir fait torturer, l’agent de la Gestapo lui tend de quoi écrire puisqu’il ne peut plus parler, Jean Moulin dessine la caricature de son bourreau. Pour la terrible suite, écoutons seulement les mots si simples de sa sœur : "Son rôle est joué, et son calvaire commence. Bafoué, sauvagement frappé, la tête en sang, les organes éclatés, il atteint les limites de la souffrance humaine sans jamais trahir un seul secret, lui qui les savait tous". Comprenons bien que pendant les quelques jours où il pouvait encore parler ou écrire, le destin de la Résistance est suspendu au courage de cet homme. Comme le dit Mademoiselle Moulin, il savait tout ! ».

"Le destin de la Résistance est suspendu au courage de cet homme", il était exactement là, à la fois l’acte du héros et la légende qui s’édifia par la suite sur son rôle fondateur.

La fameuse phrase d’André Malraux qui a fait tant vibrer le cœur des patriotes : « Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d’exaltation dans le soleil d’Afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi, et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé. Avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuits et Brouillard, enfin tombé sous les crosses. Avec ses huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle, nos frères dans l’ordre de la Nuit… ».

Enfin, la leçon pour la jeunesse d’aujourd’hui (ou plutôt celle d’avant-hier, c’était en 1964) : « Écoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le chant du Malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici. À côté de celles de Carnot avec les soldats de l’an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu’elles reposent avec leur long cortège d’ombres défigurées. Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé. Ce jours-là, elle était le visage de la France. ».





"Le Chant des Partisans", l’hymne de la Résistance française, écrit en russe et mis en musique par Anna Marly et écrit en français par Joseph Kessel et Maurice Druon, fut ensuite interprété à l’issue de ce discours historique. Jean Moulin, consacré le héros suprême de la République française, le saint des saints de la liturgie gaullienne.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 juin 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Discours d’André Malraux le 19 décembre 1964 lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon.
L’artiste Jean Moulin, dessinateur.
Jean Moulin.
Premier de Cordier.
André Malraux.
Maurice Druon.
Edmond Michelet.
Loïc Bouvard.
Germaine Tillion.
Alain Savary.
Être patriote.
Daniel Cordier, ni juge ni flic.
La collection Cordier.
Charles Maurras.
Philippe Pétain.
Charles De Gaulle.
L’appel du 18 juin.
Antisémitisme.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Raymond Sabot.
François Jacob.
Pierre Messmer.
Maurice Schumann.
Jacques Chaban-Delmas.
Yves Guéna.
Général Leclerc.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180621-jean-moulin.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/jean-moulin-le-supreme-heros-205393

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/06/21/36501224.html



 

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